18 Juin 2017
John Brahm va délaisser les formes trop sombres de ses précédents films, pour se lancer dans la mise en scène d’une histoire plus traditionnelle de détective privé. Adapté de The high window de Raymond Chandler, on aurait pu croire que cela donnerait un grand film sous la direction de John Brahm. Et ce d’autant que Robert Bassler en était le producteur. Contrairement à sa très mauvaise réputation, si ce n’est pas un chef d’œuvre, ce n’est pas non plus la pire des adaptations des aventures de Philip Marlowe, et elle présente même un certain intérêt. Curieusement c’est un des films noirs les moins pessimistes de John Brahm, et c’est aussi une des adaptations les moins désenchantées des aventures de Philip Marlowe. Sans doute est-ce cela qui n’a pas beaucoup plus à Chandler.
Philip Marlowe est engagé par une vieille richissime acariâtre madame Murdock qui lui demande de retrouver une pièce d’or, le Brasher doubloon, qui lui a été volé. Le détective se rend compte rapidement que tout le monde lui ment, madame Murdock, comme sa secrétaire Merle, et comme le fils Murdock. Il est prêt à laisse tomber l’affaire, mais sur l’insistance de Merle pour laquelle il a manifestement le béguin, il va continuer l’enquête. Il commence par un vieux numismate Morningstar. Puis il va diriger ses recherches vers un nommé Anson. Les deux hommes meurent rapidement, assassinés, mais Marlowe arrive à récupérer un ticket de consigne qui lui permet d’obtenir la pièce. Cependant les meurtres ne sont pas résolus. Cela devient compliqué, non seulement parce que le petit revolver de Merle semble être impliqué dans les deux assassinats, mais parce que les truands de Vince Blair eux aussi rentrent dans la danse. La police s’en mêle. C’est ensuite autour d’un personnage, Vannier, qui possède un film sur la mort de Monsieur Murdock, de menacer Marlowe pour obtenir la pièce. Marlowe comprend qu’il s’agit d’un maître chanteur et que l’objet du chantage est Merle, la secrétaire qui est accusé d’avoir poussé son patron par la fenêtre. Il résoudra pourtant l’affaire en retrouvant Merle devant le cadavre de Vannier, puis le film proprement dit qui montre lorsqu’on l’agrandit qui est le véritable meurtrier de Monsieur Murdock. Tout le monde se fera embarquer, la vieille Murdock, son fils, les truands qui ont molesté Marlowe. Le détective va pouvoir filer le parfait amour avec la belle Merle, libérée enfin de ses phobies.
Philip Marlowe est engagé par la richissime madame Murdock
Ce n’est peut-être pas le meilleur roman de Chandler, mais il est tout de même très bon. L’adaptation est à peu près fidèle à l’allure générale de l’intrigue, mais les scénaristes lui ont donné un ton léger qui étonne un peu. Sans doute cela allait avec les consignes du studio qui avait en ligne de mire le grand succès du film d’Howard Hawks, The big sleep. Le film manque manifestement de moyens, cela se voit dans la manière dont la durée est écourtée, mais aussi à la distribution sur laquelle nous reviendrons un peu plus loin. Notez que The high window avait fait l’objet d’une adaptation en 1942 sous le titre de Time to kill, avec l’insipide lloyd Nolan dans le rôle d’un détective nommé Michael Shayne. Ce nom était en fait une sorte de franchise, et on avait bêtement utilisé le roman de Chandler, The high window, pour fournir de la matière à un épisode de cette série.
