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Le blog d'Alexandre Clément

Le passé se venge, The crooked way, Robert Florey, 1948

 Le passé se venge, The crooked way, Robert Florey, 1948

La première raison qui nous incite à voir et à revoir ce film, c’est l’immense travail effectué par le grand photographe John Alton. Le film est tourné presque entièrement de nuit, et cela permet de dégager une esthétique des plus élevés. La seconde raison est que c’est un film de Robert Florey. Celui-ci était d’origine française et a traficoté dans le cinéma de genre, notamment le film d’horreur comme Siodmak et quelques autres qui sont passés avec facilité du fantastique au noir. C’est presqu’une nouvelle preuve que le film noir ne s’est pas développé spécifiquement avec des réalisateurs américains, mais plutôt avec des réalisateurs européens transplantés un peu perdus dans la jungle hollywoodienne.

 Le passé se venge, The crooked way, Robert Florey, 1948 

Eddie a perdu la mémoire pendant la guerre 

Tout serait presque parfait dans ce film, sauf que le scénario s’il part sur de bonnes intentions n’est pas vraiment à la hauteur. Eddie Rice vient d’être démobilisé, mais à la suite d’une blessure de guerre, il est amnésique. Ne sachant plus qui il est et qui il a été, il se propulse à Los Angeles pour raccommoder sa mémoire. Il n’aura pas à faire des efforts bien longtemps. Arrivé à Union station, il est rapidement reconnu par la police qui par l’intermédiaire du détective Williams lui enjoint de quitter la ville au motif qu’on l’a assez vu par ici. Mais alors qu’il sort de l’immeuble du LAPD, Nina, son ex-compagne le reconnait. Elle est dans le quartier pour rendre service à un gangster nommé Vince. Nina et Vince en veulent à mort à Eddie qui non seulement se conduisait comme un bas fumier avec sa femme, mais qui e »n outre a trahi Vince pour échapper à la prison. Bref un tel bonhomme ne semble guère mériter l’attention. Seulement voilà, s’il s’appelait dans le temps Eddie Riccardi, il s’appelle maintenant Eddie Rice et surtout a gagné des décorations militaires sur le champ d’honneur. Et puis Vince n’est pas très propre, il se sert d’un peu tout le monde et n’hésite pas à tuer pour protéger son business.

 Le passé se venge, The crooked way, Robert Florey, 1948 

Il débarque à Union station où il est reconnu par la police 

La double enquête d’Eddie va consister à la fois à régler les comptes avec son passé, se le réapproprier pour mieux l’oublier, et en même temps confondre cette crapule de Vince. Dans le lot, il va retrouver son amour pour la pauvre Nina car elle est le seul lien avec son identité véritable. Le scénario est assez incohérent surtout dans sa deuxième partie où s’accumulent les invraisemblances. Et sa fin tournée vers la rédemption d’Eddie n’est guère convaincante. Autant dire qu’on ne cherchera pas un réalisme dans la psychologie des personnages et dans la linéarité de l’histoire. Le simple fait que la chef de la police dédouane Eddie sans autre forme de procès de son implication dans l’assassinat du policier Williams est le résultat d’une paresse scénaristique rédhibitoire.

Le passé se venge, The crooked way, Robert Florey, 1948  

Nina vient régler la caution 

La vérité du film se situe ailleurs, dans ce jeu d’ombres et de lumières qui donne du corps au trouble mental que traverse Eddie dont les repères temporels ont disparu. C’est donc la mise en scène que va résider tout l’intérêt de The crooked way. C’est certainement un des plus beaux films noirs du point de vue de son esthétique. Il est vrai qu’en 1948 nous sommes à l’apogée du genre. Tous les codes ont été recyclés intelligemment. On y retrouvera les troublants escaliers gravis dans l’ombre par Vince et ses hommes de main, les rues luisantes de pluie la nuit. Ou encore l’usage des stores qui laissent voir autant qu’ils dissimulent de la réalité.

Le film utilise aussi le côté documentaire en mettant en scène la machinerie de la police, ses auxiliaires, sa puissance d’intervention, utilisant la voix off pour commenter. 

Le passé se venge, The crooked way, Robert Florey, 1948

Vince a coincé Kelly qui a eu la velléité de le doubler 

Film à petit budget, ou budget moyen, l’interprétation est plutôt faiblarde. Eddie est incarné par John Payne, ayant autant de charisme qu’une huitre malade, il a un jeu monolithique qui ne lui a jamais permis de dépasser les premiers rôles dans des films de second rang. Il tourna aussi dans de nombreux westerns dont le fameux Silver Lode d’Allan Dawn. Il a néanmoins tourné dans des  films noirs intéressants comme Kansas City Confidential sous la direction de Phil Karlson. Ici il est parfait dans le rôle d’un amnésique qui ne comprend pas grand-chose à ce qui lui arrive.

Vince est interprété par Sonny Tufts, un fils de banquier qui a mal tourné, et qui deviendra un spécialiste lui aussi des films de 3ème catégorie. Alcoolique invétéré, il mourra très jeune. Au moment où il tourne ce film, il a à peine 38 ans, mais il a l’air d’en avoir soixante. Il était déjà usé.

Ellen Drew est elle aussi une habituée des petites productions. Elle est cependant très bien ici, mais elle n’a pas un physique extraordinaire. Son heure de gloire aura été de jouer dans L’imposteur de Julien Duvivier aux côtés de Jean Gabin.

 Le passé se venge, The crooked way, Robert Florey, 1948 

Vince et ses hommes vont à la rencontre d’Eddie 

Les seconds rôles sont finalement plus intéressants, que ce soit le policier Williams qui porte des lunettes et qui est incarné par Rhys Williams, ou Percy Helton qui joue Petey qui mourra parce qu’il s’inquiète de ce que devient son chat Samson. Les autres ne font que passer et offrent des figures traditionnelles du film noir, comme Greta Granstedt qui incarne Hazel, ou les tueurs plus vrais que nature.

Los Angeles est cependant un personnage à part entière, et si ce n’est pas une nouveauté de filmer cette ville si particulière même à cette époque, je crois que c’est un des films où sa spécificité et sa diversité apparaissent le mieux. Il y a d’ailleurs un grand nombre de scènes tournées en extérieur. On reconnaitra Union Station, Parker Center ou Hollywood boulevard.

Le passé se venge, The crooked way, Robert Florey, 1948 

Eddie ne sait pas vraiment qui est Nina 

Si l’histoire a peu de chance de rester dans la mémoire des cinéphiles, par contre il y a des scènes et des fragments mémorables. J’ai déjà signalé la montée des escaliers par Vince et ses tueurs, l’arrivée d’Eddie à Union Station, mais on peut ajouter cette longue déambulation d’Eddie à la recherche de Petey dans une nuit envahissante et grouillante de monde sous la lumière glauque des néons et encore la visite de l’entrepôt de Petey qui vend des surplus de l’armée américaine. C’est probablement là que le film atteint une sorte de vérité.

Tout cela doit beaucoup évidemment à la photographie de John Alton comme beaucoup de commentateurs l’ont souligné, mais pas seulement car le film a un rythme soutenu et rapide où on reconnait la patte de Robert Florey.

 Le passé se venge, The crooked way, Robert Florey, 1948 

Nina guette

 Le passé se venge, The crooked way, Robert Florey, 1948 

Eddie interdit à Hazel de téléphoner

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