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Le blog d'Alexandre Clément

Guerre au crime, Bullets or ballots, William Keighley, 1936

C’est encore une histoire d’agent infiltré dont William Keighley s’était fait une spécialité. C’est en même temps comme un adieu au films de gangsters qui ont proliféré ces dernières années. Mais maintenant la Prohibition est terminée, et rien ne justifie plus l’existence de gangs qui défrayent la chronique. L’opinion publique veut un retour à l’ordre, une police plus active et moins corrompu. Le scénario est de Seton I Miller, qui avait déjà donné G Men du même William Keighley. C’est sans doute lui qui a innové dans le côté semi-documentaire du film noir. Il utilisera d’ailleurs des éléments bien réels de la lutte entre les gangs et de la lutte avec la police. Par exemple, l’opposition entre Fenner et Kruger semble calquée sur celle qui a eu lieu à la même époque entre Dutch Schultz et Lucky Luciano. Ou encore le personnage de Nellie LaFleur, la noire qui règne sur Harlem et qui s’allie avec Lee Morgan, semble être démarquée de Stéphanie Saint-Clair qui était née à la Martinique, mais qui devint une redoutable chez de gang après avoir créé la loterie des numéros. Cependant cette volonté de s’appuyer sur des faits criminels bien réels est plombée par de nombreuses invraisemblances, comme ces banquiers qui chapeauteraient les gangs qu’ils tiennent dans leurs mains. Que des banquiers profitent du crime en blanchissant l’argent n’a jamais fait de doute, mais qu’ils soient au sommet de la pyramide est bien plus improbable. On peut voir là sans doute le fait que dans les années trente les banquiers soient considérés comme responsables de la crise qui vient de ravager le pays, et donc comme des crapules, cette tentation de leur faire porter le chapeau en matière de crime organisé. Autre curiosité, on trouvera dans ce film la source de l’inspiration de Melville pour Samouraï quand Jeff Costello cherche le micro que les flics ont caché pour l’espionner. Mais ici c’est l’inverse, se sont les truands qui espionnent le flic. Cette proximité va bien avec le fait que Melville aimait beaucoup William Keighley, je l’ai déjà dit déjà dit, et j’approuve tout à fait ce jugement. 

Guerre au crime, Bullets or ballots, William Keighley, 1936 

Kruger voudrait bien voir Johnny Blake rejoindre son gang 

Johnny Blake est un policier qu’on a déclassé et qui se morfond dans son inutilité, tandis que le gang de Kruger, secondé par le cruel Fenner prospère. Mais le Grand Jury a décidé de pousser ses pions et demande à McLaren, un policier intègre, de mettre le paquet. Celui-ci accepte à condition qu’on ne soit pas trop regardant sur la manière de faire. Il va d’abord épurer la police et dans cette charrette il va mettre Johnny Blake. Cette situation va conduire Kruger à l’embaucher. Mais Blake va se heurter à Fenner, le bras droit de Kruger. Celui-ci se méfie et s’inquiète de voir Blake lui prendre sa place. Blake en réalité travaille pour McLaren. Son idée est de marginaliser Fenner, et de donner d’autres sources de revenus à Kruger. Il lui vend alors l’idée de la loterie aux numéros, tout en donnant les moyens à McLaren de démanteler les réseaux mafieux dans les autres rackets, notamment sur les marchés des produits alimentaires. Ce qui évidemment va contrarier Lee Morgan dont il semble amoureux en secret, et ces sentiments paraissent réciproques, mais c’est ce qui va mettre Fenner sur cette piste lucrative et le pousser à essayer d’évincer Lee Morgan dans la loterie sur Harlem. Mais Kruger est content et Blake s’introduit dans le système et commence à comprendre comment l’argent est recyclé. Cependant il veut remonter au-dessus de Kruger et découvrir qui sont ses commanditaires. Fenner va tuer Kruger en espérant prendre sa place à la tête du gang, mais Blake arrive à retourner la situation en sa faveur, en avançant qu’il est le seul à pouvoir rentrer en contact avec leurs supérieurs. Et en effet ceux-ci le contactent pour l’adouber. Il doit leur livrer de l’argent comme preuve de son efficacité. Mais le but est de les piéger avec des billets dont il a relevé le numéro, car ce sera la preuve qu’ils trempent dans le crime. Fenner a trouvé le moyen de mettre Lee Morgan en colère et celle-ci bêtement lui donne son adresse. Fenner arrive chez Blake au moment où il s’en va livrer l’argent. Une fusillade s’engage entre les deux hommes. Fenner est mort, mais Blake est gravement blessé. Il arrive toutefois à porter l’argent aux banquiers grâce à l’aide de Lee Morgan qui entre temps à compris les ruses de Blake. La police peut investir les lieux et arrêter les banquiers malhonnêtes tandis que Blake rend son dernier soupir. 

