21 Janvier 2022
Le 9 février Le camion sera en librairie.
C'est un roman noir qui se passe dans les Quartiers Nord de Marseille, avec comme thème l'exploration des redents d'une ville dont une partie se trouve en voie d'effondrement et de sécession. Le héros est un prolétaire, un chauffeur-livreur, qui aura tout perdu, de son camion en passant par sa famille et jusqu’à son identité. Egaré à la manière d’un Ulysse des temps modernes, sortant par la force des choses d’une vie trop bien rangée il va découvrir tout un monde parallèle rêveur et cauchemardesque qui réinvente la vie avec une autre morale. Sur fond de lutte des classes et de spéculations immobilières, il croisera des médecins ivrognes, des femmes analphabètes, des semi-clochards et des putes dans un décor flamboyant. Tandis qu’un détective privé singulier d’origine maghrébine et des policiers se lanceront sur sa piste pour tenter de calmer le désarroi de sa famille. Le sang coulera, c’est inévitable dans ces endroits.
Il s'agissait d'éviter le pittoresque et la caricature pour découvrir un univers dur et poétique. Le style est direct et rapide, mêlant la subjectivité du narrateur à la précision clinique des décors et des mœurs, le tragique et le grotesque se rejoignant dans un même lit.
Extrait 1
Il balaie d’un revers de main le rideau de perles de bois qui tintinnabule et, pris d'une énergie nouvelle, il se propulse en avant vers le comptoir. Il n’y a pas beaucoup de monde à cette heure, tant mieux, il pourra plus facilement poser ses questions sans trop déranger. Ses yeux ont un peu de mal à s’accoutumer à l’obscurité. Il renifle des odeurs composites, de la boustifaille rance, des relents de pastis, de la sueur aigre et aussi l’odeur des mégots vieux de la semaine dernière. Mais par-dessus c’est l’odeur de vinasse qui domine. Il salue la mère Plante qui fait semblant de ranger ses bouteilles derrière le comptoir et qui ne prend même pas la peine de répondre. Puis elle se tourne vers lui, comme s’il la dérangeait dans son travail. Elle le regarde comme s’il venait de la planète Mars. Elle lève un sourcil interrogateur pour qu’il manifeste ses intentions. Elle souffle comme un bœuf. Peut-être qu’elle se fait de l’emphysème ? Il se répète ça dans sa tête parce que le mot emphysème lui plait bien, même s’il ne sait pas d’une manière précise ce que ça représente. Il fait son bon gros sourire hypocrite de maghrébin bien intégré dans la société française finalement bien bonne et bien accueillante.
– Vous avez encore quelque chose à manger ?
– Vous avez vu l’heure ?
Le ton n’est pas à la plaisanterie. Il se sent en faute. Non, non, il n’a pas vu l’heure, il dit qu’il a été seulement fort pris et qu’il n’a pas encore eu le temps de déjeuner.
– Alors, vous voyez, si je pouvais avoir…
– Qu’est-ce que tu veux manger mon petit, fait la mère Plante qui vient d’adopter le tutoiement et qui semble soudainement se radoucir ?
Qu’on lui donne encore du « petit » à quarante ans bien dépassés, c’est une chose qui le déconcerte Mouloud.
– Euh, je sais pas… qu’est-ce que vous avez ?
– Eh ! mon con, on a le plat du jour, qu’est-ce tu crois, c’est pas un restaurant gastronomique dans cette taule ! Mais attention, hein, c’est nickel. Et cuisiné par moi-même en plus ! Huit euros et je t’assure que tu en as pour ton pognon, t’auras rien à venir revendiquer !
- Bon d'accord, un plat du jour...
Extrait 2
Par chez nous passe aussi Alexandre Clément, un écrivain à ce qu’il dit, mais je ne sais pas si quelqu’un à jamais lu ses bouquins, en tous les cas, s’il a des lecteurs, c’est pas ici qu'ils se trouvent. Il ne parle pas beaucoup, juste de temps en temps il balance une vanne bien sentie et ricanante. Il doit avoir une vraie maison car il n’est pas là tous les jours et ne boit que de l’eau comme un musulman. N’empêche la mère Plante est bien contente de le compter dans sa clientèle, tu parles un écrivain, ça relève le niveau ! Une fois, il nous a payé à manger, à Magali et à moi, un mec pas fier. Il faut être honnête, on n’avait pas trop grand-chose à lui dire et lui non plus. De toute façon après ses brèves visites il rejoint des quartiers plus riants et nous, on est toujours là à croupir dans notre merdouille. Il prend des notes sur un gros carnet. On lui a demandé s’il allait nous mettre dans ses romans, ce qui nous plairait bien, il a dit que non, qu’il faisait de la « transposition » qu’il ne cherchait pas seulement à décrire, mais à poétiser, donner du sens à nos existences qui en ont bien besoin. Malgré tout Bolzo est persuadé qu’un jour l’écrivain le mettra dans un de ses romans. C’est du moins son ambition, son rêve secret, se retrouver dans les pages d’un gros roman, participer à l’aventure de l’écriture. Il n’aurait pas alors vécu pour rien. C’est pour cette raison que quand il le voit, il le ménage, lui fait des manières, lui demande s’il n’a besoin de rien. Mais bon, ça c’est en quelque sorte le dessus du panier. Le tout-venant, c’est un peu moins relevé tout de même.
Extrait 3
– Qu’est-ce que c’est, fait une voix bien peu aimable à travers la porte ?
C’est une voix qui racle, qui traîne et qui graillonne. Une voix caverneuse et intimidante. Il a envie de dire que c’est Mouloud. Mais il se dit que ce n’est pas le moment de faire le malin et à jouer les Arabes farfelus, il risque de rester à la porte. Alors il habille, il embobine.
– C’est Jeannot, le bistrot qui m’envoie, il dit que peut-être que vous auriez une chambre. C’est pour deux ou trois nuits, pas plus.
Il entend le ventail qui délourde. Ça met du temps parce qu’il y a toute une tripotée de serrures à manœuvrer. Ça ouvre sur un petit corridor mal éclairé, on y distingue une petite vieille pas plus haute que trois couilles à genoux, maigre comme un clou. Elle semble porter toute sa garde-robe sur elle, revêtue de plusieurs couches de vêtements sombres malgré la chaleur ambiante. Mouloud prend le temps de la détailler. C’est un peu le genre Tartine-Mariolle. Le menton rebique vers le nez qui est fort long et bien crochu. Il semble qu’il soit couvert de verrues un rien poilues. Elle porte aussi des mitaines de laine noire et une paire de lunettes raccommodées avec du sparadrap. Elle l »e détaille longuement.
– Vous êtes Arabe ?
– A peine, dit Mouloud surpris par cette attaque sournoise, je suis né à Marseille, à la maternité de l’Hôpital Nord en…
– Oui, mais vous êtes Arabe, elle insiste, histoire d’augmenter son stress ?
– Si on veut, si on veut, il use de son accent un peu traînant, gentil, passe-partout.
– Ça fait rien, je ne suis pas raciste, de toute façon ce n’est pas vraiment de votre faute. Mais il faut pas me la faire, je les reconnais de loin… En tous les cas, j’ai ce qu’il vous faut. Il faut payer d’avance et en liquide, c’est le règlement.