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Le blog d'Alexandre Clément

La loi de Téhéran, Metri Shesh Va Nim, Saeed Roustayi, 2019

 La loi de Téhéran, Metri Shesh Va Nim, Saeed Roustayi, 2019  

De l’Iran et de Téhéran on ne connaît pas grand-chose chez nous. C’est un pays relativement fermé où la dictature des mollahs est une calamité pour ce malheureux pays. Périodiquement on apprend que des femmes jettent le voile, qu’il y a des émeutes de la faim, ou encore que ce pays, pourtant très riche, subit de lourdes sanctions économiques à cause du programme nucléaire qu’il poursuit dans le but d’anéantir Israël. Il y a cependant un cinéma iranien depuis très longtemps, on pourrait presque parler d’école iranienne. Mais ce qui est sans doute plus intéressant pour nous c’est qu’il s’agit ici d’un film noir. On va le voir, la police pourchasse des revendeurs de drogue, et le titre en persan comme en anglais est 6,5, soit six millions et demi de drogués ! C’est le sens du titre dans la version originale. On peut s’étonner qu’une dictature religieuse ait laissé prospérer un tel trafic de drogue, mais justement et c’est ce qui est très intéressant ici, ce simple fait montré à travers un film noir va en dire bien plus long sur ce malheureux pays que des tonnes d’analyses politiques. On y parlera de la corruption, de la place des femmes dans la société, d’une manière indirecte, et la première surprise de ce film qui parle d’un délabrement complet de la société, est déjà qu’il ait été tourné, donnant une image très négative de Téhéran. La deuxième est, bien qu’il soit influencé par des films et des séries américains, que ce film soit d’une grande originalité bien au-delà de son côté exotique. 

La loi de Téhéran, Metri Shesh Va Nim, Saeed Roustayi, 2019 

Un bulldozer bouche le trou où est tombé le revendeur de drogue 

Samad Majidi est un policier ambitieux qui est en concurrence avec son collègue Hamid pour grimper dans la hiérarchie. Pour obtenir de l’avancement, il va lancer une vaste opération contre les réseaux qui distribuent du crack à Téhéran. Il commence par une vaste rafle dans un camp de miséreux aux portes de la ville. Son idée est ainsi de remonter la filière pour démanteler un réseau. Ils vont ainsi passer d’un petit revendeur dont la femme cache la drogue sous ses vêtements à une petite bande d’obèses qui tente de prendre la fuite vers le Japon, l’estomac rempli de petits sachets de drogue. Les policiers font chanter les revendeurs de drogue assez facilement parce qu’à Téhéran le trafic de drogue est puni de mort. Grâce à ces prises, ils remontent à une jeune femme Elham qui va les mettre sur la piste de Nasser Khazkad. Ils trouvent celui-ci dans sa piscine d’un appartement de grand luxe. En vérité il a fait une tentative de suicide avec des médicaments. La police trouve chez lui 12 kilos d’héroïne. Sauvé malgré lui, il est transféré à l’hôtel de police. Et là on va s’apercevoir, grâce à ses empreintes digitales qu’il s’agit d’Ali Rostami un criminel déjà condamné de multiples fois et recherché qui risque donc la peine de mort. Hamid comprend alors que Ali est à l’origine du kidnapping de son fils qui est mort des suites de cet enlèvement. Ce qui le rend fou de rage. Ali tentera aussi d’acheter Samad qui fait semblant d’accepter pour obtenir de lui de plus amples renseignements. Samad veut aussi découvrir le laboratoire où l’héroïne est transformée en crack. Il va donc essayer de faire parler Ali. Mais celui-ci tente de faire intervenir son avocat, de prévenir Reza le jap, celui qui est à la tête du laboratoire. Finalement il va être obligé de donner l’adresse de Reza. Mais quand la police arrive, Reza fait tout sauter et lui avec. Devant le juge d’instruction Ali tente de faire croire que Samad a détourné de la drogue pour son propre compte. Hamid qui est en concurrence avec Samad appuie indirectement cette louche combine. Mais Samad arrive a se disculper grâce à des vidéos. Ali va être condamné à la pendaison, son pourvoi en appel a été rejeté. Tous les biens qu’il avait accumulé et dont toute sa famille profitait vont être confisqués, rejetant cette famille dans la pauvreté. Samad regardera de loin l’exécution de son ennemi. Mais ensuite il démissionnera de la police laissant finalement la place à Hamid. 

