16 Juin 2017
Le Fleuve noir fait reparaître Les Confessions de l’Ange noir. L’intérêt de cette nouvelle édition par rapport aux précédentes, est qu’elle reprend les éditions originales parues au début des années cinquante aux Editions de la pensée moderne, maison fondée en 1952 par Jacques Grancher, le fils de Marcel E. Grancher, ami et mentor de Frédéric Dard[1]. Les aventures de l’Ange noir sont donc au tout début de la création de cette maison. On pourrait dire qu’elles en sont constitutives. C’est une série de quatre romans. D’autres avaient été prévus, mais, sans doute parce que Dard s’engageait de plus en plus avant avec le Fleuve noir, cela avait tourné court.
Ce n’est pas tout à fait avant San-Antonio, mais ces aventures sont écrites avant que le fameux commissaire devienne célèbre, à un moment très incertain où Dard ne sait pas trop s’il va persister dans le roman policier, ou si au contraire il va plutôt s’orienter vers une carrière d’auteur dramatique. Mais il faut bien faire bouillir la marmite, il vient juste de s’installer aux Mureaux et peine à gagner sa vie, et donc il multiplie les opportunités. Cependant ces aventures de l’Ange noir, certainement écrites très vite, sont absolument nécessaires, et cela pour au moins trois raisons :
- d’abord parce que de nombreuses formes sont testées ici par Frédéric Dard et seront reprises ensuite dans des épisodes de la saga du commissaire San-Antonio. Bien que l’Ange noir soit un gangster sans morale et violent, on peut y voir la génèse de San-Antonio qui à l’époque reste encore englué dans le ressassement des séquelles de la guerre ou encore dans des histoires d’espionnage liées à l’Occupation. De même l'Ange noir aime a détaillé ses exploits sexuels avec des positions plutôt curieuses et étranges ;
- ensuite parce que les histoires imaginées par Frédéric Dard sont des variations sur les thèmes classiques du roman noir. Car si en effet Dard va devenir sous son véritable patronyme un des maîtres du roman noir, comme le démontre Dominique Jeannerod[2], il a bien fallu qu’il en apprenne la technique. On peut dire que c’est aussi dans le développement des aventures de l’Ange noir qui se placent aussi sous le patronage des grands auteurs américains, William Irish ou James M. Cain, ou encore de James Hadley Chase.
- enfin parce, et bien que Dard considérait d’une manière circonspecte ces œuvres de jeunesse, on prend beaucoup de plaisir à les lire.
L’Ange noir est un mauvais garçon, le pire de ce qui peut se faire des deux côtés de l’Atlantique. Il vole, il tue, il rackette, sans considération pour personne d’autre que sa personne et l’argent qu’il peut tirer de ses exactions. Tout ça dans une Amérique fantasmée, peu réelle bien sûr, le souci du réalisme documenté n’est pas très présent. Il distribue les pruneaux comme un rien, punissant méchamment tous ceux qui lui ont nui. Mais n’allez pas croire que pour autant l’Ange noir ne possède plus aucun sens moral, on le verra rendre également la justice aussi bien à l’encontre d’hommes d’affaires véreux que de gangsters qui ont manqué à leur parole.
C’est de la littérature populaire des années cinquante, époque où la télévision n’était pas encore répandue, et où la lecture était un loisir presqu’aussi important que le cinéma. Quand on lit aujourd’hui des polars prétentieux et épais comme des bibles, on se demande si le genre y a vraiment gagné quelque chose. En tous les cas l’Ange noir, malgré les faibles tirages des éditions originales contribuait lui aussi à l’apprentissage de la lecture par les masses ouvrières.