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Le blog d'Alexandre Clément

Chasse au gang, Crime wave, André de Toth, 1954

 Chasse au gang, Crime wave, André de Toth, 1954

Quand on voit Crime wave, du point de vue du travail de la mise en scène, on se demande pourquoi André de Thoth n’a pas fait une carrière plus importante. S’il a beaucoup tourné, 3 films en 1953, 4 films en 1954, il n’a jamais eu accès aux gros budgets, et il terminera sa carrière en Europe, en Italie en tournant des Peplums. On est surpris par la rigueur de son travail, mais après tout on se dit que ce fut aussi le lot de Budd Boetticher ou de Phil Karlson. De Toth n’a fait que quelques incursions dans le film noir, et encore tardivement. Il a tourné bien plus de westerns, notamment avec Randolph Scott, mais aussi Indian fighter avec Kirk Douglas, ou encore Day of the outlaw qui est une sorte d’hybridation entre le western et le film noir, et qui est sans doute ce qu’il a fait de meilleur. Crime wave est un film noir qui se veut d’abord une image réaliste de la périphérie de Los Angeles et de la criminalité qui va avec. Le film tente d’éviter tout manichéisme et va se trouver solidement ancré dans des décors réels, pour cette raison, il se trouve plutôt éclaté en ce qui concerne les personnages qu’on va suivre à l’écran. 

Chasse au gang, Crime wave, André de Toth, 1954 

Hastings tire sur le policier 

La bande de Doc Penny attaque une station-service pour tenter de se faire un peu de monnaie avant de monter un gros coup. Mais par hasard, un motard de la police qui passait par là va être abattu par Hastings. Il a eu le temps toutefois de blesser Morgan. Le gang se sépare, Morgan va tenter de se réfugier chez Steve Lacey, un ancien compagnon de cellule, afin d’y attendre le toubib qui pourrait le soigner. Doc Penny lui a donné de l’argent pour le payer. Mais Steve est maintenant rangé des voitures, il a un bon travail dans la mécanique d’aviation et marié. Sa femme lui conseille de prévenir la police afin qu’il se mette à l’abri car il est en liberté conditionnelle. Mais il n’en aura pas le temps. Lorsque le toubib, Otto Hessler, arrive, Morgan décède. Il se décide donc à appeler son responsable qui va venir tenter de le protéger. Pendant ce temps la police enquête, rapidement le lieutenant Sims identifie les gangsters et va s’intéresser à Steve Lacey qui a été en prison avec le gang, et ce d’autant plus que Morgan est mort chez lui. Mais celui-ci refuse de coopérer, il ne veut pas avoir la réputation d’une balance. Finalement au bout de 3 jours, Sims relâche Steve et sa femme. Mais Doc Penny et Hastings qui ont fait encore des petits coups à San Diego viennent se cacher chez Lacey et le menacent. De son côté Sims met la pression sur Otto Hessler qui s’est fait vétérinaire après avoir été radié de l’ordre des médecins. Alors que le toubib s’apprête à dénoncer le gang à la police, Hastings intervient et lui règle son compte. La police ne peut que constater les dégâts. En vérité Doc Penny veut se servir de Steve pour l’attaque d’une banque qui viendrait couronner sa carrière de malfrat, mais aussi pour que celui-ci qui a son brevet de pilote les amène au Mexique une fois le coup fait pour échapper à la police. Il use toujours des mêmes moyens, lui promettant une part du butin, et menaçant sa femme de rétorsion s’il n’obéit pas. Il va également chercher d’autres complices pour l’accompagner, et il décide que Steve conduira la voiture. L’attaque de la banque a lieu dans les règles, mais ce sont les policiers qui sont au rendez-vous, une fusillade éclate : Doc Penny et ses complices sont tués ou arrêtés. Steve veut aller délivrer sa femme qui est sous la garde de Johnny, un psychopathe notoire. Il est poursuivi également par Sims. Une bagarre éclate entre Steve et Johnny, Sims intervient, arrête Johnny et finit par laisser s’en aller Steve et sa femme. En effet depuis le début Sims était au courant de l’attaque de la banque, il avait truffé l’appartement de Steve de micros, et le personnel avait été remplacé par des policiers pour coincer la bande. 