La loi de Téhéran, Metri Shesh Va Nim, Saeed Roustayi, 2019 

La police organise une rafle dans un camp de drogués 

Comme on le voit l’intrigue est parfaitement linéaire. Elle s’articule sur la lutte entre la police et le caïd Ali Rostami, et d’un autre côte sur celle entre Hamid et Samad. Tout cela sur le fond d’une grande misère sociale. Il ne faudrait pas croire pour autant que la trame policière est un prétexte à une simple dénonciation d’une situation sociale dramatique. On pourrait dire que c’est l’inverse. Le délabrement moral et matériel de l’Iran est le révélateur de l’ambiguïté de la nature humaine. Samad est un flic d’une dureté incroyable. Prêt à tout pour atteindre son but. Il finira par se dégoûter de lui-même et renoncera à son poste. Ali est une crapule, lui aussi prêt à tout, à tuer, à corrompre, mais il manifeste pourtant de la tendresse pour sa famille dont il se sent responsable et qui donne ainsi un sens à son existence qui n'en a guère. Dépressif et suicidaire, il vit dans le dégoût de lui-même. Mais dans cette société iranienne corrompue, il ne reste rien d’à peu près propre. Ali a beau dire qu’il a distribué de la drogue parce que pour lui c’était le seul moyen de sortir de la misère et de défendre sa famille, le juge ne le croit pas une minute. Du reste on verra que si tous mettent en avant la famille, tous s’arrangent pour la trahir. Que ce soit ce père estropié qui préfère envoyer son fils en prison plutôt que d’assumer ses responsabilités, ou que ce soit cet autre qui compromet sa femme en lui faisant conserver de la drogue dans ses vêtements. Samad lui est séparé de sa femme et se trouve en instance de divorce. Elham balancera son ancien petit ami pour s’éviter des ennuis. Au passage on comprend que les femmes iraniennes ne sont pas aussi totalement soumises qu’on le présente le plus souvent. On comprend qu’Elham est une femme bien plus libre qu’on pourrait le croire. C’est elle qui quitte Ali, et elle s’est mise avec un autre avec qui elle couche probablement et qu’elle espère épouser. On notera que le film est divisé en deux parties, la première est réservée à la traque organisée par Samad et ressemble à un film policier ordinaire, la seconde est organisée autour de la personnalité d’Ali et travaille plus sur le plan de la psychologie du criminel. 

La loi de Téhéran, Metri Shesh Va Nim, Saeed Roustayi, 2019 

Le chien a détecté de la drogue sous les vêtements 

Musulmane ou pas la famille en prend un vieux coup. Samad est séparé, c’est sa femme qui est partie. Il prend des nouvelles de sa fille en cachette. Ce n’est pas un univers franchement patriarcal, et c’est cela peut-être le plus étonnant. On comprend donc que sur le plan de la morale, la révolution des Mollahs n’est arrivée à rien, ou plutôt au contraire de ce qu’elle promettait. La criminalité et la drogue sont partout, la misère campe aux portes de Téhéran. La police et la justice sont tout aussi dures que corrompues. On voit d’ailleurs que les mesures répressives, notamment la peine de mort pour les revendeurs de drogue, ne sert à rien. Ali a changé de nom et a acheté un juge pour sa libération. Il est à deux doigts d’acheter aussi Samad. Il semble bien que celui-ci hésite d’ailleurs à se soumettre.   Il y a une description très fine de ce petit peuple qui vit misérablement de la revente du crack. Il risque très gros, des années de prison, voire la mort, pour des profits qui paraissent vraiment très maigres. L’autre institution qui est visée dans ce film est la prison. Là on frise l’abjection, et cela donne un caractère claustrophobe à l’ensemble. Ces corps amoncelés dans une cellule où en permanence le nombre de prévenus augmente donne une image moyenâgeuse à ce système. Par moment on se croirait dans un tableau de Bosch, avec ces pauvres gens malades, malportants, disgraciés ou stropiats. Ça hurle sa se bouscule. 