Guerre au crime, Bullets or ballots, William Keighley, 1936 

Kruger a des rendez vous avec les grands patrons du crime 

Il y a beaucoup d’autres innovations dans ce film de William Keighley. D’abord au niveau scénaristique, même si les motivations sont de présenter aux spectateurs la nécessité de lutter contre le crime organisé comme une priorité de l’ordre démocratique, le titre américain est explicite : bullets or ballots se traduit par des balles ou des bulletins de votes. Comme si le cinéma enjoignaient aux politiciens de redoubler d’ardeur dans ce domaine au risque de perdre leurs places et de défaire la démocratie. Mais le message est très nuancé. D’abord parce que les motivations de Blake ne sont pas toujours très claires. C’est un policier aigri qui a été déclassé, et qui accepte la mission dangereuse de s’infiltrer pour faire tomber le gang. Sa démarche est un peu suicidaire. On remarque qu’il aime briller auprès de la belle Lee Morgan qui tient un cabaret comme un lieu de rendez vous entre la pègre et la police, mais aussi qu’il la laisse tranquille dans l’exploitation juteuse d’une loterie des nombres sur Harlem qui lui rapporte de gros revenus qui ne sont pas soumis à l’impôt. Malgré sa détermination à combattre Kruger, Blake ne peut pas s’empêcher de nouer avec lui des relations de sympathie, en bon américain, il admire sa malice et sa réussite entrepreneuriale. Contrairement aux bêtises qu’on a dites sur le sujet, le film noir a toujours été un véhicule pour l’émancipation féminine. Lee Morgan est une femme déterminée qui n’a peur de rien, et en outre, elle s’allie dans son combat pour se faire une place au soleil avec une Noire de Harlem, née sur le territoire français. Nellie LaFleur est vue brièvement, mais c’est un chef de gang qui commande à des gros bras sans problème et qui sait se faire respecter, même si elle est un peu présentée d’une manière comique. On peut considérer que c’est une des premières étapes pour faire évoluer les noirs des rôles de soumis et de rigolos vers des rôles de plus grande ampleur et plus compliqués. 

Guerre au crime, Bullets or ballots, William Keighley, 1936

Lee Morgan a monté une loterie aux numéros avec Nellie LaFleur 

Derrière cette histoire de lutte contre le crime, il y en a cependant une autre. C’est la lutte entre Fenner et Blake. Non seulement ils se battent pour avoir la première place auprès de Kruger, comme deux frères jaloux auprès d’un père autoritaire, mais ils se disputent clairement les faveurs de Lee, éternel trio. On verra Fenner tenter d’embrasser la jeune femme et se prendre une gifle, un peu à retardement toutefois. Fenner est un voyou pur et dur qui ne veut pas déroger au code particulier de son milieu qui est de ne pas fricoter avec la police. Mais Kruger est contaminé par l’esprit sans doute un peut trop pratique de ses commanditaires qui, en tant que banquiers du crime, ne pensent qu’au rendement et à leur pourcentage. Mais la police veut traiter de sa mission avec les moyens de la pègre, en se moquant un peu du code de procédure. C’est une constante du film noir américain. Mais c’est aussi le constat que les formes démocratiques ont échoué à restaurer l’ordre souhaité par les populations. Cependant ici ces même populations sont désignées comme inconstantes, si d’un côté elle réclame l’intervention de l’Etat, elles sont aussi promptes à jouer le jeu de la pègre, par exemple en s’impliquant dans les loteries aux numéros. Remarquez que William Keighley s’il fut un des pionniers du film sur les infiltrés aime fonctionner avec des binômes masculins qui se trouvent des deux côtés de la barrière. Dans Special agent c’est Bill Bradford et Alexander Carston, ici c’est Blake et Kruger, dans Each dawn I die, c’est Frank Ross et Hood Stacey, et puis dans The street with no name, ce sera Gene Cordell et Alec Stiles. 