Chasse au gang, Crime wave, André de Toth, 1954 

Morgan blessé demande de l’aide à Lacey 

Le scénario est solide et bien construit, sauf le dénouement qui parait un peu téléphoné puisqu’on a caché au spectateur le fait que la police surveillait Steve depuis longtemps. Si le lieutenant Sims est le personnage central, le point de vue est divisé en trois : il y a d’un côté Steve et sa femme qui se trouvent mêlés bien malgré eux aux exactions de la bande de Doc Penny et qui ne savent pas très bien comment s’en sortir entre les menaces des gangsters et la crainte que la police ne renvoie Steve en prison. Ensuite il y a le gang qui multiplie les petits hold-ups afin de préparer leur gros coup. Cette bande apparaît plutôt médiocre et promise rapidement à la prison, tant elle semble tout faire pour se faire coincer et puis il y a la police et le lieutenant Sims qui sont chargé de remettre un peu de l’ordre et de punir les truands. Les comportements des uns et des autres sont guidés par les circonstances. Sims est un flic bougon, plutôt brutal, il cherche par son attitude à faire réagir aussi bien Steve que les truands. Mais derrière cette attitude dictée par son métier, il y a aussi un homme qui sait faire preuve de compassion quand il le faut. Steve Lacey apparait comme un personnage assez falot. Plutôt égoïste, comme sa femme d’ailleurs, il tente de se sauver sans rien donner en échange. Il a peur aussi bien de la police que des gangsters qui le tiennent sous leur menace. Il est assez antipathique de par son indécision. Les truands ne sont guère plus attachants. Cupides et bornés, ils ne savent réagir que par la violence et les menaces, ils n’ont pas de plan à long terme. Ils apparaissent un peu dégénérés. Le pire étant sans doute Johnny qui ne rêve que de violer Ellen dès que ses complices ont le dos tourné. Doc Penny qui a passé l’essentiel de sa vie adulte en prison rêve qu’il est un grand truand, capable de mettre sur pied des coups formidables. Mais en fait, il est plutôt médiocre comme chef de gang.

 Chasse au gang, Crime wave, André de Toth, 1954 

Sims harcèle Steve Lacey pour le faire coopérer 

Comme on le voit ce ne sont pas des personnages héroïques qui se trouvent embarqués dans cette histoire. Mais ils sont le produit presqu’ordinaire de la ville. La ville c’est ici la périphérie de Los Angeles dont les décors jouent un rôle décisif. Elle est indifférente à tout, mais c’est elle qui a formé et distribué les caractères. On verra la police effectuer des descentes dans des bars miteux, ou encore ramasser des prostitués et des petits délinquants qui paraissent plus comme des victimes de ce mode de vie brutal et incertain, que comme des prédateurs maîtres de leur destin. C’est le point le plus intéressant de la réalisation, cette capacité à donner vie à des décors naturels. Les scènes tournées en studio sont en nombre limité. Et cette volonté de naturalisme engendre une grande mobilité de la caméra. Par exemple, lorsque Sims poursuit Steve vers la fin du film, cette poursuite est saisie dans les difficultés mêmes de la circulation automobile, avec les grands boulevards filmés en enfilade. Bien sûr on coupera avec des transparences sensées représenté le point de vue à l’intérieur des véhicules, mais c’est la mise en perspective de la ville et de sa banlieue qui donne son cacher au film. Los Angeles n’est pas une ville solaire, elle est filmée de nuit, avec ses ombres menaçantes, ou alors sous la pluie comme dans la scène finale. C’est sans doute là une manière de s’abstraire d’Hollywood et de ses paillettes. Le costume du lieutenant Sims n’est d’ailleurs pas très bien repassé et sa cravate est toute de travers.

