5 Novembre 2024
Bruno Sulak est une légende du banditisme des années quatre-vingt. Principalement parce que contrairement à beaucoup de grands bandits, il n’opère pas en bande et cambriole ou casse à la manière des gentlemen. Sa légende est aussi renforcée par le fait qu’il s’est évadé plusieurs fois, mais que lors de sa dernière évasion, il a probablement été assassiné par les gardiens de la prison qui l’auraient jeté en bas du mur qu’il tentait de franchir après l’avoir battu à mort. C’est la thèse qui courait lors de son décès alors qu’il n’avait pas encore atteint l’âge de trente ans. Deux livres lui ont été consacrés, le premier est un livre de souvenir de sa sœur Pauline, un livre que j’avais trouvé juste et émouvant[1], et puis un autre de Philippe Jaenada, spécialiste des chroniques judiciaires du temps passé et qui se pose souvent comme voulant corriger les erreurs passées de la justice[2]. Il est a noté que Pauline était d’emblée hostile à cette évocation filmique des actes de son propre frère.
Avant d’être un bandit de grande classe, Bruno Sulak avait été légionnaire, comme son père, et c’est à cette occasion qu’il devint champion du monde de parachutisme en chute libre. Mais la légion il la quittera volontairement – il sera donc déserteur – en 1978 ne voulant pas partir sur Kolwezi. C’est à ce moment-là, exactement, qu’il commencera une carrière de braqueur.
C’est un personnage de légende, bien plus que Jacques Mesrine, même s’il est beaucoup moins connu. Et bien sûr la grande difficulté, comme pour tous les biopics, est de tirer de son parcours une histoire à la fois juste et emballante. Ensuite, il faut trouver un acteur capable de l’incarner avec modestie et dignité. Le titre du film de Mélanie Laurent est Libre. Et au fond c’est assez juste, parce que ce qui est attirant dans le parcours de ces grands voyous, c’est justement de se mettre en dehors des règles édictées par la société et de vivre avec sa propre morale. Le film a été acheté Prime Amazon et donc ne sera pas distribué en salles. Il est à peu près certain que de cette manière il sera beaucoup plus vu sur la plateforme que s’il avait suivi une diffusion normale. Mais d’un point de vue artistique on prend beaucoup moins au sérieux ces films diffusés de cette manière.
Avec sa femme Anne, et ses amis Drago et Patrick, Bruno Sulak écume les supermarchés du sud de la France. C’est le policier Georges Moréas qui est chargé de le poursuivre. Mais il est difficilement localisable, se cachant dans l’arrière-pays. Bientôt ayant épuisé les braquages de supermarchés, ils vont s’attaquer aux bijouteries de Luxe. Entre temps, Bruno s’est acoquiné avec Steve, un bandit yougoslave. Mais bientôt Bruno va être arrêté par l’équipe de Moréas, et pour éviter qu’Anne soit condamnée, il va avouer ses braquages, sans donner ses amis. Mais Bruno n’aime pas la prison, il va s’évader et retrouver ses vieilles pratiques de grand bandit. Il se débrouille également pour narguer un peu Moréas qui ne peut pourtant pas cacher l’admiration qu’il a pour lui. Après son évasion, et avec son ami Steve, il va retourner en prison, mais cette fois pour faire évader Jean-Louis qu’il avait connu en prison et qui n’était pas arrivé à le suivre.
Bruno Sulak et ses amis braquent les supermarchés
Les braquages de bijouterie reprennent, et Bruno nargue toujours autant Moréas. Alors que celui-ci avait promis de le rencontrer sans dispositif pour le coincer, il trahit sa parole, mais Bruno déjoue le piège. Les casses de bijouteries ont maintenant rapporté suffisamment. Et après un séjour aux Etats-Unis pour se faire oublier, Bruno revient en France pour retrouver Anne qui doit pointer régulièrement au commissariat suite à sa condamnation. Anne en a un peu assez de cette vie. Elle voudrait s’éloigner de tout ça. Bruno tergiverse, mais il pense lui aussi à se ranger. Cependant, il va être repéré et arrêté au passage de la frontière italienne, sans doute à cause de ses faux papiers. Il va retourner en prison, condamné à neuf ans de détention. Moréas vient le voir et lui annonce qu’il a quitté la police, dans la foulée il lui demande de faire son temps et qu’ensuite, étant jeune encore il pourra refaire sa vie. Anne est effondrée. Steve va tenter de faire évader Bruno, mais il va être descendu avant dans un obscur règlement de compte qui implique la police. Bruno va donc soudoyer le sous-directeur de la prison pour tenter de s’évader à nouveau. Il n’y arrivera pas, repéré par des gardiens, il sera battu à mort et défénestré.