Guerre au crime, Bullets or ballots, William Keighley, 1936

Kruger va finalement engager Blake 

L’action est censée se passer à New York, mais de cette ville on ne saura rien, toutes les prises de vue sont faites en studio. Cette approche est à double tranchant. En effet en tournant en studio, William  Keighley peut plus facilement travailler les aspects esthétiques, les mouvements de caméras, ou encore les ombres et les lumières. Mais ce faisant le film perd beaucoup de son authenticité, surtout lorsque les scène sont censées représenter la rue. Par rapport à ses films précédents, on note que la photo est beaucoup plus travaillée, c’est l’apport décisif d’Hal Mohr. Par delà la qualité de la photographie, on reconnaît cependant le style de William Keighley, par exemple dans cette façon de filmer les hauteurs de plafond ou des immeubles pour signifier la puissance des institutions. Evidemment les scènes d’action sont très bonnes, notamment la fusillade finale dans l’escalier entre Fenner et Blake. Il y a également beaucoup de soin à décrire les dessous de l’organisation de Kruger. On pénètre dans son antre avec des travellings assez compliqués qui donnent volontiers une profondeur de champ aux étalages des billets sur les tables où une foule de petites main compte et trie la monnaie récoltée. 

Guerre au crime, Bullets or ballots, William Keighley, 1936 

Blake pénètre le système de racket de Kruger 

L’esthétique du  film noir est annoncée aussi dans la manière de présenter Blache avec des barreaux, soit qu’il aille en prison, soit qu’il aille à la banque avec Kruger pour y déposer de l’argent. Cette façon de faire est la démonstration d’une transgression. On passe à travers les barreaux pour atteindre une vérité qui semble bien dissimulée. Ces formes seront reprises très souvent dans le cycle classique du film noir. L’intensité des éclairages indirectes participe aussi de cette logique qui montre que de faire démarrer le cycle classique du film noir seulement en 1940 n’est pas tout à fait justifiée. Mais quoi qu’on en pense, il est clair que ce film fera école, de nombreuses formes, notamment ces ombres qui glissent sur les murs comme détachées de leur propriétaire, se retrouveront recyclées par la suite par les maîtres du film noir. 

Guerre au crime, Bullets or ballots, William Keighley, 1936

Blake cherche un micro que Fenner aurait mis pour l’espionner 

C’est un film à gros budget, dans la continuité des succès de G Men et de Spécial agent. L’interprétation c’est d’abord Edward G. Robinson, la grande vedette de l’époque. Le film est fait pour lui, et non pas pour Humphrey Bogart ou pour Joan Blondel. Il est présent de bout en bout. Il montre toute l’étendue de son talent, malgré sa petite taille il arrive à faire passer une impression de force. Il montre aussi sa fragilité mélancolique dans ses rapports avec Lee Morgan. Il domine clairement la distribution. Derrière lui on a engagé Joan Blondell qui joue Lee Morgan. Il est clairement dommage que son personnage n’ait pas été plus développé. Elle avait beaucoup de talent et de charisme. Et donc elle aurait pu mettre en œuvre un peu plus l’ambiguïté de son personnage. C’est à mon sens un des défauts les plus importants du film. Ensuite on trouve le vétéran Barton McLane dans le rôle de Kruger. Il était habitué à ce type de rôles, massif, dur, grognon, il est toujours très bien. Humphrey Bogart n'a qu’un second rôle, celui du fourbe Fenner. Des rôles comme ceux-là, il en a tenus des dizaines. Il est bien, mais sans plus, il n’est pas encore le grand acteur qu’il va être. En effet, après l’explosion de John Garfield sur les écrans, il va changer son jeu, le rendre plus fluide, moins stéréotypé. Le reste de la distribution, c’est du tout venant du film noir, avec ses gueules un peu cassées. 

Guerre au crime, Bullets or ballots, William Keighley, 1936 

Blake est faussement mis en prison 

Le film sera un gros succès, commercial et critique. C’est justifié si on prend en considération la somme des innovations qu’il contient. Le film est bien meilleur que Special agent. Mais avec le recul il permet de mieux comprendre l’importance de William Keighley dans l’histoire du cinéma américain. Ce film est resté présent dans les mémoires, et il existe aujourd’hui fort heureusement dans de belles versions Blu ray. C’est un excellent film noir qui se revoit toujours avec plaisir. 

Guerre au crime, Bullets or ballots, William Keighley, 1936

Il arrive au cœur du blanchiment de l’argent

Guerre au crime, Bullets or ballots, William Keighley, 1936

Blake s’oppose à la prise de pouvoir de Fenner 

Guerre au crime, Bullets or ballots, William Keighley, 1936 

Il fait enfin la connaissance des grands patrons du crime de New York 

Guerre au crime, Bullets or ballots, William Keighley, 1936

Une fusillade s’engage entre Fenner et Blake 


 

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