30 Août 2023
Un film noir Allied Artists avec un telle distribution, c’est du cousu-main, Barry Sullivan, Dorothy Malone et Charles McGraw, ça incite à y aller voir ! Allied Artists c’est un peu la passerelle entre le studio rupin qui ne fait que des séries A et les studios fauchés qui ne font que des séries B. Allied Artists était l’héritière de Monogram, studio auquel Jean-Luc Godard avait cru malin de dédier A bout de souffle en 1960. Ils avaient hérité des formes des films de la Warner, les jeunes délinquants – ils ont fait 48 films avec les Bowery Boys ! – et bien sûr le western et le film noir. Leur prospérité se fondait sur les doubles programmes, un grand film, série A, et un plus petit, série B. Parmi leurs grosses réussites on peu citer The Invasion of Body Snatchers, Riot in Cell Block 11 de Don Siegel, ou des curiosités comme Shack Out on the 101 d’Edward Dein[1] ou encore l’excellent The Phenix City Story de Phil Karlson[2]. Ils participeront par la suite à la production du film de Jean Delannoy, Notre Dame de Paris avec Anthony Quinn et Gina Lollobrigida. Dans les années soixante-dix, ils devinrent même un studio relativement important, presque normal avec des grosses productions comme Papillon ou des films avec Sean Connery, The Man Who Would Be King de John Huston, et même Luis Buñuel et le Zorro d’Alain Delon. Également distributeurs, ils investissaient beaucoup dans des co-productions avec les compagnies européennes. Ils avaient aussi développé un département de production et de diffusion de la musique enregistré qui était assez florissant. Mais ils disparurent bientôt à la fin des années soixante-dix, ayant perdu leur singularité, après leur faillite ils furent rachetés par Lorimar qui devait ensuite tomber dans l’escarcelle de la Warner, la boucle était bouclée. Le cœur de leur métier, si je puis dire, ce furent les années quarante cinquante. C’était le dernier vestige des studios de seconde catégorie à Hollywood. Visant un public large et populaire, on peut dire que c’est la télévision qui les a tués, bien qu’ils aient aussi travaillé pour elle.
Donovan ne comprend pas où sont passé les 50 000 $
Beaucoup trop de leurs films sont oubliés, certains à juste titre, d’autres bien injustement. C’est le cas de ce Loophole de Harold Schuster qui est très difficile à trouver, mais qui est passé parfois à la télévision. On le trouve seulement en VOD aux Etats-Unis. C’est pourquoi les captures d’écran que je vous proposerai pour accompagner mon commentaire, ne sont pas très bonnes. Harold Schuster c’est un réalisateur de seconde catégorie, au sens commercial du terme bien entendu. Il n’a pas fait les écoles de cinéma, et il a appris son métier en faisant du montage. Il tournait un peu de tout, preque toujours des petis budgets, et son plus grand succès sera My Friend Flicka, l’histoire d’une relation d’amitié entre un enfant et un cheval. Le succès de ce film engendra une série télévisée qui fut suivie pendant plusieurs années par les enfants du monde entier. Mais à côté de ces niaiseries, il a fait des films durs, dont des films noirs. On peut citer Jack Slate, en 1953 avec Mark Stevens et encore Dorothy Malone, un western très noir, ou ce film curieux, Portland Exposé en 1957 qui a la particularité d’avoir été interdit justement autour de Portland, parce qu’il était bien trop noir et dénbonçait la corruption de la ville ! Et puis il y a ce Loophole qui est notre sujet d’aujourd’hui.
