10 Septembre 2024
James Ellroy est, plus ou moins reconnu comme un novateur dans le domaine du polar. Selon son propre aveu, il vend beaucoup plus de livres en France que partout ailleurs, deux fois plus qu’en Amérique, dit-il. Mais il est vrai que ces derniers temps ses ouvrages se vendaient beaucoup moins bien. C’est en réalité depuis Underworld USA, publié en français en 2009 que cette désaffection s’est manifestée. C’est le dernier livre que j’ai lu de lui, et pour dire la vérité, je n’en ai lu qu’un petit tiers. Ce gros ouvrage de 840 pages bien tassées a certainement dû décourager de nombreux amateurs. Il a toujours été très abondant dans l’écriture, mais là cela a dépassé l’entendement. Bien qu’il se défende du contraire, il est extrêmement moderne en deux sens au moins : d’abord en accumulant des détails qui font vrais et qu’il fait passer pour une sorte de documentation brute. Mais il avouera, notamment dans le dernier numéro de Transfuge que seulement 20% de ce qu’il écrit s’appuie aujourd’hui sur quelque chose d’un peu vrai. L’idée de « faire vrai » est la maladie de la littérature moderne qui confond assez facilement le reportage journalistique avec le travail d’écriture. La seule différence est qu’en s’attachant au passé, c’est plus facile que d’aller se documenter directement sur les lieux de l’action. Et puis la référence plus ou moins frelatée à l’histoire laisse croire au sérieux de l’entreprise et masque le manque d’imagination. Cette maladie lui permet de remplir des pages en grande quantité, noyant le plus souvent l’histoire dans des foules de détails sans grand intérêt, mais qui ont comme finalité de captiver le lecteur, c’est-à-dire de l’empêcher d’aller voir vers la concurrence ! Et donc chaque fois qu’il sort un livre, il passe par la France où il est très bien accueilli et fêté. Rivages l’aide beaucoup, mais il faut dire que Rivages du temps de François Guérif a été sauvé de la faillite par Ellroy que Gallimard – toujours aussi futé – avait refusé de publier.
Transfuge qui a aussi des soucis avec sa clientèle cherche périodiquement à capter l’attention du chaland, et pense que Ellroy est un bon vecteur. C’est peut-être vrai. D’ailleurs je ne lis Transfuge que très rarement, mais j’ai lu ce numéro. J’ai été très surpris – et je le reste – de voir qu’en France la critique littéraire qui fustige en permanence les déviations vis-à-vis du politiquement correct, adore Ellroy sans trop se poser des questions sur le message politique sous-jacent qu’il véhicule à travers ses écrits, mais c’est un peu la même chose avec Clint Eastwood pour la critique cinématographique. Ces deux célébrités ont un point commun, elles sont très réactionnaires, voire fascisantes. Cela vient sans doute du fait qu’ils supportent difficilement l’effondrement des Etats-Unis comme leader économique et culturel du monde développé. Ce n’est pas pour rien que les deux affichent une forte attraction pour le passé, comme s’ils voulaient réécrire une histoire qui a mal tournée. L’autre point qui les rapproche est que tous les deux affichent volontairement – peuvent-ils faire autre chose ? – un style extrêmement plat, au raz du sol. Techniquement c’est très faible, mais c’est soutenu par des vieilles ficelles. Chez Ellroy la vieille ficelle c’est l’accumulation de détails sans rapport avec le sujet. Le dernier ouvrage d’Ellroy que je n’ai pas lu met en scène Marilyn Monroe et son destin tragique. La manière dont il en perle dans Transfuge est assez pénible et nous fait redouter le pire. Il nous explique que Marilyn ne lui plait pas et ne suscite en lui aucune émotion, et aussi que sa carrière cinématographique est complètement nulle. Elle a pourtant tourné dans de très grands films, pour Billy Wilder par exemple ou encore dans l’excellent Niagara d’Henry Hathaway où elle démontra son talent de comédienne. Ellroy est tellement à droite que Trump passe pour un gauchiste, bêtement il nous dit que le déclin des Etats-Unis c’est la faute de John F. Kennedy qu’il poursuit d’une haine inconsidérée ! Nous savons tous que ce président assassiné dans des conditions jamais tout à fait élucidées, avait une part d’ombre, mais pourquoi s’acharner plutôt sur lui que sur Nixon par exemple ? Ça devient de la maniaquerie ! Il avait d’ailleurs commis en 1988 un ouvrage assez répugnant, The Big Nowhere – celui là je l’ai lu – où il défendait sans le dire la chasse aux sorcières de l’HUAC, en qualifiant la gauche hollywoodienne de communistes ou d’homosexuels honteux ! Peu de gens ont relevé l’ignominie de ce roman à clés qui en plus se présentait comme « réaliste ». Certains font semblant de croire qu’il s’agit seulement de provocation, mais après tout le nazi Céline était lui aussi un provocateur !
Au passage cette interview a tout de même l’intérêt de mettre l’accent sur le suicide de Carole Landis, une autre belle actrice trop prématurément disparue et qui a payé sa contribution à l’émancipation des femmes par le cinéma de sa vie. On l’oublie trop souvent, quelles que furent les difficultés et les martyres des actrices d’Hollywood, il ne faut jamais oublié que paradoxalement le cinéma a été une grande machine à produire les cadres culturels nouveau de l’émancipation féminine, c’est évidemment ce qui a échappé à Ellroy et à la grande majorité de ses lecteurs.