12 Octobre 2023
J. Lee Thompson, parfois orthographié Jack Lee Thompson, est un cinéaste anglais dont la carrière est très inégale et qui n’a guère eu les honneurs d’analyses un peu poussées. Il a fait des succès extraordinaires, planétaires, notamment avec The Guns of Navarone, puis des daubes assez difficiles à regarder, notamment avec Charles Bronson, l’acteur avec qui il tourna le plus grand nombre de films. Il fera aussi quelques suites très conventionnelles de la saga Planet of the Apes. Mais à côté de cela, il a réalisé des films noirs très intéressants dont le plus connu est Cape Fear en 1962 avec Gregory Peck et Robert Mitchum, que certains jugent très supérieur au remake de Martin Scorsese – ce qui n’est pas mon cas, je trouve les deux versions très bonnes, mais différentes, sans me décider à les classer. Les Anglais ne sont pas connus spécialement pour avoir fait de bons films noirs, mais il y a quelques exceptions à ce principe. En 1954, encore au début de sa carrière, il décida d’adapter et de mettre en scène The Wick and the Weaked d’après un roman de Joan Henry. Or ce roman était le résultat de la propre expérience de la romancière qui avait passé un peu de temps en prison. Elle écrira d’ailleurs plusieurs romans sur les femmes en prison, avec tout l’aspect un peu sulfureux qui va avec. J. Lee Thompson tomba amoureux de Joan Henry et l’épousa. En 1956, il eut donc l’idée de porter à l’écran un autre roman de Joan Henry, Yield to the Night. Malheureusement ces deux romans ne sont pas traduits en français, pourtant ses livres ont eu du succès outre-Manche, et se vendent encore aujourd’hui. Cependant, Joan Henry collaborera à l’adaptation de ses deux romans. Film de femmes et film de prison, il y en a eu beaucoup sur le marché, appuyant sur le pathétique de l’enfermement. Curieusement cela a donné quelques films excellents, malgré le côté un peu répétitif du sujet. Par exemple Caged de John Cromwell[1]. Il parait en effet incongru et particulièrement cruel d’enfermer des femmes, encore plus que des hommes, dans la mesure où elles sont par nature innocentes, même si elles sont coupables !
L’histoire semble avoir été inspirée de celle de Ruth Ellis, la dernière femme qui a été pendue pour un crime passionnel, elle avait tué en pleine rue son amant, bien que Joan Henry ait dit qu’il n’y avait aucun rapport. Mais le plus curieux n’est pas là, puisqu’après tout n’importe quelle fiction va naître d’élément de la réalité plus ou moins bien recyclés. Le plus étrange est le choix de Diana Dors pour incarner Mary Hilton, parce qu’en réalité Diana Dors connaissait Ruth Ellis, accessoirement prostituée et patronne de bar. Elles faisaient la bringue ensemble. Cette affaire avait fait couler beaucoup d’encre, et elle fut à l’origine d’une forte campagne de presse contre la peine de mort. Un autre film a été inspiré plus tard par Ruth Ellis, Dance with the Stranger, tourné en 1985 de Mike Newell qui se fera remarquer par la suite par des daubes de premières classe, Four Weddings and a Funeral ou encore des stupidités de la franchise d’Harry Potter. Remarquez que dans l’année 1958 sortait aux Etats-Unis le film de Robert Wise, I Want to Live[2], film qui remporta aussi un énorme succès. Les deux films sont proches au moins dans l’esprit puisqu’aucun ne cherche à nier le côté « mauvaise vie » de ces deux femmes. Bien entendu ils ne sont pas basés sur la même histoire, et bien que tous les deux visent une vérité quasi documentaire, la forme est très différente.
Mary Hilton a tiré sur Lucy
Mary Hilton a tué Lucy Carpenter, elle passe en jugement et elle est condamnée à mort à être pendue. En prison, tandis que son avocat a demandé un recours en grâce, elle se remémore les circonstances qui l’ont emmenée à ce meurtre. Vendeuse dans une boutique de parfums, elle s’ennuie dans son mariage, elle va faire la connaissance d’un pianiste de cabaret, Jim Lancaster, dont elle tombe amoureuse. Elle quitte son mari pour lui. Mais Jim reste accroché à une ancienne liaison, Lucy Carpenter, une femme riche qui l’entretient. Incapable de choisir entre ces deux femmes, Jim se suicide. Mary rend Lucy responsable de la mort de Jim et va la tuer avec le revolver que Jim possédait et qu’elle lui avait confisqué pour qu’il ne se suicide pas. En prison elle est partagée entre la peur de mourir par pendaison et le fait qu’elle est incapable de regretter son geste. Sa demande de grâce est rejetée, elle va être pendue dans les jours qui viennent. L’aumônier, McFarlane, la gardienne avec qui elle sympathise, Miss Bligh, la visiteuse des prisons, tous tentent de lui faire admettre l’inéluctable. Désespérée, elle se mure dans ses souvenirs et refuse de voir son mari qui ne l’a pas oubliée, comme les membres de sa famille.
