23 Avril 2021
Giuliano Montaldo est connu en France pour deux films importants. D’abord Sacco e Vanzetti dont j’ai dit beaucoup de bien ici[1]. Ensuite Gli intoccabili, un poliziottesco très intéressant avec John Casavetes, Peter Falk et Britt Ekland. Ad ogni costo est un film qui conserve une cote assez élevée, mais qui n’a pas eu beaucoup de succès en France, alors qu’il a bien marché en Italie, mais aussi aux Etats-Unis. Montaldo à part quelques incursions avec Sacco e Vanzetti et Girodano Bruno a fait essentiellement un cinéma de genre. Ad ogni costo s’inscrit dans le long développement du film de casse qui commence sans doute avec Asphalt jungle de John Huston en 1950 et qui a été marqué par Du rififi chez les hommes de Jules Dassin en 1955. En 1960, Ocean’s eleven de Lewis Milestone, avait tiré le film de casse du côté de la légèreté, cette légèreté qui était une façon finalement indirecte de célèbrer le casse comme une activité peut-être risquée, mais sans doute assez peu immorale. Il faut comprendre le film de Montaldo comme se situant immédiatement entre Topkapi de Jules Dassin, tourné en 1964, auquel il ressemble beauoup et Le cercle rouge de Jean-Pierre Melville qui date de 1970 qui lui a certainement emprunté sa méticulosité dans les descriptions technique. Il peut être aussi rapproché également de Sette uomini d’oro réalisé en 1965 par Marco Vicario et qui avait été un énorme succès public en son temps. Le film de casse possède des codes qui sont toujours un peu les mêmes. Non seulement le gain potentiel doit être très élevé, mais il doit être très difficile à obtenir. Ensuite, il doit réussir, mais en même temps échouer. C’est-à-dire que malgré l’ingéniosité des casseurs qui arrivent au but, donc qui domine la technique, l’échec est obligatoire pour des raisons externes au casse lui-même. Ce peut-être le hasard, comme dans Asphalt jungle, la fourberie d’un des protagonistes qui veut garder tout le butin pour lui, ou encore l’inimitié entre les membres du groupe. En général ce genre de film se désole de la domination de l’individualisme sur l’esprit collectif. Sur le plan de la mise en scène, ce genre de film consacre la première partie à la présentation du casse, à la composition de l’équipe, puis la deuxième partie détaille le casse et précipite la fin dans la défaite.
Les enfants saluent le départ de leur professeur
Le professeur Anders part à la retraite, très ému, les enfants saluent son départ. Il travaillait dans une école catholique à Rio de Janeiro depuis une trentaine d’années. Arrivé à New York, il va rencontrer Mark Milford, un ancien condisciple qui est devenu un grand truand trempant dans toutes les combines possibles et imaginables. Anders veut réaliser un casse qu’il a préparé depuis trente ans, il s’agit d’une maison de diamantaires où sont stockés des millions de dollars de pierres. Pour cela il a besoin de quatre hommes. Grâce aux relations de Milford, il va recruter Erich Weiss, un allemand, Agostino Rossi, un perceur de coffre, Gregg, un autre perceur de coffre et le français Jean-Paul Audry qui doit séduire la secrétaire de la maison des diamantaires pour obtenir la clé d’accès à la salle du coffre. Il leur remet à chacun un briquet particulier afin qu’ils se reconnaissent. Jean-Paul Aubry a des difficultés à séduire la revêche Mary Ann, mais Agostino et Gregg en ont tout autant pour neutraliser le système d’alarme et accéléré la percée du coffre, car ils n’auront pas beaucoup de temps entre les rondes des vigiles. Le casse doit se passer durant le carnaval de Rio, à la fois parce qu’il y aura beaucoup de monde dans les rues, et parce que c’est à ce moment là que le coffre contiendra le plus de diamants. Erich Weiss qui est en quelque sorte le protecteur de l’équipe n’aime pas Aubry et le lui fait savoir. Mais nécessité fait loi, il faut passer par-dessus les inimitiés. Pour forcer la main à Aubry les autres membres de l’équipe lui confisquent son passeport. Gregg et Agostino finissent par régler les problèmes techniques grâce à leur intelligence, et in extremis Aubry va séduire Mary Ann pour récupérer