Le teigneux Gus Slavin désigne Donovan comme coupable
Mike Donovan est caissier dans une grande banque fédérale. Régulièrement celle-ci est contrôlée par des inspecteurs qui arrivent à une dizaine. Mais un jour un faux inspecteur s’introduit dans la banque et, faisant semblant de recompter la caisse de Donovan, subtilise 50 000 $, tandis que l’attention du caissier est détournée par une belle blonde sexy et peroxydée. Donovan ne comprenant pas pourquoi il a un tel trou dans la caisse ne le signale pas son supérieur et rentre chez lui. Le week-end passé, il va signaler la perte. La banque est assurée, mais la police s’en mêle et l’assureur envoie un enquêteur. Celui-ci, un ancien flic, est persuadé que Donovan est coupable et qu’il a bénéficié d’un complice. Il a six mois pour retrouver l’argent. Le FBI enquête également, mais les policiers sont plus circonspects que Slavin. Dorothy Donovan est aussi interrogée, puis la maison est également perquisitionnée, sans résultat. La compagnie d’assurance exige que Donovan soit licencié, ce qui est fait. Dès lors Donovan va tenter de retrouver un boulot, c’est d’(autant plus difficile que Slavin intervient pour le dénoncer à ses employeurs potentiels. Le FBI va soumettre Donovan au détecteur de mensonge. Mais si celui-ci ne prouve rien, il donne à l’idée au pauvre caissier qu’il a été victime d’une anomalie, sa caisse ayant été contrôlée deux fois. Avec les policiers il essaient de retrouver le deuxième inspecteur, on convoque les inspecteurs, on examine des photos de criminels, sans résultat.
Le FBI interroge aussi la femme de Donovan
Donovan, n’ayant plus d’argent, a dû quitter sa maison. Navigant d’emploi en emploi, il retrouve bientôt une place de chauffeur de taxi. Slavin va tenter de le faire renvoyer, car il pense que si Donovan n’a plus de travail il le conduira à l’endroit où il a planqué l’argent volé. Mais le patron de Donovan est moins stupide que les autres et pose la question de savoir pourquoi si son chauffeur est coupable, il n’est pas en taule. Sur ce il vire Slavin et garde sa confiance en Donovan. Un soir, Donovan va charger un couple de noctambules, et il reconnaît Tate accompagné de Vera. Mais le temps qu’il se retourne et appelle la police, Tate qui l’a aussi reconnu, disparaît avec Vera. Cependant Donovan commence à comprendre que le coup a été certainement monté par un employé de banque qui connaît le système. Avec Dorothy il s’en va chercher Tate. Mais plusieurs fois le coupable lui file entre les doigts, notamment parce que Slavin le trouble quand il consulte les photos dans le fichier de la compagnie d’assurance. Mais il poursuit son enquête et finalement il le retrouve. Il le poursuit, le rattrape et Tate finit par lui proposer 50% du butin. Donovan fait semblant de marcher, mais Vera l’assomme et prétend s’enfuir avec tout l’argent. Slavin qui était sur les pas de Donovan pense que celui-ci est venu retrouver sa maîtresse et complice. Mais Donovan a prévenu sa compagnie de taxi et son patron et un autre chauffeur arrivent à la rescousse, tandis qu’ils maîtrisent Slavin, Donovan part à la poursuite du couple criminel. Il les rattrape dans une maison près de la plage de Malibu après avoir appelé la police. Tate n’ose pas cependant tuer Donovan, Vera lui tire dessus, mais Donovan n’est que blessé et la police va arrêter les deux criminels. Le caissier retrouvera sa place à la banque.
La perquisition ne donnera rien
Le film dure une heure vingt, mais il est très dense. Il y a d’abord l’exposition d’un astucieux détournement de fonds, bien pensé, bien exécuté, qui met en opposition la surveillance massive de la banque et les failles évidentes du système. Le voleur est intelligent et méticuleux. Ensuite il y a la hargne de Gus Slavin qui a décidé de perdre Donovan en lui faisant une vie de misère. L’action de ce détective des assurances est à la fois motivée par la volonté de retrouver l’argent, c’est de cela qu’il vit, mais aussi par la haine personnelle qu’il voue à Donovan. Enfin il y a le moment, vers le milieu du film, où le caissier licencié va tant bien que mal reprendre l’initiative après avoir presque tout perdu. Au passage on souligne l’esprit d’entreprendre de Donovan. Il repart à zéro, croyant à son destin. Ici s’introduit une notion intéressante, le hasard ou la fatalité. Tout ce chemin d’une réussite programmée est parsemé de chausse-trappes. Mais la fatalité intervient aussi bien dans un mauvais sens que dans un bon. Donovan, une fois qu’il a compris, par hasard, que le voleur était sans doute un employé de banque, il le manque plusieurs fois, par hasard puisqu’en effet il dépose son argent sur un compte dans une banque où l’escroc est caissier ! Ou alors il manque le découvrir dans le fichier, mais c’est l’intervention idiote de Slavin qui l’empêche de voir sa photo. De même ce sera par hasard qu’il croisera Tate à la sortie d’un night club.
