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Le blog d'Alexandre Clément

Les canailles, Maurice Labro, 1959

Le sujet est tiré d’un roman de James Hadley Chase, un de ceux qui se passent en Italie, il y en aura beaucoup d’autres. Pourquoi l’Italie ? Sans doute en fonction du public. A cette époque le gros de son public, c’est la France, l’Allemagne et un peu l’Angleterre qu’on n’appelle pas encore le Royaume Uni. L’Italie c’est d’abord une idée de vacances. Nous sommes à une époque où le tourisme de masse est en train de prendre son essor. James Hadley Chase est en quelque sorte son porte voix. En quelques années il est passé des Etats-Unis où il n’avait pas mis les pieds à l’Italie comme cadre de ses romans. Si ses livres se vendaient très bien, c’était l’auteur phare de la Série noire, les films qui étaient tirés de ses ouvrages n’attiraient pas les très grands réalisateurs, à quelques exceptions près. La Série noire vendait très bien les livres au cinéma et c’est en France que seront réalisés le plus grand nombre de films inspirés de James Hadley Chase. Rarement cependant avec de gros budgets. Maurice Labro n’est pas un grand réalisateur. Il a fait cependant de très gros succès avec Fernandel. Puis il s’est tourné vers le film d’espionnage, Le fauve est lâché, sur un scénario de Frédéric Dard, il avait repris le filon de la saga du Gorille. Il finira sa carrière au cinéma avec des Coplan et autres Judoka, des ersatz de films d’espionnage avec héros baraqués. Mais il avait aussi tourné entre temps Jusqu’à plus soif d’après Jean Meckert sous le nom de Jean Amila, un ouvrage de Série noire plutôt curieux, une sorte de Fantasia chez les ploucs qui se serait pris au sérieux. Le film a été produit par deux petites sociétés, l’une française et l’autre italienne, distribué par Fernand Rivers, ce qui explique que ce film ait disparu presque totalement. Il a été monté sur un casting assez solide. A cette époque le couple Marina Vlady – Robert Hossein était plutôt célèbre. C’était leur septième film ensemble, et ils en tourneront encore un huitième, Le meurtrier de Claude Autant-Lara, en 1963 – autre film disparu du marché[1]. Marina Vlady parle de ce film comme d’une production médiocre, en tous les cas, bien que son nom soit en haut de l’affiche, c’est Robert Hossein qui en est la vedette. Il est vrai que les deux acteurs étaient en plein divorce à ce moment-là. 

Les canailles, Maurice Labro, 1959  

Ed Dawson est le directeur de l’antenne de Rome de l’agence dirigée par le magnat Chalmers, celui-ci lui demande de recevoir et d’accompagner sa fille qui arrive des Etats-Unis. Avec sa secrétaire Gina qui est manifestement amoureuse de lui, il se précipite aux devants de la jeune femme. Mais celle-ci le traite de haut et l’éconduit. Elle rencontre par contre un personnage louche qui lui réclame de l’argent. Puis elle disparaît. Dawson se lance à sa recherche, mais c’est elle qui le retrouve et qui l’emmène chez elle. Elle le séduit, mais se refuse à lui et le renvoie une fois de plus. Un des contacts d’Helen est assassiné, la police enquête. Dawson apprend alors que celle-ci est à la recherche d’un certain Carlo Sarotti, un contrebandier, un gangster dangereux. Il rejoint Helen à Naples, finalement il passe la nuit avec elle, mais elle lui a montré à travers sa caméra qu’elle surveille la villa de Sarotti. Au matin il se réveille, Helen a disparu, il la cherche de partout, et il va découvrir son corps au pied d’une falaise. Il regagne rapidement Rome en mettant en place avec la complicité de sa secrétaire un alibi pour faire croire qu’il était à Venise. La police enquête sur la mort d’Helen et son père lui demande de retrouver le fameux Gerrard avec qui elle aurait passé la nuit. Peu après Dawson est approché par l’homme sui surveillait Helen, et il lui propose le film qu’il a retrouvé contre 10 millions de lires. Dawson va réclamer l’argent à Chalmers. Pendant ce temps, Sarotti a mis la main sur le maître-chanteur et le tue. Dawson va cependant être lui aussi menacé par Sarotti qui lui réclame le film. Par ruse, Dawson va récupérer le film. Il se le fait projeter, et il y voit deux choses, la première c’est qu’Helen a filmé la contrebande. La seconde est que c’est la propre femme de Chalmers qui a poussé Helen pour la précipiter dans le vide. Mais Sarotti intervient, menace Dawson et récupère le film. Cependant la police est prévenue et se met en chasse pour arrêter le truand qui a pris Gina en otage. C’est Dawson qui se lance à sa poursuite, celle-ci se termine par une course en bateau. La collision entre les deux bateaux entraine la mort de Sarotti qui demande à Dawson de ne pas compromettre June dont il a été l’amant et qu’il a toujours aimée. Dawson accepte car il comprend qu’Helen pourchassait Sarotti pour prouver à son père que sa femme était infidèle. Mais dans la foulée, il démissionnera de l’agence et passera un savon à Chalmes en lui expliquant que si sa fille était un peu tordue, c’est au fond bien de sa faute parce qu’il ne s’en est jamais occupé. 

