Eklablog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog d'Alexandre Clément

Le deuxième souffle, Jean-Pierre Melville, 1966

 Le deuxième souffle, Jean-Pierre Melville, 1966

C’est très certainement un des chefs-d’œuvre de Jean-Pierre Melville. Et pourtant ce ne fut pas une promenade de santé. Plusieurs versions avaient été avancées avant que Melville ne prenne les choses en main, notamment une avec Gabin sous la direction de Jean Delannoy. Melville lui-même avait annoncé un tournage avec Serge Reggiani dans le rôle de Gu, Leny Escudero dans celui du Gitan, Lino Ventura dans le rôle de Blot, et Simone Signoret dans celui de Manouche. Melville était un homme assez déplaisant dans son comportement, il se fâchait avec tout le monde. Il ramenait toujours la couverture à lui, laissant entendre que tout le reste, à part les grandes stars, n’était pas grand-chose. Il dénigra ainsi le travail de José Giovanni, arguant que le roman était très difficile à adapter. Pourtant quand on lit le roman et qu’on voit le film, la fidélité au roman est évidente, dans sa continuité, comme dans les dialogues. Par exemple, toute la séquence de Blot dans le bar de Manouche où il raconte à sa manière la tuerie qui a vu la mort de Jacques le Notaire, est exactement écrite comme ça dans le roman. Ce roman était le premier que José Giovanni avait écrit pour la Série noire, et c’est un de ses meilleurs. Contrairement à ce que certains avancent, ce roman n’est pas une simple histoire de gangsters. Melville lui-même avançait que José Giovanni n’avait pas eu beaucoup de mérite puisqu’il n’avait fait que retranscrire des histoires qu’il avait entendu en prison[1]. C’est faux et stupide. Le roman de Giovanni utilise seulement des fragments d’histoires très connues dans le milieu d’après-guerre. Mais il les transpose pour en faire une tragédie. Gustave Minda est dérivé de Gu Mela qui met en œuvre l’attaque du train d’or avant la guerre du côté de Marseille, mais elle est imbriquée dans les règlements de comptes qui ont suivi l’affaire du Combinatie qui, au début des années cinquante, vit la mort d’un truand surnommé le Notaire, sur fond de trafic de cigarettes. Et puis le personnage de Manouche est lui emprunté à la saga de Carbone et Spirito. Avant même que Melville ne s’empare de cette histoire, Giovanni avait recomposé une tragédie qui frisait l’abstraction. Quelques années plus tôt, Claude Sautet avait adapté Classe tous risques du même José Giovanni, à partir de la fuite sanglante d’Abel Davos, inspirée de la vie criminelle d’Abel Danos, ancien gestapiste promis à la guillotine. Mais José Giovanni comme Sautet n’avait pas retenu les compromissions d’Abel Danos avec la Gestapo, et s’étaient centrés sur l’homme en fuite avec sa famille qui glisse sur la pente savonnée[2]. Quand on compare Classe tous risques et Le deuxième souffle, l’importance de José Giovanni saute aux yeux. Ce qui ne veut pas dire que la réalisation de Jean-Pierre Melville soit semblable à celle de Sautet et sans originalité. José Giovanni lui-même trouvait que le travail de Melville était excellent, mais il lui en voulait énormément pour ne pas avoir reconnu son apport. Après tout Melville disait qu’un film réussi, c’est une bonne histoire, de bons acteurs et une bonne mise en scène, quand l’un de ces trois aspects est raté, le film est raté. J’insiste aussi lourdement sur ce point parce que si beaucoup de critiques ont compris que le tragique à l’œuvre dans le film était le résultat des formes abstraites dérivées de la vie des truands, peu ont vu que cette abstraction était déjà incluse dans l’écriture du roman. Et à ce titre on peut dire que José Giovanni a influencé fortement le style de Melville. Il faut insister sur ce point, José Giovanni a un rapport étroit avec Melville, en effet tous les deux, contrairement à ce que raconte le cinéaste, visent à une forme d’abstraction, d’épure. Melville avait d’ailleurs beaucoup apprécié Le trou, sans doute le meilleur film de Jacques Becker, mais inspiré du roman éponyme de José Giovanni. C’était déjà une épure[3]. Les histoires que racontait José Giovanni, du moins dans les premiers romans qu’il a publié dans la Série noire, n’étaient pas de simples histoires empruntées à la réalité. Il combinait des morceaux d’histoires réelles, pour les rendre atemporelles, comme le développement de figures tragiques. Dans Classe tous risques, c’est l’histoire d’Able Danos, mais décalé complètement par rapport au passé de gestapiste de celui-ci. De même si Gu Minda a quelque rapport avec Gu Méla qui attaque avant la guerre le train de l’or, il est un héros atemporel qui va rencontrer une autre figure du milieu, Manouche, qui n’a jamais rien eu à voir avec Gu Méla. On voit donc que ce qui a plu à Melville dans ce roman c’est cette faculté de José Giovanni d’accéder à la tragédie par le biais d’histoires de gangsters qui n’ont jamais existés dans la réalité. Mais Melville s’il était un grand cinéaste, était aussi un grand menteur, et il ne voulait pas avouer ce qu’il devait à Giovanni. Notez aussi que Le deuxième souffle est très supérieur au Cercle rouge du point de vue de l’intrigue, sur des thèmes voisins. 