Le détecteur de mensonge ne donnera rien
Le personnage de Donovan est intéressant parce que ce n’est pas un héros, même s’il ne manque pas de courage. C’est un petit homme ordinaire, employé de banque, qui n’a comme ambition que de vivre tranquillement avec sa femme et son chien et de payer les traites de sa jolie maison. Il est honnête et loyal, mais cela n’est pas récompensé par le système bureaucratique de la banque qui provoque son renvoie. Pas rancunier pour autant il reprendra sa place, à son poste, s’en contentant. Et on suppose qu’après le chien, il finira par faire un gosse à Dorothy, femme au foyer. Si la première partie du film est amère, la loyauté n’étant pas récompensée, la seconde, c’est l’éloge d’un idéal de médiocrité routinière. L’épreuve que Donovan traverse va lui permettre de dévoiler le caractère des uns et des autres, Slavin est un homme aigre, brutal et raté, les différents employeurs qui le suivent dans ses élucubrations sont plutôt stupides et bornés. Mais il y a aussi des gens très très bien, si les flics du FBI sont circonspects et pas trop bornés, par contre le patron de la compagnie de taxis est intelligent et généreux. Et puis bien sûr il y a sa femme, car s’il perd presque tout, Dorothy et le chien le lâchent jamais !
Donovan retrouve du travail dans une station service
Le film introduit suffisamment de nuances pour qu’il ne tourne pas à la leçon de morale sur le mode : le crime ne paie pas. Ttate est intéressant, c’est un voleur, mais on le comprend, il est vieux, il est assez moche, et évidemment s’il veut se taper la superbe Vera il doit trouver de l’argent. Cependant ce n’est pas un assassin, au fond il n’est pas si mauvais, il veut juste s’éblouir avec une belle jeune femme – qui probablement à d’autres amants – faire la fête, en attendant la mort. Il n’est pas bête, il est capable de monter un coup audacieux, utilisant même la belle Vera pour distraire l’attention de Donovan. Il sait également que celle-ci n’est avec lui que parce qu’il a de l’argent, et que le jour où il n’en aura plus, il sera fini.
N’ayant plus d’argent les Donovan doivent abandonner leur maison
La mise en scène est intéressante. D’abord parce qu’elle utilise à bon escient les décors de Los Angeles du début des années cinquante. On remarque que la maison où se tient la scène finale est la même que celle qu’utilisera Robert Aldrich dans Kiss Me Deadly. Cette maison est curieuse, perdue au milieu de la plage désertique de Malibu. Et en effet en ce temps là on trouvait des maisons pour peu d’argent avec les pieds dans l’eau. C’est même de ce côté que les beatniks migreront en masse pour y trouver la tranquillité et une vie peu onéreuse. Il y a encore beaucoup d’autres scènes qui sont filmées en décors naturels, on voit donc Los Angeles tel qu’il était en 1954. Cette volonté de fuir le studio n'est pas seulement due à un souci d’économie, c’est également une possibilité d’être au plus près de la vie quotidienne. Ce choix modifie d’ailleurs l’utilisation de la caméra qui obligatoirement va devoir être plus mobile et utiliser plus souvent la profondeur de champ. On a loué fort justement cette manière de filmer d’Aldrich pour Kiss me Deadly, mais c’était dans l’air du temps, et peut être même que Loophole a été une source d’inspiration pour lui. Dans les deux films on a du reste un détective privé borné et inutilement obstiné.
