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Le blog d'Alexandre Clément

La maison démontable, One week, Buster Keaton, 1920

Contrairement à ce que mon blog pourrait laisser croire, je ne regarde pas que des films noirs. J’ai été élevé comme ça, depuis que je suis tout petit, je voue aussi un vrai culte à Buster Keaton qui m’a accompagné durant des décennies et qui est toujours présent à mes côtés. Ne me demandez pas de choisir entre Buster Keaton et Charles Chaplin. ces deux grands génies ont été à l’origine de ma passion pour le cinéma. Et je leur ai été toujours très fidèle. Ce sont des remèdes contre l’ennui et la morosité de notre époque. Bien qu’il y ait plus de vérité dans un petit film de Buster Keaton que dans n’importe quel journal télévisé, c’est une saine distraction que de le revoir. Dans mon travail d’écrivain j’ai sans doute été influencé par les grands auteurs de romans noirs, de Dashiell Hammett  à Frédéric Dard en passant par Jim Thompson ou encore Charles Williams. Les grands réalisateurs de films noirs ont sûrement dû avoir aussi une influence plus ou moins directe sur l’idée que je me fais du roman et le comportement des personnages, Robert Siodmak, Billy Wilder, ou encore le plus obscur Joseph H. Lewis. Mais je crois que Buster Keaton m’a tellement marqué qu’il n’est pas possible de croire qu’il ne m’a pas influencé aussi, si ce n’est dans les histoires que je fabrique, par un certain détachement ironique d’avec la réalité immédiate. Je serais vraiment un infâme si de temps à autre je ne rendais pas hommage à ce génie ! C’était des films que nous voyions dans les salles d’art et d’essai ou plutôt dans des salles dites de répertoire – concept qui n’existe plus – souvent dans des mauvaises conditions, avec des copies tellement usées qu’on n’y voyait plus rien. Cependant, les salles étaient pleines à craquer, sans doute parce que nous n’avions pas la télévision.   

La maison démontable, One week, Buster Keaton, 1920

Buster et Sybil se sont mariés 

Le regretté Jean-Pierre Coursodon considérait que One week était vraiment le premier film original de Buster Keaton[1]. Il venait d’ailleurs d’inaugurer des studios tout neuf ce qui était la marque d’un homme qui savait ce qu’il voulait. Mais Coursodon voulait dire par là non pas que Buster Keaton n’existait pas avant, mais que ce personnage lunaire et poétique n’avait pas acquis toutes ses dimensions. On redécouvre son œuvre, notamment aux Etats-Unis. Notez que Capricci a réédité récemment les mémoires de Buster Keaton sous le titre La mécanique du rire, autobiographie d'un génie comique. C’est un ouvrage qui avait été publié par l’Atalante en 1984 sous le titre de Slapstick. Les mémoires de Buster Keaton. Vient de paraître également le livre très attendu de James Curtis, Buster Keaton: A Filmmaker's Life chez Knopf. C’est un pavé richement illustré de plus de 800 pages. Je n’ai pas encore eu le temps de le lire, je l’ai juste parcouru. 

