27 Février 2015
Le roman de James M. Cain avait eu un grand succès aux Etats-Unis. Sorti en 1934 aux Etats-Unis, il fut assez rapidement traduit en Français. dès 1939 il inspirait une adaptation cinématographique assez fidèle à Pierre Chenal avec Corinne Luchaire, Fernand Gravey et Michel Simon. En 1943 c'est Luchino Visconti qui le portait à l'écran sous le titre de Ossessione. Les deux versions sont très bonnes. il fallut donc attendre 1946 pour que les Américains s'y mettent enfin. En réalité plusieurs tentatives avaient été faites pour le réaliser, mais la censure s'y opposait toujours. Finalement la MGM aux moyens d'aménagements finalement assez légers put monter l'affaire. C'est déjà en soi un miracle, car la MGM n'était pas spécialisée dans les films noirs, elle visait plutôt les films à grand spectacle. Mais c'est peut-être cette incursion dans le noir qui va donner au film ce côté glamour si particulier.
Frank trouve à s'embaucher chez Nick
L'histoire est très simple : une sorte de vagabond, Frank, trouve à s'embaucher dans un restaurant tenu par NIck et sa très jeune femme Cora. C'est un coup de foudre brutal, même si au début Cora fait semblant de ne pas être attirée par Frank. Cette passion va emmener les deux amants d'abord à tenter de s'en aller ensemble. Mais les difficultés matérielles de cette fuite font qu'ils reviendront tous les deux à la maison. Dès lors, ils vont imaginer la mort de Nick, pensant que c'est la meilleure solution pour trouver le bonheur à deux. Une première tentative échouera lamentablement à cause d'un chat. Mais cela mettra la puce à l'oreille d'un procureur particulièrement soupçonneux. La seconde sera la bonne. Nick est mort, mais dans cet assassinat Frank a été blessé grièvement. Le procureur qui soupçonne les deux amants de ce crime, va tout faire pour monter les deux amants l'un contre l'autre. Mais l'avocat Keats veille et finalement Cora et Frank seront libres, touchant au passage la prime d'assurance liée à la mort de Nick. Tout n'est pas rose pour autant, Cora reste braquée contre Frank, et puis un détective va venir les faire chanter. Ils s'en sortiront encore une fois et finalement les deux amants vont se réconcilier, d'autant que Cora est maintenant enceinte. Ils vont viser à être un couple normal et vivre leur vie de famille, mais un accident empêchera ce projet de se réaliser, Cora décède et Frank sera accusé et condamné à tort cette fois pour son meurtre.
La première rencontre avec Cora est brûlante
James M. Cain est une figure incontournable du film noir. C'est également lui qui est l'auteur de Double indemnity qui fut porté à l'écran par Billy Wilder avec Barbara Stanwyck et Fred McMurray en 1944. Ce film qui est considéré comme un des plus grands films noirs eut beaucoup de succès et probablement ce succès à fait beaucoup pour encourager la MGM à mettre en scène Le facteur sonne toujours deux fois. James M. Cain est aussi l'auteur de Mildred Pierce qui fut porté à l'écran en 1945 par Michael Curtiz avec Joan Crawford. C'est donc dans la foulée de ces deux succès que s'inscrit le film de Tay Garnett. Celui-ci est un réalisateur rattaché à la MGM. Sa carrière est éclectique et a démarré dans les années vingt. Le facteur sonne toujours deux fois est son seul grand film à ma connaissance, jusqu'alors il était plutôt connu pour des comédies. pourtant il va montrer qu'il maîtrise bien les codes du film noir.
La version filmée par Tay Garnett n'est pas la plus fidèle au roman, notamment elle s'épargne de rentrer dans les jeux de l'avocat Keats (Katz dans le roman) qui pousse les compagnies d'assurance à l'aider à faire libérer ses clients. C'est d'ailleurs la version de Bob Rafelson qui serre le roman au plus près, ce qui ne l'empêche pas d'être la plus mauvaise des quatre grandes versions que l'on connaît, celle qui a le plus vieilli. Le scénario a gommé le côté un peu sordide du livre. Frank n'est plus ici un clochard. Il est plutôt propre. Et on ne sent pas comme dans le livre le poids de la crise économique sur les comportements comme sur les lieux qui les déterminent. On peut penser que ce choix est aussi bien dû à la sagacité de la commission de censure qu'au fait que c'est la MGM qui finance la production et non pas la Warner - studio plus habitué à mettre en scène le côté dégénéré de la vie américaine. Curieusement, C'est la version de Tay Garnett qui est la plus érotique, bien que, contrairement à la version de Rafelson, le film soit dénué de toute scène de sexe explicite. Il faut dire que le couple Jack Nicholson-Jessica Lange ne fait pas le poids face à John Garfield et Lana Turner. C'est la version qui a le plus vieilli.
