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Le blog d'Alexandre Clément

Diaboliquement votre, Julien Duvivier, 1967

Diaboliquement votre, Julien Duvivier, 1967

C’est l’ultime film de Julien Duvivier. Il décédera juste à la fin du tournage. A cette époque Duvivier est assez délaissé et se trouve dans la difficulté de monter des projets personnels. Il va donc se rabattre sur un suspense écrit par Louis C. Thomas. Un auteur qui avait débuté sous le nom de Thomas Cervion au Fleuve Noir avec Le jour des morts, mais qui avait bifurqué chez Denoël dans prestigieuse collection Crime club dirigée par Boileau et Narcejac dont il apparaît comme une sorte de disciple. Il y a chez lui un côté neurasthénique qui fait parfois penser aux romans de la nuit de Frédéric Dard qui était de la même génération que lui. Il a également une prédilection pour les milieux bourgeois et clos donnant une image de l’enfermement à travers la modernité et les objets qui la représentent. Quasiment aveugle, il écrivait ses romans en les dictant au magnétophone. Il n’aura pas trop de succès avec ses adaptations cinématographiques, mais il travaillera pour la série télévisée Les cinq dernières minutes, preuve qu’il avait le sens du rebondissement de l’intrigue. Louis C. Thomas fait donc partie de cette école française du thriller avec aussi Catherine Arley, des auteurs qui ont une certaine renommée à l’étranger mais qui sont un peu négligés chez nous pour des raisons obscures. Diaboliquement votre est également une coproduction franco-germano italienne. Dans la carrière d’Alain Delon ce film se situe entre deux très gros succès : Les aventuriers de Robert Enrico et Le samouraï de Jean-Pierre Melville. Contrairement à ce qu’on a pu dire ici et là ce film n’est pas du tout un désastre sur le plan artistique, certes, il n’est pas un des meilleurs de Duvivier, mais il présente tout de même un intérêt certain, et surtout il s’inscrit parfaitement dans la logique du film noir.        

Diaboliquement votre, Julien Duvivier, 1967 

Georges Campo a été victime d’un accident automobile et se retrouve dans une clinique. Ayant perdu la mémoire, il semble ne se souvenir de rien et ne reconnait pas celle qu’on lui présente comme étant sa femme Christiane. Il apprend qu’il est le riche propriétaire d’un château où il est servi par un domestique, Kiem, qui s’occupe ausis de l’intendance. Et puis il reconnait un ami de la famille, Freddy, qui se dit médecin et qui prétend l’aider dans sa conalescence. De temps en temps il commence à avoir des images de la guerre d’Algérie qui lui reviennent. Et pui surnage un nom, Pierre Lagrange. Sa femme se refuse à lui au prétexte qu’il doit encore être ménagé pour guérir. Pourtant il lui semble être prisonnier de cette luxueuse demeure. Des incidents vont commencer à se produire, d’abord il évite la mort de très peu en tombant à travers une trappe dans les communs, puis alors qu’il tente de sortir, Freddy le rattrape et le ramène au château. La nuit il entend des voix qui lui demandent de se suicider avec un revolver qui est dans sa table de nuit. Peu à peu, il va se débarrasser des cachets qu’il prend pour dormir et tenter de découvrir la vérité. Alors qu’un chien le poursuit, il va trouver au fond de la propriété un cadavre qu’il pense être celui du vrai Georges Campo. Mais quand il prévient Christiane de sa découverte, le cadavre a disparu. Un autre attentat fomenté par Kiem échoue à le tuer. Refusant de prendre ses cachets pour dormir, il découvre aussi qu’un magnétophone est placé sous son oreiller pour tenter de lui laver le cerveau. Freddy n’étant pas là, il va sommer Christiane de lui dire la vérité. Pour cela il la brutalise et la viole. Elle finit par lui avouer que le vrai Georges Campo est mort et qu’il est bien Pierre Lagrange que Freddy a ramassé dans une boîte de nuit, et qu’en fait elle est la maîtresse de Freddy et que celui-ci a tué son mari qui était violent et mauvais. Lorsque Freddy rentre, l’explication finale a lieu. Freddy ne supportant pas que Christiane se soit donnée à Pierre Lagrance, la bat, mais Kiem intervient et poignarde Freddy. Christiane abat alors Kiem. Lorsque la gendarmerie arrive sur les lieux, prévenue par Lagrange, Celui-ci endosse l’identité de Georges Campo, mais un gendarme a découvert le magnétophone et on comprend que les ennuis pour le couple maudit ne font que commencer. 