la clé qu’il remettra durant le carnaval à Weiss qui la portera à Gregg. Tout se passe à peu près bien, Agostino et Gregg franchiront l’espace pour accéder à la salle des coffres grâce à un filin tendu au-dessus de la rue où se poursuit le carnaval. Finalement Gregg et Agostino vont ouvrir le coffre et s’emparer des diamants. Le matin, les quatre hommes tentent de rejoindre l’aéroport, mais la police a découvert le casse et a mis des barrages en place. Weiss force le barrage, mais la police ouvre le feu et tue Gregg. Au dessus d’une calanque, Weiss s’arrête, pour évacuer Gregg de la voiture, mais il en profite aussi pour étrangler Aubry. Il précipite la voiture avec les deux corps dans le vide. Agostino tente de s’enfuir, mais la police le rattrape et l’abat. Weiss s’est emparé de la mallette contenant les diamants. Il va les porter à Milford qui l’abat à son tour, mais la mallette est vide. A Rome Mary Ann retrouve le professeur Anders, c’est elle qui avait subtilisé les diamants, elle est la complice du professeur. Mais soudainement alors qu’ils sont attablés, surgissent deux petits voleurs à moto qui subtilisent la mallette !
James Anders rend visite à son ancien camarade le truand Mark Milford
Le scénario ne déroge pas aux règles du film de casse telle que nous les avons énoncées dans l’introduction. On retrouve cette division du travail, avec au sommet le cerveau, ici le professeur Sanders, qui ressemble à « Doc » Erwin Riedenschneider d’Asphalt jungle. C’est homme assez vieux, instruit et observateur, il a mûri son casse pendant trente ans, Riedenschneider, lui, l’a concocté en prison. Ils ont tout fait pour éliminer le hasard. Les autres sont des exécutants, embauchés pour leurs qualités, ou leurs défauts, mais dans l’équipe, ils sont au-dessus. Le personnel recruté par Anders est curieusement de basse extraction, l’un répare des jouets, l’autre occupe une place de majordome et un troisième est une sorte de gigolo pas particulièrement courageux. Remarquez que chacun représente en même temps l’esprit d’une nation, l’Allemand est hargneux et obstiné, l’Italien est doué pour la mécanique, l’Anglais pour la technologie et enfin le Français pour la séduction ! Ce sont évidemment des poncifs sur lesquels le scénario joue pour introduire de la légèreté en s’amusant. Le film d’origine italienne refuse quant à lui son origine nationale et assume un cosmopolitisme qui va jusqu’à une présentation folklorique du Brésil et du Carnaval de Rio. Certes son verra quelques pauvres dans le paysage, mais leur misère est compensée par l’amour du football. Il y a donc une volonté de se coller dans le moule des idées reçues et de viser un public large. On retrouve la même volonté d’exotisme que dans Topkapi de Dassin où on pouvait faire du tourisme en Turquie.
Les truands se reconnaissent grâce au briquet que leur a donné Anders
Mais laissons là ces digressions sur l’environnement du film. Le scénario auquel sept personnes se sont attelées, s’il ne présente guère de surprise dans les différents rebondissements, a cependant le défaut d’hésiter sans trop savoir pourquoi entre drame et comédie. Après tout toute l’équipe du casse sera éliminée. Topkapi, Ocean’s eleven, ou Sette uomini d’oro avait choisi clairement le camp de la comédie, tandis que Asphalt jungle ou Du rififi chez les hommes celui du drame sanglant. Un peu comme si les films en couleurs devaient nécessairement être moins dramatique. Mais ici Montaldo ne choisit pas et mélange les deux sans qu’on sache très bien si c’est voulu ou nom. C’est à mon sens le principal défaut du film. Cela entraîne un manque de consistance des personnages. Anders choisit méticuleusement ses hommes pour accomplir le coup, mais l’Allemand est méchant sans qu’on comprenne pourquoi et le Français est peureux. L’astuce scénaristique qui veut que derrière Weiss il y ait Milford et que celui-ci le tue alors qu’il lui ramène 10 millions de dollars de diamants, ne tient pas debout. L’Allemand ne peut pas avoir de telles naïvetés. Je passe sur la dernière scène qui est complètement téléphonée tout en se voulant ironique.
