20 Août 2016
C’est un film curieux, sans doute parce qu’il est signé Minelli, et que si celui-ci avait le sens du drame, il n’était pas fait pour le film noir. Mais c’est pourtant bel et bien un film noir, au moins par le scénario qui est très torturé et très psychologique. Les fantasmes, l’imagination, tout ce « courant souterrain » fait avancer l’action.
An et Allan se marient
Ann est la fille d’un savant modeste qui se trouve être en affaire avec un autre savant multimillionnaire, Alan Garroway, qui est devenu un puissant industriel. Elle est célibataire, mais elle va tomber amoureuse d’Alan et, la réciproque étant vraie, ils vont se marier assez rapidement. Comme Allan est très riche, il fréquente que le gratin de la société, à Washington, à San-Francisco ou ailleurs. Ann a du mal à s’y faire, passant d’une propriété à une autre, d’un cocktail à un dîner. Mais bientôt elle va découvrir qu’Alan manifeste une haine tenace pour son frère Michael, l’accusant de l’avoir volé, le décrivant comme un parasite vivant et un jaloux. Cette haine latente commence à enfoncer un coin dans la relation des jeunes époux. Ann est intriguée, et elle commence à mener une enquête qui va l’emmener jusqu’au ranch de Mike qu’elle rencontre sans savoir que c’est lui. Tout le monde observant que Mike a disparu, son ancienne maîtresse n’hésite pas à accuser Alan de l’avoir tué. Mike cependant va revenir vers la maison familiale et forcer Allan a avoué que sa richesse il l’a doit avant tout au fait qu’il a volé son invention à un savant allemand, antinazi, qu’il a assassiné. Mike va demander à Alan de dire la vérité à Ann, sinon, il le dénoncera lui-même. Devant se dilemme, et comprenant qu’il ne pourra pas trouver le pardon auprès d’Ann, Allan va tenter de l’assassiner.
Au fil des jours Alan montre un aspect surprenant de sa personnalité, il est obsédé par son propre frère
Cette intrigue est compliquée parce que les personnages sont compliqués. En effet, Alan est bien un assassin, mais il est sincèrement amoureux d’Ann et voudrait bien trouver le pardon auprès d’elle. Il a fait fortune, mais il la donnerait volontiers contre l’amour de sa femme. Il l’aime tellement qu’il serait capable de la tuer pour qu’elle n’appartienne à personne d’autre qu’à lui. Mais les autres personnages du film ne sont pas moins ambigus. Ann en recherchant Mike pour comprendre ce qui s’est passé avec Allan, va en réalité tombé amoureuse de l’image qu’elle a de lui, puisqu’elle ne l’a jamais rencontré. C’est un peu comme si elle commettait l’adultère par procuration, et qu’en réalité elle cherche tout ce qui pourra alimenter ses propres fantasmes aussi bien sur son mari qui apparait comme un ogre cruel, que sur Mike qui est pour elle une sorte d’ange rédempteur paré de toutes les vertus. Mais Mike n’est pas très clair, il revient hanter son frère principalement parce qu’en réalité il est amoureux d’Ann. On voit que si Alan déteste son frère, Mike en a autant à son endroit sous le couvert d’une bonté affichée. C’est évidemment les relations compliquées entre ce trio qui fait tout l’intérêt du film. Et il y a en outre la lutte à mort entre deux frères comme un dévoilement de l’hypocrisie de l’idéal familial de l’Amérique.
Ann est conquise par la maison de Michael
Il y a beaucoup d’emprunts à Hitchcock, à Rebecca et à Suspicion. Encore qu’on pourrait dire que le Marnie d’Hitchcock emprunte aussi à Undercurrent, cette histoire d’une mise en relation de la passion pour les chevaux et de la sexualité féminine. Le secret derrière la porte de Lang a aussi été évoqué comme une source possible de ce film. Le mari qui a un lourd secret et qui peut-être est en train de préparer le meurtre de sa femme. Ça ressemble à du Hitchcock, sans la fausse ironie que ce dernier manipule parfois – très souvent en fait – avec beaucoup de lourdeur. Mais il y a aussi comme très souvent chez Minelli l’opposition entre la richesse (Allan) et la condition modeste de Mike et d’Ann. Il ne s’agit pas de lutte de classes, mais plutôt d’affirmer que la fortune ne peut pas exister sans un cadavre dans le placard. En outre il est clair que cette poursuite de la richesse est une aventure handicapante et mortifère. Je passe sur les serviteurs noirs, on me dira que c’était l’époque, mais j’ai du mal à m’y faire. Ou plutôt ça m’empêche de m’intéresser aux personnages. Par exemple cette scène où la robuste Ann laisse le soin au vieux domestique de porter ses valises a quelque chose d’un peu indécent.
Michael vient prévenir Alan qu’il dévoilera son secret
Le film se voit cependant sans déplaisir, mais il laisse un goût d’inachevé. Certains ont mis ça sur le compte de Robert Taylor qui dans le rôle de Alan serait un peu trop monolithique. Personnellement je ne trouve pas. Je pense plutôt que c’est une question de rythme. La première partie qui voit l’introduction d’Ann dans la haute société américaine est beaucoup trop longue. Ça devient plus intéressant quand Ann commence véritablement son enquête, qu’elle rencontre Sylvia, qu’elle sent la présence de Mike et qu’elle se rend au ranch de celui-ci. Au lieu de traiter l’histoire comme une romance qui tourne mal, Minelli aurait dû en faire une enquête. Je passe sur la lourdeur de la scène où Ann est sauvée de la mort par un cheval un peu capricieux. Les scènes de foule sont un peu bâclées, même si elles sont richement dotées, et les dialogues sont souvent filmés de profil, avec très peu de mouvements de caméras et de plans de coupe, ce qui donne peu de champ au film, un espace trop resserré.
Alan se méfie maintenant d’Ann
Peut-être qu’au fond le principal problème est que ce soit un film MGM. En effet ce studio avait une conception du cinéma qui ne s’accommodait pas très bien avec la mise en scène de la crasse et du ruisseau. C’est pour cette raison que la distribution est « haut de gamme ». Katharine Hepburn était une immense vedette, Robert Taylor aussi et Robert Mitchum commençait à percer. Le film tourne autour d’Ann, et donc c’est un véhicule parfait pour Katharine Hepburn qui peut donner tout son registre, de la femme forte et un peu garçon manqué, jusqu’à l’amoureuse tendre et abandonnée au charme de la poésie. Robert Taylor est plu monolithique comme on l’a dit, mais que ce soit ou non dans sa nature, ça correspond de toute façon au personnage qui taille sa route sans tenir compte des personnes qui ne sont que des obstacles sur son chemin. Robert Mitchum par contre à l’air de s’ennuyer profondément, de se demander qu’est-ce qu’il fait là dans le rôle d’un jeune homme épris de poésie et de musique. Mais il a de la présence, c’est indéniable. Donnons au passage un bon point à Jayne Meadows qui incarne l’ancienne maîtresse de Michael. Elle ne percera pas au cinéma et fera une carrière essentiellement à la télévision.
Ann a fait une chute de cheval
Bien que le film soit plombé par des scènes d’une grande niaiserie, les histoires de chien, les relations avec le père, etc. le film reste intéressant par les audaces sous-jacentes que son scénario contient.