17 Octobre 2021
John Berry était un cinéaste très prometteur, il avait fait quelques pas très réussis dans le film noir avec Casbah, un remake plutôt réussi de Pépé le moko, en 1948, le très bon Tension en 1949, et puis surtout l’excellent He ran all the way en 1951 qui fut le dernier film de John Garfield. Mais il avait un gros défaut pour Hollywood et pour l’HUAC, c’est qu’il avait été communiste, dénoncé par l’ignoble Edward Dmytryk, communiste lui aussi, il fut blacklisté. L’HUAC n’aimait pas le film noir, les Juifs en général et les communistes en particulier. John Garfield en mourra et John Berry s’exila comme le fit également Joseph Losey. Jules Dassin avait suivi le même chemin. Et tous les trois se recycleront plus ou moins bien dans le film noir. Jules Dassin donnera le fameux Du rififi chez les hommes, Joseph Losey percera plus péniblement en Angleterre et John Berry se fit Français. Il commença par travailler sur C’est arrivé à Paris, un film qui n’aura pas de succès et qui fut signé Henri Lavorel – on a dit aussi qu’il y avait deux versions et que John Berry supervisait la version en anglais. Et puis il va réaliser Ça va barder… beaucoup disent que c’est un simple film de commande parce que c’est un « Eddie Constantine », mais c’est très injuste. Bien que le scénario ne soit pas très original, il y a dans ce film un style visuel très particulier et très intéressant. La novellisation du film a été réalisée par un certain Michel Colas et publiée au Fleuve noir, certains pensent que c’est Frédéric Dard qui s’y collé, un Michel Colas auteur de romans policiers est en effet inconnu au bataillon. Mais enfin il n’y a pas de certitude.
Johnny Jordan protège un homme qui allait se faire agresser
Johnny Jordan est un aventurier qui monte une petite arnaque pour faire croire au gros Moreno qu’il le protège. Ça semble marcher et Moreno va l’engager pour qu’il surveille ses affaires à Puerto Negro. Moreno n’est cependant pas dupe de Jordan. Celui-ci débarque à Puerto Negro où il retrouve ses amis Boubica et Alvarez. Jordan a été dans le temps l’amant de la belle Boubica qui maintenant lui préfère Alvarez qui est plus sûr. Jordan va enquêter sur Sammy Kern qui est le représentant de Moreno à Puerto Negro. Il va s’apercevoir que celui-ci est de mèche avec un certain Diego un homme d’affaire qui lui aussi parait plutôt louche. Mais Diego a comme particularité d’être aussi le mari d’une ancienne maitresse de Jordan, la belle Gina. Si Jordan découvre que Kern est un trafiquant d’armes, il va comprendre qu’on veut l’empêcher d’aller plus loin, on tente de l’assassiner. Avançant dans son enquête, il comprend que deux bandes rivales cherchent à s’emparer des armes. Il arrive à faire parler Kern. Mais celui-ci est assassiné. La conduite de Gina devient particulièrement louche, au prétexte d’un rendez-vous amoureux, elle l’abandonne au bord de la mer. La police soupçonne Jordan du meurtre de Kern. Jordan s’enfuit à nouveau et se retrouve au Paradis, un cabaret plutôt curieux où il veut surveiller les allers-venues. Mais l’endroit étant protégé par un gorille particulièrement vigilant, il va provoquer une bagarre générale. Il a cependant la police aux trousses et va se retrouver dans une ambulance conduite par Alvarez. Progressant dans son enquête, manquant d’être assassiné par un certain Lopez, il va finir par confondre Moreno grâce aux confidences de Flora sa belle maîtresse qui a elle aussi un faible pour Jordan. Mais celui-ci dit qu’il est associé avec Diego. Diego qui est jaloux de Jordan à cause de la relation passée qu’il a eue avec Gina, comprend pourtant que Moreno cherche à le doubler. La confrontation entre Jordan, Moreno et Diego va tourner à la confusion. Diego tente de tuer Gina, puis Jordan, mais c’est lui qui va être précipité dans le vide d’une manière accidentelle. Alors que tout est terminé, Moreno qui tente de s’enfuir, il va être arrêté par la police. Jordan va finalement partir avec Gina qui avoue qu’elle n’aime que lui !
Jordan retrouve ses amis Boubica et Alvarez à Puerto Negro
Derrière des figures convenues, propres aux personnages interprétés à cette époque par Eddie Constantine, il faut y voir d’abord un exercice de style. Bien sûr il y a une sorte de cahier des charges propres aux « Eddie Constantine » de cette période. D’abord le héros doit être positif, donc représenter le bien, malgré tout, même s’il est un peu canaille et transgresseur. Ensuite il doit séduire un maximum de jeunes femmes. Ici on en comptera quatre dont certaines seront un peu déçues peut-être, mais resteront tout de même sous le charme. Ensuite le personnage incarné doit être décontracté. Ce qui fait que dans ses films Eddie Constantine ne joue pas vraiment, il est juste lui-même. Enfin dans ce cahier des charges l’histoire doit être suffisamment embrouillée pour que le spectateur soit plus intéressé par l’action que par la résolution d’une énigme. Il y a donc dans ce genre de film, comme d’ailleurs dans les films inspirés par les romans de Mickey Spillane d’ailleurs une action qui n’existe que pour elle-même. C’est flagrant ici avec la scène de bagarre qui a lieu au cabaret Paradis. Cette séquence ne fait pas bouger l’intrigue d’un pouce. Elle ne sert à rien d’autre qu’au plaisir de voir des personnages se foutre sur la gueule. On trouvait ça bien sûr dans le cinéma burlesque, avec la tarte à la crème en sus. Ici, et contrairement aux films tirés de l’œuvre de Mickey Spillane, on ne verse pas dans le sadisme, ça reste bon enfant, un peu irréel. D’ailleurs le héros Johnny Jordan qui provoque la bagarre en rigole franchement. Malgré le nombre de cadavres, ce n’est pas triste.
