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Le blog d'Alexandre Clément

L’argent et le cinéma, des dérives continues

L’argent et le cinéma, des dérives continues 

L’heure est venue de se poser les questions qui fâchent. Ces dernières années, les plateformes de distribution de contenus, Netflix, Apple ou Amazon on débourser des sommes folles pour produire essentiellement des bouses de premier choix. Netflix avait ouvert la voie à la démesure produisant le très médiocre The Irishman qui ne fut pas projeté en salles. Scorsese qui n’est pas à une contradiction près, avait critiqué le fait que les films doivent être vus en salles, et donc que les plateformes tuaient le cinéma. Mais cette remarque ne l’a pas empêché de remettre le couvert en réalisant et produisant Killers of the Flower Moon. Certes le film est sorti en salles, il fut même présenté à Cannes. Le premier film, produit par Netflix, a coûté 160 millions de dollars ! Le second produit par Apple plus de 200 millions. Au passage évidemment Scorsese a encaissé une cinquantaine de millions. Comme ces films sont censés être valorisés d’une manière globale, il est assez difficile d’en calculer la rentabilité. Apple qui, dit-on, a beaucoup de cash, a cependant remis ça. Voilà qu’ils ont produit une nouvelle crétinerie pour 200 millions de dollars, avec Napoléon. Si je fais le compte ces trois films ont coûté ensemble 560 millions de dollars. C’est extravagant. The Irishman a été plutôt boudé, trop long, trop d’effets numériques ridicules. Killers of the Flower Moon ne sera pas rentable. Pour qu’il soit rentable en salles, il aurait dû faire à peu près 400 millions de dollars de recettes mondiales. On en est à 125 millions. Mais le pire c’est que d’une semaine sur l’autre la fréquentation s’est effondrée. Aux Etats-Unis, entre le première et la deuxième semaine, la perte de public a atteint les 61%. Preuve que le bouche à oreilles a fonctionné négativement. Le public n’a pas suivi les critiques dithyrambiques des professionnels du commentaires qui n’osent pas critiquer Scorsese parce ce que c’est Scorsese, mais le public est plus difficile à tromper.  

L’argent et le cinéma, des dérives continues

Napoleon de Ridley Scott est financé encore par Apple. Les critiques sont totalement désastreuses, tant sur le plan de la vérité historique, que sur la manière de réduire Napoléon à son histoire d’amour avec Joséphine. C’est une manière people de voir l’histoire de l’Empereur, mais c’est aussi une manière anglo-saxonne que de dénigrer un personnage français qui a bouleversé le monde, fait l’histoire, pour le meilleur et pour le pire. Pour s’excuser de la médiocrité de la version présentée en salles et qui dure tout de même 2 heures et demi, Ridley Scott a laissé entendre qu’il avait fait un montage de plus de 4 heures, donnant plus de complexité au personnage de… Joséphine !! Seuls les critiques stipendiés par les grosses firmes de production américaines trouveront ce film intéressant, mettant l’accent sur les scènes de bataille ! Les prévisions pour le box-office sont d’ores et déjà médiocres. On pense qu’au maximum et dans le monde ce film fera 75 millions de dollars de recettes. Ce qui veut dire que le film prendra un gros bouillon, et sa valorisation sur la plateforme ne semble pas non plus promise au succès. Dans ce film tout est mauvais, du scénario qui fait de Napoléon un lâche et un imbécile, au choix des acteurs : Joachim Phoenix qui est par ailleurs un très bon acteur n’est peut-être pas très grand, mais il l’est encore beaucoup trop pour incarner Napoléon, Tahar Rahim incarnant Barras c’est plutôt cocasse. Sans parler que dans la réalité Joséphine de Beauharnais était plus âgée de quelques années que Napoléon, or ici elle est incarnée par Vanessa Kirby qui a près de vingt ans de moins que Joachim Phoenix. 

