2 Mai 2022
Ce film est un film de mafia, ou plutôt de voyous, la mafia en elle-même étant plutôt en arrière-plan. Il est tourné la même année que Padroni della citta’ et s’inscrit un peu dans la lignée de ce dernier film, sauf qu’ici c’est un sujet bien plus dramatique, sans une once d’humour. Le film, avec un scénario assez compliqué, présente une lointaine parenté avec Milano calibre 9 puisqu’il va reprendre le thème du truand qui sort de prison et qui va chercher à sa venger[1]. Du reste, le film devait s’intituler Roma calibre 9. Le sujet et le scénario sont de Fernando Di Leo, il est l’auteur complet. Mais à cette époque le poliziottesco est un genre beaucoup moins porteur, d’autant que la crise du cinéma commence à se faire sentir en Italie. En vérité à cette époque ce n’est pas seulement le poliziottesco qui souffre, mais tout le cinéma italien. Les salles vétustes se vident peu à peu et les distributeurs tentent de compenser cette perte de public en augmentant les prix, ce qui va faire sortir encore plus vite le cinéma de son rôle de loisir populaire. Outre le manque d’investissements dans les salles, l’autre problème est la déferlante des films à la télévision où le nombre de chaînes s’est multiplié. Cette décomposition du secteur va peu à peu détruire le cinéma italien qui laissera la place de partout dans le monde à l’hégémonie américaine, se contentant encore pour quelques années de jouer le jeu festivalier et tentant de s’orienter vers la production de prestige : le cinéma italien devenant presqu’aussi emmerdant que le cinéma français.
Le bus est attaqué par des voyous
Guido et Marco sont mis sur un coup, pour cela ils doivent ouvrir un coffre qui contient 40 millions de lires. Mais alors qu’ils besognent dans la villa, la police prévenue intervient. Marco, bien que blessé va parvenir à s’échapper, mais Guido va se retrouver en prison pour cinq ans. A sa sortie, il retrouve sa femme Maria. Le bus qui les ramène en ville va pourtant être attaqué par des bandits. Guido se rebelle, il tue les bandits, mais Maria est elle aussi abattue. Après avoir eu une conversation avec le commissaire, Guido est bousculé par Tony et ses hommes qui travaillent pour Rizzo. Guido a retrouvé son ami Marco qui maintenant tient un garage qui travaille pour le boss Rizzo. Il pense que c’est Rizzo qui les a donnés, mais aussi que c’est lui qui a organisé l’attaque du bus. Guido va voir Rizzo, celui-ci propose de l’aider, tente d’expliquer qu’il n’est pour rien dans cette salade, mais rien n’y fait, Guido reste obstinément convaincu de sa culpabilité. Entre temps, Enzo le fils de Maria est poussé par Lisa à aider Rizzo à voler une cargaison de diamants. Le coup, réalisé par Tony, va réussir, mais il y aura quatre morts, dont Enzo. Guido va faire parler Lisa. En représailles, Guido et Marco vont voler les diamants, et eux aussi tuent des hommes de Rizzo pour s’en emparer. Tony va tacher de faire parler Marco, il le torture et le tue. La bande de Tony va traquer Guido. Mais celui-ci échappe à leur vigilance et va tuer les hommes de main de Tony. Il va ensuite se rapprocher de Lisa qui lui avoue quel a été le rôle d’Enzo, non seulement il a vendu Guido à la police lors du casse qui l’a envoyé en prison, mais il a organisé aussi le coup de l’aéroport. Tony intervient à ce moment-là, une bagarre éclate et Tony est tué. Guido comprend alors qu’il a fait fausse route en s’opposant à Rizzo et il lui propose de lui rendre les diamants. Rendez-vous est donné aux anciens abattoirs. Guido accepte que Rizzo le tue pour compenser les fautes qu’il a commises. Mais au dernier moment Rizzo ne fera que le blesser et lui laissera la vie.
