4 Janvier 2020
Parmi les gangsters de grand renom, John Dillinger est certainement un des plus célèbres. Pur produit de la Grande dépression, il est une légende à l’égal de Baby Face Nelson, ou d’Al Capone. Sa vie a été portée à l’écran à plusieurs reprise, en 1973, il y aura eu l’excellent Dillinger de John Milius[1], plus près de nous il y a le film de Michael Mann, Public ennemies que je n’ai pas encore réussi à voir dans son entier tant je l’ai trouvé ennuyeux. Comme quoi on peut faire un mauvais film plat et ennuyeux à partir d’un personnage de légende, un gangster flamboyant. Dillinger est apparu aussi, mais comme personnage marginal dans le très bon Baby face Nelson[2]. Cette version de Max Nosseck et d’abord une production des frères King, les propriétaires de Monogram picture, un studio indépendant spécialisé dans le film noir qui connaitra son apogée avec la production du très fameux Gun crazy. C’est donc un film à petit budget – il aurait selon Philip Yordan coûté 65 000 $ - d’à peine un peu plus d’une heure. Le scénario est dû à Philip Yordan, semble-t-il épaulé par William Castle. Philip Yordan a été un des scénaristes les plus prolifique dans le genre noir. On lui doit notamment The chase d’Arthur Ripley, Detective story de William Wyler, ou encore House of strangers de Joseph L. Mankiewicz. Il a encore signé le scénario de Big combo, un des meilleurs films de Joseph H. Lewis, et de Harder they fall de Mark Robson. Il ne s’est pas contenté de travailler dans le film noir, il est aussi le scénariste de Johnny Guitar et de 55 days in Peking de Nicholas Ray. On le trouve aussi à l’origine de Day of outlaw, le superbe western en noir et blanc d’André de Toth. C’est donc un grand scénariste, mais en 1945, il en était à ses débuts. Notez que son nom est célèbre pour avoir servi de prête nom à d’autres scénaristes comme Dalton Trumbo, bien que lui s’en soit toujours défendu. Max Nosseck est un cinéaste d’origine allemande connu surtout pour avoir mis en scène le catastrophique film parlant de Buster Keaton, Le roi des Champs Elysées. C’est un réalisateur qui n’a pas une très grande réputation, il a cependant signé The hoodlum, une autre histoire de gangster en 1951, toujours avec Lawrence Tierney.
John Dillinger drague la caissière du cinéma
John Dillinger est un petit délinquant. Il vole un peu, de ci de là, et s’en va faire un tour en prison. Là il va rencontrer Specs, un chef de gang qui va en quelque sorte lui servir de mentor. Comme il va sortir de taule avant Specs et ses petits camarades, il promet de les faire évader. Un soir il braque la caisse d’un cinéma. Mais lorsqu’il sera arrêté la caissière va faire semblant de ne pas le reconnaître car elle est fortement attirée par lui. C’est là qu’il va donc se mettre en ménage avec la belle Helen Rogers. Mais il poursuit son plan : il va réussir à faire évader Specs et ses trois associés. Avec eux il va commencer par commettre des hold-ups audacieux. Mais très vite c’est lui qui va devenir le chef du gang, reléguant Specs au rôle de faire-valoir. Evidemment celui-ci n’est pas content de se faire évincer. Il fait semblant d’accepter, mais alors que Dillinger doit aller chez le dentiste, il le dénonce à la police. Dillinger va encore en taule, mais il va s’évader d’une manière spectaculaire, en sculptant un flingue dans un morceau de bois. Il retourne prendre la tête de sa bande. Les affaires reprennent. Mais au passage il règle son compte à Specs, tandis qu’il soupçonne Helen de le tromper avec Tony, un nouveau venu. Les choses vont cependant mal tourner : alors que Dillinger monte une attaque spectaculaire contre un train qui transporte des fonds, Kirk Otto est tué, et Dillinger est blessé. La bande se rend chez les parents d’Otto. Mais ceux-ci sont choqués par la mort de leur fils et veulent dénoncer Dillinger à la police. Dillinger les abat. Il va également tuer Tony qui s’apprêtait à partir avec Helen. Aux abois, il va se planquer à Chicago, mais les fonds commencent à manquer. Helen réfléchit à la récompense qu’elle pourra obtenir – 15000 $ - et se décide à le vendre. A la sortie du cinéma Biograph, il est abattu par le FBI.
