Eklablog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog d'Alexandre Clément

L’entraîneuse fatale, Manpower, Raoul Walsh, 1941

Ce n’est certainement pas ce que Raoul Walsh aura fait de mieux dans sa carrière, faites de hauts et de bas, il tournait beaucoup trop. Bien entendu, il a fait un certain nombre de chefs d’œuvres de films noirs, comme par exemple White Heat[1] ou encore High Sierra[2]. Ces dernières années, on a tenté de réhabiliter cette histoire, avançant qu’on y était passé un peu à côté. C’est un film qui a été construit sur un ensemble de recettes bien maîtrisées par la Warner, avec un gros budget. Ce sera d’ailleurs un gros succès public. Il faut dire que l’affiche réunit les grosses vedettes de ce début des années quarante. Edward G. Robinson, George Raft et Marlene Dietrich sont au sommet de leur popularité. Raoul Walsh, le réalisateur fétiche de la Warner, également. C’est produit par Mark Hellinger, celui qui en quelque sorte lancera vraiment le film noir comme un genre, inaugurant cette manière de filmer dans des décors naturels et introduisant le commentaire en voix-off. Cet ensemble de vedettes ne fut pas facile à gérer, on dit même que sur le tournage Robinson et Raft qui dans le film s’affrontent, en vinrent réellement aux mains. C’est un film qui semble répéter la structure de They Drive by Night avec Raft, Bogart et Ida Lupino, c’est-à-dire l’histoire d’une amitié virile qui va être menacée par une femme[3]. Les héros de cette histoire sont des gens simples, des travailleurs, c’est la marque de la Warner de cette époque, mais c’est déjà l’idée que la virilité se trouve chez ces gens. Si ce thème n’est pas nouveau, et si on le retrouve souvent chez Raoul Walsh, c’est aussi une manière d’évoquer aussi la solidarité masculine. C’est donc le thème du trio chez les prolétaires. Si le thème du trio se retrouvera régulièrement dans le film noir, c’est parce qu’il est l’image de la fatalité, la passion qui déborde la raison. 

L’entraîneuse fatale, Manpower, Raoul Walsh, 1941

Hank a morflé une décharge vicieuse 

Hank qui est boiteux, suite à un accident, travaille avec son ami Johnny sur des équipe de maintenance de lignes électriques à haute tension. C’est un travail difficile, compensé par un esprit d’équipe et de bonne humeur avec les ouvriers. Ce sont des hommes rudes, mais Hank aimerait bien se ranger et se marier. Le vieux Pope a une fille, dont le métier est entraîneuse, elle est en prison pour avoir volé le portefeuille d’un client. Johnny et Pope vont donc chercher Fay. Les rapports entre cette jeune femme délurée et revenue de tout sont très mauvais, Johnny la méprise pour le métier qu’elle fait, et elle montre peu d’empathie pour son père et Johnny. Mais Hank va tomber amoureux d’elle. Alors qu’elle a trouvé un emploie dans un cabaret comme entraîneuse, Hank va lui faire des cadeaux et lui proposer le mariage. Elle n’en croit pas ses oreilles, ayant été traitée plutôt comme une trainée par les mâles. Entre temps Pope décède d’un accident du travail. Et Hank redouble d’effort pour dire à Fay qu’il est là pour elle, pour l’aider et pour la protégée. Cependant Johnny qui est au courant de ce projet va tout faire pour le contrecarrer, allant jusqu’à la menacer dans le cabaret où elle travaille. Officiellement il veut le protéger de celle qu’il pense être une grue. Cette démarche de Johnny va pousser au contraire Fay a accepter le mariage.   

L’entraîneuse fatale, Manpower, Raoul Walsh, 1941

Pop et Johnny sont venus accueillir Fay à sa sortie de prison 

Le mariage a lieu. Le soir des noces Hank se bourre la gueule et Johnny menace Fay pour qu’elle se tienne à carreau. Mais celle-ci veut jouer le jeu et s’applique à devenir une bonne maîtresse de maison. Mais le travail garde ses exigences. Hank est devenu maintenant chef d’équipe. C’est cette fois Johnny qui a un accident. Il est sauvé in extremis, on l’amène à l’hôpital, mais Hank veut que Johnny vienne chez lui pour se reposer. Si au début Johnny et Fay se font la gueule, bientôt un flirt s’ébauche entre eux. Elle se décide cependant à quitter Hank et veut partir pour Chicago. Elle va trouver Smiley, le propriétaire de la boîte de nuit où elle travaillait, mais le sort s’en mêle, la police organise une descente dans la boîte de Smiley, et Fay se retrouve au ballon. C’est Johnny qui va la chercher. Après qu’il ait payé la caution, elle lui avoue qu’elle l’aime et qu’elle partait pour cette raison. Johnny lui met une rouste. Mais Hank qui se trouve sur un chantier dangereux apprend que Johnny s’en est mêlé. Il est d’autant plus en colère que Fay – toujours particulièrement bien inspirée – lui apprend qu’elle le quitte. Sur les pilonnes du chantier, les deux hommes se battent, mais Hank glisse est se tue. Fay décide de partir, mais Johnny la rattrape et la retient auprès de lui. 

