7 Juillet 2023
Robert Wise est un réalisateur prestigieux, aux multiples succès. Il a ramassé pas mal d’Oscar pour West Side Story, le vrai, et pour The Sound of Music, quand à cette époque les comédies musicales avec Julie Andrews faisaient des cartons. Pourtant on oublie que s’il a été un cinéaste très éclectique, il a fait des péplums, Helen of Troy, de la science fiction, The Day the Earth Stood Still, capable de conduire des grosses machines, il a débuté avec des petits films d’horreur et des films noirs fauchés qui sont aujourd’hui très appréciés, Born toi Kill. Sortant des films B, il avait connu un bon succès critique et public avec The Set Up[1] ou encore Somebody Up There Likes Me une biographie du boxeur Rocky Graziano avec l’excellent Paul Newman. En 1952, un petit film noir fauché comme The Captive City a été très remarqué pour sa rigueur quasi documentaire. En règle générale je n’aime pas les biopics parce qu’elles sont trop engoncées dans une sorte de cahier des charges qui bride la créativité. Mais I Want to Live est une biopic très différente de ce qu’on a l’habitude de voir. C’est le récit de la condamnation à mort et du gazage de Barbara Graham. C’est inspiré d’une histoire vraie – ce qui dans le cinéma hollywoodien n’est jamais une garantie. Et contrairement à ce qui a été dit ici ou là, Robert Wise ne discute pas vraiment de la culpabilité ou de l’innocence de cette femme. C’est un humaniste, un homme de gauche, libéral au sens américain du terme, et il va plutôt s'orienter sur la question de la peine de mort, parce que au-delà de ce qu’elle a fait ou pas, c’est un être humain qui a particulièrement été marqué par le destin. Le scénario est basé sur la correspondance entre Barbara Graham et le journaliste Edward Montgomery qui avait couvert toute l’affaire et qui, après l’avoir dénoncée à la vindicte publique à travers ses articles, retournera sa veste et tentera de la sauver de la chambre à gaz. Les efforts de reconstitution sont remarquables, non seulement pour ce qui concerne les décors, mais également pour le choix des acteurs qui vont incarner les personnages de cette tragédie.
Barbara Grahame fréquente les boîtes de jazz
Barbara Graham est une femme extravagante, délinquante et prostituée, elle aime faire la fête et danser dans les boîtes de jazz. Elle traîne comme ça plusieurs années, entrant et sortant de prison, pour racolage, pour parjure, pour chèque sans provision. Elle décide de se ranger et de se marier avec Henry Graham qui est aussi barman. Elle fait donc un enfant avec lui. Mais ses relations avec son mari se dégradent, il se drogue, et elle le quitte. Seulement elle a besoin d’argent et s’acoquine avec deux demi-sels, Perk et Santo. Ce sont des voleurs, ils vont attaquer, avec l’aide de King, un autre malfrat, une vieille femme pour lui voler ses bijoux. Ils la tuent. Rapidement la police va se mettre sur la piste des voleurs, sauf que Barbara Graham va nier qu’elle était dans le coup. Par inadvertance, elle conduit la police jusqu’à la planque où ils se sont réfugiés, au-dessus d’un garage. La maison est cernée, et la bande est obligée de se rendre. Ses complices rejettent tout sur Barbara, arguant que c’est elle qui a tué la pauvre Mohanan en la frappant à coups de crosse sur la tête. Barbara nie, elle affirme qu’elle n’était pas là, mais qu’elle était avec sa famille. Elle n’a pas d’alibi. Santo lui a vendu tout le monde en échange d’une remise de peine. La bataille s’engage, chacun cherchant à éviter la peine capitale. Barbara en prison rencontre une dénommée Rita qui la fait parler et qui introduit auprès d’elle un policier qui lui propose de monter un faux alibi. Il finit par lui extorquer des aveux dans des conditions très douteuses, insistant pour lui dire que sans ces aveux, il ne lui produira pas de témoignage en sa faveur. La presse se déchaine contre Barbara, et quand le policier vient témoigner pour l’accusation, l’affaire est entendue. Elle va faire appel, mais son appel est rejeté. Elle va alors rencontrer une sorte de psychiatre, spécialiste de la détection des mensonges, Carl Palmberg, qui prend sa tâche à cœur et est persuadé de son innocence, malgré tous ses mensonges. Il va être appuyé par un journaliste sourd, Ed Montgomery qui va tenter lui aussi de la sortir de ce mauvais pas. Mais Palmberg décède, et il n’a rien laissé de ses recherches. Dès lors malgré les recours en grâce, l’affaire est entendu, elle sera gazé. Les journalistes se pressent bêtement pour assister à l’exécution.
