23 Janvier 2023
Jean Contrucci ce n’est pas seulement la saga de Raoul Signoret le journaliste détective du Petit Provençal, cette série à succès à la renommée très méritée. Il a écrit beaucoup d’autres choses, ayant notamment contribué à l’excellente histoire de Marseille[1]. Il s’intéresse donc à l’histoire de la ville et notamment à cette page sombre que fut l’Occupation. Cette période avec ses drames est propice à l’écriture d’un roman noir. Après avoir écrit en compagnie de Jacques Virbel un ouvrage très documentaire sur Eliane PIewman[2], il a eu l’idée d’en tirer un ouvrage de fiction. Et il a eu raison ! Sans laisser entendre que tout le monde a été résistant, il ne partage manifestement pas les idées révisionnistes sur la Résistance qui n’aurait pas existée. Au contraire, s’il sait à quel point la crapule vichyste a agi de façon criminelle pour ses propres intérêts et sans idéal autre que d’accumuler de l’argent sans trop de travail, en trahissant, en s’adonnant aux joies lugubres du marché noir, il salue le courage et la détermination de ceux qui se sont battus avec les moyens du bord. C’est une période qui l’a marqué, sans doute parce qu’il était né, malheureusement, avec la guerre et qu’il a connu par force les transformations profondes de la ville qui ont suivi la Libération.
Marseille sous l’Occupation
Ce récit est touchant pour de nombreuses raisons. La première est qu’il raconte une histoire, celles des hommes et des femmes qui autour d’Helene Newman – un double fictionnel d’Eliane PIewman, une anglaise née à Marseille – vont se battre pour monter, sous l’égide des services spéciaux britannique, un réseau efficace de sabotage et de renseignements sur la ville. Ça finira mal pour cette jeune femme qui sera déportée et qui perdra la vie quasiment au moment de la Libération de la France. L’ouvrage s’ouvre d’ailleurs sur son tragique décès, et sur celui de ses compagnes. On va donc remonter le fil de la mémoire. La conduite du récit se fera sous la forme d’une succession de témoignages, rassemblant un puzzle un peu éparpillé, l’écriture à la première personne donne un caractère subjectif à l’histoire. Cette subjectivité est à l’œuvre pour Julien qui a aimé Hélène, sans même savoir qu’elle était mariée, et donc qu’elle avait une double vie d’espionne et d’épouse anglaise. L’ouvrage prend alors plusieurs aspects. D’abord une description fine et sensible des contraintes de la vie en ces temps-là. Aux pénuries de nourriture et de biens de première consommation, s’ajoutaient les brimades des Allemands, mais aussi des collaborateurs qui travaillaient à dénoncer leurs compatriotes. J’apprends ainsi que dans le quartier de ma jeunesse, il y avait au moins deux réseaux de résistants, dont l’un s’affiliera à Combat, mais aussi le siège de la Milice, rue Chape, là où j’allais à l’école primaire exactement. Ce qui fait revivre mon vieux quartier d’une manière qui est bien curieuse. Également on verra les quartiers près de la Grande Plage, Bonneveine, puis Marseilleveyre d’une autre manière, parce qu’à cette époque ils étaient très éloignés du centre-ville et restaient campagnards. Rien à voir avec la bétonisation généralisée de ces endroits où l’habitat se négocie au prix de l’or.
Les vieux quartiers de Marseille en 1943, la police française collabore avec l’armée d’occupation
Mais la seconde partie du livre est bien plus dramatique encore, avec les sabotages, les planques, les arrestations, et puis les vengeances bien entendu. Cet aspect est prenant, c’est un véritable roman noir, un peu dans le genre de L’Armée des ombres, le livre de Joseph Kessel, comme le film de Jean-Pierre Melville[3]. La dramaturgie de l’ouvrage est assurée et renforcée par une histoire d’amour, car dans la Résistance aussi on avait des sentiments forcément, cela rassurait sans doute sur la justesse du combat ! C’est le côté sentimental de Contrucci si vous voulez qui aime l’amour ! ce qui est très français. Cela va d’ailleurs justifier le titre du roman : certes on a salué les engagements courageux des Résistants, mais on a souvent oublié leur personnalité profonde, leurs sentiments. Et c’est encore cela qu’il faut dire, rien de mieux que le roman pour cette tâche. N’oublie pas de te souvenir s’adresse bien sûr à nous qui n’avons pas vécu des temps aussi sombres, mais Julien, l’amoureux d’Hélène se l’adresse à lui-même, comme s’il savait les fragilités de la mémoire humaine.
Les Boches posant devant le Bar de la Marine
Jean Contrucci n’est pas un « littérateur », il est bien mieux que cela, c’est un raconteur d’histoires. Il donne à sentir l’odeur du temps passé. On se baladera dans les environs de Marseille de ce temps-là, La Taverne de fameuse mémoire sur le cours Garibaldi, et même jusqu’à Esparron. Les droppings et les sabotages sont décrits avec précision. On croisera des personnages très intéressants, finement brossés, par exemple la crapule Ménard qui dénoncera Hélène et que Julien tuera. C’est un portrait parfait d’une petite crapule qui se grandit opportunément en se poussant du col. Il a tous les défauts, c’est un traitre, un proxénète, il vit du commerce du cul de sa femme et de son doublard. C’est cependant le seul portrait un peu travaillé des ennemis de la France qu’on sent tout de même très présents et nombreux. Tous les autres sont des résistants essentiellement, ou de simples Français qui trouvent toujours un moyen de prêter main-forte et de se solidariser. Ce n’est pas si facile de trouver le ton juste pour parler des événements du passé et en rendre le parfum. Contrucci y réussi parfaitement pour notre joie de lecteur et pour notre édification. Il n’est pas nécessaire de dire à ceux qui ne l’ont pas lu qu’ils doivent se le procurer, ils l’auront compris.
Siège de la Gestapo au 425 rue Paradis à Marseille
Charles Milne Skepper et Elaine Plewman, les modèles qui ont donné naissance sous la plume de Jean Contrucci à Arthur Saulnier et Hélène Newman
La plaque qui rend hommage aux membres du SOE installés 8 rue Merentié à Marseille