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Le blog d'Alexandre Clément

La femme au gardenia, The blue gardenia, Fritz Lang, 1953

 La femme au gardenia, The blue gardenia, Fritz Lang, 1953 

On raconte un peu partout que Fritz Lang n’aimait pas ce film. La raison en serait qu’il n’avait pas eu assez de temps pour le préparer. Cependant, comme il s’agit d’une histoire de Vera Caspary, romancière et scénariste à succès qui entre autres a fait Laura, on se dit que cela peut être intéressant, après tout un réalisateur est toujours le moins bien placé pour juger de son travail. Il n’a pas le recul nécessaire et ce qu’il a voulu faire peut s’être transformé en tout autre chose sous le regard des spectateurs. Le sens même du sujet peut parfois lui échapper. Ajoutons aussi que très souvent un film n’a pas la même signification au moment de sa sortie et quelques décennies après. De très nombreux films de Lang sont d’ailleurs réappréciés régulièrement. Le budget pour ce film est très faible, entérinant qu’à cette époque le prestige de Lang était sur la pente déclinante. Le producteur est Alex Gotlieb, un producteur qui n’a pas fait grand-chose en dehors de films d’Abbott et Costello, ou avec Elvis Presley. Tout était ficelé avant le premier tour de manivelle et le film se tournera en vingt jours, sans possibilité pour le réalisateur de modifier quoi que ce soit. On peut se demander pourquoi Lang se précipite sur cette opportunité de travail, alors qu’il est déjà très riche et que son dernier film est assez récent. Il en est déjà à son 17ème long métrage en vingt ans passées à Hollywood. La réponse est peut-être à rechercher dans la liste noire qui sévit à ce moment-là à Hollywood. Lang, à cause de ses amitiés à gauche, se sent clairement menacé dans son travail, et même peut-être bien craint-il d’être expulsé. Pourtant Lang n’est pas fini, Rancho notorious, un étrange western, avec Marlene Dietrich a bien marché, mais il va faire ensuite, la même année que The blue gardenia, The big heat qui sera sans doute le couronnement de sa carrière américaine et un sommet du film noir.

 La femme au gardenia, The blue gardenia, Fritz Lang, 1953 

Norah fête son anniversaire devant la photo de son fiancé 

Norah vit en colocation avec deux autres jeunes femmes, Crystal et Sally qui, comme elle, sont standardistes et célibataires. Le journaliste Casey Mayo et son copain le dessinateur Prebble collectionnent les aventures avec des opératrices du téléphone. Le soir de son anniversaire, Norah est toute seule face à la photo de son fiancé qui est parti faire la guerre en Corée et qui se trouve en convalescence au Japon. Ce soir-là, elle découvre dans sa dernière lettre que son fiancé veut rompre et s’apprête à se marier. Elle est effondrée. Sur ces entrefaites, Prebble téléphone pour inviter Crystal au Blue Gardenia, un restaurant chinois. Mais celle-ci est sortie, aussi c’est Norah qui va à ce rendez-vous. La tactique de Prebble est de faire boire Norah pour pouvoir ensuite en disposer. Il l’entraine chez lui. Il lui vole un baiser, mais quand il veut aller plus loin, Norah se rebelle, ils se battent et Norah, se saisissant d’un tisonnier, tue Prebble. Norah s’enfuie en laissant sur place ses souliers et son mouchoir. Le lendemain elle apprend par les journaux que Prebble est mort et qu’on recherche une femme sur laquelle on ne sait que peu de choses. Pour éviter qu’on ne la reconnaisse, Norah va brûler sa jolie robe de taffetas. La police enquête en la personne du capitaine Sam Haynes. Cependant ils n’ont pas d’empreintes, la femme de ménage a tout nettoyé. Norah est de plus en plus inquiète et ses amies commencent à se rendre compte que rien ne va. Dans le même temps Casey Mayo a l’idée de lancer un appel à la fille qu’il appelle Blue gardenia, lui disant qu’en change de sa confession pour le journal, il lui promet de lui procurer un bon avocat. Si beaucoup de faux appels arrivent jusqu’à lui, Norah fait aussi son numéro et accepte de le rencontrer. Lors de leur rencontre, elle prétend parler au nom d’une amie. Casey hésite à la croire, mais finit par accepter sa version. Rentrée chez elle, Norah se confie finalement à Crystal. Celle-ci le lendemain l’accompagne revoir Casey. Mais alors qu’elle dévoile son vrai rôle dans l’histoire, tout en avouant qu’elle ne se souvient plus de rien, celui-ci hésite sur la conduite à tenir. Il n’a pas à hésiter longtemps cependant, car la police intervient et embarque Norah, laissant croire que celle-ci a été piégée par Casey. Mais c’est faux, et Casey va tenter de dénouer l’affaire. Il va comprendre, grâce à un disque qui justement n’est pas l’enregistrement de Blue gardenia par Nat King Cole, que Norah n’est pas coupable. Avec le policier Hansey, ils vont découvrir la femme qui a tué Prebble. Rose Miller a été lâchement abandonnée par Prebble probablement parce qu’elle était enceinte de ses œuvres, ce qui explique sa rage. Celle-ci fait d’abord une tentative de suicide, puis ensuite va avouer que c’est bien elle qui a tué Prebble parce que celui-ci se moquait un peu trop d’elle et de sa vertu. Norah sera libérée. Et probablement elle nouera une relation amoureuse avec Casey qui veut abandonner sa vie de garçon en abandonnant son carnet contenant les numéros de téléphones de toutes les filles qu’il peut sauter à son photographe. 

