Eklablog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog d'Alexandre Clément

L’enfer dans la ville, Nella Citta l’inferno, Renato Castellani, 1959

 L’enfer dans la ville, Nella Citta l’inferno, Renato Castellani, 1959

Renato Castellani est un cinéaste méconnu en France, ses films ont été assez mal distribués. Il commence sa carrière de réalisateur comme une sorte d’héritier du néoréalisme. Il tourne entre 1948 et 1952 une trilogie centrée sur la vie des gens de conditions modestes, Sotto il sole di Roma, E’ primavera, et Due solti di sperance. Le premier et le troisième opus seront couronnés par le Grand Prix de la Mostra de Venise qui à l’époque était un festival très sérieux. Toujours très intéressé par les histoires d’amour entre jeunes gens, il tournera un Roméo et Juliette en 1954 qui aura une diffusion internationale. Puis en 1963 il tournera Mare matto avec Belmondo et Gina Lollobrigida. Le film pourtant très bon n’aura pas de succès. Entre temps il avait donc réalisé Nella citta l’inferno. Comme pour la plupart de ses films, Castellani en a écrit le scénario avec Suso Cecchi D’Amico, une scénariste associée à de nombreux films néoréalistes dont Ladri di biciclette. Pour cela il s’est inspiré d’un roman d’Isa Mari. Elle a écrit quelques scénarios, mais surtout elle a travaillé comme scripte sur plusieurs films importants comme La dolce vita, ou Che gioia vivere de René Clément. C’est le seul roman qu’Isa Mari a écrit, encore qu’il est possible que le roman ait été une novellisation du film. C’est un film de femmes et un film de prison. Il y a beaucoup de thèmes qui vont rapprocher cette histoire de films antérieurs, d’abord Caged de John Cromwell[1] pour ce qui concerne la transformation de Lina d’une fille naïve et un peu simple en une prostituée qui vit avec les gens du milieu, ensuite Yied in the Night de J. Lee Thompson[2] pour ce qui concerne la prise de conscience de ce qu’est l’emprisonnement et quelles fautes ces femmes ont commises pour s’y retrouver coincées. Mais c’est un film italien, il sera donc relativement moins violent, et les relations entre les prisonnières vont être empreintes d’un certain optimisme.   

 L’enfer dans la ville, Nella Citta l’inferno, Renato Castellani, 1959

 Lina, une jeune domestique, a été compromise dans le vol de ses patrons. Elle atterrit en prison et est très effrayée. Elle rejoint une cellule surencombrée, et elle va raconter ses aventures. Comment elle est venue de son village, comment elle a rencontré un certain Adonis avec qui elle croit être fiancée. Dans cette cellule elle va rencontrer Egle – prononcer églé, prénom en référence à la mythologie grecque, Virgile qui a tant compter pour la culture italienne la cite dans Les bucoliques – qui est une femme forte en gueule qui semble régner sur ce quartier de la prison. Elle prend en charge Lina et lui explique comment se comporter en prison. De leur côté les sœurs qui gardent et gèrent la prison, s’inquiètent de la fragilité de la nouvelle qui n’est pas une délinquante. On assiste alors à la vie quotidienne en prison, les séances de cinéma, la lessive, les disputes entre les filles. Lina et Egle vont pourtant être séparées. Egle s’occupe de Marietta qui avec un petit miroir peut arriver à voir la rue. Toutes les deux cherchent à savoir qui est ce jeune homme qui chante souvent sous leurs fenêtres. Elles vont découvrir qu’il s’appelle Piero et vont commencer à discuter avec lui. C’est surtout Marietta qui est intéressé par lui. Pendant ce temps, Lina est confrontée à l’escroc Zampi devant le juge d’instruction. Le juge comprend que celui-ci tente de chargé médiocrement Lina pour éviter la prison. Lina va être bientôt relâchée. 

