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Le blog d'Alexandre Clément

Boulevard du crépuscule, Sunset boulevard, Billy Wilder, 1950

 Boulevard du crépuscule, Sunset boulevard, Billy Wilder, 1950

Billy Wilder est régulièrement répertorié comme un des plus grands auteurs du cycle du film noir. On trouve d’ailleurs trois de ces films dans les classements du genre dans les dix meilleurs films du genre : Double indemnity (1944), Ace in the hole (1951), et Sunset boulevard (1950).  C’est très justifié. On croit tout avoir dit de ce dernier film, et puis en le revoyant, on s’aperçoit qu’il est bien plus complexe qu’il n’y paraît. Il y a beaucoup d’aspects visibles liés à l’histoire, mais il y a aussi des éléments entre les lignes de celle-ci qui le font dériver en permanence vers d’autres territoires. C’est un film sur le cinéma bien sûr, une critique d’Hollywood encore, comme il y en aura énormément par la suite. Mais c’est d’abord et avant tout un film sur l’ambiguïté des sentiments et sur la fatalité des destins.  D’autres éléments renforcent la densité du scénario : le temps qui passe et ses ravages, la sombre puissance de l’argent, la misère de la gloire et l’aspect factice de l’industrie du cinéma.

  Boulevard du crépuscule, Sunset boulevard, Billy Wilder, 1950

Joe Gillis vient de se faire tuer 

Joe Gillis est un scénariste dans la débine qui cherche désespérément de l’argent pour faire face aux prétentions de ses créanciers. Mais toutes les portes se ferment devant lui, les unes après les autres. Personne ne veut de ses scénarios, et encore moins lui prêter de l’argent. Alors qu’il est littéralement poursuivi par des hommes qui veulent lui confisquer son automobile, il se cache par hasard dans une immense propriété qui lui parait abandonnée. Ce qui lui parait une chance au premier abord va être en fait sa perte. En vérité cette propriété est celle de la richissime star du muet, Norma Desmond. Elle y vit seule avec un majordome étrange, Max, sans le moindre souci d’entretenir son immense palace. Max, comme elle, croit que Joe est le croquemort qui doit procéder aux funérailles d’un singe que Norma a beaucoup aimé. Joe la reconnait, et en engageant la conversation avec elle, il va tomber dans ses filets : en effet, apprenant qu’il est scénariste, elle lui propose de mettre en forme un scénario qu’elle a écrit et qu’elle pense pouvoir être le support de son retour triomphal à l’écran. Joe accepte parce dans l’espoir de se refaire la cerise à peu de frais et de mettre un terme à ses embarras financiers. Mais au fil du temps il va prendre goût à cette vie oisive et sans souci, Norma prenant en charge tous ses frais. Il abandonne peu à peu ses ambitions et finit par devenir l’amant de Norma. Bientôt il se lasse de cette vie soumise et veut s’échapper. Au cours du réveillon de fin d’année, il s’enfuit et retrouve une jeune femme, Betty, qui lui plait beaucoup et qui est lectrice pour les studios. Elle lui dit qu’elle aimerait travailler avec lui, mais il a des scrupules car Betty est fiancée avec Artie, un technicien de ses amis.

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Gillis tente d’échapper à ses créanciers

Cependant Norma fait une tentative de suicide, et Joe revient pour la réconforter. Les choses vont leur train, Joe vie sa vie de gigolo, Norma rénove la maison pour lui être agréable. Et elle croit que Cecil B. De Mille va tourner à nouveau avec elle. Pourtant Joe s’évade de sa prison dorée et va retrouver  Betty avec qui il va écrire un scénario, la nuit, très tard. Au début il ne se passe rien, et la jalousie de Norma n’a pas vraiment lieu d’être. Mais Betty va avouer à Joe qu’elle l’aime et qu’elle ne veut plus se marier avec Artie. Dès lors la jalousie de Norma va enflammer la situation : elle téléphone à Betty, Joe surprenant la conversation demande à Betty de venir le voir, ce qu’elle fait. Mais Joe qui a honte de sa situation de gigolo va se noircir pour mettre fin brutale à sa relation à peine ébauchée avec Betty. Norma pense qu’il va rester avec elle, mais non, il décide enfin de se montrer courageux pour une fois et de la quitter à son tour. C’est à ce moment-là que Norma décide de l’assassiner. La police arrive et avec elle les caméras et les journalistes pour lesquels Norma va prendre la pose sous la direction de Max, le réalisateur qui fut son mari et qui la lança à Hollywood.

