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Le blog d'Alexandre Clément

La piscine, Jacques Deray, 1969

La piscine, Jacques Deray, 1969  

C’est un film assez curieux, moins par son sujet que par le succès qu’il a obtenu un peu partout dans le monde. Sorti en 1969, il a été tourné l’été de 1968, date très particulière aussi bien pour la France que pour le cinéma français qui est très touché, une forme de rébellion, emmenée par les metteurs en scène de la Nouvelle Vague, Godard, Truffaut, Louis Malle, Polanski et même le très réactionnaire Claude Lelouch prétend faire du cinéma autrement. Le festival de Cannes sera d’ailleurs annulé cette année-là. Mais l’équipe de La piscine reste à l’écart de ce mouvement qui fera assez vite long feu, chacun retournera à ses petites combines, sauf Godard qui au contraire va s’enfoncer dans un cinéma différent, loin de la fiction, mettant en évidence un militantisme prochinois auquel des vedettes aussi cotées que Jane Fonda ou Yves Montand tenteront d’apporter du crédit. Mais ce sera un feu de paille, sans succès, et les films qui marcheront en 1969 seront justement des films traditionnels avec un début, un développement et une fin. Pour autant la production de ce film ne fut pas très facile à monter. Le choix des acteurs n’était pas simple, on sait que c’est Delon qui a imposé Romy Schneider dont la carrière à cette époque patinait, et qui reviendra grâce à ce film sur le devant de la scène. Par exemple Claude Sautet l’engagea pour Les choses de la vie, parce qu’il l’avait vue dans La Piscine. Pour le rôle de Marianne, Deray avait approché Monica Vitti, Jeanne Moreau et même Angie Dickinson qu’il retrouvera quelques années plus tard pour Un homme est mort. Enfin, Maurice Ronet n’était pas du tout prévu dans le role d’Harry, c’était Daniel Gélin qui devait le faire. Mais le producteur l’aurait, selon ses dires, viré pour avoir incité Louis de Funès à faire grève sur le tournage du Gendarme se marie ! 

La piscine, Jacques Deray, 1969  

A Saint Tropez, Jean-Paul et Marianne filent le parfait amour

Alain Delon qui se trouvait un peu isolé à cette époque, ne trouvant pas quelque chose à louer qui lui convienne fut hébergé par Brigitte Bardot qui était voisine du tournage. Elle-même a dit qu’il restait à l’écart de ses invités qui faisaient la fête tous les soirs, dans une ambiance qui rappelle pour partie le film La piscine. Jacques Deray sortait à cette époque de trois échecs successifs, Par un beau matin d’été, avec Belmondo n’avait pas marché, Avec la peau des autres avec Lino Ventura non plus, et L’homme de Marrakech, film totalement invisible aujourd’hui non plus. Autant dire que le succès de La piscine fut pour lui une sorte de résurrection. Le scénario a été écrit par Jacques Deray et Jean-Pierre Cosnil, c’est-à-dire Alain Page, un auteur de romans policiers et de romans d’espionnage qui a assez peu travaillé pour le cinéma, mais qui donnera aussi le scénario de Tchao Pantin, immense succès de Claude Berri en 1983. Plus tard, le scénario fera l’objet d’une novellisation. L’apport de Jean-Claude Carrière ne porterait, selon lui, que sur des dialogues additionnels. 

La piscine, Jacques Deray, 1969 

Marianne a l’air contente de retrouver son ancien amant 

Marianne et Jean-Paul occupent une villa qu’on leur a prêtée à Saint-Tropez. S’ils semblent filer le parfait amour, Jean-Paul est un écrivain en panne d’inspiration. Mais Harry et sa fille Pénélope arrive de manière inopinée. Harry est un homme qui a réussi dans l’industrie du disque. Il est fier de sa réussite, et il en fait l’étalage. Mais il est aussi l’ancien amant de Marianne et celle-ci semble heureuse de le retrouver pour interrompre son face-à-face avec Jean-Paul. Tandis que Marianne flirte avec Harry, Jean-Paul commence à etre attiré par Pénélope. Harry cependant continue à humilier Jean-Paul et leurs relations commencent à être tendues. Quand Marianne revient avec Harry d’une escapade à Saint-Tropez, Pénélope et Jean-Paul ne sont pas là. Ils arrivent cependant, et disent qu’ils ont été se baigner sur la côte. Marianne est jalouse et craint que Jean-Paul soit amoureux de Pénélope. Quelques jours plus tard, Harry ramène du monde pour faire la fête. Pénélope s’ennuie. Tout le monde boit beaucoup. 