L’enfer dans la ville, Nella Citta l’inferno, Renato Castellani, 1959

Lina arrive en prison complètement effrayée 

Lina a de la peine à échapper à la prison en ce sens qu’elle y a trouvé un certain réconfort, des copines, une certaine solidarité. Avant de partir, une fille lui jette du sel en lui demandant de ne pas se retourner si elle ne veut pas revenir, mais Egle appelle Lina et celle-ci se retourne. Egle est morose, elle va se prendre de bec et se battre avec Vittorina, une femme qui a assassiné son bébé et qui semble folle. Piero a écrit à Marietta et semble amoureux. Egle est bouleversé par cette nouvelle situation et engage Marietta à lui répondre. Egle est de plus en plus nerveuse, et supporte de moins en moins la prison, au mitard elle panique. Elle se rend compte que le temps passe vite et qu’elle commence à ne plus être toute jeune. Quelques temps après, Lina est de retour, elle est de nouveau en taule, mais on comprend qu’elle se prostitue maintenant et qu’elle s’est émancipée grâce à la prison. Egle ne veut plus la voir et se désole qu’elle ait sombré dans la turpitude. Lina raconte d’ailleurs qu’elle rencontré le fameux Piero, l’amoureux de Lina, dans l’exercice de ses nouvelles activités. Mais cela ne va pas empêcher que Marietta et Piero vont finir par se rencontrer, celui-ci venant lui rendre visite en prison. C’est sur l’image d’un chaste baiser qu’ils échangent que se clôt le film.  

L’enfer dans la ville, Nella Citta l’inferno, Renato Castellani, 1959

 Les sœurs s’inquiètent de la fragilité de Lina 

Si on a bien suivi le déroulé de cette histoire, on comprend que si le thème est le même que les films noirs qu’on a cités, le traitement est assez différent. Comme je l’ai souligné en commençant, Castellani est vraiment l’héritier du néoréalisme, et la présence de Suso Cecchi D’Amico renforce cette filiation. Ce qui veut dire qu’on va s’intéresser à la fois aux caractères et aux gestes de la vie quotidienne de ces femmes qui sont enfermées. Il y a une description minutieuse des conditions carcérales des femmes qui ne tombe jamais dans le misérabilisme. Il reste toujours un peu d’optimisme. Cet optimisme c’est l’amour de Piero et de Marietta, quoique cela soit légèrement tempéré par ce que rapporte Lina qui a connu Piero comme client de prostituées. C’est typique de Castellani de mettre en scène des jeunes gens innocents, quoi qu’on en dise, qui sont aspirés par une passion qui les élève au-dessus de leur condition. C’est dans la trilogie que nous avons évoquée, et bien sur dans le Roméo et Juliette. A partir de là vont s’opposer les caractères. Il y en a trois qui servent d’armature à l’histoire. D’abord Egle, le caractère fort qui organise la vie autour d’elle en imposant son code. Cependant, au fur et à mesure que sa détention se prolonge, elle est de moins en moins sure d’elle, on la verra se laisser aller au désespoir, tant elle se rend compte qu’elle perd sa vie à entrer et sortir de prison sans changement pour elle. Malgré tout elle porte une certaine idée de l’humanité. Elle vient en aide comme elle le peut, à Marietta et à Lina. Cette dernière la décevra parce qu’elle sombre dans la prostitution.   

L’enfer dans la ville, Nella Citta l’inferno, Renato Castellani, 1959

Lina raconte son histoire 

Lina représente le caractère faible. Cette domestique qui arrive de son village dans la grande ville qu’est Roma, se laisse toujours aller à écouter et suivre n’importe qui. Après avoir écouter le soi-disant Adonis, elle suit Egle sans se poser de question, puis en suite Vincenza qui va l’introduire dans le milieu de la prostitution. Et puis il y a Marietta, elle n’est pas vraiment naïve, c’est une innocente qui croit qu’elle peut s’en sortir en rencontrant un grand amour. Elle fascine pour cela Egle qui au contraire fait semblant de ne croire à rien. Toutes ces femmes sont pauvres, y compris celle qui va accoucher en prison et qui pond régulièrement des gosses. L’ensemble de ces filles forment une communauté de destin, avec les sœurs qui les gardent. Seule Vittorina qui semble folle vient semer le trouble. Si on comprend le vol, la prostitution et d’autres turpitude, l’infanticide ne se comprend pas. Autrement dit les écarts de conduite ne vont pas jusqu’à remettre en cause les idées dominantes de la société sur la famille, les enfants, l’argent et son usage. 