L’avocat lui dit qu’il va demander la grâce
C’est évidemment bien plus qu’un film de prison pour femmes. Bien plus aussi qu’un plaidoyer contre la peine de mort. C’est d’abord le portrait d’une femme emportée par la passion et qui va mourir à la fleur de l’âge. En voulant s’émanciper, Mary va se heurter aux convenances sociales et aux institutions. Coincée, martyrisée dans ses ambitions, elle ne trouve comme exutoire que cette funeste idée de tuer sa rivale. Il n’est donc pas question de la juger, dans un sens ou dans un autre, mais de comprendre ce qu’elle était et ce qui l’a poussée à devenir une meurtrière. La mécanique de l’histoire est le trio. Mary ne supporte pas de voir Jim se partager entre elle et Lucy. Et elle voit en celle-ci l’instrument qui lui a enlevé son amour. C’est une femme possessive. Si elle se moque bien du fait que son mari l’aime encore, elle ne veut pas qu’on lui ait enlevé Jim. Le titre anglais, Yield to the Night, semble vouloir dire qu’elle s’enfonce délibérément dans la nuit, comme si depuis le début elle avait elle-même programmé son propre anéantissement, comme si l’amour passionnel ne pouvait mener qu’à la perte de sa propre identité.
Le médecin de la prison se préoccupe de la santé de Mary
Par ce meurtre, Mary va revenir d’une certaine manière vers l’enfance. En effet, en prison elle est placée sous une surveillance qui la materne, voire qui la punit, les matonnes la bordent, lui servent le petit déjeuner, la veillent jour et nuit. Cette régression qui revient à l’anéantissement, est illustrée d’ailleurs par une structure du récit avec des flash-backs récurrents qui rythme le récit. Le couple que Mary forme avec la gardienne McFarlane est le symétrique de celui que jadis elle formait avec Jim. Dans les deux cas il s’git de briser la solitude qui la ronge. Face aux gardiennes, elle est prompte à se révolter, leur reprochant qu’elles sont incapables de la comprendre. Elle reste dans la position de l’adolescente qui ne comprend rien au monde dans lequel elle vit et qui par suite reproche au monde de ne pas la comprendre. La rencontre avec Jim lui permet de briser tous les codes, et le film suggère même, sans l’affirmer toutefois, qu’elle se prostitue plus ou moins occasionnellement, ce qui expliquerait qu’elle ait autant besoin de Jim qui par ailleurs profite de ses charmes avec Lucy Carpenter. La confrontation avec la prison est d’abord la possibilité de dévoiler le caractère de Mary. Elle sera d’ailleurs confrontée à sa famille, et on comprend que si sa mère ne s’est guère occupée d’elle, son père a été un peu plus qu’absent. Ce qui n’est pas nouveau dans le portrait d’un criminel.
Mary vendait des parfums quand elle a rencontré Jim
Étrangère complètement à se monde, elle comprend qu’elle a été bernée par la vie, et par Jim. Elle croyait trouver un artiste, un homme drôle et raffiné, elle ne trouve qu’un pantin irrésolu. Et si elle tue Lucy, au fond, c’est parce qu’elle aurait voulu sans doute commettre ce meurtre elle-même ! Ce trio ne renvoie pas seulement aux affres de la passion amoureuse, il est la démonstration de la solitude inguérissable de Mary. La famille le travail, la justice sont des formes qui pour elle ne veulent rien dire, qu’elle ne comprend pas. Elle remettra même en question la religion, l’idée qu’on peut croire en Dieu ! Certes elle ne le dit pas, mais elle le suggère par ses questions et son attitude, le fait qu’elle ne manifeste pas de remords.
