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Le blog d'Alexandre Clément

Le corps et le fouet, La frusta e il corpo, Mario Bava, 1963

 Le corps et le fouet, La frusta e il corpo, Mario Bava, 1963

Les affiches jouaient dans le temps un rôle décisif pour attirer le spectateur et quand il n’avait pas encore l’âge d’acheter tout seul son billet, elles lui donnaient une émotion particulière qui parfois n’avait aucun rapport avec le sujet. C’est le cas du film de Bava, La frusta e il corpo. Les affiches sulfureuses pour l’époque laissaient entrevoir une forme de sexualité déviante et ainsi dévoilaient une bonne partie du programme des films gothiques : une longue méditation sur le sexe et la manière de satisfaire ses pulsions. C’était très osé pour l’époque, et le film fut amputé en Italie de certaines scènes jugées trop choquantes. Dans l’affiche française, plus encore que dans l’affiche italienne il est fait un rapprochement plus direct entre l’assouvissement des passions sexuelles et la mort, la perte du sujet. Le projet ne vient pas de Mario Bava lui-même, il lui a été amené avec l’idée de faire une imitation des films d’horreur anglais, soit des films de la Hammer essentiellement. Fabriqué pour le marché italien et un peu européen, on avait affublé les artistes et le réalisateur de noms anglo-saxon. Mario Bava deviendra John M. Old, Luciano Stella, Tony Kendall et Ida Galli, Isli Oberon. Une autre influence est celle de Roger Corman qui venait de tourner en 1961, en Italie même Il pozo e il pendolo adapté du célèbre conte d’Edgar Poe. Le film était produit par l’AIP, firme qui avait diffusé les films de Mario Bava aux Etats-Unis. Il avait emprunté à Bava Barbara Steel ! Ces films gothiques, celui-ci n’a rien du tout de fantastique, invitent d’abord à poétiser la mort et l’amour. Plus encore que dans les autres films de Mario Bava, celui-ci est également articulé sur le thème de l’amour fou, cette perte radicale de l’individu dans sa passion. 

Le corps et le fouet, La frusta e il corpo, Mario Bava, 1963 

Le château des Menliff va recevoir une visite inattendue 

Kurt Menliff revient au château familial au bord de la mer. Sa famille ne l’aime pas, son père le déteste et l’a déshérité. Il revient pour toucher sa part d’héritage, mais aussi pour retrouver la belle Nevenka qui était amoureuse de lui et qui va se marier avec son frère Cristiano. Quand il retrouve Nevenka au bord de la plage, il la fouette, ce qui renforce leur passion à tous les deux. Elle est choquée, mais lui cède. On comprend qu’en réalité Cristiano le frère de Kurt n’aime pas Nevenka, mais Katia qui est jalouse de Nevenka. Les choses se compliquent car le comte a déshérité Kurt qui veut sa part d’héritage. Mais Kurt est assassiné d’un coup de couteau dans la gorge. Entre temps on a retrouvé Nevenka. Peu après lorsqu’elle revient au sein de sa famille, elle ne dit rien et prétend seulement être tombée de cheval. Les funérailles de Kurt on lieu sans effusion, il n’était aimé de personne à cause de sa violence. Mais au bout de quelques temps, Nevenka croit avoir vu Kurt, elle pense qu’il est vivant. Des traces de pas suspectes sont aperçues, puis c’est le comte qui est assassiné. Tout le monde en vient à soupçonner tout le monde, y compris les domestiques. Qui est le meurtrier ? Kurt est-il vraiment mort ? la tension s’accroit et Nevenka perd les pédales, croyant voir partout Kurt. Cristiano qui mène sa propre enquête de son côté montre qu’il est resté attaché à Katia. Nevenka les surprend en train de se faire des déclarations d’amour. Cependant elle poursuit son obsession porte une rose à Kurt sur sa tombe. Cristiano pour couper court à l’idée selon laquelle Kurt serait vivant ouvre le cercueil et brule le corps décomposé de son frère. Mais en réalité, c’est Nevenka qui a tué Kurt et le comte. En désespoir de cause, elle va se suicider. 