L’enfer dans la ville, Nella Citta l’inferno, Renato Castellani, 1959

La comtesse propose ses services rémunérés à Lina

L’enfer dans la ville, Nella Citta l’inferno, Renato Castellani, 1959

Egle explique à Lina comment se comporter en prison 

Il vient alors que la solidarité qu’on perçoit chez ces femmes n’est pas une façade. Contrairement aux films anglo-saxons sur le même thème, les conflits inévitables entre les détenues apparaissent relativement secondaires en regard de cette solidarité naturelle. Rien de scabreux là-dedans. C’est à peine si Castellani esquisse l’idée d’amours lesbiennes entre les détenues, avec cette jeune femme qui va être libérée et qui semble regretter celle qui manifestement était sa compagne de détention. La sortie de chaque fille est un point d’interrogation. Quand Lina s’en va et qu’une fille lui jette du sel, on comprend qu’elle va revenir parce qu’elle s’est retournée. Autrement dit la prison est un passage difficile à surmonter pour un retour à la vie civile, mais en même temps c’est un endroit où se trouve une nouvelle forme de famille. Quand Lina revient, elle a l’air contente, elle va retrouver Egle ! 

L’enfer dans la ville, Nella Citta l’inferno, Renato Castellani, 1959

Les filles ont droit au cinéma

La réalisation est posée à la fois en tenant le fil d’une évolution des filles, celle de Lina, d’Egle ou encore Marietta, mais en même temps à partir de scènes de la vie quotidienne en prison. Les filles font la lessive, frottent le parterre, comme si c’était le moyen de leur rachat. Mais elles vont aussi au cinéma, à la messe, chantent, s’amusent, parfois oubliant leur misérable condition. Peu de rapports avec l’extérieur finalement, et presque pas avec les hommes dont pourtant elles rêvent. Il y a quelques scènes qui cassent ce quotidien, par exemple la confrontation de Lina avec l’escroc Zampi, bien connu des services de police, qui tente de charger Lina lâchement pour s’en sortir. C’est drôle, mais c’est un rire grinçant dans la mesure où on se demande si le juge va le suivre. Et puis il y a cette scène finale entre Marietta et Piero qui laisse une porte ouverte sur l’espoir. 

L’enfer dans la ville, Nella Citta l’inferno, Renato Castellani, 1959

A l’aide d’un miroir Egle peut voir la rue 

Si la manière de filmer laisse comprendre la claustrophobie de l’enfermement, Castellani évite de sombrer dans l’horreur. De même quand il filme les couloirs de la prison il s’écarte des standards anglo-saxons du film noir. Bien sur les barreaux sont importants, mais on n’insiste pas sur les longs couloirs qui expriment l’absence d’espérance, et le vide de la vie carcérale. Au contraire ces couloirs sont occupés, bruyants, plein d’une vie qui déborde. Beaucoup de scènes se passent en dehors des cellules, au lavoir pour la lessive, dans la cour pour préparer la visite des politicards et des journalistes, dans la salle de cinéma, à la messe. Tout cela donne une idée d’une vie difficile, mais qui n’a pas perdu pour autant son attrait. Le fait que les sœurs gèrent les lieux est assez curieux, puisqu’en effet, elles semblent assez conciliantes, mais c’est comme si la religion punissait celles qui ont péché. 

