2 Juin 2019
Quelques temps après Marathon man, Ira Levin va s’emparer du sujet « Mengele ». C’était un auteur à succès qui faisait dans le roman comme dans la pièce de théâtre. Son plus grand succès sera, en dehors de The boys from Brazil, Rosemary’s baby. Les deux ouvrages ont des liens de parenté évidents, notamment parce qu’ils portent sur la nature des enfants qu’on met au monde. Le sinistre Mengele va jouer ici le rôle du Diable. Si on suit la vraie histoire de Mengele, pour ce qu’on en connait, cette approche du criminel nazi est toute aussi fantaisiste. Notamment parce qu’elle imagine un plan « diabolique » basé sur la génétique pour redonner toute sa puissance au régime nazi qui a été défait trente ans auparavant. Certes Mengele faisait partie de ces exilés nazis en Amérique du Sud qui pensaient qu’ils retrouveraient un jour le pouvoir, et donc ils n’avaient pas abandonné leurs idées moisies. Mais en vérité, même s’ils avaient encore des moyens, notamment parce qu’ils pouvaient s’appuyer sur des nazis qui avaient été blanchis en Allemagne, ils n’ont jamais eu la capacité de produire sérieusement le début d’un plan de reconquête : leur organisation restait tout de même assez faible, et les nazis exilés en Amérique du Sud se bornaient le plus souvent à célébrer l’anniversaire du Führer et à jouer les mercenaires pour les dictateurs du jour. Cependant Ira Levin s’est bien documenté et va aborder un sujet très moderne pour l’époque en s’appuyant sur les « talents » de généticien de Mengele. On sait que ce dernier avait tenter des expériences sur les jumeaux et sur le bleuissement des yeux. Mais ses talents étaient très limités et ne semblent pas avoir été concluants. Franklin F. Schaffner est un cinéaste assez hétéroclite, il passe volontiers du film politique – The best man – au film historique – The war lord – ou encore au film de science-fiction – Planet of apes. L’ensemble parait se recouper dans une analyse des formes du pouvoir et de ses abus. Certains de ses films ont été des succès planétaires et durables. Parmi les adaptations nombreuses du roman de Pierre Boulle, La planète des singes, c’est certainement la sienne qui est la meilleure et la plus pertinente. Papillon a aussi été un succès remarqué. D’autres films moins connus sont intéressants comme The double man par exemple où il s’exerce au film d’espionnage dans un registre qui parfois se retrouvera dans The boys from brazil. Réalisateur avec un caractère difficile, il eut de grosses difficultés à surmonter ses échecs au box-office.
Barry Kholer au Paraguay piste Mengele, en l’espionnant, il va avoir connaissance d’un complot dont il ne comprend pas le fondement. Il alerte Lieberman, un chasseur de nazis, basé à Vienne, mais celui-ci ne semble guère intéressé. Kholer va payer de sa vie ses activités d’espionnage, cependant il aura eu le temps d’intéresser Lieberman. Mengele prépare l’assassinat de 94 fonctionnaires âgés de 52 ans, répartis un peu partout dans le monde. C’est un plan qui est exécuté sous la surveillance de Seibert qui est d’ailleurs très sceptique. Lieberman va se mettre sur la piste des « assassinés ». Il va découvrir un lien commun entre eux : ils sont beaucoup plus âgés que leur femme et surtout ils ont adopté un enfant. Or tous ces enfants se ressemblent. Ils sont bruns aux yeux bleus. En remontant cette piste, Lieberman va comprendre qu’ils sont le fruit d’un clonage, et que ce clonage s’est réalisé à, partir de prélèvement sur Hitler lui-même. Il aurait été cloné ainsi 94 fois ! Ce grand nombre est justifié par le fait que peu de clonés restent en vie et en bonne santé. Une femme qui faisait le trafic d’enfants et qui se trouve en prison lui dévoilera la moitié de l’histoire, mais c’est un généticien allemand qui lui fournira la clé. Mais de leur côté les nazis commencent à s’inquiéter, et ils vont sommer Mengele d’abandonner son projet qui pourrait les mettre en danger. Seibert va détruire le laboratoire de Mengele, mais celui-ci engage une course de vitesse avec Lieberman pour tenter de récupérer un des clones. Mengele va finalement se retrouver en face de Lieberman et ce dernier ne sera sauvé que grâce à l’intervention de l’enfant qui fera dévorer Mengele par des chiens. Les jeunes chasseurs de nazis veulent tuer les clones d’Hitler dont Lieberman possède la liste, mais ce dernier refusera, laissant le destin s’accomplir.
Kholer tente d’alerter Lieberman sur la piste de Mengele
Il y a énormément de choses dans ce scénario. D’abord évidemment une réflexion sur les nazis qui avaient cette prétention incroyable de vouloir contrôler la vie et la reproduction humaine pour asseoir et développer leur pouvoir. C’est un sujet qui a émergé dans les années soixante-dix, mais qui me semble aujourd’hui encore plus pertinent. On voit donc que le progrès scientifique contient des aspects pour le moins très louche et donc qu’il ne correspond pas forcément au progrès du genre humain. A côté de ce thème dominant, associé au pouvoir maléfique nazi, il y a bien entendu l’affrontement entre le bien et le mal, c’est-à-dire l’affrontement entre le juif qui vise à reconstruire l’humanité et le nazi qui tente de la détruire. Les chiens qui finalement règleront le problème ne s’y trompent pas, ils déchiquèteront Mengele. L’ambigüité entre progrès scientifique et progrès humain est représentée par le docteur Bruckner qui, même s’il n’est pas nazi, s’extasie sur les performances techniques de Mengele. La folie n’est pas loin. Un autre thème sous-jacent à cette histoire c’est le rapport du vieux Lieberman avec les jeunes révoltés qui ont soif de justice. Le premier se méfie des seconds, pensant qu’ils ne sont pas sérieux, mais en même temps il s’agit d’un passage de témoin sur la question de la Shoah, et en fait cela correspond au milieu des années soixante-dix à une prise de conscience qui quelque part a pris la place des grands mouvements sociaux de la fin des années soixante qui n’ont pas vraiment abouti.