Frank va séduire Cora
A l'évidence c'est le côté sulfureux de l'histoire et le caractère particulier des deux acteurs vedettes qui a fait le succès durable de ce film. Les deux "héros" sont en effet au-delà du bien et du mal si on peut dire, seulement guidés par leur égoïsme et leur soif de réussite. C'est d'ailleurs le premier dialogue entre Frank et Cora qui porte sur l'ambition et la volonté de réussir : ce sont des perdants qui veulent se transformer en gagnants selon l'idéologie dominante. Car au delà de la question sexuelle, c'est bien une question d'argent qui lie les deux amants maudits. Le facteur sonne toujours deux fois est donc bien une critique radicale des soubassements culturels du rêve américain. D'ailleurs toutes les institutions sont minées. Le procureur Sackett dans sa volonté de mettre les deux amants sur la chaise électrique n'en est pas moins louche pour autant. En effet, il surveille Frank depuis qu'il l'a rencontré, et pourquoi ? Simplement parce que Frank est un vagabond. Mais l'avocat Keats n'est pas plus blanc, non seulement il utilise des moyens plutôt tordus - il a recours à un détective privé plutôt véreux - mais en outre, la plaidoirie est pour lui une sorte de jeu, au-delà de ce que sont les deux assassins. Le justice, ce n'est pas son problème. Le complaisant Nick se dévoile sous un jour plutôt sombre lorsqu'il veut imposer à sa femme de se retirer dans un coin perdu du Canada, ou lorsqu'il compte ses sous, sa jovialité apparait forcée.
Les deux amants décident de partir ensemble, mais ils vont devoir renoncer
Le cynisme de James M. Cain se retrouve bien dans le film de Tay Garnett : la totalité des protagonistes sont marqués par la bêtise. C'est aussi bien Nick qui ne veut pas voir ce qui se passe entre Frank et Cora, que la manière dont Frank et Cora se font manipuler par le procureur et l'avocat. Cette bêtise c'est encore Cora et Frank qui font semblant de croire qu'ils sont un couple normal et qu'ils peuvent s'intégrer facilement dans le société en fondant une famille. Le détective et sa tentative idiote de faire chanter Cora et Frank est un autre aspect de cette bêtise endémique qui ravale l'homme au rang de la bête.
Malgré les preuves de l'accident, le procureur soupçonne Frank
Le scénario est bien sûr la clé de tout le film, il est du à Harry Ruskin et surtout Niven Bush qui a fait de très grands scénarios par ailleurs, Duel in the sun, une autre histoire de passion torride mis en scène par King Vidor. Mais la distribution est aussi impeccable. Lana Turner est à ce moment de sa carrière au sommet de sa gloire. Sa carrière a commencé dans les années trente, elle avait seize, et elle ne s'arrêtera qu'en 1991. Sa vie tumultueuse, son look, sa filmographie - elle a tourné pour Minnelli, pour Sirk, etc. - en fait une vedette à part à Hollywood. Et bien sûr dans le film de Garnett elle joue de cette aura de star. L'arrivée de Cora, tout de blanc vêtue dans un short qui la moule et met en valeur ses jambes, est un grand moment. Mais dans ce film, même si parfois elle surjoue, elle a cette capacité de faire passer des émotions diverses et variées, jouant tour à tour la jeune femme romantique et amoureuse, la perverse criminelle, ou la femme en colère et déçue par la lâcheté de Frank. Et puis elle est à l'apogée de sa beauté ce qui contribue à nous faire comprendre pourquoi Frank est prêt à se damner pour elle. Ce n'est pas forcément une grande actrice, mais elle a une très forte présence. Ce n'est pas sans raisons qu'elle a une cinématographie excellente.