L’enfer dans la ville, Nella Citta l’inferno, Renato Castellani, 1959

Les filles travaillent à la lessive 

Castellani utilise curieusement l’écran large. Cela a plusieurs significations, d’abord d’éviter l’étroitesse du point de vue et donc de donner concrètement de l’espérance. Ensuite, les plans généraux permettent de mieux saisir les formes d’ensemble, la collectivité. A l’inverse quand Lina se rend chez le juge d’instruction, Castellani réduit l’écran en filmant l’arrivée de Lina à travers l’ouverture d’une porte, ouverture réduite à un carré au milieu de l’écran noir. Le format 2,35 :1 permet aussi de saisir le lavoir et les filles qui y travaillent en donnant une importance à la détermination matérialiste des comportements. 

L’enfer dans la ville, Nella Citta l’inferno, Renato Castellani, 1959

Lina est confrontée à l’escroc Zampi qui s’est servi d’elle pour voler ses patrons 

L’interprétation est de haut niveau. Le film est italien, et donc il va reposer pour beaucoup sur le jeu des acteurs qui sont tous magnifiés. On a l’impression qu’on ne voit plus de nos jours des artistes de cette force. La performance d’Anna Magnani dans le rôle d’Egle, est excellente et domine tout le film, elle sera saluée par plusieurs prix d’interprétation mérités. Certes cette actrice est souvent exubérante, mais ici son abattage dont un sens au film. C’est une rebelle dans l’âme. Mais Giulietta Masina est aussi excellente. Habituée aux rôles de pauvre fille naïve et abusée, elle passe de cette forme d’innocence pleurnicharde au début à la prostituée pleine d’assurance. Elle est moins présente à l’écran qu’Anna Magnani, mais le long monologue où elle raconte, assise sur le lit, entourée de ses compagnes d’infortune, sa triste vie de bâton de chaise, est époustouflant. Rien que pour voir cela, le film vaut le détour. 

L’enfer dans la ville, Nella Citta l’inferno, Renato Castellani, 1959

Egle se bat avec Vittorina qui a tué son enfant 

Les autres filles sont tout aussi remarquables. L’excellente Cristina Gajoni qui débutait dans le métier et qui n’avait pas encore vingt ans, illumine le film dans le rôle de Marietta. Il est curieux qu’elle n’ait pas fait par la suite une meilleure carrière, navigant le plus souvent dans des productions de second ordre. Il y a également Myriam Bru qui est aussi très présente dans le rôle de Vittorina, la mère infanticide. Dans l’ensemble, les autres prisonnières ont de la gueule. La production s’est assuré le concours de deux acteurs très connus à cette époque pour les petits rôles des hommes. On a ainsi Alberto Sordi dans le rôle de l’escroc Zampi qui fait un numéro de grande classe qui arracherait presque les larmes au juge d’instruction si celui-ci ne savait pas à quoi s’en tenir sur son passé judiciaire. Et puis Renato Salvatori qui a une scène importante à la fin du film quand Piero rencontre Marietta pour la première fois. Le plus souvent habitué à des rôles de brute ou de grossier personnage – il tournera l’année suivante dans Rocco e i suoi fratelli, le chef d’œuvre de Visconti. Il est ici tout en retenue.  

L’enfer dans la ville, Nella Citta l’inferno, Renato Castellani, 1959

Egle comprend que Marietta aura peut-être de la chance de trouver un amoureux 

La photo de Leonida Barboni qui a travaillé pour les meilleurs réalisateurs italiens dans les années 50 et 60, est excellente, bien contrastée. C’est un très bon film avec beaucoup de sentiments et de tendresse pour ces filles qui ont mal tourné. Malheureusement ce film n’est disponible qu’en DVD en version originale sans sous-titres. Sa haute qualité devrait inciter les producteurs de Blu ray à le mettre sur le marché 

L’enfer dans la ville, Nella Citta l’inferno, Renato Castellani, 1959

Lina est revenue en taule, maintenant elle se prostitue 

L’enfer dans la ville, Nella Citta l’inferno, Renato Castellani, 1959

Marietta rencontre Piero

  



[1] http://alexandreclement.eklablog.com/caged-femmes-en-cage-john-cromwell-1950-a114844926

[2] http://alexandreclement.eklablog.com/peine-capitale-yield-in-the-night-j-lee-thompson-1956-a214883593

 

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article