La femme au gardenia, The blue gardenia, Fritz Lang, 1953 

Sur un coup de tête elle accepte un rendez-vous avec l’odieux Prebble 

Evidemment l’intrigue ne vaut pas grand-chose, et le rebondissement final est très artificiel. Mais sans doute que le temps pressait et qu’il fallait bien conclure. Il va donc falloir s’intéresser à autre chose. Par exemple, ces trois femmes célibataires, perdues dans la grande ville de Los Angeles et qui apparaissent comme des proies potentielles pour les prédateurs comme Prebble et Casey Mayo. Ces deux individus se servent de leur prestige – leur emploi dans un grand journal – pour attirer à eux des femmes naïves et faciles, comme cette Rose Miller qui tourne autour de Prebble qui lui a promis le mariage de façon mensongère. Ce sont des consommateurs. Les filles tentent tant bien que mal de faire tenir d’aplomb le modèle de l’american way of life. Le premier craquement intervient pour Norah quand sa fidélité est punie d’abord par son militaire exilé en Asie. Elle se sent complètement trahie. Mais elle va subir une double peine : elle va tomber sur Prebble qui la saoule pour abuser d’elle. L’époque est trop prude pour parler de viol, mais c’est bien de ça qu’il s’agit. Peu importe au fond qu’il la viole ou nom, c’est l’intention qui compte, et comme Norah l’assomme avant, on ne sait jusqu’où sa brutalité aurait bien pu le mener. La première couche est donc une lutte entre les sexes qui explique que les femmes sont plus faibles dans cette guerre. On ne pourra pas dire que Lang est misogyne. Son propos est plutôt sadien dans la mesure où la vertu est très mal récompensée. 

La femme au gardenia, The blue gardenia, Fritz Lang, 1953 

Complètement saoule, Norah a du mal de se défaire de l’entreprenant Prebble 

L’accumulation de déconvenues explique pourquoi Norah est aussi déçu par le comportement de Casey qu’elle croit à l’origine de son arrestation. On verra que c’est le garçon de café qui en fait l’a dénoncée. Norah va se refermer sur elle-même, retrouvant très difficilement la confiance avec son amie Crystal. D’ailleurs si Prebble avait le numéro de leur appartement, c’est parce que Crystal le lui avait donné. Crystal est d’une autre trempe. Elle aime faire marcher les hommes et les exploiter. On la verra avec son cavalier qui n’est autre que son ancien mari, lui demander d’abord s’il a touché sa paye pour savoir si au fond elle peut sortir avec lui ou nom. La troisième colocataire, Sally, semble vivre à part, elle est absorbée par la lecture de romans policiers avec des meurtres bien sanglants. Elles sont dans un monde difficile où tout semble cloisonner les relations humaines. L’ouverture du film nous montre d’ailleurs qu’elles sont bel et bien exploitées. Pendant que Prebble et Casey Mayo s’amusent, elles doivent rester concentrées sur le travail difficile de standardistes. On voit donc que d’une manière ou d’une autre, la question sociale chez Lang revient toujours.

La femme au gardenia, The blue gardenia, Fritz Lang, 1953 

Norah donne un coup de tisonnier à Prebble 

Ces femmes vivent dans un univers menaçant en permanence. Par exemple à peine Norah tente-t-elle de détruire sa robe par le feu, que la police arrive, comme si elle n’attendait que ça. De même quand elle téléphone la première fois à Casey, elle est interrompue par un policier. Nous sommes clairement dans un univers du contrôle social où tout le monde se méfie de tout le monde. Cette idée sera renforcée par la longue séquence où Norah rejoint Casey dans son bureau, et bien sûr par cette scène où soudain la porte du café s’ouvre pour laisser la police entrer et arrêter Norah. Cette faiblesse « naturelle » des femmes, c’est encore Rose Miller, celle qui a tué Prebble qu’on ne laisse pas mourir en paix, on lui refuse le suicide, et on la traque jusque dans son lit d’hôpital jusqu’à ce qu’elle rendre des comptes. Les hommes semblent mieux protégés de l’intrusion de ce contrôle permanent, comme si non seulement ils élaboraient les règles, mais aussi comme s’ils avaient une forme de solidarité entre eux. 

