20 Juillet 2024
Jean-Charles Dudrumet n’est pas très connu. Il a réalisé seulement quatre longs métrages, dont deux films noirs, La corde raide, adapté d’un roman de Michel Lebrun et Dans la gueule du loup. Il a réalisé aussi deux films d’espionnage dans les années soixante quand c’était encore un peu à la mode, avec Jean Marais, L’honorable Stanislas agent secret et Pleins feux sur Stanislas, des films légers qui marcheront plutôt bien, surtout le premier. Je pense que c’est pour ces deux derniers films qu’il a disposé de ses plus gros moyens. Sur ces quatre films il sera également coscénariste. Avant de passer à la mise en scène, il était monteur de profession notamment sur les films d’espionnage de Jean Stelli. Evidemment c’est le genre de réalisateur qui est tombé dans les oubliettes et qui n’est pas près d’en sortir ! Donc pour son premier long métrage, il choisit d’adapter un roman de Michel Lebrun avec Roland Laudenbach, un homme engagé politiquement du coté de l’Algérie française, de la monarchie et de l’extrême-droite, créateur de journaux dans la même veine, il participa aussi au lancement de La Revue de la Table Ronde, revue de prestige destinée à faire pièce à l’influence des revues de gauche comme Les Temps Modernes de Sartre, mais aussi neveu de l’acteur Pierre Fresnay. Il créera aussi les éditions de La Table Ronde où il éditera les Hussards et autres rescapés de la collaboration comme Antoine Blondin par exemple. La base de ce scénario est donc un roman à suspense de Michel Lebrun. La veuve. Comme souvent chez cet auteur, l’intrigue se déroule dans un milieu bourgeois, ou l’ennui entraine souvent la femme à commettre des imprudences, soit par cupidité soit par des pulsions sexuelles peu maitrisées.
Daniel soupçonne sa femme Cora de le tromper. Lors d’une soirée dans une boite de nuit, il a la preuve qu’elle téléphone à quelqu’un, mais il ne sait pas qui. Très jaloux il déclenche une violente dispute qui se termine par une réconciliation sur l’oreiller. Ils habitent dans une luxueuses demeure, sans enfant Les choses semblent s’apaiser, mais Cora continue à voir son amant, un marchand de voitures d’occasion un peu escroc et qui réclame de l’argent à Pierre. Elle profite des larges plages de temps que son mari lui laisse lors de ses voyages d’affaires en province. Daniel a mis un détective sur l’affaire chargé de surveiller Cora, mais celui-ci ne trouve rien, Cora faisant les magasins avec son amie Isabelle qui elle aussi dépense l’argent de son mari. A cause de son associé Pierre Simon qui est aussi le frère du garagiste, Daniel est obligé d’annuler une réunion d’affaire. Il en vient à soupçonner celui-ci. D’autant qu’en enregistrant les conversations téléphoniques de Cora, il croit reconnaitre sa voix. Le détective prend Cora en filature. Mais Henri suggère à Cora de mettre un sédatif dans le café de Daniel afin que cela provoque un accident. C’est ce qu’elle va faire. Daniel doit une fois de plus partir en province.
Auprès de la téléphoniste Daniel veut savoir si sa femme a téléphoné
La voiture de Daniel a un accident de la route nationale 7. La voiture est fracassée et son conducteur admis à l’hôpital de Nevers. Un journaliste trouve sur les lieux le thermos de café, et un des gendarmes décide de l’envoyer au laboratoire pour examen. Cora est prévenue, choquée, elle se rend à l’hôpital et découvre le corps complètement recouvert de bandages et de pansements. Il ne peut pas parler. Elle prend une chambre d’hôtel et le lendemain elle apprend que son mari est décédé. Mais comme on lui a enlevé les bandages, elle voit qu’il ne s’agit pas de son mari, mais de son associé Pierre. Daniel reste introuvable. Cependant, il faut enterrer Pierre. Cora va retrouver à ce moment-là Henri, son frère. C’est le moment où Daniel fait sa réapparition. A la fin de la cérémonie, il accuse Henri d’être un criminel, il avance que c’est lui qui a saboté sa voiture et inciter Cora à mettre un sédatif dans le café. S’il n’est pas mort, c’est seulement parce qu’au dernier moment Daniel a dû laisser sa place à Pierre pour ce rendez-vous d’affaires. Henri après avoir essayé de faire porter le chapeau à Cora, tente de prendre la fuite, mais la police va le rattraper et Daniel pourra reprendre sa vie bourgeoise avec Cora comme si rien ne s’était passé.
