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Le blog d'Alexandre Clément

L’empire de la nuit, Pierre Grimblat, 1962

L’empire de la nuit, Pierre Grimblat, 1962 

Voilà un film d’une grande rareté. En effet, à sa sortie il n’était resté que quelques jours en salle, apparemment pour cause des histoires de procédures confuses. Mais L’empire de la nuit est aussi un film adapté et dialogué par Frédéric Dard. Grimblat retravaillera avec Frédéric Dard, c’était pour un téléfilm, Emmenez moi au Ritz. L’empire de la nuit, c’est le second long métrage de Pierre Grimblat qui, s’il ne connut pas un grand succès au cinéma, il en eut beaucoup par la suite en montant des séries pour la télévision. Sa série la plus connue est Navarro avec Roger Hanin pour dix-huit saisons et 108 épisodes, puis Série noire, d’après des ouvrages publiés en Série noire, avec 38 épisodes à la clé. Dans cette dernière série, il tournera deux épisodes lui-même, donnera l’occasion à plusieurs réalisateurs de renom d’intervenir, comme José Giovanni – deux épisodes – Yves Boisset, et même à Jean-Luc Godard pour un épisode adapté de James Hadley Chase avec Jean-Pierre Mocky comme acteur ! Il s’attaquera aussi à Simenon, pour 13 épisodes. Au cinéma il avait tenté l’aventure en mêlant comédie et film noir. Ça donnera deux films avec Eddie Constantine, et un autre film, Cent briques et des tuiles avec Jean-Claude Brialy et Marie Laforêt adaptant encore un roman de Série noire de Clarence Weff. Mais si on regarde de plus près, en réalité, L’empire de la nuit est très semblable dans sa tonalité et dans son intrigue aux Tontons flingueurs de Lautner qui sortira l’année suivante. Je ne sait pas si les scénaristes de Lautner se sont inspiré de ce film, mais en tous les cas l’idée de réaliser des parodies de films noirs était tout à fait dans l’air du temps. 

L’empire de la nuit, Pierre Grimblat, 1962 

Les frères Balkis prétendent prendre le contrôle de l’empire de la nuit 

Eddie Parker et son ami Sim sont des artistes de music-hall sur le déclin. Obligés de quitter les Etats-Unis, ils trouvent opportunément un contrat de David Balkis, l’empereur de la nuit qui possède plusieurs établissements à Paris. Mais à leur arrivée en France, ils apprennent que celui-ci est décédé. Forts de leur contrat, ils rentrent en contact avec les trois frères de Balkis qui en vérité veulent dépouiller la veuve de l’empereur de la nuit. Eddie intervient pour la défendre. Dès lors, Eddie et Sim vont rejoindre la cité des artistes, une résidence que David Balkis avait faite construire. On y trouve de tout, du magicien à l’acrobate en passant par les hercules de foire. Rapidement Eddie et Sim sont adoptés. Eddie rencontre alors la jeune Juliette qui est très attirée par lui. Les frères Balkis n’en restent pas là, terrorisant les pensionnaires de la maison des artistes, ils veulent faire signer à Geneviève, avec la complicité de l’ancien comptable de David,  la veuve, un document qui leur abandonnerait la direction des cabarets. Les frères Balkis envoie leur gorille armé d’un fouet pour remettre de l’ordre dans cette cité des artistes, mais le gorille va être défait par Eddie. N’arrivant à rien, les frères Balkis décident d’enlever l’enfant de Geneviève pour la faire céder. Eddie retrouve l’enfant. Cependant, le retour inattendu de David Balkis qui n’est pas mort, change les perspectives. Il donne ses ordres à ses frères, avant de repartir mourir dans un lieu tenu secret, qui décident hypocritement de tuer Geneviève. Mais le plus jeune des frères Balkis, Gaspard, est tué en faisant une mauvaise chute en affrontant Eddie. Tout le monde va se retrouver au Gay Paris, alors que le spectacle démarre, Eddie et Sim, aidés par les personnes de la cité des Artistes, vont affronter les frères Balkis et leurs sbires. Ils sortiront vainqueurs, mais ils repartiront, Eddie ne voulant pas choisir entre Geneviève et Juliette.