La piscine, Jacques Deray, 1969

Harry est venu avec sa fille Pénélope 

Harry décide de repartir le lendemain, écourtant son séjour. Mais il s’en va voir un ami à Saint-Tropez. Quand il rentre, complètement saoul, il retrouve Jean-Paul qui est seul près de la piscine. Il se met à rabaisser Jean-Paul, le traite de raté et montre qu’il ne supporte pas qu’il tourne autour de sa fille avec qui il croit qu’il a couché. Les choses s’enveniment et Harry tente de frapper Jean-Paul, mais celui-ci esquive, et Harry tombe dans la piscine. Presque désaoulé, Harry demande à Jean-Paul de l’aider à le faire sortir de l’eau, mais Jean-Paul le repousse chaque fois qu’il tente de sortir, puis il le noie. Harry mort, Jean-Paul le déshabille pour faire croire qu’il a eu un accident en se baignant, et il pose des habits propres près de la piscine. Alors qu’on enterre Harry, un inspecteur vient rôder autour de la maison pour tenter de comprendre s’il s’agit bien d’un accident. Il a en effet remarqué que les vêtements près de la piscine n’ont pas été portés. Il soupçonne Jean-Paul, mais il n’a pas de preuves.    Marianne cependant a trouvé les vêtements que portait Harry cette nuit-là. Elle comprend que Jean-Paul a noyé Harry, et celui-ci le lui avoue. Elle lui explique qu’elle ne parlera pas, mais qu’il faut faire partir Pénélope. Pénélope partie, les relations entre Marianne et Jean-Paul ne sont pas au mieux. Il veut partir, mais Marianne refuse de le suivre. Alors qu’elle appelle un taxi pour l’amener à la gare, Jean-Paul interrompt la communication et les deux amants décident de rester ensemble.  

  

La piscine, Jacques Deray, 1969 

Marianne se déshabille pour Jean-Paul 

L’histoire a de multiples rapports avec Plein soleil de René Clément, le film qui fit d’Alain Delon une grande vedette internationale. Et bien sûr cela est renforcé par la présence de Maurice Ronet. Cependant dans l’esprit et la réalisation, c’est assez différent. Il y a également un autre film qui a peut-être pu inspirer La piscine, c’est Diaboliquement votre, l’ultime film de Julien Duvivier où on retrouve des scènes similaires quand la police tente de coincer l’assassin et que la femme ne parle pas et le sauve d’une arrestation probable[1]. Mais ici il n’y a pas de louches combinaisons pour de l’argent. Il y a juste de la jalousie à l’état presque chimiquement pur. Nous avons donc un trio, la femme, l’ancien amant et le nouveau. Marianne attise la jalousie de Jean-Paul en flirtant avec Harry, Harry attise la jalousie de Jean-Paul en le provoquant, en le traitant de raté et en montrant qu’il peut reprendre Marianne quand il le veut. Jean-Paul se venge en séduisant la fille d’Harry. On a donc une structure qui ressemble à celle des Liaisons dangereuses où ce qui compte c’est de séduire. Mais comme on le sait depuis Choderlos de Laclos le détachement affiché en matière de relations sexuelles est très souvent un piège dans lequel on tombe. Autrement dit la jalousie est un sentiment naturel qu’on peut-être essayer de maitriser, mais qu’on ne peut nier. 

La piscine, Jacques Deray, 1969

Jean-Paul semble attiré par Pénélope 

La jalousie est alimentée évidemment par les situations matérielles des uns et des autres. Jean-Paul y serait moins vulnérable s’il avait une situation sociale qui l’éloigne du parasitisme qui le fragilise et l’expose. C’est évidemment quand la jalousie vire à l’affrontement qu’elle peut devenir dramatique. Elle engendre le crime. Dans cet étrange ballet où tout se passe en sourdine, sans que les choses soient dites, Marianne n’est pas la moins perverse, en effet, bien qu’elle reproche à Jean-Paul de fricoter avec Pénélope, elle-même passe du temps avec Harry, sachant pertinemment l’effet que cela aura sur son amant en titre. Mais cette histoire de jalousie s’inscrit aussi dans une société très particulière, c’est-à-dire une société bourgeoise où les plus riches piétinent ouvertement les plus pauvres. Ces fêtards qui peuplent les nuits de Saint-Tropez ne vivent que dans la représentation d’eux-mêmes, camouflant leur insuffisance native derrière leur capacité à faire de l’argent. La piscine c’est le lieu où se noient toutes les illusions de cette bourgeoisie sans avenir. Comme dans Plein soleil, il y a derrière cela une critique larvée d’une société de classes. Et quand Jean-Paul noie Harry, c’est bien d’un renversement de l’ordre bourgeois dont il s’agit, et cela d’autant plus que ce matérialisme s’exerce sans leçon de morale : Marianne sait très bien que Jean-Paul a tué, mais elle reste avec lui, devenant sa complice. Le crime est une manière finalement de souder un peu plus le couple de façon à dépasser les échecs respectifs de ses membres.                  