Le deuxième souffle, Jean-Pierre Melville, 1966 

Gu, un truand un peu âgé s’évade de la prison de Castres où il purge une longue peine. Pendant sa fuite des hommes armés pénètrent dans le bar de Jacques le Notaire et l’abattent sous les yeux de sa compagne Manouche, mais un des agresseurs a été mortellement blessé, or il devait monter sur un braquage avec Paul Ricci. Il mourra peu après Le commissaire Blot vient constater les dégâts, manifestant au passage son intérêt pour l’énigmatique Manouche. Tentant de profiter du manque de protection de Manouche, deux truands pénètrent chez elle pour la voler. Ils assomment Alban qui joue le rôle de garde du corps de Manouche. C’est sans compter sans Gu qui arrive chez Manouche qui fut son ancienne compagne. Il se débarrasse d’eux avec Alban en les assassinant froidement après les avoir fait parler. Le coup leur avait été indiqué par Jo Ricci. Gu veut descendre Jo Ricci, mais au dernier moment il va hésiter et reculer. Il décide finalement de s’en aller sur Marseille pour embarquer sur un bateau qui le mènera en Italie. Cependant avant de partir, il veut gagner de l’argent. Pour cela il va être mis sur une affaire que monte Paul Ricci, le frère de Jo. Il s’agit d’attaquer un fourgon rempli de lingots de platine. C’est Orloff, une relation de Manouche qui présente Gu à Paul Ricci. On comprend que Gu veut non seulement de l’argent, mais aussi prouver qu’il n’a pas perdu la main. Le hold-up réussit. Mais il faut liquider la platine avant de faire le partage, et puis il y a les deux motards qui ont été tués. Blot sur les indications de Jo Ricci descend sur Marseille pour essayer de comprendre qui a fait le coup. Rapidement il va repérer Gu. Avec ses hommes, se faisant passer pour un truand, il va soutirer des informations à Gu qui tombe dans le panneau et lâche le nom de Paul Ricci. Blot va donner Gu au Commissaire Fardiano qui de son côté va interroger violemment Paul Ricci, en lui faisant avaler des litres et des litres d’eau. Gu qui passe pour une balance va se fracasser la tête contre une armoire. A l’hôpital il va s’évader et il rejoindra Manouche qui le soignera. De son côté Jo Ricci qui sans doute veut faire oublier ses compromissions avec la police, mène la danse et exige d’Orloff que celui-ci tue Gu puisqu’il le juge responsable de l’arrestation de Paul. C’est le moment pour Gu de régler ses comptes et de restaurer son honorabilité de truand. Dans un premier temps il piège Fardiano, lui fait écrire une confession, puis il l’abat froidement. Ensuite il va convoquer par l’intermédiaire d’Orloff une rencontre avec Antoine, Jo Ricci et Leonetti. Il assomme Orloff et se rend au rendez-vous. Ça tourne à la fusillade générale et Gu laisse les trois hommes sur le carreau, mais il est grièvement blessé. La police arrive et abat finalement Gu. Blot ment une nouvelle fois à Manouche en laissant entendre que Gu est mort sans rien dire, mais en vérité celui-ci a prononcé le nom de la femme avec laquelle il espérait refaire sa vie. En quittant les lieux cependant, le commissaire Blot donne le carnet de la confession de Fardiano à un journaliste, histoire de laver l’honneur de Gu