Diaboliquement votre, Julien Duvivier, 1967 

Georges ne reconnaît pas sa femme 

Les éléments traditionnels du film noir sont réunis dans ce film, la perte de la mémoire, la machination d’une femme qui n’est pas ce qu’on croit et l’ambiguïté des caractères y compris celui du héros qui de victime passera à manipulateur. A ce scénario a été associé Paul Gégauff qui avait travaillé aussi sur Plein soleil. Il y a évidemment des faiblesses importantes, si on peut admettre que Pierre Lagrange a perdu la mémoire à cause de l’accident, le coup du magnétophone planqué sous l’oreiller pour l’inciter à se tuer est totalement invraisemblable. Par parenthèse soulignons que le vrai nom de Georges Campo est Lagrange qui sera aussi le patronyme de Jane Lagrange dans Le samouraï. De même quand le faux George Campo trouve dans le jardin le cadavre la enterré du vrai mari de Christiane, il va naïvement demander des comptes à celle-ci, comme s’il voulait laisser le temps à Kiem de planquer le cadavre ailleurs. Ces faiblesses font qu’on ne croit pas une minute au fait que le malheureux héros croit qu’il devient fou. Mais ce n’est pas là l’important finalement, bien qu’un peu plus d’application dans l’écriture aurait permis de donner une crédibilité non pas factuelle mais psychologique plus importante. L’intérêt se situe dans la lutte à mort entre trois hommes et une femme. C’est elle qui est maître du jeu. Si le faux Campo et Freddy figurent avec Christiane les trois pointes du traditionnel triangle, le louche Kiem vient troubler ce jeu. Et c’est là un personnage étonnant quoique peu fouillé. Il représente l’asiatique fourbe et silencieux, mais il a une admiration, un amour pour Christiane qui quelque part force le respect. Cet amour masochiste Christiane en joue et elle finira par le tuer. 

Diaboliquement votre, Julien Duvivier, 1967 

Il aurait pu se tuer

Le film est un ballet entre ces quatre personnages où la jalousie et l’envie joue un rôle décisif. En effet, si Georges Campo accepte de se laisser piéger c’est bien aussi parce qu’il est fondamentalement attiré sexuellement par la belle Christiane. En cherchant à découvrir le mystère au lieu de le fuir, ce qu’il vise c’est finalement s’approprier Christiane. Après l’avoir violée et laisser agir le destin pour se débarrasser de ses deux rivaux, il croit y être parvenu, il pense même avoir mis la main sur une grande fortune, ce qui est excitant pour lui qui manifestement n’est pas riche. Mais évidemment le grain de sable – en l’occurrence le magnétophone – va faire capoter l’ensemble de ce plan « diabolique ». La fatalité est là, tapie dans l’ombre, prête à punir ceux qui se sont crus bien plus fort que le destin. Le personnage de Freddy est assez peu clair. En effet il s’installe chez Georges Campo sans façon, comme s’il était déjà le propriétaire des lieux, sans que cela gêne outre-mesure Pierre Lagrange. De même il perdra rapidement ses nerfs lorsqu’il comprendra que Christiane l’a trompé avec l’amnésique qui a retrouvé la mémoire. 

Diaboliquement votre, Julien Duvivier, 1967 

Georges tente d’aller à la police 

Plusieurs thèmes reviennent comme la quête de l’identité d’un amnésique, mais aussi l’enfermement plus ou moins imposé au faux Georges, comme si celui-ci craignait d’affronter les difficultés du monde extérieur. Si certains ont évoqué les proximités de ce film avec celui de Joseph H. Lewis, My name is Julia Ross, on peut aussi le comparer avec Les félins de René Clément qui date de 1964 et qui mettait déjà en scène Alain Delon dans le rôle d’une victime tout à fait ambiguë. Il y a dans les deux cas comme un délice trouble et sensuel à se retrouver prisonnier, forçant le héros à redevenir maître de la situation dans le huis clos dont il ne peut sortir. 

