9 Février 2020
C’est un film un peu étonnant à la fois dans la carrière de Sylvester Stallone et dans celle de Robert de Niro qui tous les deux sont des anti-héros, volontairement peu charismatiques. C’est d’abord un film qui, malgré une distribution prestigieuse, était doté d’un budget relativement maigre. On dit que les acteurs furent payés au minimum syndical. C’est pourtant un film assez traditionnel pour les Etats-Unis, suffisamment sombre et inquiétant pour remettre en cause une image idyllique de l’American Way of Life. L’affiche du film nous annonce No one is above the law. En verité c’est moins une affirmation qu’une question ou un souhait plutôt qu’une réalité. Car justement il s’agit des causes et des conséquences d’une police qui tente de se mettre elle-même au-dessus des lois.
Les flics ne savent pas comment faire pour sauver Babitch
Garison est une petite ville non loin de New-York, mais dans le New Jersey – Etat considéré comme appartenant depuis longtemps à la mafia. Il suffit de passer un pont pour rejoindre la grande cité. Garison a donc été créé pour y loger des flics qui travaillent à New York et qui cherchent pour eux et pour leurs familles un endroit calme et serein. Le shérif de la ville est un nommé Heflin. Un soir que tout le monde s’est bien torché, Heflin s’assomme dans un accident de voiture. Mais le jeune policier Babitch aussi. Cette fois c’est un peu plus grave. Heurté par une voiture conduite par deux jeunes délinquants, sur le pont qui relie Garison à New York, il les poursuit, et croyant qu’ils sont armés, les abat. Les policiers vont lui venir en aide. Dans un premier temps ils tentent de camouflet une arme pour justifier les tirs de Babitch, mais des policiers de la brigade scientifique ont vu la manœuvre et s’interposent. Consécutivement Babitch se volatilise. On pense qu’il a sauté dans le fleuve et que peut-être il s’est noyé. Le lendemain alors qu’Heflin se remet de sa cuite et contrôle la vitesse des voitures avec son adjointe Cindy, celle-ci arrête le véhicule de Donlan, l’oncle de Babitch qui s’y trouve avec Jack. Heflin les laisse repartir parce que ce sont des flics au grand dam de Cindy, mais Heflin croit apercevoir fugacement la figure de Babitch. Cette histoire le trouble. Pendant ce temps, Moe Tilden, un policier des Internal affairs enquête sur la corruption au cœur même de la ville de Garison. Il soupçonne que des flics, dont Donlan, le leader de la communauté, ont obtenu des prêts à des tarifs très favorables de la mafia elle -même, et qu’en échange ils couvrent leurs activités. Cependant la communauté des policiers est bien moins soudée qu’il n’y parait. Parmi les dissidents, il y a Figgis, un policier drogué qui couche avec une métisse désignée comme une prostituée. Également Randone qui a des difficultés avec sa femme, tente de se mettre un peu en marge. Les soupçons laissent craindre à Donlan que quelqu’un ne parle. Pensant que Babitch risque de parler, il va tenter de le tuer. Mais le jeune policier parvient à s’échapper. Tilden tente de rallier à lui Heflin, en vain. L’enquête va d’ailleurs lui être retirée. La maison de Figgis est détruite par le feu, et en outre Monica, sa fiancée, meurt dans l’incendie. Heflin le recueille dans les locaux du shérif. Lors d’une intervention, Randone va trouver la mort parce que Donlan a tardé volontairement à intervenir. Et lorsque Heflin vient le voir pour coopérer, il l’envoie paître. Heflin comprend que s’il ne retrouve pas Babitch, Donlan et ses amis vont le tuer. En même temps il se rend compte que Figgis a lui-même mis le feu à sa maison pour toucher l’assurance. Figgis veut partir et dit à Heflin qu’il ne savait pas que Monica viendrait le voir ce soir-là et qu’elle mourrait. Heflin va finir par trouver Babitch et le ramener en prison. Il prévient d’ailleurs Donlan qu’il va le livrer aux Internal affairs. Mais le lendemain matin, au moment où il part, les amis de Donlan l’attaquent et kidnappent Babitch. Blessé, Heflin va pourtant partir à la recherche de Babitch, le retrouver, tuer Donlan et deux de ses amis et livrer le jeune policier aux Internal affairs.
La maison de Figgis a flambé
Sous ses apparences linéaires, cette histoire est assez compliquée, peut-être moins dans ses intentions que dans ses implications. Le scénario est dû à James Mangold. Il y a d’abord et par-dessus tout, le portrait d’un homme seul, humilié qui va relever la tête. En effet, Heflin est seulement shérif, et les « vrais » policiers new-yorkais passent leur temps à lui rappeler qu’il n’est jamais arrivé à intégrer la « vraie » police à cause de son handicap, il est sourd d’une oreille. On le traite comme s’il n’était juste bon qu’à régler la circulation dans une ville relativement calme. Et on lui enjoint surtout de se mêler de ses affaires. Il est donc isolé au cœur de la ville, moqué, considéré comme un lourdaud sans passé et sans avenir. Avant que de vouloir se mettre au service de la morale, il s’occupe d’abord de retrouver sa dignité. Et c’est dans ce mouvement qu’il prend conscience que par sa passivité, il couvre les turpitudes des policiers corrompus. C’est donc un personnage très ambigu. Mais Moe Tilden est lui aussi peu clair dans ses motivations qui le poussent à traquer Donlan, celui-ci prétend que c’est la jalousie qui le pousse. Dans cette configuration va être opposé la logique de Tilden et Heflin d’un côté, qui abritent derrière la loi les motivations personnelles, et de l’autre, Donlan et son clan qui, tout corrompus qu’ils soient, fonctionnent de manière collective, en se protégeant les uns des autres. Donlan dira que c’est grâce à cela qu’il a pu offrir aux policiers une vie un peu meilleure en leur permettant d’habiter Garison. Mais dans la détermination d’Heflin, il y a aussi le fait qu’il est amoureux de Liz Randonne qui est mariée avec un flic newyorkais. Il ne supporte plus sa propre passivité dans tous les domaines.