La loi de Téhéran, Metri Shesh Va Nim, Saeed Roustayi, 2019 

Elham est mise sous pression pour balancer Nasser 

Ce film noir a une particularité : il est une longue suite de gémissements, mais je ne dis pas cela de manière péjorative. On pleure beaucoup, y compris Ali le caïd suicidaire qui trouve encore le temps de gémir sur la décomposition de ses amours avec la belle Elham. De ces gémissements sourd une colère incroyable, Samad est enragé, comme Ali, ou comme Hamid. La famille d’Ali aussi pleure beaucoup, les femmes se tordent les mains. On verra aussi les condamnés marcher en pleurant et en tremblant vers l’échafaud, les uns se pissent dessus, les autres se roulent par terre devant l’inéluctable. A cette misère endémique est opposé le monde moderne de l’automobile et du portable. L’introduction du progrès technique n’a pas fait reculer la misère, elle l’accompagne. On discutera aussi beaucoup des logements. Ali vit dans un vaste appartement luxueux où il est seul, désespérément seul. Il est pourtant surpris de voir que sa famille renonce si facilement à la maison qu’elle va perdre du fait de son arrestation.

La loi de Téhéran, Metri Shesh Va Nim, Saeed Roustayi, 2019 

Nasser téléphone pour tenter de joindre son avocat 

Tout cela va guider la réalisation du jeune réalisateur Saeed Roustayi. Il connaît très bien les séries américaines et il s’en inspire. Par exemple dans la longue poursuite incroyable du dealer par Hamid. La caméra à l’épaule suit l’action dans les rues étroites de la ville. Le clou est bien entendu la fin de cette séquence. Le jeune dealer croyant se cacher tombe dans une excavation aux abords d’un chantier. Mais le trou est trop profond. Il n’arrive pas à remonter. Mais tandis que le policier le cherche de partout, on voit un bulldozer qui vient le combler, l’enterrant vivant ! d’autres séquences sont tout aussi choquantes. Les scènes de prison où les prisonniers rentrent d’une manière continue. Ici on joue sur les couleurs, le caractères sombre et crasseux des cellules et juste ces toilettes où Ali se réfugie pour pouvoir téléphoner à l’abri des caméras, la lumière orange va modifier l’ensemble et renforcer l’aspect misérable de cet amalgame des corps. Toute la fin est terrible, que ce soit la visite de la famille d’Ali avec ses gémissements ou la mise en scène de la pendaison. C’est sobre et poignant. 

La loi de Téhéran, Metri Shesh Va Nim, Saeed Roustayi, 2019

Reza le japonais a fait sauter son laboratoire 

Les décors sont particulièrement bien choisis. Le camp des miséreux drogués qui se sont réfugiés dans des tuyauteries de béton est sidérant. Il semble que cela ait été tourne sur le lieu réel de l’action, et on dit que Roustayi a embauché des vrais drogués qui vivaient là pour jouer leur propre rôle, y compris dans la prison. Il y a un sens de l’espace assez particulier, avec une manière de saisir à la fois la profondeur de champ et de la ramener à l’étroitesse des lieux. C’est flagrant lors de la visite des familles aux emprisonnés. Ce qui donne un sentiment de vertige dont il est difficile de se défaire. Les couleurs sont très travaillées. On peut leur reprocher d’être trop pastellisées, mais elle donne une identité particulière à l’espace traversé en travaillent les bleus et les bleutés, les entrecoupant de couleurs verdâtres qui accentue le côté abandonné des institutions, à commencer par la prison. Les interrogatoires sont menés durement, c’est très violent. L’affrontement des policiers avec les trois obèses qui transportent de la drogue vers le Japon – cette drogue provenant sans doute de l’Afghanistan qui a une frontière commune avec l’Iran – on les voit empruntés dans leur corps, comme pris dans des filets, mais ces corps lourds et gars semblent tout autant difficiles à faire bouger. N’est ce pas là l’image de l’Iran pachydermique qui ne peut plus évoluer vers le progrès ou du moins vers un peu plus d’harmonie et de sérénité ? 

