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Le blog d'Alexandre Clément

Marius Jacob héros de roman selon Del Pappas

 

1. La vie tumultueuse de Jacob

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Alexandre Marius Jacob a réellement existé, et c’est peut-être là le plus étonnant. Et pour tout dire, c’est mon héros préféré. J’avais envisagé d’écrire moi aussi un roman sur ce personnage hors du commun. C’est dire si j’étais content de la parution de l’ouvrage de Del Pappas. Et cela d’autant plus que je pense que dans le cheminement des idées contestataires de l’ordre régnant, il y a un grand besoin de les diffuser par l’intermédiaire des mythes, des héros et des légendes, au-delà des formes théoriques rébarbatives.

Théoricien de l’illégalisme, marseillais, et le revendiquant haut et fort, Jacob a vécu une vie d’aventures des plus stupéfiantes. C’est un héros méconnu de la lutte des classes. Engagé très jeune dans la marine, il parcouru les mers. Anarchiste, il avait mis sur pieds une bande de cambrioleurs, Les travailleurs de la nuit. Il se situait dans la mouvance de la reprise individuelle, une partie de son butin lui servant à alimenter la cause de la révolution. Il cambriola aussi Pierre Loti, mais se rendant compte qu’il s’agissait d’un écrivain qu’il avait apprécié, il lui laissa un mot d’excuse et quelques francs pour réparer la fenêtre qu’il avait brisée. Sans en avoir de preuve formelle on a supposé qu’il avait inspiré Maurice Leblanc pour la création d’Arsène Lupin. La première partie de sa vie ressemble un peu au parcours du Voleur de Georges Darien.

Mais malheureusement, Jacob fut arrêté et condamné à de longues années de bagne. Il en revint vivant, malgré les maladies, les haines, les privations, sa révolte guère entamée. Il fit de nombreuses tentatives d’évasion à la manière de Papillon. Ce qui ajouta encore à sa légende. Il fut finalement libéré et revint en France où il renoua les liens avec les anarchistes. Il participa à la Guerre d’Espagne où il aurait livré des armes. Puis il finit par devenir gagner sa vie sur les marchés de province en vendant des vêtements, des tissus, utilisant à partir de ce moment-là le prénom de Marius. Mais son aventure ne s’arrête pas là, puisque sur la fin de sa vie, ayant passé les soixante-dix ans, il tomba amoureux d’une très jeune institutrice qui avait cinquante ans de moins que lui. Sentant les forces le quitter, il se suicida pour fuir le long naufrage de la vieillesse.

Jacob avait de nombreuses qualités, intelligent, déterminé, peu enclin à se plier aux règles établies, il résista à toutes les formes de pression. Ayant passé près d’un quart de siècle au bagne dans des conditions très difficiles, il fit preuve d’une belle santé physique aussi bien que morale. Il sut allier le courage à la réflexion. Il laissa de nombreux écrits, une correspondance abondante. Ces écrits montrent que les épreuves qu’il avait traversées n’avaient pas entamé ses capacités de réflexions. Esprit fin et acéré, il sut mettre les rieurs de son côté notamment lors du procès d’Amiens en 1905. A cette époque il devint un acteur très médiatique de la scène judiciaire. La foule se pressait à son procès, les journalistes répercutait ses bons mots. C’était une sorte de Mesrine avant l’heure, mais avec une vision bien plus développée et bien plus critique de ce qu’était la société. Il était tout à fait conscient de cela, il appréciait le fait qu’une partie du peuple saluait son courage et sa détermination dans sa volonté de nuire aux bourgeois.

 

2. Jacob imaginé par Del Pappas

 

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A partir de ce personnage hors norme, Gilles Del Pappas a écrit une fiction, c’est le premier ouvrage d’une nouvelle maison d’édition, Au-delà du raisonnable qui publie aussi ces jours-ci un nouveau roman de François Thomazeau. Ce n’est pas un roman qui suivrait la trame de la vie de Jacob. Loin d’une approche réaliste, Del Pappas a essayé au contraire d’imaginer ce qu’aurait pu être sa vie dans les interstices de ce que nous connaissons de sa trajectoire. Del Pappas invente des rencontres, avec Gauguin, Louise Michel, Georges Méliès et bien d’autres encore, ce qui donne une curieuse dimension moderne à la vie de Marius Jacob puisqu’il l’associe à la naissance du cinéma et aux débuts de l’automobile !