Frank va assommer Nick
John Garfield trouve là un de ses meilleurs rôles, capable de se taire - au tribunal - comme de parler d'abondance, il exprime la force comme le doute sur ce qu'il est vraiment. On le sent amoureux de Cora, comme on sent son empathie pour Nick, mais aussi cette façon de tout envoyer promener en partant faire la bringue avec une fille de rencontre (joué par Audrey Totter qui fera une bonne partie de sa carrière dans le film noir). C'est ce film qui va faire de lui l'immense star que la foule pleurera à sa mort en 1952, consécutivement au harcèlement de la Commission des activités anti-américaines. Ses plus grands films - Body and soul, Force of evil - viendront un peu plus tard. Garfield a marqué tous les acteurs qui viendront à sa suite, que ce soit Bogart ou les acteurs comme Marlon Brando, James Dean et les élèves de l'Actor's studio. Mais il avait un jeu qui évoluait en permanence. Quand il tourne Le facteur sonne toujours deux fois, il est déjà sorti de ses personnages de rebelle sans cause, et en vient à des rôles où il peut faire preuve d'une plus grande subtilité, manifestant des sentiments ambigus.
Les deux amants ont envoyé la voiture dans le ravin
Si les deux acteurs principaux dominent évidemment le film, les autres rôles sont tout aussi bien distribués. Cecil Kellaways est Nick, bonhomme et aveugle aux combines de Frank et Cora. Hume Cronyn est évidemment remarquable dans le rôle de l'avocat rusé et blasé qui défend le couple maudit. Il a un petit rôle cependant essentiel pour compenser et mettre en lumière les pitoyables roueries du procureur interprété par le pâlot Leon Ames. on retrouve des figures traditionnelles du film noir, comme Alan Reed à la carrure massive dans le rôle du détective véreux et cupide.
La mise en scène est carrée et use des codes du film noir. Quelques scènes remarquables, comme l'arrivée au début du film de Cora, on voit d'abord son rouge à lèvres qui roule sur le sol, puis ses pieds, ses jambes et enfin l'ensemble de son corps dans le clair obscur de la pièce, son ensemble blanc, presque virginal, opposé aux raies sombres qui barrent le corps de Frank. Ou encore la manière dont la voiture est envoyée dans le ravin. Les scènes qui se passent au tribunal lors de la confrontation entre Cora et Frank, hachées par les ombres et les barreaux de la fenêtre et la scène finale où une fois de plus John Garfield attend de mourir en prison, son seul visage illuminé d'une lumière sombre, enfermé dans les barreaux de sa cellule, sont également de grands moments.
Nick et Cora sont montés l'un contre l'autre par le procureur, mais l'avocat veille au grain
On peut regretter que certaines scènes soient un peu statiques, mais cela est assez bien compensé par les plans larges qui saisissent les deux amants, en pieds, dans la perspective de la grande salle de restaurant. Les scènes à la gare de Los Angeles soulignent l'impression de lassitude et de chaleur dans laquelle se débat le couple.
Un détective véreux tente de faire chanter Frank et Cora
J'ai revu ce film dans la version blu ray qui est diffusée aux Etats-Unis et en Grande Bretagne. Cela permet de redécouvrir le film, car l'image est évidemment excellente et rend justice au travail de Sidney Wagner, grand chef opérateur qui décéda hélas trop jeune. Outre le film, le blu ray contient des suppléments très intéressants, une très longue biographie de Lana Turner dont la vie est un vrai roman, mais aussi un autre documentaire sur la carrière de John Garfield, issu des bas fonds newyorkais, qui fut un des vrais martyres de la Chasse aux sorcières. Mais derrière l'homme de progrès qu'il était, le documentaire insiste sur l'aspect révolutionnaire de son jeu. Peut-être que les deux choses sont finalement liées comme une même quête de la vérité.
Les amants maudits ont de la ressource
La réconciliation de Frank et de Cora va coûter la vie à cette dernière
Cora est morte avec son bébé
Frank sera exécuté pour le crime qu'il n'a pas commis
Tay Garnett, John Garfield et Lana Turner sur le tournage