La maison démontable, One week, Buster Keaton, 1920 

Leur oncle leur a fait livrer une maison à monter soi-même 

Buster et Sybil se marient. Leur oncle leur a donné comme cadeau de mariage un terrain et une maison à monter soi-même. Mais ce mariage a fait au moins un jaloux qui lorgnait sur Sybil et qui enrage de voir Sybil mariée à Buster. Tandis que les jeunes époux tentent de comprendre comment monter leur maison, il faut respecter les différentes étapes, le jaloux va intervenir pour modifier les numéros d’ordre sur les caisses. Le résultat va être désastreux et la maison ne ressemblera plus à rien, alors même que déjà les maladresses de Buster ont posé de nombreux problèmes. Mais Sybil est une très bonne fille, elle aime Buster et s’en moque de savoir qu’il n’est pas très dégourdi. Alors que la maison est finie, il faut encore clouer la moquette et recevoir le piano. Celui-ci est livré par un géant, Joe, qui d’une manière très décontractée porte le lourd instrument sur son épaule et par inadvertance écrasera Buster sous son poids. Pendant que Buster travaille, Sybil prend son bain, elle fait des clins d’œil à la caméra, tentant de masquer qu’elle est nue dans sa baignoire ! Le jaloux va également se disputer avec Buster qui s’en débarrassera lors de la pendaison de la crémaillère en le faisant sortir par la fenêtre dans un magnifique plongeon. Mais pendant cette petite fête, il se met à pleuvoir, le toit fuie, les invités s’en vont la tempête arrive, tant bien que mal les deux époux tentent de sauver leur petite maison. Le lendemain de ce désastre, ils ont la visite d’un homme qui leur dit qu’ils se sont trompés de lot, ils ont construit leur maison sur le lot 66 au lieu du lot 99. Ils doivent donc partir. Ils essaient d’emmener leur maison avec eux, mais c’est difficile, en chemin ils bousillent leur voiture, puis un train va réduire en menu petit bois cette maison dans laquelle ils avaient mis beaucoup d’espérance. Ils vont abandonner, mais ils vont rester ensemble plus unis que jamais.

La maison démontable, One week, Buster Keaton, 1920 

  Quand Buster rate quelque chose, Sybil l’embrasse pour le consoler 

Le sujet a été inspiré à Buster Keaton par un petit film publicitaire qu’on peut trouver sur le site Alexander Street[2]. La firme Ford avait décidé de se lancer dans la construction de maisons préfabriquées pour les plus pauvres, pensant que le marché était très vaste, eu égard au nombre de pauvres qu’il y avait aux Etats-Unis. C’était en 1919, et le film publicitaire s’appelait Home made. Comme très souvent chez Buster Keaton, si c’est plutôt léger et jamais didactique, la satire sociale n’est jamais loin. Mais le film de Buster Keaton est aussi parodique, il utilisera des éléments qui existent déjà dans le petit film publicitaire : la Ford T, mais aussi le mariage et puis le déroulement du temps avec les pages du calendrier qui défilent. C’est une forme de détournement pour donner un autre son à ce que la publicité présente comme une sorte d’idéal. Et en effet plus les jeunes amoureux vont s’enfoncer dans leur rêve de devenir propriétaires, et plus ils vont de désillusions en désillusions. C’est évidemment une manière récurrente de faire rire le public dans les comédies populaires de ce type. Chaplin fera de même, mais en appuyant sans doute un peu plus sur le message. Manifestement Buster aime Sybil, mais le mariage ne lui fait pas vraiment plaisir quand il quitte l’église où l’union a été célébrée, il tire une figure de trois pans de longs, envoyant des regards courroucés au public qui l’acclame et lui envoie des grains de riz qui l’agacent. 