Elle s’est faite dénoncer pour racolage
Comme on le comprend le débat de savoir si Barbara est coupable ou non, n’est pas le propos de Robert Wise qui tient la balance égale entre ceux qui pensent qu’elle a tué et ceux qui pensent qu’elle était innocenter. Susan Hayward pensait que Barbara était coupable. Montgomery non. Et donc une fois qu’on a éliminé ce faux débat, le film devient un plaidoyer contre la peine de mort. Le scénario évoluer en deux sens : d’abord montrer que le caractère de Barbara a été formé par les années de misère contre lesquelles elle s’est débattue pour tenter de trouver une part de bonheur. Après tout réussir par tous les moyens est bien un paramètre déterminant de la culture américaine. Ensuite, le deuxième axe, c’est cette machine à broyer qu’on appelle le système judiciaire. La personnalité de Barbara s’est forgée dans les épreuves de la vie. Elle n’est pas née au bon endroit, avec les bons parents. Elle vit dans un milieu où, en recherchant de l’argent pour faire la fête, on se brule les ailes : elle ne rencontre que des personnages peu fiables, au moins aussi menteurs qu’elle. Elle vit de petits expédients, allant plus souvent qu’à son tour en taule pour payer ses écarts de conduite. on ne saura pas d’ailleurs si le médiocre Henry Graham est son maquereau ou non, on le pense puisque c’est elle qui lui paie ses doses.
Barbara accompagne Perk et Santo sur des coups foireux
Des films sur des journalistes qui cherchent à innocenter un prévenu, il y en a beaucoup, mais très souvent, comme dans True Crime de Clint Eastwood qui date de 1999, on sombre dans la niaiserie et la justice triomphe facilement par le biais d’un individu des plus déterminés. Rien de tel ici. Avec minutie, Robert Wise va mettre en scène l’échec face à une machine totalement déshumanisée. Sans le dire, il montre que ce ne sont pas les hommes, juges, policiers ou gardiens de prison qui sont en cause, mais un système. Incapable de démêler le vrai du faux, elle produit de l’injustice. Dès lors le combat de quelques individus bien intentionnés est perdu d’avance. Bien entendu Barbara s’est retrouvée dans cette situation après bien des erreurs et des fautes. Mais doit-elle être tuée ? En effet elle n’est pas innocente au sens juridique du terme. Et le procureur rappelle au jury que non seulement elle a un casier long comme le bras, mais que sa vie est dans l’ensemble un mensonge.
Elle annonce à Perk qu’elle arrête les combines et qu’elle va se marier
La justice repose sur des principes très spécieux, par exemple cette maladie américaine de faire élargir un criminel à condition que lui-même ait dénoncé ses complices. C’est ce que fera non seulement King, mais également Rita qui embobeline Barbara afin que louche policier puisse obtenir par la bande et à l’aide de mensonges éhontés, des aveux qui manifestement sont douteux et tirés par les cheveux. Il y a d’ailleurs une incongruité, en effet pour commettre ce faux alibi, le faux Benjamin, demande 25 000 $, ce qui semble très élevé pour l’époque et surtout pour des criminels de faible envergure telle que Barbara. La délation est un pilier du système, Robert Wise doit certainement se souvenir de ces incitations de la justice à la délation avec les sinistres affaires de l’HUAC, on pense à la honte que portera toute sa vie Elia Kazan, et même au-delà, pour avoir joué ce jeu, enfin que lui évite une légère peine de prison. Quand Rita pousse Barbara aux abois, à rechercher un faux alibi, elle écourte sa peine d’emprisonnement, mais elle envoie son « amie » à la chambre à gaz, manquant à la compassion la plus élémentaire. Cet individualisme triomphant jure avec le fait qu’on reproche à Barbara d’être amorale ! Cette idée de conduite morale est évidemment élastique et se tord comme on le veut. Autrement dit la condamnation de Barbara va reposer sur une manipulation de témoin et sur des mensonges. Le juge balaiera pourtant ces entorses au simple bon sens d’un revers de main, la justice doit passer, donc Barbara doit être condamnée. Cette critique du système judiciaire va très loin, puisque les complices de Barbara l’enfonce parce qu’ils se bêtement qu’elle sera pas condamnée à mort parce qu’elle est une jeune et jolie mère de famille, eux aussi éviteront la peine capitale. Les policiers se révèlent violents, sournois, et faux jetons.