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Avec Norma Desmond, il va travailler sur un scénario insipide 

Dans une première approche, on voit bien tout ce qui est critiquable à Hollywood, aussi bien la folie de Norma qui ne veut pas admettre que son temps a passé, que ses extravagances de mauvais goût que lui permet son argent. Il y a aussi le petit monde prolétaire des petits métiers qui travaillent en arrière-plan à la réalisation d’un film. Ce sont les scénaristes, les techniciens de la lumières, les acteurs de second rang qui souvent vivent chichement – Betty partage un petit appartement avec une de ses amies. Il y a donc une opposition entre ces laborieux salariés et les stars qui dépensent leur argent sans compter au point de croire qu’ils pourront tout acheter avec. Cela ne semble pas avoir beaucoup changé aujourd’hui. Il y a donc aussi une critique plus profonde de la croyance que les Américains accordent au dollar, ou à leur propre compte en banque. Mais l’argent ne résout aucun problème, au contraire, il en crée de nouveaux. Au fur et à mesure que Joe use et abuse de l’argent de Norma contre ses prouesses sexuelles, il s’enfonce dans le désespoir, et il n’arrivera pas à assumer une relation normale avec Betty. Il est trop corrompu pour cela et il le sait.

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Norma a tendance à s’approprier Gillis en regardant des vieux films 

Ce jeu de la soumission est particulièrement pervers et touche presque tout un chacun : Max est un ancien réalisateur glorieux qui n’a plus eu comme ressources que de se réfugier dans l’ombre de Norma qu’il a pourtant découverte et lancée quand elle avait seize ans. Norma n’est pas épargnée, même quand elle est applaudie, elle est protégée, on n’ose pas lui dire qu’elle est finie et qu’elle ne reviendra jamais sur le devant de la scène. Quand elle va voir Cecil B De Mille, les techniciens et les acteurs de second plan lui font fête, mais c’est à peine une petite parenthèse dans le désastre qu’aura été sa vie dès lors qu’elle n’a plus pu tourner. C’est un film particulièrement cruel. Non seulement par son histoire, mais aussi par la manière dont elle a été mise en scène. Billy Wilder prend un malin plaisir à humilier des gloires du passé : que ce soit Gloria Swanson, Erich Von Stroheim dont il s’applique à détruire la gloire, ou encore le grand Buster Keaton qu’il présente comme une vieille momie, un vestige des temps passés. Certes cela donne du réalisme au film, mais il n’est pas certain que cela ait été nécessaire au projet.

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Max les conduits chez le tailleur 

Bien sûr il y a une méditation sur le temps qui passe et ses effets monstrueux. Mais cela marche dans les deux sens. En effet, Norma semble à plusieurs reprises revenir en enfance, elle rêve en permanence, aime à ce qu’on la protège, que ce soit Joe ou que ce soit le paternaliste Cecil B. De Mille, ils la cajolent et ce faisant ne lui rendent pas service. Mais Joe se laisse prendre aussi au piège de l’enfance, finalement il trouve en Norma une mère de substitution qui lui convient très bien. C’est donc aussi un film sur cette difficulté qu’il y a à devenir adulte même quand on a passé la cinquantaine, comme les craintes de ce délabrement qui tôt ou tard viendra ! Il y a beaucoup de désespoir sous cette fable ironique. Et la folie n’est jamais bien loin.

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Le réveillon de fin d’année va être morose 

Le film n’est lui-même qu’un long flash-back, raconté par Joe Gillis qui vient de se faire assassiner. La réalisation est remarquable, d’une grande tenue, avec un rythme soutenu. L’immensité des décors, notamment le grand escalier qui monte aux chambres, permet de signifier dans les mouvements de plongée et de contre-plongée la médiocrité de Joe Gillis, il apparait soudain tout petit, un objet écrasé par la puissance matérielle des lieux. Ce que filme Wilder c’est la prise de possession de Gillis par Norma et son argent, elle lui pose la main dessus pour signifier qu’il lui appartient, elle lui frotte le dos avec une serviette quand il sort de la piscine, elle l’habille, l’empêchant de décider quoi que ce soit, elle en fait son objet. La relation impossible avec Betty est tout le contraire : Joe respire, il peut se promener dans un décor à sa taille, bien que faux. Il existe enfin pour lui-même et par lui-même. C’est le sens des promenades nocturnes dans les décors du studio endormi. Si les escaliers massifs sont filmés à la grue et donnent le vertige, les déambulations nocturnes sont filmées à travers de longs travellings qui apaisent pour un temps les tensions. L’ensemble est baigné dans une lumière superbe où les contrastes du noir et blanc renforce la morbidité du propos.

