30 Août 2022
Humphrey Bogart, lorsqu’il tourne The big shot est devenu enfin une vedette de premier plan, après les succès de High sierra de Raoul Walsh et de The maltese falcon de John Huston, deux films fondateurs. Cette même année 1942 il tournera aussi Casablanca de Michael Curtiz qui va devenir un film culte comme on dit aujourd’hui et qui triomphera pour longtemps au box-office, malgré ses lacunes évidentes. Ces immenses réussites, commerciales et critiques, font que The big shot est un petit peu négligé dans sa filmographie. On le regarde comme un énième film de gangster, un Bogart ancienne manière. Mais outre que The big shot sera aussi un très bon succès public, Bogart devenant non seulement un des acteurs les plus rentables du système, mais aussi une icône, et on oublie dans cette affaire qu’il s’agit d’un film de Lewis Seiler, avec sa thématique propre, très critique vis-à-vis du système judiciaire américain, poursuivant une méditation sur le système carcéral et la fatalité, soulignant l’incapacité des autorités à rendre une justice qui soit un peu attentive aux hommes qu’elle traite. Il ne faut pas voir les films de Lewis Seiler comme de simples produits commerciaux de la Warner qui tireraient sur le filon de la délinquance malheureuse. Contrairement à ce qu’en dira rétrospectivement la critique, ils n’étaient pas si nombreux à prendre cette orientation, et Lewis Seiler est sûrement celui qui a œuvré le plus dans ce sens. Il tournait énormément, en 1939, toujours pour la Warner, il réalisait Hell’s kitchen, un film sur la misère de la jeunesse dans un quartier pauvre de New York[1], avec les Dead end kids qui comprenaient déjà Billy Halop et Bobby Jordan, et aussi avec Ronald Reagan, qui, à cette époque était très orienté à gauche, dirigeant le syndicat des acteurs à Hollywood, syndicat qu’il trahira en vendant les uns après les autres ceux qui étaient soupçonnés d’être des « rouges ». Il y avait donc bien chez Seiler une ligne directrice assez évidente, du moins en ce qui concernait une approche sociale du film noir qui à l’époque ne s’appelait pas le film noir, mais qui se cachait sous la dénomination de « film de gangsters ». Cette ligne qui avait été fermement appuyée par le New Deal, sera par la suite combattue par les amis du sinistre Ronald Reagan et de son gourou Ayn Rand énonçant avec une fermeté fascisante de nouvelles règles pour le cinéma, le réorientant vers une célébration des valeurs capitalistes[2].
A sa sortie de prison, Sandor et Frenchy veulent engager Duke sur un hold-up
Duke sort de taule et il sait que s’il replonge, il prendra perpète. Il a l’intention de s’amender, mais c’est très difficile, il doit trouver de l’argent pour manger. Pour cela il va s’acoquiner avec des anciens gangsters qu’il connait et qui veulent monter l’attaque d’un fourgon blindé. Au départ il se dit pas du tout intéressé, mais il apprend que le respectable attorney Fleming est le commanditaire. Il lui rend visite, mais il découvre que celui-ci s’est marié avec l’ancienne compagne de Duke, Lorna. Néanmoins, il accepte de participer au hold-up. Mais au moment de partir rejoindre la bande, Lorna le menace d’un révolver pour l’empêcher d’y aller. Le hold-up a lieu, mais il tourne à la fusillade. Une femme est prise en otage. Les policiers l’inciteront très fortement à reconnaître Duke qui en réalité n’y était pas puisqu’il était avec Lorna. Celle-ci pourrait témoigner pour lui, mais il ne le veut pas, pensant qu’ainsi il la compromettrait par trop. Il a alors l’idée de retourner voir Fleming pour qu’il lui fournisse un alibi. L’attorney se fait tirer l’oreille, mais il accepte surtout parce qu’il craint que Duke, s’il venait à être emprisonné, ne révèle tout ce qu’il connaît sur son compte. Le faux alibi est porté par un jeune vendeur de voitures Anderson. Lesté de cette certitude, Duke va se livrer à la police. Fleming doit le défendre, mais entre-temps Frenchy lui téléphone et lui indique que sa femme a repris une liaison avec Duke. Fleming va indirectement provoquer la chute de Duke en faisant en sorte que le procureur invite la fiancée d’Anderson à témoigner, et celle-ci se recoupe, avouant qu’elle a vu le vendeur de voitures au moment même où il prétendait être avec Duke.