 Chasse au gang, Crime wave, André de Toth, 1954 

Tout le monde est rapatrié au poste de police 

Il y a des très belles scènes comme les rafles dans la ville, avec cette longue litanie d’hommes entravés débarqués par la police pour être interrogés, ou encore ces visites dans des bars mal famés et des quartiers délabrés. La scène du hold-up raté est exemplaire dans la maitrise du tempo. Doc Penny et Hastings s’introduisent directement dans la banque comme des clients, tandis qu’un complice passe par l’arrière, prétextant contrôler le compteur électrique. Tout cela dure bien plus longtemps que l’attaque elle-même, et c’est justifié parce que cela fait monter la tension et rend incertain le résultat. L’action proprement dite est très brève, les gangsters piégés tentant rapidement de prendre la fuite. On a le même respect du tempo également au début du film quand Morgan fait semblant de remplir le réservoir d’essence en espérant que le motard de la police s’éloignera rapidement de la station-service. Remarquons aussi la reprise de la scène de la réunion du gang sous la lampe électrique pour étudier le schéma qui permettra de mener à bien le hold-up, scène qu’on a vu très souvent au moins depuis Asphalt jungle. L’ensemble est bien soutenu par la photographie du vétéran Bert Glennon qui entre autres avait obtenu un Oscar pour la photo de Stagecoach.

 Chasse au gang, Crime wave, André de Toth, 1954 

La police cherche Doc Penny et Hastings 

La volonté de réalisme est marquée aussi par les orientations de la distribution. L’ensemble des acteurs ne possède pas ce glamour lisse hollywoodien. Ils ont des gueules marquées par la vie et ses difficultés. Il y a d’abord Sterling Hayden, grand acteur dans tous les sens du terme, et rien que pour cela le film mériterait d’être vu. A cette époque il multipliait les rôles de ce type, le flic bougon et violent, obsédé par son métier[1]. Il est vrai que sa stature et son physique ne lui permette pas trop de diversifier son jeu d’acteur. Mais il est le plus souvent très bon, et ici il est excellent, engueulant tout le monde, particulièrement dans la scène finale quand il chasse le couple Lacey. Par contre ce couple Lacey, formé de Gene Nelson et de Phillys Kirk apparait un peu pâle. Ils ne feront pas grand-chose au cinéma tous les deux, on les reverra plutôt à la télévision. Les gangsters sont bien plus intéressants. En chef de bande on a Ted de Corsia dans le rôle de Doc Penny. Son physique parle pour lui. Il suffit qu’il soit là pour faire exister un personnage. A ses côtés on a Charles Bronson dans le rôle d’Hastings. A cette époque-là il utilisait son vrai nom de Charles Buchinsky. Acteur minimaliste, il sait très user de son physique singulier. Notez la présence de Ned Young dans le rôle de Morgan. Il s’agit de Nedrick Young, un scénariste qui avait fait entre autres films Jailhouse rock avec Elvis Presley, mais aussi The defiant ones, film de Stanley Kramer sur le racisme. Mais Nedrick Young tout comme Sterling Hayden d’ailleurs avait vu sa carrière entravée par la chasse aux sorcières, si bien qu’il dut faire un peu n’importe quoi pour gagner sa vie, y compris homme à tout faire dans les studios de la Warner, signant de temps en temps un scénario d’un pseudonyme, Nathan Douglas. Bien que son rôle soit minime, il est très bien. Et puis on va retrouver des figures comme l’étrange Timothy Carey, souvent habitué des rôles violents de psychopathes. Il retrouvera Sterling Hayden dans The killing de Kubrick.  

 Chasse au gang, Crime wave, André de Toth, 1954 

Sims fait embarquer tout le monde 

Film à tout petit budget, tout en n’étant pas un film B, il dure à peine plus d’une heure. Mais sa densité compense largement cette faible durée. S’il n’a pas eu à sa sortie les louanges de la critique, c’est devenu au fil du temps une sorte de classique du film noir, certains n’hésitant pas à le classer parmi les meilleurs films noirs de tous les temps, sans doute à cause de son rythme excellent et de son vérisme appuyé sur une nostalgie évidente de ce qu’a pu être Los Angeles dans le début des années cinquante. Mais il y a bien sûr ce regard froid porté par André De Toth, cette absence de compassion envers ces protagonistes qui s’agitent dans tous les sens et qui semblent plus être manipulés comme des pantins, plutôt que maîtres de leur destin.

 Chasse au gang, Crime wave, André de Toth, 1954 

Sims apprend à Steve et à Ellen qu’ils étaient sous surveillance 

Chasse au gang, Crime wave, André de Toth, 1954

Sims a laissé partir Steve et Ellen

 

 


 



[1] Voir par exemple Naked alibi. http://alexandreclement.eklablog.com/alibi-meurtrier-naked-alibi-jerry-hopper-1954-a125054522

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