14 Juillet 2023
Le One, Two, Two était un bordel de luxe, et son histoire est ici racontée par Fabienne Jamet la deuxième épouse de Marcel Jamet le créateur de ce lieu. Ce livre, très mal écrit par Albert Kantof et René Havard, est un recueil de souvenirs plus ou moins arrangés, il faut donc le lire entre les lignes pour comprendre. Il y a deux niveaux de lecture, d’abord ce que se bordel représentait, avec ce mélange curieux de crapules, de soldats allemands sous l’Occupation et de personnes riches, du beu monde. C’était un lieu de rencontre et pas seulement pour le sexe. Ensuite il y a les propos de Fabienne Jamet qui nous explique combien ce fut une misère que les bordels aient été fermés, et que « son » bordel à elle était une institution bien française, presqu’une œuvre d’art. Fabienne Jamet, née Georgette Pélagie, a fait toute sa vie dans le putanat. Fabienne était son nom de guerre. Le One, Two, Two, a eu son heure de gloire pendant l’Occupation, c’est à ce moment que ses affaires furent les meilleures. Marcel Jamet, un ancien barbiquet avait eu cette intuition géniale d’en faire un lieu couru du Tout Paris. C’est-à-dire qu’à côté du bordel proprement dit, il y avait un restaurant où on mangeait le bœuf à la ficelle – ce plat donnait le nom au restaurant – et l’omelette norvégienne. Et puis on venait aussi pour boire une bouteille de champagne, même si ce n’était pas pour tirer un coup. On connait la légende, des chambres – 22 – qui étaient décorées luxueusement en fonction des fantasmes de la clientèle. C’était le haut de gamme du putanat. Jamet avait commencé avec 3 gonzesses et sa première femme Doriane, et à la fin il drivait une soixantaine de putes ! Fabienne, elle, avait commencé au bas de l’échelle du putanat, le trottoir à dix-sept ans, puis elle avait cahin-caha grimpé les échelons de la professions, elle se fit admettre comme « femme » au One, Two, Two. « Femme » c’est le terme qu’elle emploie pour dire « pute ». Puis elle devint « sous-maxée », elle préfère dire gouvernante, c’est plus chic, et enfin, elle évinça Doriane dans le lit de Jamet.
Le couple Jamet au temps de sa splendeur
C’est le destin d’une ambitieuse qui est raconté ici. Fille d’une concierge et d’un policier de la brigade des mœurs qui se fera révoqué, sa motivation était le pognon et le luxe qu’il permet. Les bijoux, les belles robes de chez Patou, paraître dans la société des célébrités de ce monde. Elle dit elle-même qu’elle n’avait pas beaucoup d’amour pour Jamet, mais qu’au fil du temps elle s’était habituée à lui et avait fini par l’aimer. Elle a donc vécu pour la gloire du bordel le plus chic de Paris. Célèbre avant la Seconde Guerre mondiale, c’est tout de même l’Occupation qui en fera un monument. Le couple Jamet avait une belle capacité d’adaptation, et en se liant avec Radecke, le bordel pu continuer à fonctionner mieux que jamais, ne manquant de rien pour la nourriture, élargissant sa clientèle du côté des haut-gradés allemands, les vedettes, Tino Rossi, Edith Piaf ou Michel Simon continuaient de venir. Quand Fabienne décrit cette période, elle trouve ça normal, elle dira qu’elle a sauvé le bordel en le gardant à la France. Elle ne dit pas qu’ils étaient pour les Allemands, mais seulement qu’il fallait faire tourner la boutique et rentrer de l’argent. Cette position est évidemment des plus ambigües, même si Jamet se débrouillera pour avoir un certificat de résistant. Mais à la Libération, à Paris, c’était assez facile d’en obtenir un, même Michel Audiard y parviendra. En fait le couple Jamet et son bordel étaient pour la bonne marche des affaires et tentaient de ne pas trop se mouiller d’un côté ou de l’autre. Ils amassèrent ainsi une fortune considérable, dépensant plus que de raison le pain de fesse. La Libération devait entraîner leur perte. En effet après avoir défilé aux Champs-Élysées pour applaudir le général de Gaulle, les ennuis commencèrent avec la campagne pour la fermeture des maisons closes[1]. Cette campagne était menée sur le plan médiatique par une ancienne pute au parcours des plus sinueux, Marthe Richard. Cela aboutit à la ruine du couple Jamet. Les bordeliers les plus sérieux s’étaient reconvertis dans les clandés. Mais les Jamet en furent incapables malgré leur carnet d’adresses copieux. Pourquoi ? On n’en sait rien, il semble que Marcel attendait une opportunité qui n’est pas venue, peut-être une abolition de la loi dite Marthe Richard. En tous les cas après s’être retirés dans leur belle maison de campagne, ils commencèrent à manger leurs économies qui étaient pourtant copieuses, puis ils se lancèrent dans des montages scabreux, vendant leurs biens, maisons et bijoux. Après la mort de Marcel, Fabienne continua dans le putanat bas de gamme en gérant des hôtels de passe dans les quartiers sordides de Paris.