Weiss n’aime pas Audry et le lui fait savoir
Malgré ces défauts difficiles à surmonter, le film reste agréable à regarder. D’abord parce que c’est toujours sympathique de voir des gens très riches se faire dévaliser, mais ensuite parce que l’ensemble est bien filmé. Montaldo utilise l’écran large et la photographie est lumineuse, la couleur assez travaillée. Il y a un gros travail sur l’aspect technique du casse, avec des portes du coffre peintes en rouge sang du meilleur effet, et les instruments de travail de ces artisans sont bien mis en valeur. Les parades du carnaval rythment le film, sans trop saturer le son, tout en utilisant les couleurs de la nuit. La cadence est soutenue, mais pour les raisons que j’ai évoquées ci-dessus, il nous manque un peu de cette émotion qui fait qu’on tremble pour ces héros très singuliers.
Gregg tente de comprendre comment ils vont pouvoir contourner l’alarme électronique
Les acteurs, en dehors d’Edward G. Robinson sont du second choix. Mais bien qu’elle soit brève la prestation d’Edward G. Robinson dans le rôle du vieux professeur Anders vaut le détour. Il a une présence extraordinaire, derrière un physique plutôt usé, il manifeste une grande force mentale, et la séquence des adieux à ses élèves recèle pas mal d’émotion. Janet Leigh qui n’arrivait plus guère à trouver de rôles à Hollywood est engagé dans cette production italienne pour incarner Mary Ann. Elle manque un peu de présence. Le reste de la distribution, c’est ce qu’on trouvait dans le cinéma de genre à l’italienne vers la fin des années soixante. Klaus Kinski joue le rôle de l’Allemand – que voulez-vous qu’il fasse d’autre ? – comme à son habitude il surjoue et grimace, ce qui passe dans les westerns spaghetti, mais ce qui est plus gênant dans le film noir. Robert Hoffman, acteur d’origine germanique joue le Français Aubry ! Il est toujours aussi raide que d’habitude et on se demande comment il fait pour séduire les femmes ! Augusto est interprété par Riccardo Cucciolla. Il est un peu pâlichon ici, mais il va bientôt trouvé des rôles de plus grande qualité à commencer par celui de Sacco sous la direction de Montaldo qui lui permettra d’avoir le prix d’interprétation masculine à Cannes, puis ensuite on le verra chez Damiani et même chez Melville. Il est d’ailleurs très probable que Melville ait vu ce film et s’en soit inspiré pour la réalisation du Cercle rouge. L’anglais est interprété parle français Georges Rigaud.
Weiss surveille la ronde des vigiles
Ce film tout à fait dans l’esprit du temps qui donnait de plus en plus de reconnaissance aux marginaux et aux bandits, a reçu un excellent accueil critique et commercial. La musique d’Ennio Morricone qui l’accompagne est adéquate au projet, sans être non plus exceptionnelle. Ce n’est pas un grand film noir, ni un grand film de casse, mais c’est un divertissement qui se laisse voir sans problème.
Gregg et Agostino ont enfin ouvert le coffre et vont prendre les diamants
La police a abattu Agostino
A Rome Mary Ann retrouve Anders
[1] http://alexandreclement.eklablog.com/sacco-et-vanzetti-sacco-e-vanzetti-giuliano-montaldo-1971-a161956438