L’argent et le cinéma, des dérives continues 

La logique imbécile des plateformes est la suivante : acheter à prix d’or des réalisateurs huppés et des acteurs reconnus, puis de laisser faire sans souci que cela aboutisse à quelque chose qui tienne la route. Il semble que ces fiascos financiers s’accompagnent de fiascos artistiques, autrement dit que cet excès de liquidités qui ont arrosé le cinéma, aient complètement nuit à l’intérêt que les réalisateurs et les acteurs aient pu porter à leur sujet. On a présenté cela comme la conséquence de la guerre féroce que se livrent les plateformes pour conquérir un public. Mais c’est une erreur, le public est par nature volatile sur la toile. La vérité est que ces investisseurs ayant beaucoup de cash à dépenser, ils tentent de se refaire un prestige en produisant des daubes très chères qu’ils confondent avec la qualité. Ils se fient à la réputation de vieux réalisateurs, Martin Scorsese a 82 ans, Ridley Scott, 85 ! Il est probable que cette fantaisie, cette démesure, ne durera pas encore longtemps. Cependant, outre que de telles sommes privent le vrai cinéma de financement, elles pèsent sur la qualité de ces productions dites de prestiges et ne font guère de bien à la dynamique des entrées en salles. John Fithian, le CEO de la NATO, l’association des salles de cinéma américaines, a ainsi déclaré au New York Times : « les réalisateurs qui travaillent avec Netflix vendent leur âme, ils préfèrent l’argent à l’exposition de leur film en salles ». « Netflix, ce n’est pas du cinéma, c’est du streaming », avait de son côté déclaré Martin Scorsese, avant de signer avec Netflix pour The Irishman[1]. Souvent on nous dit que grâce aux plateformes sortent des films qui n’auraient pas vu le jour sans leur argent. Mais outre que The Irishman ne sortira jamais en salles, on se demande bien si pour faire Killers of Flower Moon on avait bien besoin de 200 millions de dollars, franchement cela ne se voit pas sur les écrans. 

L’argent et le cinéma, des dérives continues

A l’inverse Barbie a été un gros, un énorme succès en salles. Doté d’un budget de 150 millions de dollars, les campagnes de publicités et de promotion ont coûté encore 150 autres millions. Donc l’ensemble a nécessité 300 millions de dollars. Mais il en a rapporté 1,2 milliards de dollars, en salle, sans parler des produits dérivés et des éventuelles rééditions en numérique ou des passages sur les chaînes de télévision. Évidemment ce produit parfaitement calibré dont la nullité artistique ouvre des horizons nouveaux pour cette malheureuse industrie, n’a pas été conçu de la même manière que les grosses daubes dont nous avons parlé ci-dessus. Produit par un studio, avec la nécessité de rentabilité en bout de course, sa justification ne se trouve plus dans son budget, mais dans sa volonté de rassembler le public le plus large possible, quel que soit le niveau de créativité qu’on puisse lui attribuer. L’avantage que ce film produit pour les salles possède sur les produits filmés pour les plateformes est qu’il ne cache pas sa volonté commerciale derrière des arguments pseudo-artistiques. Il n’a pas honte de ce qu’il est : des images roses et idiotes pour les mangeurs de pop-corn ! Vous me direz qu’au bout du compte c’est la même merde. Vous n’aurez pas tout à fait tort, sauf que Barbie fait au moins tourner les salles ! On peut reconnaitre que le concept, s’il est moins que nécessaire, est original comme l’ont été dans leurs temps les déferlantes des films issus des Marvel. Il fallait en effet oser ! ce système instable de financement aboutit à une division en deux des films produits, d’un côté les daubes assumées, genre Marvel, ses séquelles et Rocky, ou Barbie, et de l’autre des films intimistes « à la française » qui se financent grâce au copinage de l’avance sur recettes, parfois soutenus par la critique plus ou moins professionnelle formée dans les facultés de lettres. Dans les deux cas celui qui a une connaissance même superficielle du cinéma se trouvera frustré, ne se reconnaissant dans aucun de ces segments de marché. 

L’argent et le cinéma, des dérives continues

Les échecs répétés des derniers films de Steven Spielberg, l’inutile remake de West Side Story a coûté 100 millions de dollars et n’en a rapporté que 76 millions en salles, or pour que ce film ne perde pas d’argent, il aurait fallu qu’il atteigne les 300 millions de dollars de recettes. Même Indiana Jones ne fait plus recette : le dernier épisode, le 5, sorti en 2023 est un fiasco : certes il a fait une recette mondiale de 300 millions de dollars, mais le budget de ce film étant du même niveau sans compter les frais de promotion, il lui aurait fallu engranger au moins le triple. Comme on le voit, la barre était trop haute. Certes ce n’est pas Spielberg qui le signe, mais James Mangold, cependant il en reste le producteur. Là encore mettre la barre si haut est la rançon de la démesure et dément l’idée stupide ancrée en France dans la tête de quelques producteurs peu avisés, ajouter de l’argent à l’argent pour faire un film n’est pas gage de succès, même et peut-être surtout si on vise un public large. Maïwenn en a fait la mauvaise expérience avec Jeanne du Barry. Budgété à 22 millions d’euros, avec la participation d’un acteur américain qui a fait des gros succès, Johnny Depp, le fim n’arrive en bout de course qu’à réunir une vingtaine de millions d’euros et encore parce que le film est un succès relatif en Russie… à cause de Pierre Richard sans doute ! En France il n’atteindra même pas le million d’entrées. Très loin donc de la rentabilité. Visant le marché à l’exportation, le film est globalement boudé à l’étranger, malgré une présentation réussie à Cannes. Comment interpréter cet échec ? Le sujet n’intéresse-t-il plus les foules ? La réalisation est-elle mauvaise ? Je ne me hasarderais pas à répondre à ces questions, en tous les cas un fiasco commercial est au minimum la preuve que le budget n’est pas adapté au projet développé. 