L’entraîneuse fatale, Manpower, Raoul Walsh, 1941 

Hank chasse un intrus de chez Fay 

La première remarque qui vient à l’esprit en voyant ce film, c’est qu’il est excessivement bavard. Les dialogues cherchent le bon mot, et surtout quand il s’agit des ouvriers, c’est vraiment lourdingue. Il vient que ces bavardages incessants, loin d’expliciter l’histoire, apparaissent redondants et la plombe. La seconde remarque est que le scénario – relativement simple – est très déséquilibré. Il y a trois temps, la vie dure des prolos, leur solidarité, etc. Ensuite l’aspect grotesque et dérisoire de leurs loisirs, pauvres de contenu. Puis enfin, la question du trio où tout le monde ment, ce qui conduit inévitablement au drame final. Le second aspect est assez douteux et très pénible à suivre. Pour la question du trio, si le film noir est marqué à la fois par la fatalité des passions et l’ambiguïté, alors, Manpower est bien un film noir. Johnny est un menteur, en vérité, un gros jaloux qui faisant semblant de se soucier de son ami Hank, travaille en vérité dès le début à démonter ce couple improbable. Fay se veut honnête, mais ce faisant elle fait que des conneries et finit par être responsable de la mort de Hank. Celui-ci n’est pas très clair non plus, en effet, il possède une belle femme, une belle maison, mais il fait tout pour que Johnny pénètre dans leur intimité. 

L’entraîneuse fatale, Manpower, Raoul Walsh, 1941

Johnny tente d’empêcher le mariage de Hank et Fay 

Comme toujours avec ce genre de films, il y a ce qui est dit et ce qui est montré à l’image. Fay est une voleuse et une pute. Certes, elle a ses excuses, sa vie n’a pas toujours été rose, et sans entrer dans les détails, il semble bien que son père, qu’elle évite de pleurer à sa mort, l’ai maltraitée, peut être violée, même. Ce qui expliquerait son attrait pour les bas-fonds. Hank est un ivrogne, et au lieu de baiser sa femme, il ronfle comme un sonneur, tandis qu’elle lit un livre. Cette scène est d’ailleurs la clé du film. Les images laissent entendre qu’Hank est impuissant. Il est boiteux, pas très beau, il manque de classe. Johnny à l’inverse a plus de classe, et puis il lui fout une trempe, ce qui renforce son désir pour lui. Comme on le comprend, il y a une volonté de bafouer les codes de la morale ordinaire, tout en restant dans le cadre de ce que ce début des années quarante permet au cinéma. Cet aspect parfaitement perceptible dans son amoralité est de loin le plus intéressant du film, mais il faut bien reconnaitre qu’il n’est guère développé.

L’entraîneuse fatale, Manpower, Raoul Walsh, 1941 

Hank et Fay se marient 

L’ambigüité des personnages s’étend bien au-delà des principaux protagonistes, Pope sous ses dehors affables de vieillard bien tranquille, se trimbale un lourd passé de père fouettard qui a finalement poussé sa fille vers les bas-fonds. Et puis il y a l’autoritaire Smiley, malgré ses airs sévères, il tentera d’aider Fay pour qu’elle retrouve un job à Chicago. C’est sans doute un maquereau mais il n’est pas totalement mauvais. On assiste aussi à deux formes de solidarité, celle, très professionnelle, entre les ouvriers qui travaillent dangereusement, mais qui se battent aussi entre eux comme un loisir d’après boire. Et celle des filles qui se trouvent autour de Fay et la conseillent, elles sont surtout solidaires pour ce qui concerne les affaires de cœur et donnent facilement des conseils en quête d’une vie stable et tranquille. 

L’entraîneuse fatale, Manpower, Raoul Walsh, 1941

Hank goûte le bonheur simple d’avoir une femme à la maison 

Fay n’arrête pas de se poser des questions sur l’amour, sur le fait qu’elle n’arrive pas à aimer Hank. Le film présente ce travail de la passion amoureuse comme une simple extension du caractère féminin irrésolu. Sous ses dehors de grande gueule, de fille délurée, revenue de tout, elle reste dans un rêve travaillé par des images de prince charmant. Il est à noter que dès le début, elle se méfie de Hank, essentiellement parce qu’il est bon avec elle ! C’est un train de caractère qu’elle ne comprend pas parce qu’elle-même ne connait pas l’idée de don. Certes Johnny est lui aussi plutôt irrésolu, avançant qu’il veut se tenir loin de Fay parce qu’elle lui fait peur, mais qui finalement va finir par la dresser. 