Slavin tente de faire renvoyer Donovan, mais cette fois ça ne marche pas
Schuster s’attarde plus d’ailleurs sur les superbes automobiles de ces temps, que sur l’intérieur du night club pa exemple, c’est une évolution importante dans le film noir, parce que cela montre qu’on prend plus conscience encore de la forme spatiale de la ville qui ‘étire horizontalement presqu’à l’infini. Le Los Angeles qui apparaît ainsi à l’écran est un Los Angeles besogneux, des petites gens, chauffeurs de taxi, pompistes, employés de banque, concierges, femmes au foyer. Loin des fastes clinquants d’Hollywood. Les intérieurs de la banque sont très soignés, il semble qu’ils aient été tourné dans une vraie agence.
Devant le Ciro’s, Donovan reconnaît son voleur
La conduite du récit s’appuie sur un commentaire, une voix off qui, si elle économise de la pellicule, le film ne dure qu’une heure vingt, est parfois un peu lourdingue. Mais en même temps ce commentaire va donner une forme d’authenticité à l’histoire quand il raconte minutieusement la combine de Tate. On peut aussi regretter que les scènes d’action ne soient pas un peu mieux exploitées, il y avait matière, même si le budget était étriqué et qu’il fallait pas trop en rajouter sur la durée. Dans l’ensemble le montage est serré et sans temps mort, avec des astuces quand Dorothy par exemple détourne l’attention de Slavin pour que son mari puisse échapper à sa surveillance.
Donovan a rattrapé Tate
La distribution c’est de la série B. Mais les acteurs ne sont pas des inconnus. Barry Sullivan dont la carrière s’est étendue sur plus de quarante années, est un habitué de ce genre de films, quoiqu’il soit plutôt confinés dans des rôles de flics ou de gangsters. Ici il est très bien, donnant à croire à son humilité, avec des pulsions de haine bienvennues. Ensuite, il y a Dorothy Malone dans le rôle de sa femme. C’est une excellente actrice qu’on retrouvera plus tard dans des classiques du western, Warlock, El Perdido, mais aussi dans des mélodrames flamboyants de Douglas Sirk, Written on the Wind et The Tarnished Angels. Ici elle est un peu en retrait, le rôle le veut. Charles McGraw est bien sûr l’acariâtre Gus Slavin. Curieusement, il a toujours le même costume, avec le pantalon trop court et la veste trop large, et le même chapeau. Il cabotine pas mal. Le couple Tate Vera est excellent. John Beddoe est ce vieux caissier, proche de la retraite habité par le démon de midi, un peu geignard tout de même. Et puis il y a la superbe Mary Beth Hughes dans le rôle de la méchante de garce. Hargneuse aussi à sa manière, on comprend pourquoi ce vieux barbon de Tate se damnerait pour elle ! Sa prestation énergique est très réussie, même quand elle assomme sans faiblir Donovan.
Le patron de Donovan empêche Gus Slavin de poursuivre Donovan
C’est donc dans l’ensemble un excellent film noir sur le thème de l’innocent injustement poursuivi par le mauvais sort, même si ce n’est pas un chef d’œuvre. C’est sans prétention, relevé d’une touche d’humour très légère au détriment de l’ignoble Gus Slavin et du malheureux Tate. Il existe une vieille version de ce film en Blu ray chez Warner, sorti en 2013, mais la taille de l’image n’est pas la bonne, c’est du wide screen au lieu du bon vieux 4:3, ce qui est assez gênant tout de même pour ce genre de film.
Dans la maison sur la plage, Donovan a retrouvé Vera et Tate
[1] http://alexandreclement.eklablog.com/shack-out-on-101-edward-dein-1955-a172299342
[2] http://alexandreclement.eklablog.com/the-phenix-city-story-1955-phil-karlson-a114844904