Le corps et le fouet, La frusta e il corpo, Mario Bava, 1963

Kurt manie le fouet et Nevenka aime ça 

Cette histoire traite dans un cadre gothique d’une passion haine entre deux amants. C’est la même trame que celle de Duel in the sun de King Vidor, sorti en 1948. Mais ici le film est étonnamment sadique, je suppose qu’à sa sortie c’est cela qui a été choquant, et en même temps attirant. Nevenka est une jeune femme qui aime la brute cynique Kurt. Mais elle le déteste aussi. Certes il l’a fait jouir à coups de fouet, mais pour avoir révélé cette tendance masochiste, elle ne peut que le haïr, jusqu’à le tuer. Cet amour fou fini par opposer le sentiment et le désir sexuel pur. Et c’est bien cela qui va faire sombrer Nevenka dans la folie. Kurt est un libertin désinvolte, cruel, mais qui malgré tout ne peut pas se passer de Nevenka. Malgré l’allure d’esprit fort qu’il se donne, il est revenu pour Nevenka, il est jaloux de son frère qui doit l’épouser. Cette exploration aussi directe des rapports sado-masochiste dans un couple, c’est inattendu dans un film gothique. En général c’est beaucoup moins direct, par exemple dans les films inspirés de la figure de Dracula, ou dans les autres films de vampires, les rapports sado-masochistes sont camouflés derrière l’irréalité du vampirisme. Dracula est mauvais parce qu’il est une créature surnaturelle, en quelque sorte une représentation de Satan, celui à qui on a fait du tort. Ici ce sont des personnes bien réelles qui sombre dans la turpitude. Ce sont des nobles fin de race qui trompent leur ennui dans le stupre. Kurt aime faire le mal, et Nevenka jouit sous le fouet. Ils se présentent comme des individus non pas à la recherche de sensations nouvelles, mais comme des explorateurs des possibilités infinies que permet une sexualité débridée. 

Le corps et le fouet, La frusta e il corpo, Mario Bava, 1963

On a retrouvé Nevenka 

On pourrait dire que cette forme de « réalisme » est aussi soulignée par le fait que cette famille déchirée – sans mère toutefois – à travers les coucheries et l’adultère larvée, n’a pas d’autre but dans cette existence oisive et bornée que celui de s’affronter pour le pouvoir. On discute d’argent et d’héritage. Les deux frères veulent s’affronter, pour se donner du courage, Cristiano répète plusieurs fois à Kurt qu’il n’a pas peur de lui. Les rapports entre Katia et Nevenka sont plus feutrés, mémé s’ils sont empreints d’une jalousie féroce. Dans cet univers clos, les domestiques participent aussi à cette guerre, Losat fait sa propre enquête, Georgia rêve de tuer de ses propres mains Kurt. Tout cela se passe sous l’œil passif du père qui manifestement à fait son temps. Cette figure d’un père désemparé, en mal d’autorité sur sa famille, nous l’avons déjà vue dans I wurdalak, le second segment de I tre volti della paura. Malgré sa faiblesse il combine le mariage entre Nevenka et Cristiano pour briser l’amour entre Cristiano et Katia, mais aussi entre Nevenka et Kurt. Il a donc une lourde responsabilité dans les tendances criminelles qui se développent au sein de sa famille. 

Le corps et le fouet, La frusta e il corpo, Mario Bava, 1963

Les funérailles de Kurt sont sans effusion 

Le film a obtenu des moyens suffisants, les décors sont de qualité, très travaillés, ils vont participer à mettre en valeur les talents de coloristes de Bava. Les couleurs sont très travaillées, avec ces pointes de rouge, notamment la scène à la rose rouge, qui font ressortir bien plus le côté sombre de l’histoire. Le meurtre de Kurt est fondu dans les bleutés, ce qui donne une impression encore plus forte d’étrangeté, surtout qu’on ne voit pas le meurtrier, dissimulé par des rideaux. On pourra regretter cependant cette manie dans quelques scènes de peindre en vert le visage de Christopher Lee. Ce ton verdâtre qu’on dirait emprunté à Hitchcock, tant il est laid, dépare d’avec le reste des couleurs qui sont plus rêveuses, plus équilibrées et moins artificielles. Il y a encore beaucoup de perruques et de fausses barbes ce qui n’est pas toujours très justifié. Affubler Christopher Lee d’une perruque pour le rajeunir un peu et tenter de faire en sorte que Kurt se distingue des personnages qu’il avait habités auparavant est un petit peu raté. Pour le reste on reconnaît bien la patte de Bava dans les mouvements de caméra, par les longs travellings arrière dans les couloirs pour mettre en valeur l’effet de tunnel. Deux scènes doivent être retenues. D’abord la manière de filmer Dalhia Lavi quand elle joue du piano, la caméra tourne autour d’elle, puis les éclairages savants vont en quelque sorte allonger le cou, lui donnant un air un peu plus romantique. Ensuite la scène où elle joue avec une rose devant la tombe de de Kurt, opposant le rouge presque sanglant de la fleur au bleu pâle du marbre qu’on pressent froid.