La maison démontable, One week, Buster Keaton, 1920

Le fourbe jaloux change les numéros des lots 

On remarque que tout ce qui intervient depuis l’extérieur du couple ne tarde pas à tourner à l’aigre. L’oncle s’est mêlé d’offrir un terrain et une maison démontable, mais c’est une source d’ennuis sans fin, un cadeau empoisonné. Tout est raté, et au-delà de la maison, la pendaison de la crémaillère sera aussi un fiasco. Cependant l’amour entre Sybil et Buster est indestructible, ils abandonneront leur rêve de pacotille et repartiront ensemble la main dans la main. On a beaucoup commenté la magnifique scène de Sybil nue dans sa baignoire, laissant entrevoir la forme de ses seins. C’est une scène clé puisqu’en effet elle est tout à fait opposée à la scène du mariage où on la voit surchargée de fleurs et coiffée d’un voile. Elle représente le désir sexuel de Buster, avec un clin d’œil au spectateur qui tente de se rincer l’œil. On voit une main passer devant la caméra pour bien montrer qu’on ne doit pas montrer une femme nue, fut-elle belle, au cinéma. Sybil adresse d’ailleurs un magnifique sourire à la caméra et au-delà aux spectateurs, puis un clin d’œil malicieux. C’est un commentaire de ce qu’est le cinéma un objet de frustration qui nous éloigne de la vie. Le mariage n’est pas la raison d’être de ce couple. L’homme est aussi en permanence désiré par sa compagne, Sybil l’embrasse tout le temps et tracera deux cœurs transpercés d’une flèche sur le côté de la maison. Ce qui ne l’empêchera pas de faire semblant d’être gênée quand de manière intempestive Buster déboule dans la salle de bains, elle le chasse pour qu’il ne la voit pas nue. L’amour et le désir sexuel sont une constante de la cinématographie de Buster Keaton, même si le désir est toujours représenté sans insister ou d’une manière dérivée, sans rien de louche, ni de graveleux. Et d’ailleurs Buster n’est pas le seul à désirer Sybil, le jaloux essaie même de lui voler sa femme et enrage de ses échecs répétés. Il reste au-delà de l’histoire l’image d’un couple tendre et fusionnel. Ce qui est la quête permanente et obsessionnelle de la cinématographie de Buster Keaton. Ce couple est imperméable au mauvais temps et à toutes les avanies qui lui arrivent en rafale. 

La maison démontable, One week, Buster Keaton, 1920 

La maison n’a pas du tout l’air de ce qu’elle devrait être 

Les gags, pourtant très travaillés, ne sont pas le moteur de l’intrigue, ils en sont seulement l’illustration. De nombreux éléments de ce film seront repris encore par la suite, comme la maison qui tombe au-dessus de Buster qui s’encadre dans la fenêtre, il vient de Back Stage de Fatty Arbuckle tourné l’année précédente, et il a certainement été pensé par Buster Keaton qui le reprendra dans Steamboat Bill Junior, un des chefs d’œuvre de Buster Keaton qu’il tournera en 1928. Les gags sont souvent très simples, Buster qui scie la planche sur laquelle il est installé et qui tombe – il sera d’ailleurs blessé une nouvelle fois durant le tournage, son corps étant depuis longtemps une série de cicatrices. On retrouve la gestuelle particulière de Buster, ce corps en équilibre précaire qui menace en permanence de tomber, ou encore le jaloux qui passe par la fenêtre dans un saut spectaculaire qui l’amène à s’effondrer méchamment contre une palissade. Il y a avec ce film un nouveau tournant qui est pris par Buster Keaton, il vise l’épure, la simplicité maximale, et c’est stylisation qui va donner du charme à son comique particulier. Bien sûr il court dans tous les sens, mais il a un art consommé pour que cela n’apparaisse pas répétitif. Le film dure 24 minutes 37, il est souvent donné pour 19 minutes, mais la version restaurée que j’ai à ma disposition est légèrement plus longue. Néanmoins dans une durée aussi courte, l’histoire est particulièrement dense et ne laisse pas le spectateur en repos. C’est un film d’action si on peut dire et les acteurs se démènent, montrant combien ils apprécient d’être là pour Buster ! La manière de filmer utilise des angles plutôt savants et le montage accélère le rythme. 

La maison démontable, One week, Buster Keaton, 1920

Le livreur de piano est arrivé 

La maison va être emportée par la tempête, elle tourne sur elle-même, rien ne peut l’arrêter. On retrouvera ça en plus élaboré dans Steamboat Bill junior. Et il y a parfois des difficultés pour le caméraman de suivre la frénésie keatonienne. Buster Keaton joue aussi sur les oppositions, d’abord avec le fourbe jaloux qui veut prendre son aimée, il est grand, il est méchant, il plisse les yeux, il est l’opposé de Buster qui a des grands yeux, bien ouverts qui lui donnent un air d’innocence qu’il n’a pas forcément. Ensuite Buster est opposé avec sa toute petite taille au livreur de piano, un géant, qui va l’écraser sous l’instrument. Et puis il est opposé aux vieux bourgeois qui sont venus pour la pendaison de la crémaillère. Si cela a bien la signification d’isoler le couple des conventions sociales, c’est aussi une critique indirecte d’un mode de vie étriqué fondé principalement sur la recherche du bien-être matériel. 