A la séance de retapissage, la caissière dit ne pas le reconnaître
L’ascension et la chute d’un truand est un des thèmes favoris du film de gangster. Evidemment en partant de l’exemple bien réel de Dillinger dont la vie a tourné court, il est décédé à peine à trente ans, il est facile pour un scénariste de rester dans les clous de la morale ordinaire. Contrairement au film de John Milius, le Dillinger de Nosseck n’est pas très sympathique. Il est à la fois brutal et un peu simplet – notamment avec Helen qui se moque tout de même de lui. On remarque que cette approche de Dillinger ne fait jamais référence à la situation économique du pays qui, à l’époque, était terrible. Il n’y avait plus beaucoup de travail, l’argent avait disparu, et le début des années trente dans la lignée de la prohibition avaient connu une explosion de la violence et des attaques de banque. Tout le monde trahit tout le monde. Specs n’est pas fiable, Tony non plus, et Helen encore moins. Il n’y a pas l’ombre d’un début de sens moral dans cette équipée. Est-ce pour autant que la morale est sauve ? Est-ce pour autant que les gangsters apparaissent complètement antipathiques ? Non, parce que leur parcours montre en creux que celui-ci pourrait être corrigé justement par un peu de sens moral. Malgré toutes leurs tares, les gangsters apparaissent comme courageux et imaginatifs. En 1945 cependant on n’insiste pas trop sur le rôle du FBI. En effet si celui-ci a assassiné froidement Dillinger c’est aussi parce que J. Edgar Hoover avait besoin de se refaire une santé, il était en effet accusé d’être compromis avec la mafia, de ne rien faire contre le crime organisé. On ne prendra donc pas le film de Nosseck comme une forme semi-documentaire plus ou moins bien réussie, mais comme une digression à partir d’un personnage qui a existé.
En taule Dillinger va apprendre son métier et s’inclure dans un gang
Ce sont des portraits individuels qui sont sensés décrire un milieu particulier. On mettra donc en scène leur cruauté et leur individualisme, leur absence de sentiment. Encore que le Dillinger de Nosseck finalement a des sentiments réels pour Helen, même si ce n’est pas réciproque. Celle-ci représente la femme fourbe et égoïste, un peu écervelée aussi. Elle est du côté de Dillinger tant qu’il représente la force et la richesse. Mais elle le trompe avec Tony lorsqu’il va en prison et n’hésite pas à le vendre au FBI. Cette partie du scénario sera reprise dans White heat de Raoul Walsh, le personnage d’Helen devenant dans ce film Verna. On voit poindre alors quelque chose d’intéressant dans Dillinger, il est attiré par une femme qui manifestement se moque de lui, et qui va le vendre à la première occasion. C’est une faiblesse qui malheureusement n’est pas assez exploitée ici. Pour le reste Dillinger est un solitaire qui n’arrive pas à vraiment communiquer autrement qu’en imposant sa violence aux autres. Il n’a pas d’ami et il a bien du mal à se faire prendre au sérieux par le reste de la bande. Le ton du film tout entier hésite entre prendre au sérieux Dillinger et le décrire comme une sorte d’imbécile égaré dans le monde moderne.