Duke va voir l’avocat véreux, Fleming
Celui-ci va prendre alors perpète pour un crime qu’il n’a pas commis et il se retrouve en taule avec Anderson d’ailleurs, ne rêvant que de s’évader. Il va réussir à s’extraire de la prison grâce à l’aide de « Dancer » Smith, du jeune Anderson qui a fait pénétrer des armes et une corde pour s’enfuir et aussi de Lorna qui est venue l’attendre près de la prison. Mais les choses se sont mal passées, Anderson a voulu stopper l’évasion, et « Dancer » a tué un gardien avant d’être abattu. Le directeur de la prison tente de faire pression sur Anderson pour découvrir où est caché Duke, mais également Quinto qui devait conduire la voiture et qui tente de faire chanter Fleming est piégé à son tour par l’avocat marron qui exige de lui de connaître la planque de Duke et de Lorna. Il prévient alors la police. Duke et Lorna se sont réfugiés à la montagne, mais ils entendent à la radio qu’Anderson pourrait être lourdement condamné pour avoir participé à l’évasion. Ils décident de partir pour l’aider. Mais ils sont poursuivis par la police qui tue Lorna. Duke va retrouver Fleming et le tue, mais il est blessé, sur son lit de mort il dédouane Anderson.
Loran ne veut pas que Duke participe au hold-up
Le thème qui domine est bien entendu encore une fois la fatalité et l’injuste qui poussent toutes les deux Duke à s’enfoncer toujours plus. Si en effet il va participer à l’attaque du fourgon blindé, c’est parce qu’il n’a pas vraiment d’autre choix pour survivre. Mais les choses se compliquent dès qu’il s’aperçoit que Lorna la femme qu’il a aimée jadis s’est mariée avec Fleming, le commanditaire de l’attaque du fourgon. Directement et indirectement Lorna est son malheur. En effet, elle l’empêche de participer au hold-up, mais il ne peut pas prouver qu’il n’y a pas participer. En se créant un faux alibi, son cas s’aggrave encore, puisqu’en effet, Frenchy a repéré le manteau et la voiture de Lorna. C’est cette occurrence qui le ramène en prison, et comme il a déjà été condamné trois fois, il écope perpète pour un acte qu’il n’a pas commis. Cette injustice est causée à la fois par la jalousie de l’avocat véreux qui a tous les défauts qu’on peut imaginer, mais également par la police qui va pousser le témoin à reconnaître Duke. Si la justice est aveugle, la police est malhonnête. Dans ces conditions Duke ne peut pas s’en sortir.
L’attaque du fourgon blindé sera sanglante
Mais on remarque aussi que son alibi est détruit par l’imbécilité d’Anderson et de sa fiancée. Duke le repère tout de suite comme un porte poisse. Et c’est bien ce qu’il est, jusqu’au bout il enfonce Duke, y compris quand il intervient pour empêcher les fuyards de s’évader. Duke cependant apparaît comme totalement à part dans ce milieu de voyous. Totalement blasé, il ne se reconnaît pas dans les attitudes de Frenchy qui ne pense qu’à faire la démonstration de sa force, mais qui en réalité est très faible. Si la prison est un malheur, le milieu n’est pas mieux, on verra Dancer tuer inutilement un gardien de prison au moment de son évasion. Lorna a franchement parler n’est pas volontairement responsable de la déconfiture de Duke. Elle aime certainement Duke puisqu’elle quitte le cauteleux avocat qui représente la sécurité, pour l’errance sans fin de Duke. Bien entendu Fleming qui en apparence est un homme honnête et respecté, est peut-être la pire des crapules. Il vient que le film tourne sans le dire autour de la question de la morale. Duke meurt d’un monde sans morale. Il est amer de constater cette absence d’honnêteté, dès qu’il rencontre Lorna, il lui reproche sans le lui dire de s’être mise en ménage avec Fleming. Certes elle lui donnera des explications, mais ses mimiques montrent bien que Duke s’il passe outre, n’est pas dupe. Mais elle a une volonté de rachat qui lui parait sincère. Amer, Duke est un homme seul, même s’il trouve des appuis pour organiser son évasion. Le scénario manque sans doute de finesse, mais c’est compensé par cette volonté de mettre en avant l’amertume de Duke. Au fond il n’a plus ni d’espoir, ni d’ambition, en dehors de revivre encore quelque chose avec Lorna. Et on se dit qu’on fond ce qu’il va vivre pendant quelques jours avec elle à la montagne, loin de tout, lui permettra de mourir en pensant qu’il a vécu et qu’il n’a rien à regretter. C’est à mon sens cet aspect qui donne de l’épaisseur au personnage de Duke, et donc par suite au film.