La maison démontable, One week, Buster Keaton, 1920

Sybil minaude dans son bain 

Il y a peu d’acteurs, mais quels acteurs ! Buster Keaton en première ligne évidemment, mais aussi la superbe Sybil Seely, une habituée du cinéma keatonien avec qui elle tournera pas moins de six films, ici elle avait seulement vingt ans. Elle a beaucoup de charme. Elle sera aussi de l’aventure de The boat, le film suivant de Buster Keaton. Ce film est comme une suite de One week, mais cette fois Buster et Sybil ont deux enfants, ce qui complique les situations. Entre les deux films Sybil Seely avait épousé Jonathan Furthman, un scénariste qui avait été prolifique au temps du muet et qui connut un grand succès dans des productions haut de gamme, comme To have or have not, Howard Hawks, ou l’excellent Nightmare alley, celui signé par Edmund Goulding en 1947.  Buster Keaton voulait d’ailleurs remonter les deux films ensemble pour n’en faire qu’un. On ne sait pas pourquoi, cela ne se fit pas, peut-être n’a-t-il pas trouvé le temps de tourner les scènes de raccord. Dans ce film pourtant muet, on verra Buster appeler « Sybil » quand elle s’est envolée en haut de la maison ! Joe Roberts le géant habituel des films de Keaton fait juste une petite apparition, mais quelle présence ! Personne à ma connaissance n’est arrivé à identifier le sournois jaloux, mais il est excellent, non seulement dans ses mimiques qui montrent combien il est mauvais, mais aussi dans ses capacités acrobatiques quand il court après Buster pour le crever et qu’il saute par la fenêtre. 

La maison démontable, One week, Buster Keaton, 1920 

Le jaloux est passé par la fenêtre 

C’est un petit chef d’œuvre, je dis petit parce que le film ne fait que 24 minutes trente-sept, et aussi parce que les longs métrages de Keaton seront bien plus ambitieux et complexes. Le film fut un succès commercial, même s’il fut très long à démarrer, les distributeurs n’en voulaient pas immédiatement. Comme tous les films de Buster Keaton qui sont tous tombés dans le domaine public, celui-ci se trouve très facilement sur Internet, parfois dans des copies contestables. On le trouve en Blu ray sur le territoire américain dans un coffret de cinq disques en Blu ray, récemment restauré chez Lobster. Si MK2 avait fait l’effort de présenter l’ensemble de l’œuvre de Chaplin dans une belle collection, personne en France n’a eu l’idée de faire la même chose pour Buster Keaton, preuve sans doute qu’il y a une réticence à admettre qu’il est aussi génial que le génial créateur de Charlot. 

La maison démontable, One week, Buster Keaton, 1920 

Il pleut dans la maison 

La maison démontable, One week, Buster Keaton, 1920

Buster tente de tracter sa maison 

La maison démontable, One week, Buster Keaton, 1920

Buster et Sybil vont vendre ce qu’il reste de la maison démontable 

La maison démontable, One week, Buster Keaton, 1920

Buster inaugure ses nouveaux studios en janvier 1920 

La maison démontable, One week, Buster Keaton, 1920

Buster Keaton et Sybil Seely 



[1] Jean-Pierre Coursodon, Buster Keaton, Seghers, 1973

[2] https://search.alexanderstreet.com/preview/work/bibliographic_entity%7Cvideo_work%7C2463114

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