28 Décembre 2016
Frédéric Dard est connu et reconnu comme un des plus grands écrivains du XXème siècle. On sait qu’il a exercé son talent dans un peu tous les genres. Des gaudrioles à la San-Antonio, aux romans sombres qu’il signait de son vrai patronyme, en passant par des besognes diverses et variées de journaliste[1]. Lorsqu’il s’installa aux Mureaux dans la banlieue parisienne, il ne savait pas encore quel serait son devenir. Il commença à se faire connaître avec l’adaptation théâtrale de La neige était sale de Georges Simenon, il s’impliqua alors dans un gros travail de dramaturge, adaptant Francis Carco, Guy de Maupassant, ou Robert Louis Stevenson[2]. Œuvrant pour le Grand Guignol avec son ami Robert Hossein, mais aussi pour d’autres scènes, il y connut des succès mitigés, mais il aimait le théâtre et d’ailleurs il n’abandonnera jamais cette activité, revenant périodiquement à cette passion. Du théâtre au cinéma il n’y a qu’un pas qu’il franchit allègrement vers le milieu des années cinquante. Son œuvre cinématographique est importante à plus d’un titre, d’abord parce qu’elle pose Frédéric Dard comme un des fournisseurs incontournables du film noir à la française, que ce soit à travers l’adaptation de ses romans ou par des scénarios originaux. Il écrira au moins une cinquantaine de scénarios. C’est surtout la période 1955-1961 qui est la plus prolifique. Comme on le sait, il sera aussi metteur en scène pour une adaptation d’un de ses ouvrages majeurs : Une gueule comme la mienne. Il y a des allers-retours réguliers entre l’œuvre écrite et l’œuvre filmée. Les salauds vont en enfer sont d’abord une pièce pour le Grand Guignol, puis un film, puis enfin un ouvrage[3]. Ou encore le scénario de En légitime défense sera novellisé et signé André Berthomieu, nom du réalisateur, avec une dédicace à Frédéric Dard !
Cependant cette œuvre abondante reste assez mal connue. Beaucoup de films étaient des petites œuvres sans prétention, orientées vers un vaste public. Et puis la Nouvelle Vague est passée par là et a brouillé les cartes. Des films ont disparu complètement de la circulation comme les films espagnols de José Antonio de la Loma. D’autres sont très difficiles à voir comme l’adaptation des Bras de la nuit de Jacques Guymont. L’accident dans la version de Edmond T. Gréville se trouve, mais avec difficulté, par contre Les menteurs toujours du même Edmond T. Gréville est totalement invisible. C’est dommage parce que Edmond T. Gréville ce n’est pas n’importe qui. Gaumont de temps en temps en ressort quelques-uns comme Toi le venin, ou Le dos au mur qui fut un des premiers films d’Edouard Molinaro. Il est d’ailleurs incroyable que l’on puisse voir facilement le film d’André Berthomieu, Légitime défense, et que Préméditation ? du même réalisateur ait complètement disparu[4]. On aimerait bien que quelqu’un, chez Gaumont, chez René Chateau ou ailleurs, se préoccupe de ces absences troublantes. Ceux qui lisent ce blog et qui auraient des idées pour combler ces lacunes sont les bienvenus. Pour ces raisons et quelques autres, je n’aurais donc pas la prétention à l’exhaustivité.
Je remarque que la période de haute productivité pour le cinéma coïncide pour Frédéric Dard avec le développement de son cycle de romans noirs. Après 1962, au fur et à mesure que San-Antonio connait un succès de plus en plus énorme, il va s'éloigner un petit peu de ce milieu dans lequel il est apparu comme une sorte de pilier.
Dans les semaines qui viendront, je vais parler longuement de ces films, montrer qu’ils ont une sorte d’unité, bien que les résultats parfois très décevants alternent avec de belles réussites. On va y découvrir ou redécouvrir quelques petites pépites qui valent le détour. Dans ce travail acharné, Dard créa un véritable univers noir, reconnaissable au premier coup d’œil, avec des acteurs particulièrement taillés pour son écriture, comme Robert Hossein, Marina Vlady, ou encore, mais on y fait moins attention, Henri Vidal, Lino Ventura et Jeanne Moreau. On verra aussi que des indices sérieux existent pour nous laisser entendre qu’il a participé à certains films, sans que son nom apparaisse au générique. Nous parlerons aussi de films auxquels n’est pas habituellement associé Frédéric Dard, mais qui comportent des coïncidences troublantes.
