24 Janvier 2019
A cette époque-là, Carlo Ponti misait à fond sur une carrière américaine de Sophia Loren. Il y arriva à peu près, quoique la filmographie hollywoodienne de sa femme soit plutôt médiocre si on la compare à sa filmographie italienne. C’est d’ailleurs en retournant dans son Italie natale qu’elle trouvera enfin la consécration avec La Ciociara. L’idée était de faire de Sophia Loren autre chose qu’une actrice aux longues cuisses et à la poitrine avantageuse. On va donc chercher des sujets qui la confirmeront comme une actrice talentueuse dans un répertoire dramatique. The black orchid est sensé jouer ce rôle-là puisqu’il s’agit d’une jeune veuve dont le mari a été assassiné par la mafia. On partira donc d’une idée de film noir, mais la mode en étant passée, on s’en éloignera en même temps ! Le réalisateur sollicité sera Martin Ritt, un réalisateur engagé, très proche de Paul Newman, mais dont les films connaitront des hauts et des bas, oscillant entre drame poignant et mièvrerie consensuelle. Mais c’est selon moi un cinéaste très sous-estimé, alors que des films comme The Molly Maguires ou Stanley and Iris valent un peu plus que le détour.
Rose vient de perdre son mari
Rose Bianco assiste a l’enterrement de son mari qui était membre de la mafia et qui a été assassiné pour ses relations avec la pègre. Elle reste seule avec Ralph son fils qui tourne plutôt mal et qui se retrouve en maison de redressement. Elle vit donc seule dans une petite maison du quartier italien à New York. Pour subvenir à ses besoins, elle se tue à la tâche dans la fabrication des fleurs artificielles. Elle a comme voisin Frank Valente, un petit entrepreneur, qui lui aussi est veuf et vit avec sa fille Mary qui devrait se marier avec Noble. Frank tente de s’approcher de la farouche Rose. Il va finir par la demander en mariage. Rose ne demanderait que ça. Mais les ennuis familiaux de Frank et Rose empêchent la réalisation de ce projet. D’abord c’est Ralph qui fait des siennes et qui fugue, mettant à mal la possibilité qu’il a de revenir habiter avec sa mère. Et puis c’est Mary qui doit se marier, mais qui ne veut pas abandonner son père. Non seulement elle veut obliger Noble à habiter avec elle chez son père, alors qu’il travaille à Atlantic city, mais en outre, elle ne veut pas qu’il se remarie avec Rose qu’elle considère comme mauvaise. Elle provoque des incidents à répétition, refuse de se marier avec Noble et finalement s’enferme dans sa chambre. Frank est accablé, il ne sait plus quoi faire, déchiré entre son envie de se marier avec Rose et son désir de ne pas heurter sa fille. Evidemment les choses vont finir par s’arranger, Ralph et Mary retrouvant la raison et la famille recomposée pouvant enfin se réunir.
Frank s’incruste un peu trop chez Rose
Ce scénario hésitant entre drame et comédie, avec une pointe de noir, est dû à Joseph Stephano, ce même Stephano qui triomphera avec le scénario de Psycho, le film très surestimé d’Alfred Hitchcock. Il est assez difficile de comprendre ce que l’auteur a voulu faire. Certes il y a une exaltation des valeurs de la famille, fusse-t-elle recomposée, mais au-delà, on ne voit pas très bien. Les deux veufs visent à briser leur solitude, mais leur projet est entravé par des enfants particulièrement chiants. Et donc il est de bon ton que Frank, l’homme, reprenne les choses en main, même si au fond, c’est Rose qui débloquera la situation. Mary est un peu folle, c’est d’ailleurs ce qu’était déjà sa mère qui semble être morte de cette même folie. Un des sous-thèmes sera par la suite de ne pas laisser tomber les enfants, même s’ils sombrent dans la délinquance car ils ne sont pas responsables. Si les torts sont partagés, il est tout de même patent que ce sont les femmes qui déclenchent les difficultés à venir. Rose admettra finalement que si son mari a été tué, c’est bien parce qu’elle l’avait poussé à devenir un criminel par ses exigences de consommatrice. Mary est du même bois, elle veut que son père et son fiancé se plient à ses caprices. Elle ne redeviendra raisonnable que quand elle admettra ses fautes, c’est-à-dire quand elle se soumettra finalement à la domination de Noble.
La balourdise de Frank enchante Rose
C’est du studio, et on n’aura pas droit à des extérieurs qui auraient pu donner un peu de crédibilité à cette histoire. Le nombre de lieux est restreint ce qui fait penser à du théâtre filmé, d’autant que Ritt multiplie les plans généraux. Les plans qui sont censés représenter la vie du quartier dans sa spécificité italo-américaine sont plutôt bâclés. Le coin de rue, ou même l’église, semblent avoir été filmés avec trop d’économie. Son travail est meilleur dans ce qui concerne la direction d’acteurs. A mon avis il y a eu une interférence importante de la production sur la réalisation, comme par exemple cette scène méditative de Rose au moment de l’enterrement de son mari. C’est directement inspiré du cinéma italien. Plus encore ce qui gêne c’est le côté répétitif des scènes, notamment les caprices de Mary ou les frasques de Ralph. Comme le film hésite entre drame et comédie, il y a un déséquilibre important entre les scènes sensées être drôles autour de la balourdise de Frank, et les scènes plus graves qui devraient montrer le désarroi de Rose. Ce sont ces dernières qui sont les plus manquées.
Frank tente de raisonner Ralph
Le film se voulait un véhicule pour Sophia Loren qui devait faire ainsi la démonstration de l’étendue de son talent. D’après ses mémoires, elle n’en a pas gardé un bon souvenir[1]. Elle semble s’être très mal entendu avec Anthony Quinn. Mais c’est sans doute parce que c’est bien lui qui lui vole la vedette. C’est en effet un acteur qui n’a jamais fait dans la sobriété. Et ici il est égal à lui-même. Il est tranchant, enthousiaste, c’est le seul qui semble s’amuser un peu. Sophia Loren sans être mauvaise n’est pas inoubliable, elle reste un peu terne, ne trouvant pas la bonne distance, peut-être est-ce dû au fait qu’elle tournait en anglais et que cette langue ne lui permettait pas de trop s’exprimer. Ina Balin, dont c’était le premier film, est Mary, la fille de Frank. Bien qu’elle surcharge un peu son jeu, elle est très bien. Elle a peu tourné pour le cinéma consacrant l’essentiel de son talent à la télévision, on la reverra plus tard chez Jerry Lewis dans The patsy. Le petit Jimmy Baird dans le rôle de Ralph l’apprenti délinquant – tel père, tel fils – est assez mauvais.
Tout le monde est réuni autour d’un déjeuner de saucisses grillées
C’est donc un film assez oubliable dans la carrière de Martin Ritt, et si on peut le revoir ce sera plutôt pour Anthony Quinn que pour Sophia Loren. L’ensemble a beaucoup vieilli. Sans être un bide, le film ne fut pas à la hauteur des attentes de Carlo Ponti ni sur le plan commercial, ni sur le plan critique.