Les attaques de banque se suivent et se ressemblent
La réalisation est minimaliste, sans doute par manque d’argent, mais aussi parce que Nosseck filme platement, d’une manière très statique, escamotant d’ailleurs les scènes de violence. Il film comme du temps du muet, il y a très peu de mouvements d’appareil. Il plante sa caméra et fait tourner, laissant les acteurs se débrouiller comme ils peuvent. Curieusement cela donne tout de même des scènes intéressantes comme par exemple le fin de Dillinger dans une ruelle sombre, ou encore la première attaque de banque. Les décors sont du studio, mais assez pauvres et sans effet. Les scènes qui sont sensées se passer devant le cinéma Biograph souffre beaucoup de cet aspect théâtral. La scène dans le train qui sera reprise par Mark Stevens dans Timetable avec de meilleures intentions est plutôt ratée aussi. On est en 1945, et manifestement Nosseck semble ne pas connaître la grammaire cinématographique nouvelle portée par le film noir. les scènes liées plus particulièrement à l’évasion du gang Specs sont plutôt bienvenues. L’ensemble conserve un côté désuet et maladroit. Les éclairages sont pauvres et la scène de retapissage plutôt escamotée.
Dillinger veut qu’on se lève pour saluer Helen
Dillinger va se faire arrêter chez le dentiste
C’est le premier film en vedette de Lawrence Tierney. Il était l’aîné d’une fratrie qui traça sa route dans le cinéma de seconde zone, outre son frère Edward Tierney, complètement oublié aujourd’hui, il y avait aussi Scott Brady dont on se souvient à cause de ses rôles dans les films noirs d’Anthony Mann. Sans doute les frères King voulaient-ils en faire un nouveau jeune premier. C’est raté, il se trimballe en permanence un petit sourire en coin imbécile sur une mâchoire crispée en permanence qui gâche beaucoup. On le dirait atteint d’un zona de la face. Si sa prestation reste cependant acceptable, c’est parce que le film présente Dillinger comme un psychopathe. Le personnage est raide et sans nuance. Tierney, violent et psychopathe aussi dans la vie réelle, se cantonnera par la suite à des rôles de déséquilibrés tout en alimentant en permanence la rubrique des faits divers. Mais c’est sur lui pourtant que le film est centré. Ann Jeffreys est un peu plus intéressante dans le rôle d’Helen. C’est elle aussi une actrice de second rang. On va retrouver l’inévitable Elisha Cook Jr dans le rôle de Kirk Otto, toujours impeccable dans ces rôles oscillants entre dur à cuire et adolescent attardé. Les autres ne sont que des faire-valoir. A cette date, Edmund Lowe qui interprète l’ambigu Specs, avait sa carrière déjà derrière lui. On retrouve aussi un autre habitué des seconds rôles dans le film noir, Mark Lawrence, l’acteur au visage grelé dans le rôle de Doc Maddison. Dans l’ensemble c’est une distribution plutôt terne.
Le couple Otto encaisse mal la mort de leur fils
Le film est aujourd’hui assez oublié, et ça se comprend assez bien. Mais il se revoie malgré tout sans ennui parce que le rythme est bon et que le personnage de Dillinger est un personnage hors norme, une sorte de héros en négatif, une légende de l’Amérique des années post-prohibition. Il a eu un excellent accueil de la part du public, il aurait rapporté 4 millions de $, pour une mise de 65000 $. Le film a tellement bien marché que Nosseck va tourner ensuite un autre film avec Lawrence Tierney, The Hoodlum. Les frères King qu’on prenait souvent pour des imbéciles avaient au moins pour eux, outre qu’ils financeront les plus beaux films de Joseph H. Lewis, l’art de trouver un public. Amateurs de films noirs et de films de gangsters, on dit qu’une partie de leurs fonds qu’ils investissaient dans le cinéma provenait directement de la mafia italo-américaine. Pour moi ce film est un jalon intéressant dans l’histoire du film noir, mais guère plus.
Dillinger surprend Helen à comploter contre lui avec Tony
Marco et Doc préfèrent se rendre
Le FBI ne laissera aucune chance à Dillinger
Le vrai Dillinger