  Boulevard du crépuscule, Sunset boulevard, Billy Wilder, 1950

Betty est amoureuse de Gillis 

L’interprétation est remarquable, mais Billy Wilder était connu pour son excellente direction d’acteurs. D’abord Gloria Swanson dans le rôle de Norma Desmond réalise une performance très difficile, parce qu’en tant qu’ancienne gloire du muet, elle est obligée de surjouer en permanence : il faut aussi que cela paraisse naturel si je puis dire. C’est réussi. La scène où elle imite Charlot, une autre gloire du passé et du cinéma muet, est remarquable. Si tout le monde a remarqué cela on a moins fait attention à William Holden. Et pourtant, il est excellent, comme presque toujours. Il introduit de la dureté dans son regard dans la scène où il annonce à  Norma qu’il reprend sa liberté, d’agneau il se transforme en lion. William Holden sera un des acteurs préféré de Billy Wilder avec qui il fera encore Sabrina, Stalag 17 et Fedora. Le troisième personnage de cet étrange trio est Max, incarné par Erich Von Stroheim. C’est le mari délaissé mais encore amoureux peut-être qui assiste à la déconfiture de celle qui fut jadis sa femme. Il accepte d’être le domestique stylé pour vivre auprès d’elle et respirer un peu de sa propre gloire passée. On le voit cependant s’animer d’une flamme nouvelle dès lors qu’il indique à la fin comment Norma doit descendre les escaliers pour prendre la lumière afin que sa reddition soit filmée comme un dernier moment de gloire pour les actualités. On ne peut pas oublier aussi Nancy Olson dans le rôle de Betty, elle est pleine de fougue et de jeunesse. C’est le seul personnage un peu positif, encore qu’elle trahira Artie sans trop d’états d’âme. Elle est très bien, je crois bien que c’est la seule survivante aujourd’hui parmi ceux qui ont réalisé ce film. Elle retrouvera l’année d’après William Holden dans le très bon Union station[1]. Elle formera un couple glamour, à l’écran du moins, avec William Holden avec qui elle fera encore Force of arms sous la direction de Michael Curtiz, puis Submarine command de John Farrow. Mais elle ne fera plus grand-chose par la suite, si ce n’est à la télévision. Bien sûr que de faire tourner Buster Keaton, Hedda Hopper[2] ou Cecil B. De mille est aussi assez inattendu. La prestation de ce dernier, connu pour la rigidité de son caractère, est d’ailleurs plutôt étonnante est empreinte d’humanité.

Boulevard du crépuscule, Sunset boulevard, Billy Wilder, 1950  

Norma se prépare à être filmée 

Ce film fut une source d’inspiration pour de nombreux romanciers et de nombreux cinéastes, à commencer par l’excellent The bad and the beautiful de Vicente Minelli en 1952. Billy Wilder tentera d’en faire une sorte de remake tardif en 1978, avec Fedora, toujours avec le même William Holden, mais le temps avait passé, et s’il y manquait cette grâce, cette facilité, c’était maintenant Billy Wilder qui commençait à ressembler à Norma Desmond, comme s’il allait revenir sur le devant de la scène, Fedora sera un échec commercial et artistique. En attendant, Sunset Boulevard, bien que critiqué par le microcosme hollywoodien, fut un immense succès public et avec le temps il est devenu un classique du film noir, incontournable.

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Sur le tournage de Sunset Boulevard

 

 


[1] http://alexandreclement.eklablog.com/midi-gare-centrale-union-station-rudolph-mate-1950-a114844756 Dans ce billet j'avais qualifié l'interprétation de Nancy Olson d'insignifiante, preuve que Billy Wilder était un cran au dessus de Rudolph Maté.

[2] Hedda Hopper était une artiste ratée qui se fit chroniqueuse des potins d’Hollywood. Elle était d’une méchanceté redoutée, restant arcboutée sur des principes politiques ultra-conservateurs et racistes. 

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