La femme au gardenia, The blue gardenia, Fritz Lang, 1953 

Casey mayo a eu l’idée de demander à la meurtrière de téléphoner 

Tout cela ne ferait pas un film intéressant cependant si la réalisation ne possédait pas des qualités suffisantes. Il est vrai que la photographie du grand Musuraca est pour beaucoup dans le rehaussement de l’œuvre. Pour ce photographe génial, le noir est une couleur profonde. On dit qu’il a inventé pour la scène qui mène Norah jusqu’au bureau de Casey, une sorte de chariot de façon à effectuer un travelling très bas. La mise en scène est tout le long de très bonne tenue, toute la séquence du début qui oppose le contraste du labeur des jeunes femmes au dilettantisme des deux employés du journal est remarquable, mais la deuxième partie est, de ce point de vue la plus intéressante. Il y a une très brève séquence qui voit s’éloigner Norah dans le brouillard qui vaut le déplacement. Toute la première rencontre avec Casey est extraordinairement bien filmée, Lang arrive à recréer l’intimité nécessaire à la confidence de Norah, mais on y voit aussi Casey se positionner comme s’il attendait sa proie. Les mouvements d’appareil sont lents et bien enchaînés, avec une demi rotation qui donne du volume à un décor des plus étroits. Mais la bataille entre Norah et Prebble est également remarquable, alors que Lang n’est pas précisément un spécialiste des scènes d’action. Dès lors que Norah brandit le tisonnier, on va avoir des mouvements fluides de caméra qui dessinent comme une chorégraphie pour une violence féminine qui s’exaspère. Les scènes qui se passent dans le bar, ou plus encore les autres scènes du journal sont plus convenues. Les décors ayant été construits à l’économie, ça se voit et c’est même un peu gênant. Il reste cette marque de la manière de Lang de filmer les personnages en pied, d’éviter le plus possible le plan américain. 

La femme au gardenia, The blue gardenia, Fritz Lang, 1953 

Norah va appeler Casey en masquant sa voix avec un mouchoir 

Le budget étant étroit, les acteurs ne sont pas des premiers couteaux. Il ne semble pas que Lang ait eu son mot à dire. Mais cela ne veut pas dire qu’ils sont mauvais, bien au contraire. L’interprétation, c’est d’abord Anne Baxter qui incarne Norah. Le film est fait de son point de vue et donc c’est elle qui le porte. Elle s‘en tire plutôt bien. Elle aurait pu sans doute faire une meilleure carrière, notamment dans le noir. Elle a cette sophistication irremplaçable des femmes des années cinquante. Ensuite, il y a Richard Conte dans le rôle plus convenu du journaliste. Il a fait une bonne partie de sa carrière dans le film noir, sans pour autant avoir été toujours remarquable. Ce n’est pas ici son meilleur rôle, mais enfin ça passe, surtout quand, à la fin, il ne sait plus quoi faire pour répondre aux angoisses de Norah. Raymond Burr est l’ignoble Prebble. A cette époque il était magistral dans les rôles de brutes épaisses. Il est haïssable à souhait, et on est bien content qu’il se fasse estourbir. Ann Sothern tient parfaitement sa place, elle a le rôle de la grande sœur en quelque sorte, la fille forte en gueule qui ne s’en laisse conter par personne, elle est la débrouillarde Crystal. Une curiosité, c’est la propre femme de Richard Conte, Ruth Storey, qui tient celui de la délaissée Rose Miller. Elle aurait été engagée au pied levé parce qu’elle était là au bon moment et qu’il manquait quelqu’un ! 

La femme au gardenia, The blue gardenia, Fritz Lang, 1953 

Norah fuit la lumière 

Si ce film n’est pas du meilleur Lang, on y trouvera tout de même son compte. Le rythme est propre et la tension soutenue. C’est tout de même une leçon de cinéma pour les jeunes réalisateurs qui possède une grammaire filmique des plus restreinte. Il y a toujours une belle inventivité dans le découpage, et puis le personnage de Norah est suffisamment attachant pour qu’on compatisse à ses douleurs. On ne sait d’ailleurs si ses tourments prendront fins avec une idylle possible avec Casey, car elle semble être la vertu toujours mal récompensée, mais aussi parce que le journaliste ne parait pas vraiment ni très franc, ni très courageux. Certes il manifeste une volonté de rachat vis-à-vis de la gent féminine, mais c’est bien incertain. Le titre choisit par Caspary était Gardenia. Mais ce serait Alex Gotlieb qui aurait imposé celui de Blue gardenia en référence à l’affaire du Dahlia noir qui défrayait la chronique à cette époque. On retrouve aussi dans le film une femme aveugle qui vend des dahlias dans les cabarets. Ça rappelle bien entendu l’aveugle de M. le film s’inscrit donc dans une continuité, car après tout, M est aussi un film sur le contrôle social. 

La femme au gardenia, The blue gardenia, Fritz Lang, 1953 

Casey attend la visiteuse dans son bureau 

La femme au gardenia, The blue gardenia, Fritz Lang, 1953

Norah raconte son histoire 

La femme au gardenia, The blue gardenia, Fritz Lang, 1953 

Norah croit que Casey l’a piégée 

La femme au gardenia, The blue gardenia, Fritz Lang, 1953 

Après sa tentative de suicide, Rose Miller avoue

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