Les canailles, Maurice Labro, 1959

Dawson et Gina sont venus saluer Helen Chalmers à son arrivée à Rome

C’est bien un assemblage de thèmes du film noir. Le journaliste intègre qui remplace la police, la riche héritière mélancolique aux mœurs relâchées. L’ensemble est mitonné à travers la fausse piste d’un contrebandier qui est aussi un criminel. Les caractères sont très ambigus. Dawson est attiré par la sulfureuse Helen, mais c’est Gina à qui il a promis de l’épouser ! D’ailleurs il couche avec Helen, mais pas avec Gina qui reste ainsi une femme pure et dépendante de son bon vouloir. Sarotti est un criminel, mais il est sincèrement amoureux de June, la femme de Chalmers. Et celle-ci, même si elle profite des largesses du magnat de la presse, a bien un cœur et aime sincèrement Sarotti. Le but est bien de brouiller les pistes entre les bons et les mauvais, et Dawson enfreint bien la loi quand il refuse de dire qu’il a été le dernier à voir Helen vivante. Culpabilise-t-il d’avoir couché avec elle ? Veut-il avoir seulement les mains libres pour retrouver le véritable assassin ? Le scénario ne manque pas d’intérêt et de rebondissements, assez proche de l’ouvrage, il est dû à toute une équipe dont Rodolphe-Maurice Arlaud qui travaillera avec Jacques Deray, mais qui scénarisera aussi plusieurs Maigret et aussi La bête à l’affût de Pierre Chenal[2]. Il y a donc une vraie volonté de faire un film noir à l’américaine si je peux dire en jouant sur le dépaysement en Italie qui peut aider à faire passer les acteurs pour des Américains ! Sarotti sera présenté comme un homme extrêmement cruel qui tue sans état d’âme, mais aussi comme un homme respectueux de la parole donnée et qui fera tout pour éviter les ennuis à la femme qu’il aime. Helen est une femme calculatrice et froide, mais aussi perdue à cause de sa relation avec son tyran de père. Et c’est cette vulnérabilité qui va sans doute toucher Dawson, même s’il a conscience qu’il s’est fait balader. Même le maître chanteur ne parait pas totalement antipathique, il fait des affaires, et donc il fait ce qu’il peut pour gagner sa vie. 

Les canailles, Maurice Labro, 1959

Dawson a ramené Helen Chalmers à son domicile 

En filigrane on a tout de même une vision particulière des rapports hommes-femmes. C’est presqu’inévitable quand il s’agit de James Hadley Chase. Au fond Helen paye sa trop grande indépendance et sa volonté d’aboutir par elle-même à l’éviction de sa belle-mère qu’elle suppose à l’origine de son malheur. Potentiellement mauvaise, elle ensorcelle les mâles qu’elle rencontre. C’est une revanche qu’elle prend en quelque sorte sur la domination qu’elle a subi de la part de son père. Bien que ce personnage ne soit pas suffisamment approfondi, le personnage de June qui épouse un milliardaire tout en aimant Sarotti, l’est encore moins. On ne saura jamais quelles sont ses motivations profondes. Dans cette atmosphère singulière, Dawson apparaît comme un pivot, il est à la fois manipulé par Chalmers, par les policiers qui veulent lui faire le travail à sa place, par Helen, mais aussi par Sarotti. Le fait qu’il soit le chef de l’agence de presse à Rome peut prendre le sens suivant : un journaliste ne répercute que les informations qu’on veut bien lui donner, même si celles-ci sont fausses ! 