Ils se réconcilient sur l’oreiller
Cora est atteint de bovarysme aigu, femme au foyer sans enfant, elle s’ennuie et cherche des occupations. Elle passe son temps à faire les magasins, et à voir son amant, Henri un marchand de voitures d’occasion sans avenir. Son riche mari, très occupé par ses affaires est un jaloux. Cette jalousie est justifiée, mais elle lui fait perdre la tête. Ce trio qu’on pourrait dire classique mène inévitablement au crime. Cependant cela se réalise dans le flou et amène tout le monde à se tromper : la jalousie égare Daniel qui croit que c’est son associé qui fricote avec sa femme, et Cora croit que c’est Daniel qui est mort. Ces quiproquos sont la base d’erreurs de jugement qui aggravent la situation. Daniel aimerait que sa femme reste sagement à la maison à l’attendre, mais Cora est attirée par les comportements déviants et surtout par une sorte de petit voyou qui avoue ouvertement qu’il est toujours à la recherche d’un pigeon à plumer. Cet attrait de la femme pour un pale voyou est renforcé visuellement par l’opposition entre la vaste demeure vide et luxueuse de Daniel et la petite chambre d’Henri où manifestement Cora trouve plus de plaisir sexuel que quand elle cède à son mari dans son grand lit.
Avec son amant Henri, Cora échafaude des plans
L’argent ne fait pas le bonheur, mais le bonheur est toujours éphémère et se paie chèrement. C’est la leçon que tirera Cora pour rentrer dans le rang et se soumettre finalement. On a l’impression que c’est aussi le Message que veut faire passer Dudrumet. C’est d’ailleurs assez coutumier de l’ironie amère qu’on trouve très souvent dans les romans de Michel Lebrun. Les embardées de Cora pour trouver un semblant de liberté, même fausse, montrent qu’elle a un statut social inférieur. Elle ne semble pas dupe de la canaillerie bonasse de son amant. Elle sait qu’il ne vaut pas un clou, mais elle est seule, et ce petit voyou l’a bien compris qui le lui fait remarquer. La frustration, aussi bien celle d’Henri, que celle de Cora, est le moteur du crime. Dans cette figure particulière du trio adultérin, la jalousie exacerbe les tensions et aveugle les protagonistes. Daniel est jaloux de l’amant de sa femme et d’autant plus qu’il ne connait pas son nom. Henri est jaloux de la réussite de son frère, et cette jalousie les ronge. Le film reste toujours dans le domaine de la psychologie et de la subjectivité. Cora va être trompée par son désir de voir Daniel disparaitre, au point de croire que cela est arrivé. A l’hôtel elle apercevra son fantôme, signe de sa culpabilité.
Cora prépare du café pour son mari qui part en voyage d’affaire
Le scénario est émaillé de petits portraits caustiques, un détective privé incapable et nonchalant, un notable heureux de distribuer les légions d’honneur comme d’autres distribuent des chocolats. Et puis cette petite bonne italienne qui refuse de comprendre quoi que ce soit dans la conduite erratique de ses employeurs. Le bovarysme de Cora est la contrepartie de la stérilité du couple, et on verra qu’à la fin du film le couple se réconcilier en prenant un petit chien et lieu et place de faire un enfant !
Daniel annule une réunion d’affaires au dernier moment
Un des aspects intéressants du film est qu’il est construit sur des oppositions fortes. Il y a bien sûr la richesse opposée à la pauvreté dont nous avons déjà parlé, mais surtout il y a Paris opposé à la province. C’est assez récurrent chez Michel Lebrun. Ici c’est Nevers et son hôpital, son calme relatif qui sont opposés à l’agitation parisienne. Lorsque Cora visite l’hôpital de Nevers, et qu’elle doit passer une nuit à l’hôtel, c’est un temps de méditation qui va lui permettre de comprendre la vacuité de son comportement. Le fait qu’elle croit voir le fantôme de son mari dans sa chambre lui ouvre les yeux sur sa culpabilité.