Le deuxième souffle, Jean-Pierre Melville, 1966

Après la tuerie, Blot fait son numéro 

Le roman était très dense, et le film reflète cette complexité. Au cœur il y a la tragédie qui elle-même est le résultat de mensonges répétés. Jo Ricci ment et collabore avec la police. Les flics mentent et se travestissent, ils ne tiennent pas compte de la loi. Une scène coupée par la censure avait fait scandale, celle où on voit les hommes de Fardiano torturer Paul Ricci en lui faisant ingurgiter des litres d’eau. Blot n’aime pas Fardiano qu’il juge trop brutal, mais il ne vaut guère mieux, il ment à Gu en se faisant passer pour un truand et il ment encore à Manouche en ne lui rapportant pas les derniers mots de Gu. Également il fera chanter Jo Ricci, sans vergogne. Ce que nous voyons, c’est que ceux qui ne mentent pas sont les vaincus, Gu, Paul Ricci et même Manouche. Le mensonge est donc universel et contourne la loi. Au cœur de ce dispositif bien peu flatteur pour le milieu – Paul Ricci est dans une guerre obscure à propos de cigarettes – il y a Gu. Un truand non pas à l’ancienne, mais plutôt un des rares à croire à un code de l’honneur totalement désuet, c’est sa raison de vivre et quand la police le fait passer pour une balance aux yeux de tous, il devient enragé. C’est Jo Ricci qui présente le truand moderne, celui pour qui tous les coups sont permis pour arriver à ses fins. Plusieurs thèmes vont s’entrecroiser, d’abord la solitude de Gu qui dépend en réalité de son âge et des épreuves qu’il a traversées. C’est elle le fil rouge, plutôt que les formes artificielles de l’amitié ou de l’amour. Ces fausses amitiés entre truands trouvent d’ailleurs leur symétrique dans la guerre des polices que se livrent Blot et Fardiano. Ensuite il y a évidemment la fatalité. Mais cette fatalité est inhérente à ce que sont ces hommes qui s’agitent avec des buts pas toujours très évidents. Mais tout cela se sont des excuses pour éviter de prendre ses responsabilités. Orloff décline la participation au hold-up. Officiellement il veut aider Gu au nom de l’amitié. Mais en réalité il se méfie de Paul Ricci parce que son frère Jo n’est pas fiable. Alban soutient évidemment Gu, mais c’est plutôt parce qu’il s’est donné comme mission celle de protéger Manouche. 