L’empire de la nuit, Pierre Grimblat, 1962 

Eddie et Geneviève se retrouve dans une étrange pièce 

C’est un scénario assez paresseux qui vise ouvertement la parodie du film noir. Frédéric Dard est soupçonné d’avoir écrit le scénario d’un autre film d’Eddie Constantine, Ça va barder de John Berry, dont le Fleuve Noir avait publié la novellisation. On n’en a pas la preuve formelle cependant. Mais en tous les cas, il y a une proximité évidente entre l’univers d’Eddie Constantine et celui de San-Antonio. La légèreté, un certain sens de l’humour, l’action et son prolongement dans le rôle du séducteur qui attire toutes les filles qui passent à sa proximité. Du reste chaque fois qu’Eddie Constantine s’est écarté de la légèreté, ça n’a pas été un succès, voir par exemple le fiasco du film de Jean-Luc Godard, Alphaville. Eddie Constantine à cette époque développait une image d’homme généreux, par exemple en mettant dans ses films toujours des enfants qu’il protégeait de gangsters sans foi, ni loi. Mais dans ce film il y a autre chose de très personnel à Frédéric Dard, l’amour qu’il portait aux artistes de music-hall et du cirque. C’est un thème qui revient plusieurs fois sous la plume de Frédéric Dard, sous différentes signatures d’ailleurs. La femme à barbe lui plaisait beaucoup ! 

L’empire de la nuit, Pierre Grimblat, 1962 

Eddie arrive dans la Maison des artistes 

Le sujet est donc Eddie appuyé par son ami Sim, qui défend la veuve et l’orphelin, c’est le cas de le dire. Mais en même temps qu’il est attiré par la superbe veuve, il a aussi la volonté de séduire la jeune Juliette ! C’est donc bien une histoire de trio amoureux. Incapable de choisir, il renoncera à ses désirs sexuels et préférera se retirer de la scène. Par définition Eddie est un raté, c’est le contraire des frères Balkis qui accumulent l’argent et les femmes ! menant une vie errante, il n’a aucune ambition autre que celle de servir la justice, du moins ce qu’il entend par la justice. Il préférera la camaraderie d’un noir à l’idée de se fixer avec une femme. Derrière cette histoire, on trouve encore un autre thème, celui de l’opposition entre l’individualiste Eddie Parker et la communauté des artistes qui va agir sous sa direction d’une manière collective. Dès lors nous avons deux collectivités : celle des truands bas du front qui ne vivent que de leur propre méchanceté, et celle des artistes, des rêveurs quoi restent obnubilés par leur numéro qu’il perfectionne . 

L’empire de la nuit, Pierre Grimblat, 1962 

Le gorille des frères Balkis manie le fouet 

On pourra y voir aussi une critique de la famille, les frères Balkis sont fourbes et se trahissent entre eux. Mais la veuve Geneviève n’est guère plus claire, que faisait elle avec son mari ? Elle dira, c’était un bon mari, mais c’est la formule d’usage pour décrire une relation où l’amour n’a pas sa place. Les gens du milieu sont représentés comme des demeurés, comme si leur seul talent était celui d’utiliser la violence. On aura droit au portrait du plus jeune des Balkis qui court dans les couloirs après Juliette, et qu’il faut enchaîné car il ne se maitrise pas. Les trois frères sont Gaspard, Melchior et Balthazar, des rois mages tellement modernes qu’ils menacent physiquement l’enfant auquel ils n’apportent pas de cadeaux ! Mais quand Eddie refuse de choisir entre les deux femmes, il refuse la famille comme une contrainte à porter, trop lourde pour lui. 