Moe Tilden tente d’amener Heflin à coopérer pour coincer les ripoux
L’autre aspect, c’est la logique spatiale : Garison est séparée – en sécession on pourrait dire – de New York par un pont. C’est d’ailleurs sur ce pont qu’a lieu l’incident majeur qui va changer le cours de l’histoire. Cet isolement permet à la communauté des flics de s’instituer avec ses propres lois, celles qui sont édictées par Donlan en fait. On est alors au-delà de la morale ordinaire, mais pas forcément au-delà de la morale. Le problème de Donlan n’est pas qu’il ait échafaudé un tel projet de retrait du monde, mais plutôt qu’il en ait exclu Heflin qu’il n’en juge pas digne d’y être associé. C’est cela qui va causer sa chute. Heflin en se mettant lui-même en mouvement va en quelque sorte vendre la petite ville à la grande, c’est ce qu’on voit à la fin quand il livre Babitch aux Internal affairs. Le film semble vouloir nous dire qu’on ne peut pas s’abstraire du monde et des forces centrifuges de la grande ville. Il faut se soumettre à la loi commune. C’est aussi un film sur le remord. Heflin en effet est devenu sourd d’une oreille en tentant de sauver une jeune femme dont la voiture était tombée dans le fleuve. Il porte cet échec comme une tâche indélébile. Mais il n’est pas le seul. Figgis souffre aussi d’avoir indirectement tué Monica. C’est pourquoi il reviendra à la fin porter secours à Heflin qui se trouve bien seul pour affronter la bande à Donlan. Evidemment dans le lot on aura droit aussi à la lâcheté des autorités qui préfèrent fermer les yeux que d’ouvrir des dossiers empoisonnés.
Randone est mort en tombant du toit
Il y a bien sûr quelques fautes de scénario. Par exemple le fait qu’Heflin fasse part à Donlan de son projet d’emmener Babitch à Manhattan sans plus de précaution ne peut amener que la bande à Donlan à vouloir lui faire la peau, à moins de considérer qu’Heflin se sent assez fort pour les piéger. Mais ce n’est pourtant pas ça qui pose problème. C’est plutôt la réalisation. Tout est centré sur la balourdise apparente d’Heflin. Et du coup Mangold délaisse l’exploitation des décors naturels qui pourtant sont déterminant. On ne voit pas l’importance du pont qui est la liaison entre deux espaces mis en opposition. Même le caractère provincial de la petite cité n’est pas vraiment opposé à la démesure de New York. Par exemple, c’est bien à New York que Randone va trouver la mort, et pas à Garison. Plus formellement on regrettera l’obsession des gros plans chez Mangold et donc par suite le manque de profondeur de champ le plus souvent, c’est trop étriqué. La scène finale, digne d’un western, High noon de Fred Zinneman, est excellente et nerveuse. Les scènes d’affrontement verbal entre Donlan et Heflin, et même entre Donlan et son neveu sont un peu bâclées.
Heflin veut récupérer Babitch
Le clou du film est l’utilisation à contre-emploi de Stallone et de de Niro. Le premier joue les balourds mélancoliques et un peu bas du front, long à la détente. Il est bon, ça le change des rôles du type Rocky ou Rambo. Stallone qui porte le film sur ses larges épaules, avait pris du poids pour ce rôle, histoire de renforcer le côté ordinaire du personnage d’Heflin. De Niro est Moe Tilden, c’est un petit rôle. Mais lui, il a plus l’habitude des transformations. On le retrouve ici avec une petite moustache, des costumes étriqués, incarnant le parfait bureaucrate qui tend sa toile comme l’araignée, avec patience et obstination. Harvey Keitel est Donlan. Il est excellent, roublard et vindicatif. Ray Liotta incarne fort brillamment Figgis, le policier drogué. On dit que c’est d’abord lui qui devait incarner Heflin. Mais il est sans doute plus juste dans le rôle d’un policier tourmenté en quête de rachat. Les femmes sont peu servies. On reconnaitra au passage Cathy Moriarty qui incarnait la femme de Jack La Motta dans Raging bull. ici elle est l’épouse frustrée et vindicative de Donlan. Annabella Sciora dans le rôle de Liz Randone amène un peu de douceur mélancolique dans cet ensemble. Le film a volontairement gommé le glamour de ses stars. Il faut voir Stallone marcher avec son chapeau un peu ridicule vissé sur le crâne !
Heflin abat Donlan
Dans l’ensemble c’est un bon film qui n’a pas eu trop succès à sa sortie, sans être toutefois un bide. Pour certains critiques ce serait même là le meilleur rôle de Stallone, ce qui n’est pas très difficile au fond. Mais Cop land a bien passé les années, malgré ses limites c’est un bon néo-noir.