Le deuxième souffle, Jean-Pierre Melville, 1966

Manouche rejoint Gu à Marseille 

Les truands vivent dans une hiérarchie particulière. Au début, après son évasion, Gu est quasiment un clochard, vêtu d’un béret et d’une vieille canadienne. Et puis après avoir tué les deux demi-sels qui voulaient faire chanter Manouche, il retrouve de sa superbe et se donne le look du truand arrivé et riche. Rasant sa moustache, avec un peu de teinture sur les cheveux, il semble retrouver une nouvelle jeunesse, un deuxième souffle. Mais c’est une illusion qui va le conduire à sa perte. Il s’éblouit lui-même de sa réussite, il a tenu son rang dans le braquage du fourgon blindé, et il est potentiellement riche. Mais il tient à sa réputation et c’est ça justement qui va le perdre. Si le milieu se cherche un Roi, Manouche en est sûrement la Reine. C’est un personnage pivot. Elle a une autorité naturelle qui en impose aux truands. Jo Ricci ne s’attaque pas directement à elle, il préfère envoyer des sous-fifres qui n’ont pas conscience du danger. Et de fait leur innocence en la matière va leur être fatale. Manouche en impose aussi parce qu’elle est une survivante au milieu des désastres. Elle attire le malheur et c’est au fond ce qui plait à Blot. Le film navigue d’un côté de l’autre, de la traque par la police de Gu, et la nécessité de se venger de Gu. Ces deux logiques qui s’entrechoquent forment la trame de la tragédie. Et cette tragédie ne peut déboucher que sur la mort de Gu, vaincu par son orgueil et par la police, comme par la pègre qui le trahit. Il ne fait pas bon d’être vieux dans la truanderie. C’est d’ailleurs ce que dit le Gitan quand Orloff propose le nom de Gu. 

Le deuxième souffle, Jean-Pierre Melville, 1966

Orloff propose que Gu le remplace pour le hold-up 

C’est un des films de Melville les plus soignés quant à la réalisation. Les lieux choisis sont emblématiques, l’attaque du fourgon blindé au-dessus des collines pelées qui dominent Cassis, ou encore l’allée du Prado dans sa deuxième partie où Gu va se faire avoir comme un bleu, alors qu’il se croit à l’abri dans ce quartier huppé de Marseille. Il y a dans les moments de l’action une volonté de créer une géométrie de l’espace à partir des diagonales qui coupent l’écran. Cette diagonale c’est la voie de chemin de fer que suivent Gu et son complice pour prendre d’assaut un train de marchandise. C’est aussi ces quatre hommes alignés, vus de dos, après qu’ils aient balancé le fourgon dans le ravin. Ou c’est encore l’allée du Prado que suit Gu dans sa balade. Les trains ont toujours joué un rôle dans les films de Melville, depuis au moins Quand tu liras cette lettre. Ici on verra Gu traverser la voie de chemin de fer pour prendre un train pour Marseille, cette même scène qu’on retrouvera dans L’armée des ombres avec Ventura dans la peau de Gerbier cette fois. Cette traversée en vérité n’évite pas le danger. Bien au contraire, elle l’annonce Gu comme Gerbier vont à leur perte. Mais on retrouvera cette idée visuelle aussi dans Le samouraï quand Jeff Costello doit rencontrer un homme qui doit lui remettre de l’argent pour le meurtre qu’il a commis. Cette fois-là Jeff Costello traversera la voie en passant par un pont, mais l’effet est le même. Il y a des limites qui ne doivent pas être franchies sous peine de mort. Mais que cherche Gu ? En vérité il essaie de reconstruire sa virilité de redevenir un homme fort qui en impose. En ce sens son personnage rappelle beaucoup Abel Davos de Classe tous risques, comme lui il est seul, en rébellion contre une partie du milieu qui ne le soutient plus. Comme lui, il se cache dans une petite chambre de bonne pour éviter de se faire reconnaitre. Les deux films sont très proches, et ce n’est pas étonnant, ils sont tous les deux écrits par José Giovanni ! Ce qui n’enlève rien du reste au mérite de Sautet ou de Melville. Si la réalisation de Melville est bien plus épurée que celle de Sautet qui recherche plus une forme de naturalisme, les thématiques sont tellement proches qu’on pourrait les confondre. Dans le film de Sautet, c’est Belmondo qui vient à l’aide de Ventura qui joue Abel Davos. Ici c’est à la fois Alban et Orloff qui se portent à son secours. Mais Gu est un homme fier qui n’aime pas être pris en charge. Notez que le nom d’Orloff est emprunté par José Giovanni à un personnage qu’il a probablement connu et qui était en réalité une sorte de gestapiste traficotant dans la récupération des biens des Juifs. Il fut fusillé à la Libération pour intelligence avec l’ennemi[4]. 