Les canailles, Maurice Labro, 1959 

La police enquête sur le mort 

Il y avait là un bon sujet, mais la réalisation n’est pas des plus subtiles. Mais elle travaille beaucoup sur les décors extérieurs et naturels, diminuant d’autant le poids des scènes tournées en studio. Labro s’intéresse plus à l’action proprement dite qu’à la psychologie des personnages. Les nombreux retournements de situation auraient dû renforcer le mystère, ce n’est pas tout à fait le cas. C’est vrai qu’on croit d’abord qu’Helen est sur la piste de Sarotti pour ses malversations, mais la romance entre Sarotti et June tombe comme un cheveu sur la soupe. Sans doute Labro attache plus d’importance aux personnages masculins qu’aux personnages féminins, mais ce choix n’est pas bon car il affaiblit le sujet, si Sarotti est prêt à mourir pour June, en lui donnant un peu plus d’épaisseur àa se comprendrait mieux. C’est filmé plan-plan. Je trouve les décors naturels de Naples et de la mer insuffisamment bien utilisés. Par exemple quand Sarotti et Dawson se promènent dans les rues de Naples, manifestement un quartier pauvre avec du linge suspendu au-dessus d’eux, ils ne donne pas de profondeur de champ. Quand il film le débarquement de la contrebande, il le film tellement serré qu’on ne comprend pas que c’est une action dangereuse et difficile. Il lui manque le sens de l’espace. 

Les canailles, Maurice Labro, 1959

La caméra d’Helen est braquée sur la villa de Sarotti 

Même les scènes d’action sont molles, ce qui est paradoxal pour un film d’action. Dawson se fait assommer deux fois, mais ça ne sonne pas juste. De même quand il est acculé par une bande de voyous payés par Helen, on comprend qu’il va se faire casser la tête, mais on ne voit rien du tout, Labro esquive. La poursuite en voiture de Sarotti est un peu mieux réalisée et tient un peu plus compte de l’environnement. Mais elle débouchera sur une course de bateaux qui tournent littéralement en rond en attendant que ça passe. Ça dure plusieurs minutes sans accroître le caractère dramatique de la scène. Le plus souvent c’est statique, filmé en plans resserrés sans changement d’angles de prise de vue. 

Les canailles, Maurice Labro, 1959

Pour dix millions Dawson peut avoir le film d’Helen 

L’interprétation c’est d’abord Robert Hossein qui est de bout en bout à l’écran. Marina Vlady disparaît avant la moitié du film et Philippe Clay n’arrive qu’au dernier tiers. L’interprétation n’est pas vraiment éblouissante. La structure du film ressemblant à s’y méprendre à celle de Des femmes disparaissent, la distribution renforce cet aspect[3]. Robert Hossein est un Dawson sans surprise qui a bien du mal à se faire passer pour un américain. Mais enfin il n’est jamais mauvais. Philippe Clay incarne un truand, un de plus dans sa longue filmographie, son physique émacié s’y prêtait. Mais ici il introduit une sorte de légèreté bienvenue qui lui donne un peu d’humanité. Marina Vlady est manifestement ailleurs, elle porte un soutien-gorge qui fait la poitrine très pointue ! Mais sinon elle ne fait que passer et ne s’anime pas beaucoup, même si elle est toujours aussi jolie. Co-production oblige, Gina est incarnée par Scilla Gabel, une actrice italienne surnommée dans le temps la Sophia Loren du pauvre. Et en effet elle est assez gauche et ne percera jamais vraiment. 

Les canailles, Maurice Labro, 1959

Sarotti veut également mettre la main sur le film 

Le film a été un succès en France, mais aussi en Italie, en Allemagne et en Angleterre pour ce qu’on en sait. La critique évidemment ne s’y est pas intéressée, on est alors en pleine Nouvelle Vague et la mode est de dénoncer les formes traditionnelles de mise en scène, sans qu’on sache trop ce que cela veut dire.  Ce film disparu n’est pas désagréable à voir, c’est déjà ça, vu les inepties que le cinéma d’aujourd’hui nous propose. Une bonne version en Blu ray serait la bienvenue et nous permettrait sans doute de mieux apprécier les décors naturels du film, avec la malheureuse version que je possède c’est un peu difficile de se rendre compte de la subtilité de la photographie.  

Les canailles, Maurice Labro, 1959

Sarotti menace de tuer Gina si on ne lui donne pas le film 

Les canailles, Maurice Labro, 1959 

Sarotti avant de mourir demande à Dawson de ne pas impliqué June dans la mort d’Helen



[1] http://alexandreclement.eklablog.com/le-meurtrier-claude-autant-lara-1963-a125351822

[2] http://alexandreclement.eklablog.com/la-bete-a-l-affut-pierre-chenal-1959-a114844600

[3] http://alexandreclement.eklablog.com/des-femmes-disparaissent-edouard-molinaro-1959-a183580146

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