 La piscine, Jacques Deray, 1969

Devant Jean-Paul, Harry étale sa réussite 

À propos de ce film on a beaucoup discuté du personnage de Marianne qui de prime abord semble être une femme objet, un simple enjeu de la lutte entre Harry et Jean-Paul. C’est très réducteur. D’abord parce que c’est elle qui demande à Harry de rester à la villa avec sa fille, alors que cela contrarie les plans de Jean-Paul. Ensuite parce que si elle provoque celui-ci en flirtant avec Harry, il est clair qu’elle cherche à tester sa relation avec Jean-Paul en se servant de sa jalousie. Au fond l’amour passionnel ne peut exister que dans une forme de relation cloitrée, imperméable aux désordres extérieurs. C’est le sens des fenêtres qui servent à filmer le couple de loin, dans son enfermement.  

La piscine, Jacques Deray, 1969

Harry a invité beaucoup de monde pour faire la fête 

L’ensemble est baigné dans une sorte d’érotisme délicat où le désir plus que l’acte sexuel est magnifié. Si ça se passe autour de la piscine avant qu’Harry et Pénélope n’arrivent, Marianne et Jean-Paul s’enferme dans des pièces, seulement protégés par des fenêtres où les croisillons forment comme des limites et des interdictions. Tout se passe dans un décor unique, la maison et sa piscine, avec des petites escapes très mineures, l’une pour aller faire les courses à Saint-Tropez, et l’autre pour reconduire Pénélope à l’aéroport de Nice. Et puis bien sûr la visite du cimetière lors de l’enterrement d’Harry. C’est donc un huis-clos dont on ne sort que très difficilement. Cette villa est une prison et d’ailleurs, à la fin du film on comprend que Jean-Paul et Marianne sont incapables de s’en échapper. Derrière les croissillons de la fenêtre qui sont comme les barreaux d’une prison, ils vont vivre leur secret, sans possibilité de s’enfuir. Blottis l’un contre l’autre, ils admettent que la villa les a vaincus. On voit à quel point le décor est décisif. La piscine à l’eau dormante est un véritable personnage dont on ne peut s’éloigner. La maison est moins importante, certes elle est luxueuse, mais après tout c’est l’été et on vit dehors.    

La piscine, Jacques Deray, 1969

Marianne et Harry semblent flirter 

Le choix de Jacques Debray est de filmer les sentiments et cela passe par le regard. Ce choix de filmer les regards engendre une économie dans les dialogues et permet de suggérer plutôt que d’informer. L’imagination du spectateur fera le reste. Le format est du 1,66:1, ni trop large, ni trop resserré. On peut ainsi conserver cette dimension spatiale de l’été, et en même temps travailler sur les visages et les expressions du corps qui trahissent les tourments. Si Deray aime bien les travellings-arrières, il multiplie aussi les angles de prises de vue qu’il va utiliser dans un montage relativement lent afin d’épouser justement cette montée de la violence. La lenteur est évidemment voulue. Si les gros plans sont nombreux, ils ne sont volontairement pas statiques, ils suivent surtout les yeux et les regards, ils illustrent les silences, surtout ceux de Jean-Paul. C’est dans ce contexte qu’éclate cette scène d’une rare violence, celle de la noyade d’Harry qui est tournée d’une façon extraordinaire. On n’a l’impression que Maurice Ronet se noie véritablement, et d’ailleurs on dit que sur le tournage il a failli y passer !! Cette scène est le clou du film, mais surtout, en dehors de sa maitrise, elle surprend parce qu’elle intervient alors que tout le reste du film est calme, fait de violence rentrée, plutôt lent. Et d’un coup ça explose. 