Philip Marlowe est séduit par la secrétaire de Madame Murdock
C’est donc une histoire de détective, ce qui veut dire que peu de choses apparentes son vraies, et que le principal doit rester caché. Marlowe met à jour tout ce qui a été repoussé dans les tréfonds de l’âme humaine. Il travaille un peu comme une sorte de psychanalyste sauvage qui va révéler pas à pas les traumatismes enfouis dans la mémoire de Merle. En effet celle-ci croit avoir poussé son patron par la fenêtre parce qu’il la poursuivait de ses assiduités. Elle avait donc quelque chose à cacher. Mais ce secret horrible servait en fait à cacher d’autres secrets. Ce sont les Murdock qui sont en cause. Et suivant l’adage bien connu, la richesse provenant toujours d’un crime initial, il s’agit aussi de remettre des riches arrogants et sûrs de leur pouvoir à leur place. Mais Marlowe est le représentant d’une certaine morale aussi et à son échelle, il va contribuer à remettre de l’ordre dans une société qui se délite. En effet tous ces personnages sont motivés par l’argent, et leur cupidité se transmet presque comme une maladie contagieuse. La cupidité se double en général d’une forme de lâcheté, et tout cela mène au meurtre.
Un étrange personnage veut récupérer le doubloon Brasher
Pour se tenir au plus près de l’œuvre de Chandler, John Brahm utilise la voix off, donc le commentaire à la première personne du détective. Pour le reste, il est toujours à l’aise dans les mouvements de caméra, avec l’utilisation de la grue qui par exemple lui permet de filmer l’arrivée de Marlowe chez le numismate, ou encore lorsqu’il revient à son bureau, en utilisant au maximum des décors relativement pauvres pour leur donner un peu d’espace. C’est aussi le cas lorsqu’il vient visiter les Murdock pour la première fois. De même il utilise abondamment ces fenêtres au store vénitien qui, en même temps qu’elles maintiennent de l’ombre, prédisent une difficile remontée de la vérité, comme un barrage ultime. Marlowe est un détective privé, en américain courant, a private eye. Et effectivement il montre qu’il est un œil, ou un voyeur, au choix. Il voit ce que les autres ne voient pas ou refusent de voir. C’est ainsi qu’il découvrira la vérité à travers un agrandissement d’un film tourné au moment de la mort de Monsieur Murdock. C’est un procédé qui pouvait paraître moderne à cette époque-là et qui sera repris très souvent, par exemple dans des films comme Blow up d’Antonioni. Là, le mélange d’un petit film d’amateur avec le film lui-même touche juste. Les scènes d’action sont assez bâclées, ce sont les moins bonnes du film.
Vannier veut également la pièce
La distribution n’aide pas vraiment le film. George Montgomery incarne Marlowe. C’est un ancien champion de boxe poids lourd, un costaud donc, qui s’est recyclé dans le cinéma avec assez peu de succès. Il ne fera pas une vraie carrière. Il était trop raide, avec peu de charisme. C’est le meilleur rôle qu’il aura eu dans sa vie d’acteur, mais le résultat n’est pas très probant. On a donné un peu plus d’importance à Merle qu’elle en a réellement dans le livre, peut-être pour compenser les faiblesses de George Montgomery. La frileuse secrétaire de madame Murdock est incarnée par Nancy Guild. Celle-ci avait eu auparavant un rôle intéressant dans Somewhere in the night, un des rares films noirs de Joseph L. Mankiewicz. Son physique n’est pas extraordinaire, mais elle tient assez bien sa place. Le plus intéressant est sans doute Conrad Janis, une sorte de Leonardo di Carpio sous amphétamines dans le rôle du jeune Leslie, débauché et criminel. Une mention spéciale doit être décernée à Alfred Linder dans le rôle d’Eddie Prue dont la paupière retombe curieusement sur l’œil droit.
Merle menace également Marlowe et veut récupérer la pièce d’or
Certes ce n’est pas le plus intéressant des films de John Brahm. Cependant, parce que l’intrigue est intéressante et parce que c’est John Brahm, c’est un film qui se voit ou se revoit avec plaisir, malgré tous les défauts qu’on a soulignés. Ce n’est pas la pire des adaptations de Chandler qui a toujours été trahi par les réalisations qu’il a inspirées. Notez aussi que le talentueux Raymond Chandler a été trahi dans les grandes largeurs par la Série noir qui a sabordé complètement les traductions de ses ouvrages, Boris Vian n'y étant pas pour rien dans ce crime.
Marlowe prévient la police
Leslie va se trahir