Mary est trempée par la pluie, Jim lui prépare un bain
Au-delà du cas de Mary, le film est une longue démonstration de l’incongruité de la peine de mort. Elle ne peut pas être exemplaire, parce que justement le geste de Mary est unique, il n’existe que par rapport à elle. On sait depuis longtemps que la peine de mort n’est pas dissuasive, mais pire encore elle ne peut pas avoir pour but d’éradiquer un meurtrier dangereux de la société, puisque Mary n’est pas une criminelle d’habitude, c’est pourquoi évidemment on avait introduit dans le droit français l’idée de crime passionnel. Ce n’est pas vraiment une punition non plus puisque la personne exécutée ne peut en tirer aucune leçon, même si elle tremble de partir vers la pendaison. Pour J. Lee Thompson, ces idées sur la peine de mort vont de soi. Mais à l’époque c’était difficile à faire passer le message, quoique le chaos du monde actuel tende à nous ramener vers ces formes primaires de justice. Mary dira d’ailleurs que si elle est une criminelle, la société qui la tue l’est au moins autant qu’elle et peut être plus puisqu’elle n’a pas de raison véritable de l’éliminer puisque Mary ne lui a pas déclarer la guerre !
Sa mère et son frère sont venus la voir en prison
C’est un vrai film noir. La structure du récit est d‘abord celle des flash-backs, donc il y a deux niveaux : le présent et le passé qui se confrontent et s’affrontent à l’intérieur de Mary. Cette introspection est renforcée par la voix off de Mary qui tente de comprendre ce qui lui est arrivé. Le présent c’est la prison, et le passé, une vie apparemment libre. Mais dans les deux cas ce sont les deux faces de l’enfermement. Dans les deux mondes différents, Mary adopte des attitudes différentes : elle est très sexy et très sophistiquée dans la ville, le travail et quand elle fait la fête, et sage, presqu’une enfant, elle n’est plus peroxydée quand elle est en taule. En ville elle a du bagout, ne se laisse pas marcher sur le pieds. En prison elle obéit à tout ce qu’on lui demande de faire. Elle souffre évidemment, notamment quand on lui donne des chaussures qui ne lui vont pas, mais elle souffre en silence et refuse de se plaindre. Cette indifférence à elle-même est manifestée au moment des visites qu’elle affronte en prison, J. Lee Thompson film son visage en gros plan, de profil, et à l’arrière-plan les visiteurs, ou éventuellement les gardiennes.
Jim avoue qu’il a une autre femme dans sa vie
C’est du studio bien entendu, et sans doute un petit budget. Il y a assez peu de décors, le principal est celui de sa cellule qui est filmée comme la chambre de Jim ou son appartement, en plan large, relativement statique. La cellule est nue, les repas qu’on lui apporte sont déjà une punition en soi tellement ils apparaissent infâmes et immangeables. J. Lee Thompson essaiera de donner du volume aux scènes qui se déroulent au cabaret, par exemple quand on danse, ou lors de la nuit du réveillon quand les convives partent un peu dans tous les sens. Le réalisateur évite de filmer directement les moments clés de l’histoire. Par exemple on ne voit pas sur qui tire Mary, et on ne verra jamais le corps. De même le suicide de Jim n’est pas visible, on le ressent que dans la mine catastrophée de Mary lorsqu’elle ressort de la chambre de Jim. Bien entendu le procès ne sera pas non plus filmé, comme par exemple le fait Robert Wise dans I want to Live ou Henri-Georges Clouzot dans La vérité[3]. En évitant les scènes trop explicites, il resserre le film sur la personnalité de Mary et laisse un peu dans l’ombre la haine que la société peut lui vouer.
En prison on dort même avec la lumière
Il y a des détails qui courent en sourdine, comme le fait que Fred, son Mary, lui écrit tous les jours, sans lui faire nécessairement des reproches. Lui apportant ce qu’il peut. On voit donc des lettres qui circulent, qui sont froissées, qui sont oubliées, ou encore qui accablent Mary, comme cette lettre du suicidé qu’elle croit lui être destinée, mais qui en fait s’adresse à Lucy Carpenter. Les objets sont sournois, que ce soient les lettres ou le téléphone qui sonne à contretemps. Et qui n’apporte rien de bon. L’ensemble de ces principes de mise en scène éloigne le film des canons du film noir du cycle classique.