Le commissaire exprime sa sympathie pour Guido
C’est de la mythologie des truands dont il va être question ici. La question est posée de savoir comment un vrai voyou doit se comporter dans la vie, vis-à-vis des siens et vis-à-vis de son milieu. Guido est en quelque sorte tiraillé entre ces deux exigences et c’est ce tiraillement qui va le conduire à la faute. Sa première erreur est de croire que les bandits qui attaquent le bus, sont là pour lui, et c’est ce qui va entrainer la mort de sa femme. D’erreur en erreur, il va accuser Rizzo le puissant chef de la mafia de l’avoir vendu et d’avoir commandité le meurtre de Maria. Mais en vérité, il hésite aussi entre pencher du côté de la loi en se rangeant du côté du débonnaire commissaire, et rester un homme du milieu. Mais de ce côté-là il doit faire facer à laa jalousie de Tony qui ne supporte pas que son chef Rizzo lui préfère Guido. Aveuglé par ses a priori, il ne voit pas la trahison où elle se trouve, au sein de sa famille, il ne découvrira que tardivement le rôle d’Enzo dans cette histoire, le fils de son épouse. Lui et Marco vont donc suivre un chemin de croix, et Marco, après avoir été estropié par une balle, va être crucifié dans une scène très cruelle qui verra Tony le clouer au mur puis lui briser le cœur littéralement.
Tony et ses hommes sont venus menacer Guido
C’est une histoire où tout le monde est aveugle, et Guido ne peut sortir de cet aveuglement qu’en se suicidant, c’est-à-dire en acceptant que Rizzo le tue afin qu’il se rachète de ses fautes. Guido et Tony se disputent les faveurs de Rizzo qui est ici comme un père pour eux. Un seul doit rester vivant, et ce sera Guido. Tony est un prédateur, n’hésitant pas à tuer, il va prendre la femme d’Enzo, le beau-fils de Guido, afin d’atteindre son frère ennemi. Mais on peut dire aussi que le commissaire est une figure paternelle qui ne punit pas ses fils, mais qui au contraire de Rizzo veut les pousser à s’élever, sortir de la turpitude. Le scénario n’est pas toujours très cohérent. L’idée même qui pousse Guido a rendre les diamants qui selon lui appartiennent à Rizzo qui en réalité les a fait voler par Tony qui a tué pour cela quatre personnes, est assez incongrue et peu réaliste sur le plan pratique, même si on comprend que cela sera utile pour démontrer la nécessité du rachat d’un homme du milieu. Mais Guido a aussi un autre frère, Marco, l’ami boiteux qui l’aide en toute circonstance et pour lequel il a passé 5 ans de sa vie en taule. C’est avec lui exclusivement que Guido applique un code de l’honneur sans faille et sans restriction. C’est seulement avec lui qu’il trouve une raison au développement d’une morale surannée. Tous les deux se retrouvent ensemble, après la mort de Maria, sans compagne féminine bien entendu, ce qui renforce l’amitié virile. Cette absence de femme est seulement compensée par la fourbe Lisa. Très décorative, peureuse et sans honneur, elle traficote dans l’ombre pour la perdition des hommes qui croisent son chemin. Enzo va mourir de la pression qu’elle exerce sur lui. Tony avec qui elle se met en ménage, suivra de peu. Guido est comme Ulysse, il échappera aux chants de la sirène parce qu’il refuse de l’entendre.
Guido est reçu par Rizzo
Filmer cette débauche de vengeance et de cruauté est cependant plutôt laborieux. Le film est d’abord rythmé par deux actions malfrates, l’ouverture d’un coffre-fort qui aurait dû contenir des grosses liquidités, mais qui est interrompue par l’arrivée de la police. Ensuite, le braquage de l’aéroport pour s’emparer des diamants. Curieusement Di Leo ne s’attarde pas sur ces braquages qui sont expédiés et comme avortés. Par contre il va développer longuement la scène qui verra la mort cruelle de Marco, et surtout l’attaque par Guido et Marco de la villa qui abrite le tailleur de diamants venu d’Amsterdam. C’est comme si ce déséquilibre était le reflet d’un parti pris, Di Leo ne voulant pas donner un aspect héroïque aux voyous et à leurs actes. Mais en optant pour cette forme de dévalorisation, le film perd de sa substance parce qu’on finit par se désintéressé de ce qui peut bien arriver à Guido, et à l’inverse, il donne un aspect noble à Rizzo le chef mafieux.