Le corps et le fouet, La frusta e il corpo, Mario Bava, 1963

Nevenka croit que Kurt est en vie

Il y a des scènes érotiques qui se passent complétement de nudité et d’étreintes explicites, celle du fouet qui s’abat de façon répétée sur le dos de la malheureuse Nevenka bien sûr, mais aussi cette scène singulière où on voit Nevenka se caresser toute seule, d’une manière fort discrète il est vrai, mais explicite cependant. Les plans d’ensemble filmés en plongée sont superbes. Cependant il faut bien reconnaître que le rythme est un peu poussif et on a l’impression d’une répétition de scènes tout au long du film. Il y a un manque de continuité assez évident qui s’explique à mon sens par le manque de travail du scénario. Ça donne une impression de décousu. Il est possible que cela vienne du fait que Bava n’ait été engagé sur le projet qu’une fois celui-ci déjà développée et mis en place. Il est beaucoup moins personnel que ses œuvres précédentes. Gastaldi, l’auteur du scénario, dira que Mario Bava avait vidé l’histoire de son esprit et le rendit méconnaissable. S’il en reconnaissait l’échec, il l’attribuait à Bava lui-même. 

Le corps et le fouet, La frusta e il corpo, Mario Bava, 1963

Elle vient fleurir sa tombe dans la crypte

Le casting est très traditionnel pour l’époque. Christopher Lee est la vedette incontestée des années soixante dans le film d’épouvante. Il est assez peu présent dans le rôle de Kurt puisqu’il décède assez rapidement, ce qui sans doute a permis d’économiser sur le budget. Dalhia Lavi dans le rôle de Nevenka est plus inattendue. Je pense qu’elle a été choisie par Bava pour sa ressemblance avec Barbara Steele, son front bombé, ses pommettes hautes lui donnent cette allure romantique. C’est sans doute son rôle le plus remarquable au cinéma. Curieusement elle ne fera pas carrière au cinéma. Derrière il y a un acteur en bois, Tony Kendall, alias Luciano Stella, dans le rôle de Cristiano, le frère du sulfureux Kurt. C’était un peu la règle de prendre des mauvais acteurs dans ce genre de film. Curieusement ça ne nuit que rarement, parce que cela souligne une volonté de ne pas se prendre au sérieux et de jouer avec les archétypes du genre. Ida Galli sous le nom d’Isli Oberon interprète Katia. Elle n’est pas seule jolie, elle est bonne actrice et très présente. A quelques exceptions près, elle fera sa carrière dans le cinéma de genre. C’est dommage. 

Le corps et le fouet, La frusta e il corpo, Mario Bava, 1963

Nevenka observe son corps comme si quelque chose lui manquait 

Pour ce film Bava n’a pas fait appel à son musicien attitré, Roberto Nicolosi. C’est Carlo Rustichelli qui l’a écrite, et franchement ce n’est pas une franche réussite, disons que, sans démériter, c’est plus convenu. Le film n’eut guère de succès, peut-être pour partie à cause de la censure. Les Américains, AIP, ne le diffusèrent pas et revendirent les droits d’exploitation à un obscur distributeur. En France le film eut plus d’écho, exploité par Marboeuf, celui-ci avait alerté Midi-Minuit et Positif sur le fait que John M. Old était en réalité Bava. Sans être un succès, il eut tout de même un impact intéressant. Ensuite le temps fera son œuvre. Christopher Lee dira que c’est le meilleur film qu’il a tourné en Italie. C’est peut-être vrai, mais cela n’en fait pas pour autant un chef d’œuvre dans la carrière de Mario Bava. 

Le corps et le fouet, La frusta e il corpo, Mario Bava, 1963

Katia et Cristiano sont espionnés par Nevenka 

Le corps et le fouet, La frusta e il corpo, Mario Bava, 1963

Cristiano a décidé de brûler le cadavre de Kurt

 

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