Le cinéma est une activité qui a beaucoup fasciné Frédéric Dard, on en trouve des traces dans plusieurs ouvrages dont Les Yeux pour pleurer[5], une sorte de réécriture de Sunset Boulevard, avec une femme vieillissante, réalisatrice de films à succès[6]. Les Mureaux où il a longtemps résidé, ont baptisé leur salle de cinéma Cinéma Frédéric Dard. C’est une manière excellente de rendre hommage à la diversité de son talent. A l’instar de Georges Simenon, il tient une place décisive aussi dans le développement d’un certain cinéma.
Liste non exhaustive des films de long métrage scénarisés ou dialogués par Frédéric Dard
Les films accompagnés d'une astérisque ne sont pas officiellement attribués à Frédéric Dard
1955, M’sieur la Caille, André Pergament
1955, Ça va barder, John Berry*
1956, Les salauds vont en enfer, Robert Hossein
1956, La bande à papa, Guy Lefranc
1956, Fernand cow-boy, Guy Lefranc*
1957, Action immédiate, Maurice Labro
1957, L’irrésistible Catherine, André Pergament
1957, L’étrange monsieur Steve, Raymond Bailly
1958, En légitime défense, André Berthomieu
1958, La fille de Hambourg, Yves Allégret
1958, Trois jours à vivre, Gilles Grangier*
1958, le dos au mur, Edouard Molinaro
1958, Toi le venin, Robert Hossein
1959, Le fauve est lâché, Maurice Labro
1959, Sursis pour un vivant, Victor Merenda
1959, 12 heures d’horloge*, Geza von Radvanyi
1959, Tentations, Un mundo para mi, José-Antonio de la Loma
1959, La nuit des espions*, Robert Hossein
1960, Une gueule comme la mienne, Frédéric Dard
1960, 8 femmes en noir, Victor Merenda
1960, Les yeux sans visage*, Georges Franju
1960, Les scélérats, Robert Hossein
1960, Préméditation ?, André Berthomieu
1961, Le bourreau attendra, Fuga desesperada
1961, Dans l’eau qui fait des bulles*, Maurice Delbez
1961, La menace, Gérard Oury
1961, Les menteurs, Edmond T. Gréville
1961, Les bras de la nuit, Jacsques Guymont
1962, Le crime ne paie pas, Gérard Oury
1962, L’empire de la nuit, Pierre grimblat
1962, Le monte-charge, Marcel Bluwal
1963, L’accident, Edmond T. Gréville
1966, Sale temps pour les mouches, Guy Lefranc
1968, Béru et ces dames, Guy Lefranc
1976, Les magiciens, Claude Chabrol
1981, San-Antonio ne pense qu’à ça, Joël Séria
1982, Y’a-t-il un français dans la salle ?, Jean-Pierre Mocky
1986, Le caviar rouge, Robert Hossein
1991, La vieille qui marchait dans la mer, Laurent Heynemann
1993, Le mari de Léon, Jean-Pierre Mocky
1994, Coma, Denys Granier-Deferre
2004, San-Antonio, Frédéric Auburtin
[1] Voir le remarquable ouvrage de Lionel Guerdoux et Philippe Aurousseau, Berceau d’une œuvre Dard, Frédéric Dard, écrivain et journaliste, Editions de l’oncle Archibald, 2016.
[2] Il serait excellent de publier dans un fort volume les textes de l’univers théâtral de Frédéric Dard.
[3] Voir l’excellente présentation de, Hugues Galli, Thierry Gauthier et Dominique Jeannerod, Les salauds vont en enfer, Fréderic Dard, EUD, 2015.
[4] Film adapté du très beau Toi qui vivais, Fleuve Noir, 1958.
[5] Fleuve noir, 1957.
[6] A propos de ce film de Billy Wilder, il existe une novellisation sous le nom d’Odette Ferry qui est attribuée à Frédéric Dard, Boulevard du crépuscule, Amiot Dumont, 1951. Il aurait également novellisé Le gouffre aux chimères, toujours du même Billy Wilder, pour les éditions Le Carrousel, sous marque du Fleuve Noir en 1953, toujours sous le nom d’Odette Ferry. Certains témoignages laissent entendre que C’est cette même Odette Ferry qui aurait introduit Dard dans le milieu du cinéma.