Diaboliquement votre, Julien Duvivier, 1967 

Le lustre de la salle à manger s’est effondré 

Ce huis clos est filmé d’une manière inhabituelle pour Duvivier. D’abord parce qu’il est en couleurs et qu’il a fait appel pour la photo à Henri Decaë qui a beaucoup travaillé avec René Clément mais aussi avec Jean-Pierre Melville. Et ça se voit dans la manière d’ailleurs de filmer Alain Delon. Ensuite, il utilise parfaitement les décors de la somptueusement demeure où le drame se développe. Si on reconnaît la patte de Duvivier dans le choix des angles, l’usage des plans généraux, l’ensemble manque tout de même de fluidité ce qui semble ralentir le rythme. La caméra n’a pas la fluidité habituelle chez Duvivier. Mais dans l’ensemble c’est bien filmé, suffisamment resserré autour du faux Georges Campo pour bien montrer son emprisonnement. La tentative de fuir en dehors de la propriété est filmé en légère plongée comme pour montrer une possible ouverture qui extrairait le héros du cauchemar qu’il vit. Duvivier a donc délibérément choisi de moderniser sa manière de faire en évitant le studio. Les scènes au travers desquelles l’amnésique se souvient partiellement d’une vie antérieure sont tournées avec des angles obliques sans que cela apporte quoi que ce soit. 

Diaboliquement votre, Julien Duvivier, 1967 

Georges veut montrer à Christiane le cadavre qu’il a trouvé dans le jardin 

L’interprétation c’est d’abord Alain Delon dans le rôle du faux Georges Campo et sans doute vrai aventurier. Sa prestation est excellente de par son ambiguïté même, on doit voir ce film au moins pour lui. On a dit que sur le tournage il ne s’est pas très bien entendu avec le metteur en scène, mais les deux hommes avaient un sacré caractère qui les portait facilement à la dispute, et Duvivier le connaissait très bien puisqu’il lui avait donné un rôle important dans Le diable et les dix commandements, film à sketches et à succès. Christiane Campo est interprétée par la plantureuse actrice autrichienne Senta Berger qui à cette époque faisait tout ce qu’elle pouvait pour devenir une star internationale, tournant en Italie, aux Etats-Unis et en France bien entendu. Elle est très bien, quoique doublée pour la voix par Anouck Ferjac. Le plus étonnant est peut-être l’acteur Peter Mosbacher, acteur allemand, qui interprète le domestique asiatique, aussi froid que stoïque. Et puis, production internationale oblige, Sergio Fantoni sera le rutilant Freddy. Claude Pieplu dans le petit rôle d’un agent immobilier, complète la distribution. 

Diaboliquement votre, Julien Duvivier, 1967 

Christiane a tué Freddy 

Notez que la musique est excellente et signé François de Roubaix qui avait écrit la partition des Aventuriers de Robert Enrico et qui signera aussi celle, devenue très célèbre, du Samouraï. Le film n’a pas connu beaucoup de succès en France, mais il fut bien reçu en Allemagne et en Italie. Si à l’évidence ce n’est pas un chef d’œuvre du film noir, ce n’est pas non plus l’horreur que l’on a dit ici et là. Même les défenseurs de Duvivier ne veulent pas le défendre. Il se revoit cependant très agréablement, d’autant qu’on peut le voir maintenant dans une édition Blu ray qui fait d’autant mieux ressortir la qualité des images. 

Diaboliquement votre, Julien Duvivier, 1967 

La gendarmerie est venue constater les meurtres

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A
merci pour ces ajouts
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S
Pour compléter votre série, j'ai mis en ligne la filmographie de Julien DUVIVIER (avec liens téléchargement) : https://mundoencuestion.wordpress.com/2021/03/08/filmographie-julien-duvivier/
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