Marcel Jamet dans ses cuisines
Évidemment elle était amère, elle en voulait au général de Gaulle. Dans ce livre elle s’efforce de nous expliquer en quoi les maisons closes c’était très bien. Selon elles les filles du One, Two, Two, étaient très bien dans cette situation, gagnaient bien leur vie, comparativement à ce qu’elles auraient pu avoir en usine ou en boutique. On veut bien le croire, mais à côté des bordels comme Le Sphinx ou le One, Two, Two, il y avait aussi les maisons d’abattage où les macs envoyaient leurs filles qui se rebellaient et qui travaillaient mal. Dans quelle proportion les maltraitées se trouvaient par rapport à celles qui prospéraient… du moins jusqu’à un certain âge. Fabienne nous fait l’éloge du putanat en deux sens. D’abord cela empêcherait les crimes sexuels, en se référant à l’idée que chez elle on pouvait se laissait aller à ses fantasmes sans trop de casse. C’était un des leitmotivs de la défense des bordeliers, l’autre c’était que ça participait de l’éducation sexuelle. À mon sens tout ça ne tient pas debout, vu que les tarifs du One, Two, Two ce n’était pas pour le prolo de base. Ensuite, elle traite de l’hygiène. Là aussi il est assez douteux que dans les maisons d’abattage l’hygiène soit beaucoup mieux surveillée que sur les trottoirs des Halles par exemple. Puis elle fait l’éloge du maquereau, sous-entendant que les filles étant un peu connes, elles n’étaient pas capables de faire leur pelote sans un mac qui les drive. On comprend qu’elle s’assoie sur la morale ordinaire, même si de temps à autre son mari fréquentait un peu les curés !
Le réfectoire du One, Two, Two
Au passage elle réglera quelques comptes de manière acrimonieuse, avec Manouche, de son patronyme Germaine Germain, mais aussi avec Tino Rossi qu’elle avait dans le nez, au point de laisser entendre que son fils Laurent n’était pas de lui, et qu’en plus il était cul et chemise avec les Boches et la rue Lauriston. Manifestement elle n’aimait pas les Corses ! On aura aussi droit à des anecdotes plus ou moins croustillantes sur les personnalités qu’elle a reçues. Sans prendre ce qu’elle raconte au pied de la lettre, il est intéressant de comprendre qui étaient et comment pensaient ces bordeliers. C’est toute une époque comme on dit ! Une petite page d’histoire. Contrairement à la plupart des Français, Fabienne, sans être forcément pour les Boches, regrettera le bon vieux temps de l’Occupation, elle décrira d’ailleurs les soldats Américains comme des sauvages qui après la Libération mirent en péril sa maison.
Christian Gion, One, Two, Two : 122, rue de Provence
Il existe une adaptation à l’écran de ces mémoires par Christian Gion, One, Two, Two : 122, rue de Provence qui date de 1978. Par charité on ne le commentera pas, car si les mémoires de Fabienne Jamet sont assez douteuses, le film c’est carrément un conte de fée !
[1] http://alexandreclement.eklablog.com/alphonse-boudard-la-fermeture-robert-laffont-1986-a213053065