Son mari est un drogué qui la brutalise
Ce système parfaitement sournois est complété par la presse qui saute tout de suite sur la possibilité de dénoncer le crime et d’encourager à la peine de mort pour satisfaire ce qu’elle pense être le goût du public pour le fait divers sordide. On verra ainsi un présentateur de télévision, George Putnam, célèbre en son temps, présenter une mine plutôt réjouie quand il présente les déboires de la pauvre Barbara. Montgomery présente l’inverse, une prise de conscience. Il se rend compte que d’une certaine manière il a été abusé par son métier pour vendre du papier. Sa rébellion tient plus à la nécessité de dénoncer un tel système que de la conviction que Barbara est innocente et qu’elle doit être sauvée. Il sera d’ailleurs le seul journaliste à ne pas vouloir assister à l’exécution, tandis que ses confrères voyeurs inconscients de ce que cela peut bien signifier, se précipiteront pour assister à l’agonie.
La police cerne la maison où se cachent Perk et Santo
Mais si le film nous touche, c’est d’abord parce qu’il repose sur une galerie de portraits très acérés. D’abord bien sûr la flamboyante Barbara. Elle n’est pas présentée comme mauvaise ou bonne, c’est d’abord une jeune femme qui a une volonté farouche de vivre et à cet égard le titre du film est parfaitement bien choisi. Elle a de l’anergie à revendre et adore danser. De basse extraction, elle n’est pourtant pas une imbécile, ni une inculte. Elle lit Omar Khayam, elle comprend la musique de jazz et adore le combo dirigé par Gerry Mulligan. On peut cependant se demander s’il n’y a pas là une sorte de télescopage parce que le meurtre de Monohan se déroule en 1953, et à cette époque non seulement Gerry Mulligan n’était pas connu, mais il ne dirigeait pas de groupe avec Art Farmer et Frank Rosolino. Mais passons sur cet anachronisme. Les complices de Barbara sont des demi-sels, ni mauvais, ni bons, ils manquent de courage et ne supportent pas la pression des flics. Mais les bourreaux ou les gardiens de prison ne se posent guère de question sur leur curieux métier. La seule qui s’interroge sur ce qu’on laisse faire – un assassinat – c’est l’autre Barbara, l’infirmière qui assiste les derniers instants de celle qui va être exécutée. Le procureur apparaît comme un individu particulièrement violent et vindicatif, sa hargne nous semble disproportionnée pour prétendre rendre la justice avec sérénité. Il bénéficie évidemment de l’appui du juge qui est par nature, avant même que les débats aient eu lieu, convaincu de la culpabilité de Barbara.
Elle ne dira rien à la police
Le style clinique de Robert Wise est ici très efficace. Il détaille les gestes les instruments, les accessoires qui servent une cause obscure. En 1944, dans Double indemnity, Billy Wilder avait filmé la chambre à gaz, mais cet épisode n’avait pas été montré à l’écran. Sans doute les producteurs le trouvaient-ils trop morbide, mais en 1958, Robert Wise le fait. Il détaille les gestes un derrière l’autre, les produits qu’on utilise, la précision des bourreaux rend d’ailleurs mécanique et sans humanité l’exécution. La chambre à gaz est filmée sous tous les angles, ,on vérifie l’étanchéité, on verse la quantité de poison voulue, ni trop ni pas assez. On se dit d’ailleurs que c’est de cette manière que les nazis devaient procéder pour gazer les juifs déportés , froidement, avec application. C’est sans doute le passage le plus fort du film, tout se fait dans le silence. A partir de la moitié du film ce pourrait être un simple procédural, mais justement dans la manière de filmer, c’est autre chose, comme une méditation sur l’enfermement et la faiblesse d’une femme face au reste de la société. Wise n’insiste pas sur les joutes oratoires entre l’accusation et la défense, autrement dit sur le côté guignol du cirque judiciaire.