Le détective chargé de surveiller Cora vient rendre des comptes
Le rythme est bon, c’est proprement filmé, la photo est de qualité, même si parfois les scènes de nuit, sur la route notamment ne sont pas toujours très bien éclairées. La volonté de Dudrumet est de filmer le maximum de séquences dans des décors naturels. C’est très réussi dans les rues de Nevers qui permettent de saisir le caractère vieillot et traditionnel de la ville. Les scènes de rue à Paris, au milieu de l’agitation, sont bienvenues. On va y trouver notamment un long travelling arrière superbe sur Cora qui, partant de la devanture d’un cinéma qui donne Babette s’en va en guerre, un film avec Brigitte Bardot, va passer de la rue à l’intérieur d’un bistrot où elle a rendez-vous avec sa copine Isabelle. Une attention particulière est donnée aux objets, les automobiles bien entendu, mais aussi et surtout les appareils modernes que sont pour l’époque les téléphones et les magnétophones. On montre que ces appareils ne captent pas seulement la vérité, mais qu’ils peuvent se révéler trompeurs. Et c’est ce qui se passera quand Daniel sera piégé par la voix qu’il entend et qu’il croit qu’elle est celle de son associé Pierre.
Henri est venu réclamer de l’argent à son frère Pierre
La mise en scène de Dudrumet est appliquée. Elle va multiplier les plans larges et la profondeur de champ chaque fois qu’il le peut. Il saisira aussi les portes étroites à partir de la lumière qui filtre, ce qui donne un effet de tunnel, une enfilade qui signifie l’indécision des personnages aussi bien que leurs peurs. Il filme très bien le silence de la nuit dans cette grande maison du couple Lambert. La longue poursuite finale, avec Henri qui se cache en haut d'une maison et un enfant qui le dénonce avec le reflet du soleil est très bien aussi. La musique très jazzy de Maurice Jarre est souvent envahissante et à contretemps, au point souvent de saturer les dialogues.
Daniel écoute les enregistrements
L’interprétation est très bonne. François Périer incarne le jaloux Daniel Lambert. Il est l’homme qui doute aussi bien de sa femme que de sa réussite matérielle. Il trimballe une mélancolie furieuse qui donne de la crédibilité à ses colères. Il change de registre, passant de la violence, il frappe Cora, à une sorte de tendresse désespérée quand il se jette dans ses bras. Annie Girardot alors encore très jeune était la jeune actrice en devenir que tout le monde allait s’arracher bientôt. C’était avant Rocco e i suoi fratelli de Visconti, mais elle comptait déjà une bonne dizaine de films principalement dans le film noir à la française. Elle avait déjà cette ambiguïté qui la faisait osciller entre la bourgeoise et la fille de basse extraction un peu putain. Elle est excellente dans le rôle de Cora, un mélange de ruse et de naïveté. On l’oublie souvent, mais avant d’être une actrice de cinéma populaire, elle était une actrice de théâtre recherchée, ayant eu une formation très poussée, elle était pensionnaire de la Comédie française ce qui ne l‘empêcha pas d’ailleurs de conserve une gouaille mordante.
Le détective suit Cora
Derrière c’est très solide Gérard Buhr est le gigolo de Cora, Henri Simon, arrogant et sûr de lui, il tire la corde jusqu’à ce qu’elle craque, allant jusqu’à rançonner son pauvre frère, Pierre Simon. Celui-ci est incarné par Georges Descrières, un autre acteur de théâtre, lui aussi pensionnaire de la Comédie française. C’est lui qui double Gérard Buhr pour la voix qui trompera finalement Daniel. Notez que Gérard Buhr était également un auteur de romans d’espionnages pour le Fleuve noir. Les deux acteurs sont bons. Dans des petits rôles on reconnaitra des acteurs intéressants qui allaient devenir des seconds rôles récurrents, comme Henri Deschamps, Lucien Raimbourg, le cousin de Bourvil, ou encore Henri Virlojeux.
Cora arrive à l’hôpital de Nevers
Le film est de bonne facture et recevra un bon accueil de la part du public. Si le suspense n’en est pas vraiment un, les retournements de situation sont trop simples, ce drame bourgeois est intéressant pour son aspect psychologique. Il donne aussi une petite idée des cadres mentaux dans lesquels baignait la France de la fin des années cinquante, sortant de la pénurie d’après-guerre et se livrant aux joies de la consommation, avec une sorte de désenchantement. C’est sans doute le meilleur film de Dudrumet. Il est disponible en DVD chez René Château.
A Paris Cora retrouve son amant
Daniel réapparait on moment de l’enterrement de Pierre
Daniel démasque Henri
Cora et Daniel reprennent leur vie commune comme si rien ne s’était passé