17 Novembre 2017
Pour le meilleur et surtout pour le pire, Michel Audiard est incontestablement un personnage qui a compté dans le cinéma français. Pendant longtemps il a été considéré comme un petit rigolo, un blagueur qui usait de méchantes petites ficelles pour vendre une soupe un peu aigre. Il était ciblé comme un homme de droite, poujadiste, réactionnaire. Ces bons mots contre les impôts par exemple plaisaient beaucoup. A moi, un peu moins. Mais au-delà de la vulgarité du propos, basée sur un argot de cuisine qui se voulait dans la lignée de Céline[1] – évidemment – il y avait des choses plus gênantes. J’avais remarqué ça dans le film Un taxi pour Tobrouk. C’était en 1961. L’histoire racontait le délicat voyage d’un groupe hétéroclite dont un Allemand. Le but était de démontrer que, Allemand ou Français, juif ou autre, on se retrouvait tous dans la même galère. Mais en outre la fin insistait sur les Résistants de la 25ème heure[2]. C’est en effet au début des années soixante que les anciens collabos relèvent la tête. Ils pensent qu’ils ont été oubliés, et donc ils vont peu à peu prendre la tête de la lutte contre le « résistancialisme ». Ces thèses ont un écho certain dans le peuple parce qu’on en a un peu marre de célébrer la Résistance à tout bout de champ, et que le général De Gaulle en revenant au pouvoir en 1958 va perdre de son aura au fur et à mesure que le temps passe et que sa politique devient de plus en plus droitière[3].
On connaissait aussi les propos douteux de Michel Audiard sur Céline. Dans une interview à un journal d’extrême-droite (ce qui n’est pas un hasard) qui date de 1980, il disait ceci :
« On a oublié que les fameux écrits antisémites qu’on lui a tant reprochés ont été écrits bien avant la guerre. Donc, avant l’occupation. Alors, pourquoi cette hargne ? Jusqu’à plus ample informé, on avait bien le droit d’être anti-maçon ou antisémite. Si on n’avait pas pu, il fallait le dire. Fallait le faire savoir : « Il est interdit d’être antisémite, sous peine de prison ». Alors, il aurait été arrêté. Mais il fallait prévenir. On a donc été de mauvaise foi avec Céline.
Mais où je m’insurge aussi, c’est au moment où les avocats et défenseurs de Ferdinand disent qu’il n’a jamais été antisémite. Alors là, c’est de la connerie. C’est idiot. Cela ne le diminue en rien, bien au contraire. (…) Car finalement, au milieu de cette apocalypse qu’il nous a proposée, la seule chose qu’on retient contre lui, c’est son antisémitisme. Il avait le droit de dire du mal de tout le monde sauf du Juif. Alors là, le Juif nous casse les couilles et vous pouvez l’écrire en toutes lettres. »[4]
Audiard détestait les politiciens et le parlementarisme, ses dialogues en attestent. Et c’est ce qui l’a fait qualifier abusivement d’anarchiste de droite. Mais les nazis les plus enragés, à commencer par Céline avaient une telle haine de la République que cela pouvait passer pour une simple critique des lourdes turpitudes des politiciens. A la Libération, il fut inquiété fort justement parce qu’il était membre du groupe Collaboration, qui regroupait l’élite des intellectuels pro-allemands, il s’en tira en arguant du fait qu’il y aurait été inscrit à son insu, argument très peu crédible.
Egalement quand on lit La nuit, le jour et toutes les autres nuits[5], on se rend compte qu’Audiard faisait semblant de ne pas avoir pris parti, ni pour ni contre les Allemands, sous-entendant que malgré l’Occupation, il pouvait y avoir des gens très bien chez les Allemands comme chez les Français, nonobstant la guerre. En général quand on commence à faire ce genre de concession, c’est qu’on a quelque chose à se reprocher. Et ça n’a pas loupé. Certes, Michel Audiard, plus malin qu’intelligent, avait toujours masqué ses propres engagements politiques dans la collaboration. Et je ne parle même pas du fait qu’il travailla aussi avec Albert Simonin, un vrai collabo issu des milieux populaires qui fit aussi de la prison à la Libération pour ses écrits antisémites avec Henri Coston.
Le dernier numéro de l’indispensable revue Temps noir [6] sous la plume avisée de Franck Lhomeau a tenté de faire le point sur Michel Audiard dans la collaboration. Le petit-fils du dialoguiste, a tenté une défense bien maladroite de son grand-père, au motif qu’il aurait changé après-guerre et que lui-même ne l’avait jamais entendu dire du mal des Juifs[7]. Evidemment Michel Audiard savait très bien que c’était plutôt mal vu de revenir sur ce sujet. Pourtant s’il avait été un peu plus attentif dans ses lectures, Stéphane Audiard se serait rendu compte que son grand-père ne s’était pas contenté de cracher sur les Juifs, mais qu’il aimait bien dénigrer aussi les Résistants, et cela bien après la Libération.
[1] Il m’a toujours semblé que Céline, comme Audiard, ne pratiquait pas vraiment une langue argotique populaire, mais que cette recréation était plutôt destinée à épater les bourgeois.
[2] Ce thème sera repris sans que cela nous étonne par son fils, Jacques Audiard, dans Un héros très discret en 1996. Comme quoi les chiens ne font pas des chats.
[3] Pierre Laborie, Le chagrin et le venin, Bayard, 2011.
[4] Le Nouvel Europe Magazine, décembre 1980. Ce magazine belge défendait une vision intégriste du catholicisme et était dirigé par un ancien collabo grand-teint, Emile Lecerf, qui pendant la guerre avait travaillé pour des revues collaborationnistes et racialistes.
[5] Denoël, 1978.
[6] Numéro 20, octobre 2017
[7] http://www.lefigaro.fr/cinema/2017/11/16/03002-20171116ARTFIG00004-si-vous-me-permettez-de-defendre-la-memoire-de-mon-grand-pere-michel-audiard.php