20 Mars 2016
Alain Corneau, disparu en 2010, a eu son heure de gloire vers la fin des années soixante-dix et fut présenter comme un auteur français capable de renouveler le film noir. Pourtant quand on réexamine sa filmographie, il ne reste pas grand-chose. Sans même parler du ridicule ratage de l’adaptation du Deuxième souffle de José Giovanni en 2007, il a aussi complètement loupé celle de Hell of woman de Jim Thompson sous le titre racoleur de Série noire. Il a réalisé aussi plusieurs longs métrages avec Yves Montand qui ont été des succès public et critique importants. La menace est déjà la seconde collaboration entre les deux hommes. Auteur complet, Corneau est l’auteur du scénario avec Daniel Boulanger.
Henri Savin dirige d’une poigne de fer son entreprise
Henri Savin dirige pour le compte de Dominique Monlaur une entreprise de transports de grande taille. Mais il veut se séparer de Dominique et refaire sa vie avec la jeune et fraîche Julie qui est du reste enceinte de lui. Dominique ne l’entend pas de cette oreille, et si dans un premier temps elle tente de faire revenir Henri sur sa décision, elle finit par convoquer Julie dans une rencontre qui tourne finalement au pugilat. Julie arrive à se sauver, et Dominique se suicide. Les traces de coups, et d’autres indices encore laissent entendre à la police que Julie est la meurtrière. Arrêtée, elle refuse de parler. Henri se dissocie d’elle, mais en vérité il va mettre en œuvre un plan très compliqué pour se faire accuser du meurtre de Dominique – puisqu’ils n’ont aucun moyen de prouver leur innocence – ensuite il va disparaître au Canada en se faisant passer pour mort avec le but de rejoindre Julie innocentée à Melbourne en Australie. L’issue de cette étrange cavale sera très différente de ce qu’il espérait.
La riche Dominique a acheté des camions pour Henri qui les refuse
Si le film fut formaté pour être un succès commercial, c’est pourtant un ratage artistique spectaculaire. La première défaillance du film tient à l’accumulation d’invraisemblances dans une histoire à dormir debout. Ces invraisemblances sont non seulement factuelles – par exemple la rapidité de réaction des camionneurs canadiens qui se transforment presqu’instantanément en vengeurs unis et solidaires d’une cause qu’ils ne peuvent pas vraiment comprendre – mais aussi sur le plan psychologique – les réactions de Julie et d’Henri sont invraisemblables quand d’abord ils cherchent à camoufler leur présence sur les lieux, puis ensuite quand Henri met en œuvre un plan tellement compliqué que ses chances de réussite sont voisines de zéro. L’histoire de l’horloge que Savin met en panne est le symétrique de la panne qu’il occasionne sur sa machine à écrire, on suppose que cela donne l’allure d’une histoire compliquée. Le deuxième aspect négatif du film est que Corneau choisit – sans doute influencé par les théories péremptoires de Jean-Patrick Manchette – ce qu’il pense être un point de vue behavioriste, et donc il va privilégier l’action, mais ce faisant il multiplie les scènes inutiles qui se répètent, les camions qui tournent dans tous les sens, la répétition des confrontations de Julie avec l’appareil judiciaire, ou encore les colères de Dominique. Le film n’arrive jamais à choisir son point de vue : est-ce un film sur la passion amoureuse et ses conséquences dramatique ? Est-ce un film sur les arcanes judiciaires qui se perdent dans fausses pistes au détriment de faux coupables ? La fin d’ailleurs laisse perplexe : Savin est-il puni pour son passé douteux ? Est-il puni pour avoir trahi Dominique ? Les hypothèses restent ouvertes. On a comparé ce film à Hitchcock, malgré les réserves qu’on peut formuler à l’encontre de ce réalisateur, il y manque la minutie de la mécanique.
Henri veut refaire sa vie avec Julie qui est enceinte
Les personnages sont assez mal taillés. Savin est à peu près compréhensible, c’est un vieux mâle qui, lassé de se faire entretenir par la richissime Dominique, saisit par le démon de midi, se choisit une nouvelle et jeune femelle. Passons sur les outrances de la rage jalouse de Dominique qui se sent abandonnée alors qu’elle est un peu vieillissante. Mais Julie est totalement incompréhensible. Son personnage est tellement creux qu’on ne comprend même pas qu’elle arrive à tenir tête à la justice. Sans doute veut-on dire que l’amour la porte. Le quatrième personnage de cette louche affaire est l’inspecteur Waldeck : il gobe tout ce qu’on lui fait gober, tout en affichant une sorte de contentement de soi qui fait peine à voir. Du reste tout le personnel judiciaire est caricaturé à l’excès. Le procureur apparaît tellement rigide qu’on se demande si la magistrature ne recrute pas que des imbéciles paresseux.
Dominique se suicide
Sur le plan cinématographique nous avons dit déjà que les scènes d’action alourdissent inutilement le film qui aurait déjà gagné à avoir une bonne demi-heure de moins. Certes une partie de cette complaisance est un peu gommée par un montage assez nerveux et un bon rythme. Mais trop souvent Corneau confond sa passion pour les images spectaculaires au détriment de la bonne grammaire cinématographique. Ça devient un cinéma de l’effet où Corneau prend plaisir à filmer des camions dans tous les sens : plongée, contre-plongée, museaux allongés, machines formidables qui écrasent aussi bien les déterminations humaines. Mais les scènes d’intimité ne valent guère mieux, que ce soit les niaiseries censées expliquer la passion amoureuse de Savin et de Julie, ou les conflits conjugaux entre Savin et Dominique. Quelques séquences échappent à la critique, celles qui se passent dans le tribunal quand Waldeck fait semblant d’éviter à Julie la confrontation avec les journalistes. La ville de Bordeaux est elle-même assez peu présente, alors que celle-ci devrait donner un air provincial à se drame de la passion.
Dans un premier temps Julie est accusée de meurtre
L’interprétation est assez médiocre. Yves Montand dans le rôle de Savin se croit sans doute revenu au temps du Salaire de la peur à jouer les camionneurs virils et déterminés. Il montre ici toutes les limites de son jeu. Notez que c’est vers cette époque que l’acteur, ancien compagnon de route du PCF fera son coming out libéral en basculant vers un américanisme incongru alors que la fin de la Guerre froide est entérinée. Carole Laure est plutôt insipide, c’est la partie coproduction franco-canadienne. A l’époque elle était encore une actrice connue et banquable comme on dit en langage moderne. Jean-François Balmer est un peu mieux dans le rôle de Waldeck, un inspecteur un peu sadique dont l’obstination le conduira à des bévues spectaculaires. On saura gré à Corneau d’avoir fait jouer Marie Dubois dans le rôle de Dominique, mais encore elle n’a qu’un petit rôle et surtout ne brille pas vraiment, malgré les manières esthétisantes dont Corneau use en filmant son magnifique regard ou son dos.
Henri cherche à tirer Julie d’une mauvaise passe
Seule la musique de Gerry Mulligan est excellente et donne un peu d’étrangeté à ce film. Mais les années sont bien cruelle pour ce genre de production de série qui a enthousiasmé la critique au moment de sa sortie.
Les camionneurs canadiens piègent Savin