La bande à Tony va voler les diamants
Le tournage eu lieu à Rome, comme pour I padroni delle citta’. Et dur reste les deux films s’achèveront sur une scène tournée dans les anciens abattoirs de la ville, lieu particulièrement sinistre, image d’une Italie en décomposition. Bien sûr il y a quelques scènes très bien menées, l’attaque de la villa, avec ses ombres qui semblent sortir de la muraille, le jeu des couleurs passées utilisées, par exemple l’arrivée de Guido aux abattoirs, traversant un long corridor, encadré par l’armée de sicaires de Rizzo, mais à l’inverse il y a des scènes d’une rare lourdeur. La lutte entre Guido et Tony n’a pas de sens, alors que le premier tient le second sous son calibre, il va accepter de se débarrasser de ses armes pour se battre à mains nues. Que veut démontrer Guido ? Qu’il est le plus fort face à Tony, mais c’est absurde parce que ce dernier va mourir ? Veut-il prouver quelque chose à Lisa alors même qu’il la méprise ouvertement ? Le rythme est volontairement lent, et Guido apparait trop souvent passif, jusqu’à demander à Rizzo qu’il le tue lui-même de sa propre main. Cet aspect masochiste du personnage de Guido sera développé dans une scène d’une longueur interminable. On se demande qu’est-ce que Di Leo a voulu démontré par là. Certes si cette scène se passe dans un abattoir, ce n’est pas sans raison, mais en sauvant in extrémis de la mort Guido, son sens se perd complètement. Mais cela n’explique pas non plus l’excessive longueur de cette scène, y compris la phase de la pseudo-exécution.
Guido frappe Lisa
L’interprétation c’est d’abord le très fade et très rigide Claudio Cassinelli dans la peau du mélancolique Guido, qui promène sa morosité endémique dans un parka vert-caca-d’oie qui le fait passer au choix pour un enseignant du secondaire très mal payé ou au choix pour un vieil étudiant gauchiste qui a vieilli dans ses habits. Fernando Di Leo savait que cet acteur était très mauvais, mais il pensait que cette manière de faire la gueule aiderait à mieux comprendre le désespoir de Guido. Martin Balsam est toujours très bon, il est Rizzo le chef mafieux, rôle qu’il joua de nombreuses fois dans les poliziotteschi au fil de sa carrière italienne. Mais sa présence est assez réduite tout de même. Ensuite il y a Pier Paolo Capponi dans le rôle de Tony. Il en fait des tonnes et frise l’hystérie à tout moment en jouant le voyou enragé en quête de sa virilité. Ici il a une mauvaise petite moustache qui lui donne les allures d’un petit comptable égaré. Barbara Bouchet, actrice pornographique et semi-pornographique allemande, est Lisa, sans génie et sans entrain. Olga Karlatos, fait un petit tour dans le rôle de Maria, l’épouse de Guido. Puis il y a Vittorio Caprioli dans le rôle du commissaire, bien que ce rôle ne fasse pas vraiment avancer le récit, il est très juste et occupe parfaitement l’espace. Carmelo Reale dans le rôle de Marco est par contre totalement transparent, ici il porte une perruque assez mal foutue, et il n’a guère l’air de souffrir lorsqu’il se fait clouer contre le mur.
Guido et Marco tuent pour récupérer les diamants
S’il y a quelques jolies scènes de déambulation dans les rues de Rome, une très belle photo de Roberto Geraldi, l’ensemble est plutôt raté. Le film fut distribué en Italie le 17 mars 1978, au lendemain de l’enlèvement d’Aldo Moro qui allait se transformer en assassinat dans une affaire très embrouillée où le sinistre Giulio Andreotti, l’homme de la mafia, joua semble-t-il un rôle néfaste. Il n’eut guère de succès, mais le contexte n’explique pas tout, ni même l’idée selon laquelle le poliziottesco serait à bout de souffle puisque la même année d’autres films comme La mazzetta de Sergio Corbucci avec Nino Manfredi, ou Corleone de Pasquale Squitieri avaient su attirer le public.
Le commissaire est venu dire son fait à Rizzo
Guido a tué Tony dans une terrible bataille
Guido va rendre les diamants à Rizzo
[1] http://alexandreclement.eklablog.com/milan-calibre-9-milano-calibro-9-fernando-di-leo-1972-a114844604