Ils sont maintenant passés à l’attaque des bijouteries
Il est assez peu courant de voir que le scénario écrit par Christophe Deslandes et Mélanie Laurent elle-même prenne position en accusant les gardiens de prison d’avoir assassiné Bruno Sulak. Certes la scène du meurtre est édulcorée, faisant passer cela pour un accident, mais il n’en demeure pas moins que les gardiens de prison sont accusés, la justice ne le reconnaitra pas et les blanchira. Georges Moréas lui-même avalera la thèse des matons, sans amener une preuve convaincante de ce qu’il avance, notamment que les gardiens l’auraient retenu par son blouson pour qu’il ne tombe pas, mais que le vêtement aurait craqué, comme il n’y était pas, on peut douter de ce qu’il raconte[3] ! La saga de Bruno Sulak est assez bien représentée, contrairement à ce que dit Moréas sur son blog, mais forcément simplifiée pour des raisons de cinéma. On peut déplorer d’avoir monté en épingle une relation presque d’amitié entre Moréas et Bruno Sulak, bien que le policier se soit toujours gardé de dire du mal de Bruno Sulak dans ses mémoires. Mais c’est une convention, ou encore un clin d’œil à la scène de la rencontre Neil McCauley et Vincent Hanna dans Heat, le film célèbre de Michael Mann. Mais dans l’ensemble le scénario ne pose pas de problème particulier.
Bruno Sulak s’évade de prison
C’est donc le portrait d’un héros romantique épris de liberté et de droiture. Il est fidèle à ses amis et fidèle à sa femme. C’est donc une ode à l’amour et à l’amitié, la profession de ce gang n’était qu’un élément qui renforce ce propos. On remarque que tous ces protagonistes sont fiables. Et on verra Anne participer aux braquages avec courage en conduisant la voiture qui doit enlever le gang une fois ses forfaits commis. Il y a dans cette démarche, plutôt marginale dans le milieu, une forme de retour à l’enfance dans cette volonté de vivre l’instant sans se soucier des lendemains, et de faire un pied de nez aux règles communément admises aussi bien par les institutions que par le milieu lui-même où tout fonctionne dans un rapport de force permanent et une hiérarchie plus ou moins fluctuante.
Avec son ami Steve il rencontre Moréas
Une des idées de ce film, c’est de resituer l’histoire dans les années quatre-vingts. À cette époque il y a encore des liquidités qui circulent, notamment dans les supermarchés, et avec un peu d’astuce et de courage on peut s’en emparer. Bruno Sulak en bon militaire rigoureux minute les coups afin d’éviter de se faire piéger. À cette époque on a beaucoup d’équipes qui fonctionnent comme ça, s’attaquant aux banques, aux supermarchés ou aux bijouteries. L’originalité de Sulak est de réaliser ses coups en plein jours, augmentant le risque de se faire prendre bien entendu. On verra donc des enseignes des supermarchés disparus, Mammouth, Euromarché et évidemment des voitures plus ou moins d’époque.
Ils sont venus faire sortir de prison Jean-Louis
Tout cela est intéressant, malheureusement la réalisation n’est pas vraiment à la hauteur. À travers un montage très serré, c’est filmé en très gros plans, comme à la télévision, ça manque de respiration et d’espace. Il n’y a pas beaucoup de mouvements de caméra, et ça nuit au rythme propre de l’histoire. Est-ce un manque de moyens ? Si dans la première partie du film c’est assez mou, la deuxième partie est plus enlevée. Mon sentiment est que le découpage n’a pas été suffisamment travaillé et les enchainements sont assez laborieux. La scène d’évasion de Bruno et Jean-Louis, visiblement inspirée de la scène d’ouverture du Deuxième souffle de Melville, si elle est intéressante, se perd dans des défauts de cadrage trop évidents. Les scènes d’amour entre Anne et Bruno sont sans doute aussi un peu trop appuyées et laborieuses. Mais la façon dont Sulak fait sortir de prison Jean-Louis, c’est bien enlevé.
Au tribunal Annie sera relativement épargnée
En ce qui concerne la distribution, ce n’est pas mal. Bruno Sulak est incarné par Lucas Bravo à la carrure athlétique et au sourire plutôt convaincant. C’est un acteur, fils d’un footballeur renommé, Daniel Bravo, qu’on a assez peu vu à l’écran, mais ici il se fait agréablement remarquer. Il forme un joli couple avec Lea Luce Busato dans le rôle d’Annie, avec un beau sourire, mais qui tient son rang. Yvan Attal qui a beaucoup vieilli joue Georges Moréas avec assez peu de conviction tout de même. Dans le rôle de Steve, Radivoje Bukvic est par contre très bon, on aimerait le voir plus souvent. Slimane Dazi dans le rôle du mélancolique Jean-Louis qui se morfond en prison est aussi très bien
Moréas qui a démissionné de la police vient voir Bruno en prison
Au final, et principalement à cause des manques technique de la réalisation, cette formidable histoire m’a laissé sur ma faim. Bruno Sulak méritait beaucoup mieux. Comme je l’ai dit plus haut, Moréas a critiqué ce film, mais selon moi pour de mauvaises raisons, sans apporter grand-chose.
Les gardiens rattrapent Bruno en train de s’évader
Il sera défenestré
[1] Pauline Sulak, Bruno Sulak, Carrère, 1985. Sous le nom de Pauline Belmihoub, elle publiera Bruno Sulak - l'ami public n 1 aux éditions Mélanges en 2007. Ce dernier ouvrage je ne suis pas arrivé à me le procurer, il semble que ce soit une version augmentée du premier.
[2] Philippe Jaenada, Sulak, 2013.
[3] https://www.lemonde.fr/blog/moreas/tag/lea-luce-busato/