La loi de Téhéran, Metri Shesh Va Nim, Saeed Roustayi, 2019 

Les familles viennent au parloir 

L’interprétation est excellente en ce sens qu’elle magnifie l’hystérisation des personnages. Les deux acteurs principaux ne font pas dans la dentelle, d’abord Payman Maadi dans le rôle du commissaire Samad, il est sans pitié pour les délinquants comme pour lui, même s’il s’interroge sur ses fonctions et sur son utilité. Il est excellent. Ensuite on a Navid Mohammadzadeh dans le rôle de du faux Nasser et du vrai Ali. Il passe de l’état de pleurnicheur s’apitoyant sur son sort à celui du dur impitoyable qui fait peur à tout le monde et qui n’a peur de rien pas même de mourir. Ces deux premiers acteurs étaient déjà dans le premier film de Saeed Roustayi. La belle Parinaz Izadyaz incarne Elham, elle est impeccable, on regrette de ne pas la voir plus longuement, que son personnage n’ait pas été plus approfondi. Ça nous aurait renseigné un peu mieux sur les raisons de sa dénonciation.  Il est d’ailleurs curieux qu’un des aspects les plus importants des personnages de ce film est de dénoncer rapidement et sans façon leurs comparses ou leurs commanditaires, sans se soucier vraiment de leur loyauté ou de leur fidélité.

 

La loi de Téhéran, Metri Shesh Va Nim, Saeed Roustayi, 2019

Samad est obligé de prouver qu’il n’a pas volé la drogue 

Ce film a été tourné en 2019, sortie en France seulement en 2021, je l’avais alors manqué. Il a été un énorme succès en Iran, preuve qu’il répondait à des considérations importantes des Iraniens. Roustayi a bien expliqué les difficultés qu’il a eu pour mettre en place cette production, les autorités ne la voyait pas d’un bon œil. Mais pour ma part je trouve étonnant que cette diatribe sombre contre la décomposition manifeste de la société iranienne ait pu être tournée. C’est un portrait à charge très violent, une dénonciation. De la corruption et de la cupidité. Les difficultés de la police à faire son travail en sont la preuve. Mais le film a été aussi très bien accueilli en dehors de l’Iran, et pas seulement par des festivaliers qui sont prêts à avaler n’importe quoi pour peu qu’on leur dise que c’est nouveau. Ce succès est tout à fait mérité. Le film n’est pas parfait, Roustayi se laisse parfois aller a des formes convenues de cadrage qui flirte avec le bon goût occidental. Mais ça ne fait rien, tel qu’il est, le film est très original et c’est un excellent film noir, à une époque où ni les Américains ni les Français semblent avoir perdu leur savoir-faire en la matière. Selon moi c’est un baromètre de la santé mentale des Iraniens. On sait que le régime actuel ne se maintient que grâce à la trique et que beaucoup d’Iraniens et d’Iraniennes travaillent sous-main pour leur propre libération. Ce film en est peut-être la preuve. 

La loi de Téhéran, Metri Shesh Va Nim, Saeed Roustayi, 2019 

Nasser apprend qu’il va être exécuté  

La loi de Téhéran, Metri Shesh Va Nim, Saeed Roustayi, 2019

Toute la famille de Nasser est venue l’embrasser une dernière fois 

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