L’ouvrage est documenté, mais sans excès, reconstituant le quotidien des classes inférieures au début de ce siècle, mais aussi le basculement de celui-ci dans la modernité. Del Pappas attribue à Jacob qu’il préfère appeler Marius plutôt qu’Alexandre (Marius est le prénom qu’il adopta après s’être reconverti en marchand forain), un parler marseillais pittoresque. Surtout Jacob devient un héros bondissant, toujours partant pour secourir les malheureux et s’opposer aux entreprises malsaines des capitalistes avides de profits. On peut voir d’ailleurs au passage le déloyal Edison égratigné copieusement.

Attila et la magie blanche relate plutôt les aventures imaginaires de Jacob, et celles-ci sont rendues crédibles par les références à sa vie réelle, et encadrées par la préparation et la mise en œuvre de son suicide. Pourtant Del Pappas parle très peu des cambriolages de Jacob, et de même il ne dit rien, volontairement, de son expérience du bagne.

Evidemment ceux qui connaissent bien la vie de Jacob, ou même Marseille contesteront cette approche. Par exemple, Del Pappas le fait naître dans le quartier du Panier, presqu’exclusivement peuplé d’Italiens immigrés. Or Jacob est né dans le quartier de la Plaine qui était un quartier très populaire, mais pas parmi les plus pauvres : entre la Plaine et le Panier, il y avait autant de distance culturelle qu’aujourd’hui par exemple entre Aix et Marseille.

Del Pappas a prévenu qu’il se situait en dehors de la réalité,  du côté du rêve. Il est donc impossible de le critiquer sur ce point et de lui dénier le droit d’avoir imaginé un voyage en ballon digne de Jules Vernes : c’est son droit absolu de romancier. Je retiens le vibrant hommage qu’il a rendu à cet anarchiste lucide, amoureux de la liberté envers et contre tout, d’une honnêteté scrupuleuse. Mélanger la vie de Jacob avec la naissance du cinéma est la grande originalité du livre. Et on appréciera la description minutieuse de ce petit milieu où se rencontrent artistes et ingénieurs, capitalistes (déjà !) et bandits de grands chemins.

Del Pappas a également transformé le personnage de Rose qui fut longtemps la compagne de Jacob. Dans la réalité Rose était une ancienne prostituée marseillaise, de quinze ans son aînée qui participa aux activités délictueuses de son compagnon et qui mourut en prison suite à sa condamnation comme membre des Travailleurs de la nuit. Del Pappas en fait une jeune paysanne qui s’enfuit de sa famille par goût de la liberté et qui va, avant de connaître Jacob, vivre une vie de bohème au milieu des artistes de Montparnasse. Il la fera mourir avant la fin du voyage en ballon. Cette transformation romanesque masque une réalité beaucoup plus sulfureuse. Jacob vivait bien à l’intersection du monde de la pègre et de celui de l’anarchisme politique. Ce qui veut dire que Jacob n’était pas un saint, qu’il savait s’imposer aussi auprès des truands marseillais qui ne faisaient pas dans la dentelle à cette époque. Jacob usait aussi de la violence. Et même s’il déconseillait l’usage de celle-ci dans ses activités de cambrioleur, il est probable qu’il a éliminé physiquement quelques-uns de ses ennemis, notamment ceux qui l’avaient dénoncé à la police, ou encore pour régler quelques conflits lors de ses années de bagne. Bref Del Pappas tire Jacob plutôt du côté des aventures d’Arsène Lupin que de la chronique sociale forcément moins drôle à narrer. Il faut dire qu’il est difficile de se centrer sur celle-ci sans sombrer dans le naturalisme.

Ayant refermé le livre, agréable à lire, je  me suis fait la réflexion suivante : la vie réelle d’Alexandre Jacob n’est-elle pas plus fabuleuse que la vie imaginaire que lui a construite Del Pappas ?  Je reste persuadé qu’en s’inspirant des faits réels, on peut écrire un roman des plus étonnant. Par exemple, Jacob, cambriolant une maison de bourgeois, croyant celle-ci vide, y trouve une femme qui se jette littéralement sur lui et le viole ! Après elle lui conseilla d’emporter tout ce qu’il voudrait. Mais son complice, revenant le lendemain n’eut pas la même chance si on peut dire, il dût s’enfuir en courant pour échapper aux gendarmes ! L’anecdote est racontée par Jacob lui-même que personne n’a jamais surpris en train de mentir, sauf aux juges et aux policiers ! Et encore, pas toujours !

 

(à suivre)

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