Le deuxième souffle, Jean-Pierre Melville, 1966 

Gu abat le deuxième motard 

Des prouesses techniques il y en a pas mal. Le générique se déroule sur la fuite des évadés qui tentent de prendre un train. Et donc les hommes peinent à la rattraper. Melville disait qu’il avait fait accélérer le train pour mettre Lino Ventura en difficulté en l’obligeant à accélérer la course pour avoir son visage apeuré à l’écran. Mais auparavant on a vu l’évasion, tournée de manière elliptique, stylisée même, avec cette idée que l’abstraction est la bonne méthode dans le silence de la nuit, tellement les scènes d’évasion sont convenues. Dans cette scène d’évasion, utilise aussi les diagonales, coloriées en gris sur du gris, avec très peu d’éclairage. Le film est fait pour que la scène du hold-up en soit le point culminant. On découvre ici une méticulosité dans la préparation et l’exécution qu’on retrouvera plus tard dans Le cercle rouge. Cette façon professionnelle de pratiquer est aussi une manière d’éviter le questionnement sur les raisons qui poussent les truands à agir. De nombreuses figures du film noir sont recyclées ici. Les stores vénitiens, mais aussi la surabondance des miroirs. La scène de la mort d’Antoine rappelle d’ailleurs la fin du Doulos quand Belmondo meurt face à son miroir, ici le chapeau d’Antoine roule à terre, une manière de rappeler Le doulos. Melville est arrivé à la maturité, et il prend plaisir à se citer. La manière dont est filmé le sketch de Blot dans le bar où vient d’être assassiné Jacques le Notaire, rappelle à la fois le discours de Dieudonné Ferchaux qui fixe le cadre de l’histoire et explique la situation, mais aussi la façon dont le commissaire Clain interroge Faugel dans son bureau, avec de longues séquences et des tirades à tiroir. Sauf qu’ici toute la tirade spectaculaire débitée par Paul Meurisse est écrite exactement de cette manière dans le roman de Giovanni, à la virgule près. La scène où on voit Antoine Ripat, le Gitan, enlever la lunette de son fusil de précision pour abattre le motard, comme un défi à lui-même, est évidemment la même que celle qui verra Jansen faire de même pour tirer sur la serrure qui déclenchera l’ouverture de la salle des coffres dans Le cercle rouge. Le commissaire Blot est aussi un peu semblable au commissaire du Samouraï avec cet amour de la parole définitive qui pose l’homme comme le maître de la situation. 