L’argent et le cinéma, des dérives continues

David Fincher avait acquis une petite réputation avec des films comme Seven, Zodiak ou Mank. Il a travaillé lui aussi pour Netflix – le cimetière des ambitions artistiques. On lui a donné 75 millions de dollars pour mettre en images une adaptation de la bande dessinée de Matz et Luc Jacamon, The Killer. L’idée était déjà un peu réchauffée, mais le problème n’est pas dans l’intérêt que peu représenter cette BD. C’est plutôt la question de son adaptation. Certes d’un côté elle fait assez bien apparaître le vide sidéral de la bande dessinée. Mais de l’autre elle pose la question de savoir où sont passés les 75 millions de dollars. Le scénario repose sur la vieille idée d’un tueur à gages qui se retourne contre ses commanditaires. Pourquoi pas ? Mais ce pensum philosophique sur le professionnalisme d’un tueur glacé et glacial, n’est qu’à peine l’occasion d’un voyage touristique aux quatre coins de la planète. Le film ne sortira pas en salles. La différence entre ce tueur et Jeff Costello le héros incarné par Alain Delon dans Le samouraï, c’est que le premier à l’air d’un idiot total, et il le confirme avec les commentaires stupides débités d’une voix monocorde pour nous donner une leçon de vie et de survie. Des 75 millions sur l’écran, il ne reste absolument rien du tout, on aurait pu faire la même chose avec dix fois moins d’argent. Une partie de la rentabilité de cet investissement provient de la place qui est accordée à la publicité pour MacDo, pour Amazon ou pour Ray Ban ! C’est un des films les plus mauvais que j’ai vu cette année. Un produit vantant les vertus de la marchandise, sans contenu, si ce n’est une fascination pour le vide sidéral de la vie moderne. Mais je me doute bien que David Fincher dont on nous dit qu’il aurait porté ce projet pendant des années, n’a pas des intentions critiques à mettre en scène cette daube. Cependant, la             vraie question n’est pas dans la qualité du produit final, mais dans son coût de production. L’acteur principal est médiocre, les autres aussi d’ailleurs, et le poste important est sans doute le cachet de David Fincher, encore plus que les voyages touristiques qui servent de support à cette connerie. On me rétorquera que le film fait un carton auprès des malheureux abonnés de Netflix. Il y aurait eu près de 30 millions de visionnages en une semaine. C’est bien possible, encore qu’il soit difficile de comprendre comment 75 millions de dollars peuvent être amortis, ou encore si ces chiffres extravagants ne font pas partie de la campagne promotionnelle non pas du film, mais de Netflix. Quoi qu’il en soit ce succès ne justifie pas les investissements. Mais Fincher qui a manifestement renoncé à faire du cinéma a déclaré qu’il allait de nouveau travailler pour Netflix. 