L’empire de la nuit, Pierre Grimblat, 1962 

On vient d’annoncer à Geneviève que son fils a été enlevé 

La tonalité de l’ensemble est la caricature, comme le sera Les tontons flingueurs. Mais Frédéric Dard s’était déjà avancé sur ce terrain, avec La bande à papa, un film de Guy Lefranc, tourné en 1956, avec Fernand Raynaud et Louis de Funès. La veuve faussement éplorée est belle et séduisante, les gangsters sont affreux, on en verra qui évidemment parlent avec un accent corse à couper au couteau. Le comptable est véreux. Mais Eddie est aussi une caricature qui va rencontrer sa propre caricature sur laquelle on s’est exercé à faire des cartons ! Cette image fantaisiste le renvoie à sa propre dérision. Malgré la supposée gravité de la situation, il n’y a nulle crainte, et on verra très peu de morts, c’est à peine si les frères Balkis seront occis.  

L’empire de la nuit, Pierre Grimblat, 1962 

Les hommes de main des Balkis investissent la Maison des artistes 

La mise en scène avait étonné à cette époque, saluée par la critique pour sa vivacité. Car Pierre Grimblat venait du milieu des films publicitaires qui ne s’accommodent pas des rythmes lents. La photographie est excellente, elle est due à Michel Kelber, prestigieux photographe dont la très longue carrière l’amènera à côtoyer aussi bien Julien Duvivier que Robert Siodmak ou Claude Autant-Lara. L’utilisation de l’écran large, 2,35:1, donne beaucoup de champ, et quelque chose de moderne dans la conduite du récit. Les bagarres sont assez platement filmées, mais il y a quelques scènes très intéressantes, la poursuite de Juliette dans les couloirs, ou encore quand Eddie grimpe dans les cintres pour agrafer Melchior. 

L’empire de la nuit, Pierre Grimblat, 1962 

Gaspard poursuit Juliette dans les couloirs 

Ce côté farceur va être renforcé par la présence d’Eddie Constantine qui fait comme à son ordinaire du Eddie Constantine. Cet acteur souriant venait du music-hall, on le verra ici dans l’ébauche d’un numéro de music-hall avec Harold Nicholas, chanteur et danseur de claquettes. Cet aspect décontracté permet d’éviter de se poser la question de leur qualité de jeu d’acteur. Évidemment si vous n’aimez pas l’acteur, vous n’aimerez pas le film. dans la distribution, il faut remarquer Elga Andersen dans le rôle de la veuve éplorée, une actrice sculpturale, qui rata complètement sa carrière à cause d’une vie absolument dissolue. Geneviève Grad incarne la jeune Juliette dans son innocence, elle trouvera le chemin du succès aux côtés de Louis de Funès dans la série du Gendarme de Saint-Tropez en incarnant la fille Cruchot. Le trio des frères Balkis, les affreux est incarné mollement par Michel de Ré, une vedette de la télévision et du théâtre de l’époque, il est Melchior. Claude Cerval un habitué des polars fauchés et des pornos soft à la José Bénazéraf, incarne Balthazar, à sa manière paresseuse qui faisait merveille dans le rôle d’une crapule. Plus inattendu est Guy Bedos dans le rôle de Gaspard, l’obsédé criminel et sexuel qu’il faut tenir en laisse pour éviter les dérapages. 

L’empire de la nuit, Pierre Grimblat, 1962 

Le retour de David Balkis est surprenante 

L’ensemble est un film noir parodique qui donne une idée décalée de ce qu’était la France du début des années soixante, alors qu’elle commençait à sortir de la misère et de la Guerre d’Algérie. Le film n’a eu qu’un succès tronqué pour les raisons que j’ai dite ci-dessus, mais enfin, en France il a passé le million cent milles de spectateurs et il s’est bien vendu en Espagne et en Allemagne. C’est tout de même intéressant qu’il soit de nouveau accessible, aussi bien pour les fans d’Eddie Constantine que pour ceux de Frédéric Dard, et les nostalgiques de la France des années soixante. Il est réapparu grâce à la chaîne de VOD TV5Monde qui est gratuite et facile d'accès.

L’empire de la nuit, Pierre Grimblat, 1962 

Eddie traque Melchior dans les cintres

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