Le deuxième souffle, Jean-Pierre Melville, 1966 

Gu se promène sur le Prado à Marseille et va se faire arrêter 

Si on compare la distribution initialement prévue en 1964 et celle qui fut utilisée en 1966, on peut dire que celle-ci est bien meilleure est correspond bien mieux à l’esprit du roman. Lino Ventura est excellent dans le rôle de Gu, le vieux truand qui a encore du ressort et qui veut se le prouver à lui-même. Sa scène de colère contre les hommes de Blot qui se font passer pour des truands est mémorable. Il domine le film, mais si sa composition n’est pas étonnante, connaissant son talent, il est entouré de rôles très forts. D’abord Christine Fabrega, dans le rôle de Manouche est plus qu’excellente, elle est parfaitement bien choisie. C’était une animatrice de télévision essentiellement et ses incursions au cinéma furent très rares. Ici c’est une femme de voyou avec tout ce que cela implique dans la façon de se tenir, d’aller chez le coiffeur toutes les semaines, mais aussi de s’obliger à une loyauté sans détour. A mon avis c’est la grande trouvaille de Melville. Ensuite il y a Paul Meurisse dans le rôle du rusé commissaire Blot, c’est un personnage emblématique des romans de Giovanni. Il est très bon, et pas trop cabotin comme il a pu l’être ailleurs, notamment dans les films de Lautner. Ensuite il y a Michel Constantin dans le rôle d’Alban. C’est un habitué de la filmographie de José Giovanni plus que de celle de Melville. C’est un de ses meilleurs rôles, même s’il est assez court. Ce film fera beaucoup pour la suite de sa carrière. Melville utilise aussi des vieux routiers des films noirs à la française. Raymond Pellegrin et Marcel Bozzuffi incarnent les deux frères Ricci. Le solide Paul, c’est Pellegrin au mieux de sa forme, et Bozzuffi joue les tordus comme il ne les a jamais joués. Tous les deux mettent beaucoup d’intensité dans leur prestation. N’oublions pas Paul Frankeur qui est excellent dans le rôle de Fardiano, est lui aussi était un habitué des films noirs à la française. D’autres petits rôles sont des acteurs récurrents de la cinématographie melviliienne, comme Pierre Grasset ou encore Jack Léonard. Pierre Zimmer dans le rôle d’Orloff apportera une touche d’élégance physique et morale. Denis Manuel dans le rôle du gitan bouillant et impulsif, complète l’équipe des braqueurs. Notez que Ventura et Constantin sont présentés au début du film comme des truands vieillis, avec des cheveux qui commencent à blanchir, c’est un moment de nostalgie qui renvoie au fait que Gu trouve que le milieu a bien changé – en mal – depuis qu’il a dû se farcir de longues années de ballon. 

Le deuxième souffle, Jean-Pierre Melville, 1966

Les flics se font passer pour des truands et Gu pique une colère 

Pour moi le meilleur de Melville se situe dans les trois films qu’il enchaîne, Le deuxième souffle, Le samouraï et L’armée des ombres. Je crois qu’on peut voir ces films cinquante fois en y trouvant toujours quelque chose de neuf, y compris dans le soin que Melville a accordé aux décors. En revoyant une nouvelle fois Le deuxième souffle par exemple je me suis rendu compte que j’étais un peu passé à côté de la scène où Jeannot Franchi est mort entouré de ses proches des suites de la fusillade avec Jacques le Notaire. Ici Melville utilise un plan général englobant la totalité d’un décor dénudé à l’excès, enchâssé dans une demeure qui semble tomber en ruine. C’est évidemment un film noir incontournable et sans doute le scénario le plus complexe que Melville ait tourné. Il eut un grand succès à sa sortie, de très bonnes critiques et le film se vendit dans le monde entier. Melville avait atteint le statut de grand réalisateur. Je me demande qui en France pourrait faire ce genre d’œuvre. Alain Corneau s’y essayé, et il s’est planté magistralement, c’est-à-dire que substituer Daniel Auteuil à Lino Ventura, Eric Cantona à Michel Constantin ou encore Michel Blanc à Paul Meurisse c’est très osé, sans parler de Jacques Dutronc à la place de Pierre Zimmer. Curieusement sur le marché français on ne trouve pas Le deuxième souffle de Melville en Blu ray, mais celui de Corneau qui fut à la fois un échec commercial et un échec artistique, oui ! Le film de Melville est disponible via l’édition de René Château qui n’est pas des meilleures, et qui ne rend pas hommage à la belle qualité de la photographie. En tous les cas le film a eu le temps de devenir un classique du genre. On remarque que la cigarette que tire le commissaire Blot de sa poche est toute tordue, cette séquence est empruntée à Crime Wave d’André de Toth. 

Le deuxième souffle, Jean-Pierre Melville, 1966

Gu règle son compte à Fardiano 

Le deuxième souffle, Jean-Pierre Melville, 1966

Gu fait face à Jo Ricci et Antoine 

Le deuxième souffle, Jean-Pierre Melville, 1966

Melville tournant la scène du train sur laquelle se déroulera le générique



[1] Rui Nogueira, Le cinéma selon Melville, Seghers, 1974.

[4] Franck Lhomeau, « Joseph Damiani, alias José Giovanni », dans Temps noir , n° 16, septembre 2013.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article