L’entraîneuse fatale, Manpower, Raoul Walsh, 1941

Johnny se retrouve à l’hôpital 

Il y a beaucoup de mauvaises choses dans la réalisation même. D’abord le fait que le prolétaire Hank, le boiteux, possède une superbe maison de cadre de haut niveau n’est guère heureux. Ensuite les scènes répétitives tournées à l’hôpital célébrant grotesquement la fantaisie des prolétaires qui passent leur temps à courir les filles. C’est censé être drôle, en réalité c’est posé là pour dédramatiser le drame et c’est sans doute cela qu’on peut reprocher à Raoul Walsh, cette indécision dans la tonalité de l’ensemble. A côté les scènes qui célèbrent le travail difficile et dangereux des ouvriers sont plutôt assez réussies. La photo est très bonne, due au vétéran Ernest Haller, celui qui avait filmé aussi bien Gone with the Wind que The Maltese Falcon, celui de John Huston. L’ensemble du film est baigné de pluie dans une ambiance nocturne, ce qui appuie l’idée de confusion et le pessimisme général de l’ensemble. Tout le long du film, le suspense est soutenu par le fait de savoir si finalement Fay optera pour celui qui l’attire, ou pour celui qui lui file des roustes. Pour ménager la loyauté de Johnny, le scénariste paresseux, se débarrassera d’Hank en le faisant chuter du haut des pilonnes.  

L’entraîneuse fatale, Manpower, Raoul Walsh, 1941

Fay veut partir pour Chicago et quitter Hank 

La réunion de trois vedettes majeures d’Hollywood les pousse à un cabotinage éhonté. Le meilleur cabot c’est Edward G. Robinson qui, contrairement à George Raft, sait jouer de ses mimiques faciales. Mais enfin dans le rôle de Hank le boiteux, il n’est pas très crédible. Pour tourner ce film, George Raft avait refuser de faire The Maltese Falcon. On avait envisagé de faire appel à Humphrey Bogart pour le rôle de Hank, mais Raft qui ne l’aimait pas,  s’y est opposé ! Ce chassé-croisé, sera d’ailleurs à l’image de la popularité des deux acteurs. Le premier va multiplier les mauvais choix et descendre la pente des mauvais rôles, le second va devenir un des acteurs les plus emblématiques du cinéma américain. Même s’il est moins raide que d’ordinaire, dans le rôle de Johnny, George Raft, reste assez pâle. On se demande bien ce qui peut attirer Fay dans ce personnage taciturne. Marlene Dietrich, dans le rôle de cette prostituée, elle aussi, en fait des tonnes. Ses mimiques soulignant par trop ses origines allemandes. Claire Trevor avait été pressentie pour le rôle. La Dietrich n’est pas très bonne, mais c’est souvent le cas quand elle n’est pas dirigée par Josef Von Sternberg. Ce film marque d’ailleurs le début de son déclin, du moins en tant qu’actrice hollywoodienne de premier plan. Comme dans le film, Raft et Robinson se disputèrent sérieusement parce que Raft avait des vues sur la Dietrich et qu’il pensait que Robinson en avait aussi ! 

L’entraîneuse fatale, Manpower, Raoul Walsh, 1941

Johnny vient payer la caution de Fay 

Les seconds rôles sont à l’avenant. Alan Hale, sr, dans le rôle de Jumbo, le coureur de jupons est à la limite du ridicule. Ward Bond est sans doute plus discret, mais guère meilleur. Barton McLane est par contre impeccable, comme toujours, dans le rôle de Smiley. Du côté des filles, Eve Arden se fait bien remarquer en interprétant la fille qui pousse Fay dans la voie de la sagesse. Walter Catlett lui est complètement ridicule quand il incarne le blessé qui reste tout le temps à hôpital.   

L’entraîneuse fatale, Manpower, Raoul Walsh, 1941 

Sur les pilonnes électriques, Hank et Johnny s’affrontent 

Le film fut un gros succès. Selon les archives de Warner Bros, il a rapporté 1 180 000 $ sur le marché intérieur et 662 000 $ à l'étranger, pour un budget de 918 000$. Mais s’il a été mis un peu de côté, c’est moins à cause du travail de Walsh et des performances des acteurs que de la faiblesse du scénario. On peut le voir cependant, à cause des stars, et aussi à cause de l’ambiance assez réussie du petit monde des réparateurs de lignes électriques à haute tension. 

L’entraîneuse fatale, Manpower, Raoul Walsh, 1941

Hank ne survivra pas à sa chute 

L’entraîneuse fatale, Manpower, Raoul Walsh, 1941

Fay finalement restera près de Johnny



[1] http://alexandreclement.eklablog.com/l-enfer-est-a-lui-white-heat-raoul-walsh-1949-a150994658

[2] http://alexandreclement.eklablog.com/la-grande-evasion-high-sierra-raoul-walsh-1941-a176831140

[3] http://alexandreclement.eklablog.com/une-femme-dangereuse-they-drive-by-night-raoul-walsh-1940-a114844900

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article