Rita tente de la piéger en l’incitant à faire un faux témoignage
Le reste est proprement filmé bien entendu, la nuit, l’errance de Barbara et sa misère, mais sans s’attarder. C’est d’ailleurs comme ça qu’il avait filmé The Setup[2]. Cette sobriété qui mise sur la puissance des images est bien plus efficace que de longs discours philosophiques sur l’inanité de la peine de mort. La photographie est très bonne, elle est de Lionel Lindon, qui a notamment fait The Scarlet Hour de Michael Curtiz[3]. Bien que le film dure un peu plus de deux heures, ça ne traine pas. Par exemple quand la retraite des gangsters est cernée, on multiplie les angles de prise de vue, plutôt que d’allonger le moment où les gangsters devront se rendre sous la menace d’ailleurs d’être mitraillés par la police. La filature de Barbara par la police est aussi une des sources certainement du Samouraï de Jean-Pierre Melville qui adorait ce réalisateur – et encore plus sans doute Odds Against Tomorrow. Quand Robert Wise film le jazz, la danse de Barbara ou le combo de Gerry Mulligan, il utilise des plans penchés, ces audaces nous rappelant que c’est lui qui avait monté le film d’Orson Welles, Citizen Kane. Les scènes dans la prison, et en général dans les espaces étroits, montrent sa virtuosité. L’usage du 1 :1,85 comme format me semble tout à fait en phase avec ce que veut montrer Robert Wise.
Condamnée à mort elle arrive à San Quentin
L’interprétation c’est évidemment d’abord Susan Hayward dans le rôle de Barbara Graham. Le rôle était fait pour elle. Elle avait reçu en 1955 le prix de la meilleure actrice à Cannes pour I’ll Cry Tomorrow de Daniel Mann, une autre biopic d’une femme désespéré et martyrisée par l’alcool et par sa mère. Pour I Want to Live, elle remportera tous les prix d’interprétation possibles, dont l’Oscar de la meilleure actrice. Dans n’importe quel film elle est toujours très bien, même quand elle se retrouve dans des péplums sans queue ni tête. Mais il est clair que Barbara Graham est un de ses meilleurs rôles. Elle est complètement habitée par cette femme torturée. A la fois roublarde et naïve, terrifiée et révoltée, elle passe par toutes les attitudes de la femme maltraitée par la vie. C’est un très beau portrait de femme, bien qu’elle soit une criminelle.
Montgomery et Palmberg vont tenter de sauver Barbara
Tout le reste de la distribution s’articule autour d’elle, mais ce sont que des seconds rôles si je puis dire. Il y a le très bon Simon Oakland dans le rôle de Montgomery, le journaliste sourdingue qui essaie de se racheter de ses bévues. Theodore Bikel est Plamberg celui détecte les mensonges. J’ai bien apprécié les acteurs, Philip Coolidge et Lou Krugman qui incarnent respectivement Emmett Perkins, dit Perk, et John Santo. Ils sont tout à fait ressemblant à ce que ces deux gangsters étaient. Wesley Lau dans le rôle du mari accroché à la drogue, n’est pas très remarquable, mais par contre, Alice Backes dans le rôle de la seconde Barbara est tout à fait saisissante.
Palmberg lui explique que sa demande de grâce a été rejetée
Les journalistes veulent voir le spectacle de la chambre à gaz
Le film fut un succès critique et public, rapportant beaucoup d’argent à Susan Hayward qui avait 37% des bénéfices ! Pour un budget de 1n4 millions de dollars, il en rapporta presque 6 millions ! Le film a été produit par Figaro Inc. La maison de production fondée par Joseph Mankiewicz, le seul film qui rapporta de l’argent. Le scénario avait été travaillé par le neveu de Joseph Mankiewicz, Don Mankiewicz. C’est un excellent film noir qui n’a pas pris beaucoup de rides avec le temps. La musique de Johnny Mandel interprétée par le combo de Gerry Mulligan est aussi très bonne, et d’ailleurs la bande son sera aussi un succès commercial.
Barbara est attachée dans son fauteuil
C’est un film classique si on veut, et BQHL a eu l’excellent idée de le ressortir en Blu ray, avec une présentation de Rafik Djoumi. Il a donc sa place dans une vidéothèque de qualité, sauf évidemment si on déteste le film noir et Susan Hayward !
Les vrais protagonistes de l’affaire Barbara Graham, de gauche à droite, Santo, Perkins et Barbara Graham
[1] http://alexandreclement.eklablog.com/the-set-up-nous-avons-gagne-ce-soir-robert-wise-1949-a114844912
[2] http://alexandreclement.eklablog.com/the-set-up-nous-avons-gagne-ce-soir-robert-wise-1949-a114844912
[3] http://alexandreclement.eklablog.com/enigme-policiere-the-scarlet-hour-michael-curtiz-1956-a214221307