La police exige de Mrs Miggs qu’elle reconnaisse Duke
Le récit est construit à partir d’un long flash-back, comme si Duke se confessait de ses péchés. Il est là sur son lit de mort en train de se remémorer ce qui l’a amené à cette agonie. Puis on reprend au moment de la sortie de prison qui est présentée comme une sorte de piège. Duke doit subir l’humiliation de l’arrogant Frenchy car la moindre condamnation serait équivalente à la perpète. Jusqu’à sa mort le récit sera scandé par trois actions violentes, le braquage du fourgon, blindé, l’évasion de la prison et enfin la fuite devant la police et le règlement de comptes. Ces scènes d’actions donnent un rythme haletant au film, les scènes où il ne se passe rien, sont juste des moments d’attente pendant que la tension va monter. Si la longue fuite dans la neige est assez ratée, le hold-up, pourtant tourné en studio est remarquable, même s’il ne dure pas longtemps. La préparation de l’évasion est une occasion de nous faire visiter les aspects peu connus de la prison, par exemple cette représentation où Dancer se déguise en nègre pour danser avec une sorte de grande poupée de son. Cela fait rire les condamnés qui sont présentés comme une communauté, aussi bien quand ils défilent que lorsqu’ils sont assis bien sagement comme quand on va voir guignol. On retrouve l’intérêt de Seiler pour ces aspects presque documentaires de la vie en prison. L’organisation est elle-même assez compliquée parce qu’il faut utiliser deux voitures pour faire parvenir la corde à nœuds et les armes aux prisonniers. Une fois de plus Seiler filmera une évasion, avec le mirador qui balance la lumière pour repérer les fuyards, mais il n’insiste pas, c’est aussi dramatique que sobre.
Duke tente d’éloigner Anderson de son chemin
Bien entendu, c’est filmé d’une manière assez académique, mais il y a suffisamment de fluidité dans les mouvements de caméra pour ne pas le remarquer ! La photo de Sid Hickox est plutôt bonne, même si elle est bien moins innovante que celle de James Wong Howe dans Dust be my destiny, ce qui montre d’ailleurs combien la photo participe de la mise en scène. Les espaces sont assez bien rendus, même si Seiler ne s’attarde pas sur la vie de Duke et de Lorna au milieu des montagnes, il semble que le film ait été amputé, probablement pour le pas dépasser la longueur habituelle qui donnait un nombre fixe immuable de séances.
Duke récupère la corde et les armes
Humphrey Bogart domine bien évidemment la distribution, dans le rôle de Duke, il est naturellement amer pour être crédible. A cette époque il tournait beaucoup, quatre films en 1942 dont Acrosse the Pacific de John Huston et le très fameux Casablanca. Il reprend ses rôles de truand désabusé, de dur vaincu comme dans High Sierra de Raoul Walsh ou The petrified forest d’Archie Mayo, tourné en 1936 et où déjà il portait le sobriquet de Duke. Il a une présence vraiment charismatique. Irene Manning incarne Lorna. C’est une actrice assez fade, bien que très sophistiquée, elle n’a pas fait une grande carrière, à cause sans doute d’un manque de variété dans son jeu. Elle s’est très mal entendue avec Lewis Seiler qui n’arrivait absolument pas à en tirer quelque chose d’un peu dynamique. Stanley Ridges est très bon dans le rôle de Fleming, c’est un vieux routier. Il y a également l’excellent Howard Da Silva dans un tout petit rôle de gangster qui n’est pas mal aussi. Mais à côté c’est très faible, à commencer par les deux jeunes, Richard Travis et Susan Peters, qui sont censés être amoureux qui ont l’air totalement abrutis, de ne comprendre rien. Le directeur de la prison est mal interprété par Minor Watson qui relève les sourcils à contretemps pour mon,trer qu’à lui on ne l’a fait pas !
Duke arrive à franchir le mur et va rejoindre Lorna
Ce film noir injustement oublié eut pourtant un très bon succès commercial lors de sa sortie, pour un budget d’environ 400 000 $, il rapportera près d’1,8 millions de dollars. Certes il n’est pas aussi bon que Dust is my destiny, mais il se voit très bien et l’interprétation de Bogart emporte l’adhésion. Il y a quelques moments d’émotion assez forts. C’est seulement en 2015 que la Warner se décida d’en sortir une version en DVD.
Fleming menace Quinto pour obtenir la cachette de Lorna et Duke
Lorna a été tuée par la police
Duke vient régler ses comptes avec Fleming