Mengele a réuni son équipe pour lui exposer son plan d’action
Le récit est mené à la manière d’un thriller, avec de nombreux rebondissements, et des personnages qui se retrouvent en permanence en danger. On fera un peu de tourisme aussi, en passant de Vienne à la jungle du Paraguay, ou encore en visitant Londres et la Suède. On verra aussi l’opposition entre l’opulente communauté nazie au Paraguay et les misérables autochtones qui vivent en permanence dans la précarité. De même on retardera pendant le plus longtemps possible le moment où le spectateur doit apprendre les raisons du plan de Mengele. Dans la forme c’est l’affrontement de deux obstinations, Mengele et Lieberman ne veulent jamais lâcher le morceau, même si le temps a passé, et même si Lieberman est plutôt fatigué. Il est cependant soutenu par Esther sa femme qui est l’exact contraire de toutes les autres femmes qui apparaîtront à l’écran et qui se tiennent loin de leur mari, se réjouissant même parfois de le voir disparaitre. Mais c’est un film assez peu sexué, et Mengele n’est pas du tout porté sur la bagatelle. Lieberman est dérivé sans doute de Simon Wiesenthal, le chasseur de nazis très controversé qui s’était targué de coincer Mengele mais qui en réalité se trompait sur toute la ligne sur sa localisation : il le traquait encore au Paraguay, alors qu’il était au Brésil. Cependant, à l’époque du tournage de ce film, Mengele non seulement était encore vivant, mais on ne savait pas beaucoup de choses sur sa cavale. C’est seulement après sa mort que les langues se délieront et qu’on apprendra quels appuis il lui restait en Allemagne chez les nazis qu’on avait choisi de blanchir et de réintégrer dans la société. Parmi les éléments véritables qu’utilise le scénario qui est très fidèle au roman, il y a le costume blanc, et cette passion pour l’opéra qui lassait d’ailleurs tout son entourage.
Lieberman est étonné par la passivité de la veuve
Sur le plan purement cinématographique, on ne trouvera rien d’exceptionnel. C’est très propre, bien cadré, avec un sens de l’espace. Quelques scènes sont cependant plus remarquables, par exemple les scènes dans la jungle qui montrent l’enfermement très coloré de Mengele vivant au milieu des indigènes. Ou encore le grand bal donné en l’honneur d’Hitler, on a droit à des mouvements d’appareil assez compliqués avec beaucoup de profondeur de champ et de continuité, Schaffner évitant de trop découper. Il y a aussi quelques plans très bons de Vienne, une ville grise et éteinte qui semble n’avoir plus ni passé, ni avenir.
Lieberman interroge une femme qui a vendu des nouveau-nés aux yeux bleus
L’interprétation c’est la confrontation entre Gregory Peck et Laurence Olivier. Le premier a toujours été un acteur très sous-estimé, comme si on voulait le réduire à son physique un peu lisse. Il est vrai qu’il a un peu abusé des portraits de héros positifs. Mais ici il est excellent dans le rôle du semi-dément Mengele. Obnubilé par la mission qu’il s’est donnée, il n’est pas forcément méchant, il est bien pire, il est le mal. Laurence Olivier qui dans Marathon man jouait un simili-Mengele sous le nom de Szell, est ici le chasseur de nazi Lieberman. Bien que sa performance ait été saluée, pour moi c’est lui qui déséquilibre le film. Il cabotine un peu trop, certes il n’en est pas réduit aux grimaces de Michel Serrault, mais ce n’est guère brillant. James Mason n’a qu’un tout petit rôle sans relief, il est Seibert, le nazi ennemi de Mengele qui fera tout pour que son projet avorte. Il y a aussi Lili Palmer dans le rôle d’Esther. Elle est toujours très juste, mais elle n’a pas beaucoup de place pour démontrer son talent. Il y a aussi quelques seconds rôles remarquables, Uta Hagen qui interprète une ancienne gardienne de camp nazie, celle que Lieberman arrivera à faire parler en rusant un peu. On reconnaitra aussi Bruno Ganz dans le petit rôle de Bruckner le généticien, ou encore le très bon Barry Guttenberg dans le rôle de Kholer.
Les hommes de Seibert vont faire disparaitre le laboratoire de Mengele
C’est un film avec pas mal de moyens, dans l’ensemble c’est suffisamment maitrisé pour qu’on passe sur les naïvetés du scénario qui aujourd’hui paraissent un peu datées. Il est d’ailleurs étrange que dans le film Mengele soit tué, alors qu’à l’époque on ne savait pas où il se terrait. Il vivra en réalité encore quelques années après le tournage de ce film, et finalement mourra de sa belle mort sans l’intervention d’une justice quelconque. Le film eut un succès critique et public satisfaisant. En Allemagne cependant il fit l’objet de coupures importantes pour ménager des susceptibilités. Présenté Mengele comme un criminel parce que fou, passe encore, montrer qu’il était appuyé fermement par une partie de l’oligarchie, c’était moins admissible pour une Allemagne qui tentait de faire oublier les monstres qu’elle avait pu engendrer.
Lieberman va se trouver à la merci de Mengele