L’argent et le cinéma, des dérives continues 

Dernier exemple en date, le film « social » ou « politique » qui pullule en France ces dernières années et qui n’intéresse personne. Certains films ont obtenu des petits succès, par exemple les films de Stéphane Brizé avec Vincent Lindon ou Les misérables de Ladj Ly. Beaucoup ont tenté de copier la martingale, prendre un sujet brûlant, des acteurs de la diversité, un ou deux professionnel et une promotion clinquante sur toutes les chaînes de télévision. Avant que les flammes ne s’éteignent, de Mehdi Fekir avec Camélia Jordana, plus ou moins inspiré de l’affaire Adama Traoré qui a coûté 2,5 millions d’euros, est un fiasco total, projeté dans des salles vides, avec 6 spectateurs en moyenne ! Dans ce cas-là on peut penser que c’est un excès de militantisme et de pédagogisme qui a coulé l’ensemble. Cette tendance est en réalité encouragée par l’avance sur recettes. Pour ce dernier film, près de quarante pour cent du budget provient de ce système, issu non pas de l’argent public comme on le dit parfois, mais d’une fraction de la TSA prélevée sur la billetterie, alimentée entre autres par les grosses productions américaines du style Barbie. La même mésaventure était arrivée au film de Bernard-Henri Lévy. Il avait commis un film sur l’Ukraine, financé presqu’exclusivement par l’avance sur recette et 300 000 € de France Télévision. Mais ce film a été un autre fiasco encore plus important, il a réuni à peine plus de mille spectateurs. Même pas de quoi payer les affiches. Ces deux derniers films montrent que, masqué ou ouvert, le but d’une partie du cinéma d’aujourd’hui est la propagande. Certes cela a toujours été plus ou moins le cas, par exemple avec 99% des films de guerre américains, mais les méthodes de financement d’aujourd’hui semblent de moins en moins laisser de la place à la créativité. Ce n’est pas tant que les films d’aujourd’hui manifestent des engagements politiques, même Barbie le fait, mais plutôt que ces engagements prennent les spectateurs pour des imbéciles en leur indiquant non pas ce que le réalisateur pense, mais ce qu’eux doivent en penser ! Ce ne sont plus des artistes, mais des influenceurs ! Les normes édictées par Hollywood pour pouvoir participer à la course aux Oscars ne vont pas aider à débrider l’inspiration. Pour la 96e édition de la cérémonie des Oscars en 2024, l’Académie a fixé un seuil de « représentativité et d’inclusion » que devront remplir les films qui veulent concourir pour la catégorie meilleur film. Ces normes sont directement inspirées des « standards de diversité » mis en application depuis 2016 par le British Film Institute, agence de financement cinématographique publique, et depuis 2019 pour les British Academy Film Awards[2]. C’est à la fois une stupidité et le résultat d’une bureaucratisation du monde. En effet on aboutit ainsi à envisager que James Bond soit noir, une femme et pourquoi pas un bossu – soit exactement l’inverse de ce que voulait Ian Fleming, mais à l’inverse si on envisage un blanc dans la peau d’un noir, façon Le chanteur de jazz, on va crier à l’appropriation culturelle. Cela a forcément un impact sur les films qui seront financés ou non dans le futur. En effet l’argent qui est investi dans des mauvais films ne peut se justifier que si ces mauvais films sont rentables, puisque cette rentabilité permettra peut-être de financer de bons films. Mais si ces mauvais films sont des fiascos commerciaux, ils privent les potentiellement bons films de financements. 

L’argent et le cinéma, des dérives continues

Comme on le comprend le cinéma est toujours le reflet des soubresauts socio-économiques de la société. La mondialisation est en panne sur tous les plans, et pour ce qui nous concerne, si elle a tué les cinématographies nationales jadis si florissants – italienne, française, mexicaine par exemple – pour laisser place à la démesure de la cinématographie étatsunienne, elle a même fini par tuer celle-ci. En effet, à vouloir unifier le marché du cinéma sous leur direction, les studios américains et leurs plateformes ne produisent plus que des marchandises sans saveur, intérêt artistique. Les bouleversements du cours de l’histoire que nous avons vécu ces derniers temps ont fait apparaitre une montée en puissance des cinématographies asiatiques, et à l’inverse le déclin du cinéma occidental. Ce qui ne veut pas dire évidemment qu’ici et là on ne trouvera pas un bon film américain ou français, mais seulement que ce loisir anciennement populaire n’est plus structurant de ce qu’est devenue notre civilisation. Il faut se souvenir que plus les circuits de financement sont lourds et opaques et plus cela déteint sur la créativité. Aujourd’hui, globalement, les cinématographies occidentales ne représentent pas la réalité ni l’imaginaire de ce qui est vécu par les populations. Des gens, mauvais connaisseurs de l’histoire du cinéma, m’objecteront les films de Ken Loach, mais justement c’est cela qu’il ne faut pas faire, des films pour festivaliers et pour cette classe moyenne inférieure moutonnière toujours prompte à suivre les dernières injonctions de la sphère médiatique pour peu que cela lui donne l’occasion d’afficher sa bonne conscience. Les gens d’en bas ne vont pas voir les films de Ken Loach qui abrite ses mauvais rapports à la technique cinématographique derrière la nécessité de faire simple pour être accessible au populaire et l’éduquer à marche forcée sur le plan politique !

 

[1] https://queducult.fr/2021/01/31/netflix-et-le-cinema-la-mort-de-lindustrie/#:~:text=%C2%AB%20Netflix%2C%20ce%20n'est,rapprocher%20de%20la%20plateforme%20am%C3%A9ricaine.

[2] https://www.20minutes.fr/arts-stars/cinema/oscars/4061049-20231107-oscars-2024-films-devront-respecter-quotas-ethniques-tres-stricts-etre-eligibles

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