La piscine, Jacques Deray, 1969

Jean-Paul va noyer Harry

C’est très maitrisé, et Deray utilise des figures stylistiques récurrentes du film noir, par exemple ces fameuses fenêtres dont j’ai parlé plus haut. Il y a aussi les miroirs qui ne sont pas seulement l’image narcissique d’un couple, mais aussi une manière de s’évader de la réalité, de passer de l’autre côté de la vie. Le diner sur la terrasse alors que tout le monde soupçonne tout le monde de tromperie, est filmé avec une belle profondeur de champ, histoire de montrer comme cette fausse amitié se défait avec le départ des protagonistes les uns après les autres. C’est comme un arbre qui perd ses feuilles en automne, et d’ailleurs la dernière scène nous rappelle que l’automne approche. 

La piscine, Jacques Deray, 1969

Après l’enterrement, Ils se retrouvent au bord de la piscine 

C’est le genre de film où l’interprétation est décisive, les personnages doivent être crédibles, donc suffisamment nuancés pour qu’on comprenne leur psychologie et leurs sentiments. Deray possède un quatuor d’acteurs remarquables. D’abord Alain Delon dans le rôle de Jean-Paul Leroy, écrivain un peu raté. Bien sûr il tue une nouvelle fois Maurice Ronet, mais son personnage est assez différent de Ripley de Plein soleil. Il se défend en fait de l’agressivité d’Harry qui le gène dans sa romance. Sa composition est exceptionnelle. Romy Schneider incarne Marianne, mais elle est moins brillante que Delon, moins inattendue, si on veut. Cependant elle a manifestement l’envie de jouer avec Delon, elle parait heureuse, et les scènes de corps-à-corps semblent très spontanée. Maurice Ronet reprend un rôle dont il a l’habitude, il est le représentant de la bourgeoisie triomphante qui joue avec sa puissance financière pour écraser les autres. Il est très bien. Et puis il y a Jane Birkin dont c’était à peine le second film en France, mais qui avait déjà pas mal tourné en Angleterre, notamment dans le fameux Blow Up d’Antonioni. Elle est Pénélope, cette grande fille maladroite à peine sortie de l’adolescence, mal dans sa peau, n’arrivant pas à se situer dans la vie. C’est son meilleur rôle, elle ne trouvera plus jamais l’équivalent ou ce niveau. Et puis il y a l’excellent Paul Crauchet dans le petit rôle de l’inspecteur Lévêque. Maddly Bamy qui avait une liaison avec Alain Delon à cette époque tient aussi un petit rôle, quasi-muet, on la retrouvera plus tard toujours aux cotés d’Alain Delon dans Madly, un film de Roger Kahane, complètement oublié aujourd’hui. 

La piscine, Jacques Deray, 1969

L’inspecteur Lévêque semble soupçonner qu’Harry n’est pas mort dans un accident 

La photo de Jean-Jacques Tarbes est bonne, il avait l’habitude travailler pour Alain Delon, on le retrouve dans tous les films que celui-ci tourna avec Jacques Deray. Je me suis fait la réflexion que les couleurs n’étaient peut-être pas assez travaillées. Mais c’est du travail propre. La musique est de Michel Legrand, à cette époque un compositeur de musiques de films très recherché, mais qui ici n’a rien d’exceptionnel 

La piscine, Jacques Deray, 1969

Marianne a compris que Jean-Paul avait tué Harry 

Le film a été à sa sortie un très gros succès commercial en salles, en France comme en Italie, et la critique a été bonne, comme si celle-ci découvrait enfin l’intérêt du film noir et le talent d’Alain Delon ! Cependant au fil du temps ce film s’est encore bonifié, prenant la valeur d’une sorte de classique au fil de ses rééditions successives. C’est un très bon film, c’est évident, mais il n’atteint pas les sommets des chefs-d’œuvre dans lesquels Alain Delon est apparu, notamment Plein soleil auquel on le compare le plus souvent. Le succès de ce film aussi bien en France qu’à l’étranger fait qu’on en trouve des copies excellentes sur le marché du numérique y compris en version 4K. Notez que ce film a été tourné en français et en anglais, seul Paul Crauchet est doublé dans la version en langue anglaise. mais la version anglaise comportait à sa sortie une autre fin, on voyait l'inspecteur Lévêque procéder à l'arrestation de Jean-Paul, ce qui selon moi était en contradiction avec les intentions du film.

La piscine, Jacques Deray, 1969

Lévêque tente une dernière fois de faire parler Marianne 

La piscine, Jacques Deray, 1969 

Marianne restera finalement avec Jean-Paul

  



[1] http://alexandreclement.eklablog.com/diaboliquement-votre-julien-duvivier-1967-a206367500

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