Mary apprend que Jim s’est suicidé
A cette époque il est possible que J. Lee Thompson se soit rêvé en grand réalisateur. Par exemple il utilise abondamment les plans penchés. C’est un peu l’héritage d’Orson Welles, et c’est destiné à renforcer l’aspect chaotique de la trajectoire de Mary. Par la suite de sa carrière, il oubliera ces audaces et se fera une réputation de réalisateur tout à fait académique. Mais pour l’instant il s’essaye. Par exemple il filme les jambes des femmes, multipliant les angles de prise de vue bizarres, par exemple certaines scènes dans la cellule sont filmées de dessous le lit de Mary pour en allonger la perspective, ce qui fait directement sortir les personnages du cadre, en n’en gardant que des morceaux, une chaussure, un bras. Cette forme un peu veine, on suppose qu’elle cherche à nous convaincre du chaos mental qui habite Mary.
Mary doute, malgré les efforts de l’aumônier pour la ramener à Dieu
L’interprétation c’est d’abord Diana Dors qui domine le film et qui trouve là le plus grand rôle de sa vie. On dirait le rôle écrit pour elle. Trop souvent habituée à des emplois de blondes sexy et écervelées, elle est ici particulièrement habitée par cette double incarnation de Mary en extérieur, et de Mary en taule. Non seulement elle avait connu Ruth Ellis et probablement un peu de la vie de celle-ci, mais elle avait déjà incarné « une fille perdue » dans Good Time Girl[4]. Elle avait aussi participé à un autre film de J. Lee Thompson, The Weak and the Wicked, un autre film de femmes en prison. Il est certain en voyant ce film qu’elle a raté complètement sa carrière, en ce sens qu’elle avait vraiment un talent dramatique. Elle est vraiment exceptionnelle. Comme beaucoup de blondes, notamment Jane Mansfield, elle s’est laissée enfermer dans ce rôle, mais ce film démontre qu’elle avait bien d’autres qualités qu’une sexualité débordante. À côté d’elle, on trouve l’excellente Yvonne Mitchell dans le rôle de la compatissante McFarlane, toute en finesse, sans trop appuyé sur le pathétique, elle sait suggérer des sentiments de tendresse et d’amitié derrière une grande pudeur. Après tout McFarlane est en prison depuis 25 ans, elle connait la chanson ! En surmontant les barrières naturelles qui peuvent se dresser entre les prisonnières et les gardiennes, elle fait preuve d’une grande humanité.
McFarlane ne s’est jamais mariée pour s’occuper de sa mère
Derrière ces deux femmes, c’est bien moins intéressant. Certes Michael Craig incarne le lâche et irrésolu pianiste Jim. Il est flou, ce que demande sans doute le rôle, mais manque surtout de continuité. Il est à la limite du ridicule dans ses élans de pleurnicherie. Les autres jouent sans paraitre, et souvent sont choisis en fonction de leur physique c’est le cas de la directrice de la prison qui affiche un air revêche sans faille. Athene Seiler mérite cependant, dans le rôle de la visiteuse de prison, Miss Bligh, une petite mention à part, encore que tout cela sente beaucoup le théâtre.
La directrice avertit Mary que sa demande de grâce a été refusée
En son temps, ce film a connu un bon succès critique et commercial, sans être toutefois un triomphe. Il fut d’ailleurs sélectionné par l’Angleterre pour la représenter au Festival de Cannes en 1956 en compétition. Cette année-là, ce fut Le monde du silence du commandant Cousteau, filmé par Louis Malle, qui remporta la Palme d’or on se demande encore aujourd’hui pourquoi vu la qualité des vrais films en compétition, et c’est Susan Hayward qui remporta le prix d’interprétation pour son rôle dans I’ll Cry Tomorrow de Daniel Mann. Et elle obtiendrait ensuite l’Oscar de la meilleure interprète féminine en 1958 pour I Want to Live. Mais peu à peu ce film allait être oublié, à tort selon moi, car malgré quelques défauts de mise en scène, il possède une très grande force et doit être salué comme un très bon film noir. Il reste encore aujourd’hui difficile à trouver, en Angleterre on le trouve cependant dans une version Blu ray sans sous-titres en français. On l’a compris, ce film vaut particulièrement le détour.
McFarlane réconforte Mary qui va être pendue
Ruth Ellis et son amant David Blakely qu’elle assassina
[1] http://alexandreclement.eklablog.com/caged-femmes-en-cage-john-cromwell-1950-a114844926
[2] http://alexandreclement.eklablog.com/je-veux-vivre-i-want-to-live-robert-wise-1958-a214469929
[3] http://alexandreclement.eklablog.com/la-verite-henri-georges-clouzot-1960-a209345284
[4] http://alexandreclement.eklablog.com/les-ailes-brulees-good-time-girl-david-mac-donald-1947-a212549325