28 Août 2022
Voici un ouvrage dont la paternité reste encore aujourd’hui très controversée. Pour beaucoup il a été écrit par Frédéric Dard[1], mais il n’a pas été reconnu, ni par lui, ni par sa famille. J’en avais parlé dans ma petite étude, Frédéric Dard, San-Antonio et la littérature dépouvante[2]. Il s’agit d’un enchaînement de nouvelles, un peu dans le ton et la manière d’Histoires déconcertantes, signé par Frédéric Dard cette fois et qui sera publié au Fleuve noire en 1977. Il s’y mêle des rêves, du fantastique, mais aussi des détails très intimes qui touche directement la vie intime de Frédéric Dard. Il est ici le fil directeur de cet enchaînement d’histoires sous le nom transparent de Frédéric Bard. Des amis dont Armand de Camare, pour Armand de Caro fondateur et PDG du Fleuve noir, mais aussi beau-père de Frédéric Dard, Sven Jensen, pour Sven Nielsen, le PDG des Presses de la Cité, se réunissent en Sologne pour une partie de chasse, et le soir, chacun va raconter son histoire, une histoire fantastique. Comme on le sait Frédéric Dard était très intéressé par ce qu’on appelle la prémonition, et il l’affirma au moment de la sortie de Faut-il tuer les petits garçons qui ont les mains sur les hanches. Cet ouvrage, paru en 1984 au Fleuve noir sous la signature de San-Antonio est sans doute un des meilleurs ouvrages qu’il ait écrit. Mais outre que sa construction particulière est admirable dans la forme, notamment dans l’utilisation de différentes temporalités, il traite aussi de la prémonition, Charles Dejallieu, le double de Frédéric Dard, est victime du kidnapping de sa belle fille. Il écrivait cela – toujours selon ses dires – juste avant que sa propre fille Joséphine ne soit enlevée. C’est dire à quel point Frédéric Dard accordait de l’intérêt à la prémonition qui est aussi une forme de distorsion du temps. Ces deux thèmes se retrouvent dans La cinquième dimension qui est extrêmement bien écrit et qui vaut vraiment le détour. Mais ils avaient été abordés dans un autre roman très curieux signé Frédéric Dard, Puisque les oiseaux meurent[3], où, comme dans La cinquième dimension, on parlait de métempsychose.
Reste donc la paternité de ce bel ouvrage qui est pour moi un secret de Polichinelle. Voilà donc que je tombe sur la toile sur une lettre que Frédéric Dard écrit à Victor Sévilla, le bouquiniste bien connu qui semble lui avoir posé directement la question[4]. L’étonnant n’est pas qu’il lui écrive mais qu’en répondant à la question de savoir qui a écrit La cinquième dimension, il dise qu’il est infoutu de répondre ! Il s’agit en effet d’une réponse sans doute à une demande du bouquiniste qui voulait savoir ce qu’il en était des pseudonymes, dont celui de Léo F. Flake, Le meurtre du Vélo-taxi, publié en 1944 aux éditions Lugdunum de Marcel E. Grancher. Evidemment ceux qui ont lu cet ouvrage constateront rapidement que Dard ne peut pas avoir écrit cet ouvrage qui ne lui ressemble pas. Mais ce qui est intéressant c’est que Frédéric Dard se souvenait très bien ne pas avoir écrit ce livre, publié en 1944, mais refusait de se prononcer sur La cinquième dimension, pourtant écrit et publié bien plus tard et contenant des détails intimes sur son existence, c’est assez peu crédible. On pourra toujours dire que Marcel G. Prêtre connaissait très bien Frédéric Dard puisqu’ils étaient amis, et donc qu’il avait accès à des détails intimes de sa vie. Mais cela n’épuise pas le sujet. Pourquoi Marcel G. Prêtre aurait-il choisi de mettre Frédéric Dard en scène ? Pour ma part, je pense que le contrat avait été rédigé au nom de Marcel G. Prêtre, mais que Dard n’a pas voulu abandonner l’idée qu’il en était l’auteur, alors il dit qu’il ne se souvient pas. On a avoué seulement cinq ouvrages signés Marcel G. Prêtre, mais je pense qu’il y en a beaucoup plus. Ces ouvrages ont été réédités sous des titres différents au Fleuve noir dans les années quatre-vingts dont Tableaux de chasse qui reprenait Lattitude zéro, celui là officiellemment écrit par Frédéric Dard, mais aussi Batailles sur la route, rebaptisé pour l’occasion Mort en sueur après avoir été publié sous le titre de Deux visas pour l’enfer[5].
[1] Lionel Guerdoux, fin connaisseur de l’œuvre de Frédéric Dard et infatigable dénicheur de textes oubliés, en est aussi persuadé. https://www.toutdard.fr/book/la-cinquieme-dimension/
[2] Les polarophiles tranquilles,
[3] Fleuve noir, 1960.
[4] Cette lettre est publiée sur le site de Lionel Guerdoux, mais à l’époque, je l’avais un peu négligée.
[5] http://alexandreclement.eklablog.com/frederic-dard-batailles-sur-la-route-1949-fleuve-editions-2022-a212738705