Jordan s’introduit dans les bureaux de Kern
Johnny Jordan est un peu cynique, mais pas trop, il finira par se révéler même plutôt sentimental. Son point faible, ce sont les femmes qu’il ne peut s’empêcher de séduire et qui finalement l’emballent. Les femmes ont comme rôle principal de rendre jaloux les hommes. Diego est jaloux de Jordan car il sent bien que sa femme a encore des sentiments pour l’aventurier. Mais Jordan est aussi jaloux de Diego, il est jaloux aussi de Moreno qui a à sa disposition une belle femme qui en plus fait la cuisine ! Il est également dépité de voir que Boubica reste fidèle – certes à son corps défendant – à Alvarez qui est petit, gros, moche, et qui n’a pas un franc. Dans ce film les femmes ont souvent des problèmes avec les revolvers. Ainsi il y aura une très longue scène entre Flora et Jordan, tandis qu’il l’embrasse, elle cherche à se saisir du revolver, mais Jordan l’en empêche tout en continuant à l’embrasser ! A qui appartient donc ce symbole phallique ? Eddie Constantine aimait bien la mise à distance du sujet, on trouvera par exemple une phrase du dialogue où Moreno lui demande s’il ne se prendrait pas un peu trop pour Lemmy Caution !
Une automobile tente de l’écraser
John Berry connaît la grammaire du film noir, même si elle est ici au service d’un film d’action. La scène d’ouverture est remarquable, bien mise en valeur par la photo de Léo Mirkine qu’on retrouve dans le superbe film d’Hervé Bromberger, les fruits sauvages[1], ou chez Clouzot pour Les diaboliques[2]. Il y a un soin apporté à la construction du cadre qui est surprenante et qui fait sortir le film de la routine, malgré un scénario assez faiblard. Il utilise très bien la nuit, les lumières indirectes, mais aussi la profondeur de champ quand il pénètre des espaces relativement fermés, les appartements de Diego ou de Moreno, ou le logement étroit d’Alvarez. On note que le film se veut exotique, un peu à la manière des films américains qui se passent au Mexique, je pense à The big steal de Don Siegel avec Robert Mitchum qui lui aussi cultivait une image décontractée. Ici nous sommes plus ou moins en Amérique Latine, et donc l’ensemble vise à imiter les films américains.
Au Paradis, Jordan déclenche une bagarre générale
La distribution est organisée autour d’Eddie Constantine qui comme on le sait ne joue pas vraiment, il se contente de sa présence et distribue des gnons dans trop barguigner. Il est donc Johnny Jordan, séducteur et aventurier sans état d’âme qui prend son plaisir où il le trouve. Il va être entouré de belles femmes très sexy. D’abord May Britt, actrice suédoise qui après son mariage avec Sammy Davis jr abandonnera le métier. Elle est assez quelconque dans le rôle de Gina la femme de Diego. Plus intéressante est l’actrice italienne Irene Galter dans le rôle de Boubica. Mais sa présence est assez courte. Il y a également Lyla Rocco qui se fait remarquer positivement dans le rôle de Flora la maitresse de Moreno. Du côté masculin c’est un peu du traditionnel pour les polars français de cette époque. La curiosité c’est Roger Saget qui interprète Moreno de façon tout à fait superbe. Il mange beaucoup et il est sournois à bon escient. Ensuite il y a Jean Carmet maquillé en Alvarez, avec moustache et boucle d’oreille, il joue les naïfs bedonnant avec un certain humour. L’incontournable et excellent Jacques Marin est le commissaire. Jess Hahn commençait ici sa carrière de matelot en bordée toujours à chercher la bagarre. Et puis il y a John Berry qui s’est donné le petit rôle de Lopez juste pour mourir sur la plage, comme si le cinéma l’avait tué quelque part.
La police a découvert le corps de Kern
La critique ne s’est guère intéressée à ce film. Mais le public se déplaça en masse pour le voir, en France et à l’étranger, en Italie comme en Allemagne. Evidemment John Berry est très loin ici de ses ambitions initiales de faire un cinéma social et de combat. Mais c’est parfois drôle, ça se voit avec un œil curieux tant la manière de faire des films très décontractés à disparue. Dire qu’ils se sont mis à quatre pour écrire le scénario parait encore plus étrange ! A la fin du film on aura droit à Eddie Constantine poussant la chansonnette pour nous rappeler qu’il fut aussi un bien étrange crooner.
Moreno tente de se disculper
Jordan provoque une explication entre Diego et Moreno
Diego poursuit sa femme qu’il veut tuer