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Le blog d'Alexandre Clément

The big Lebowski, Joel & Ethan Coen, 1998

The big Lebowski, Joel & Ethan Coen, 1998 

Après le triomphe public et critique de Fargo, les Coen vont s’orienter vers une forme un peu plus parodique, et sans doute moins noire. La trame de cette histoire est celle d’un film noir, sauf que le traitement ne donne pas dans la gravité. 

The big Lebowski, Joel & Ethan Coen, 1998 

Le Dude est un garçon cool 

Le Dude est un fainéant qui ne pense qu’à prendre du bon temps, fumer un joint, jouer au bowling, ne pas travailler. Mais un jour il est agressé chez lui par deux voyous qui lui réclament de l’argent pour les dettes de sa femme. Ils pissent sur son tapis, le frappent. Ils se rendent cependant qu’ils se sont trompés sur la personne, en effet, vivant dans un endroit plutôt misérable il ne peut pas être un milliardaire. Le Dude comprend qu’on l’a confondu avec le très riche Lebowski qui porte le même nom que lui. Il se rend chez celui-ci, paraplégique, et lui réclame une compensation. Comme le milliardaire refuse, il s’en va en embarquant son tapis. En partant il croise la femme de celui-ci au bord de la piscine. Il retourne à ses amis et à son bowling où il doit se qualifier pour les demi-finales. Peu après il reçoit un coup de fil du secrétaire de Lebowski qui lui demande de revenir le voir. Là le milliardaire lui annonce que sa femme a été enlevée et il lui demande de la retrouver contre une somme de vingt-mille dollars. Il doit remettre aux ravisseurs une mallette contenant un million de dollars. Mais Walter veut accompagner le Dude et l’échange se passe mal. Ils n’ont pas donné l’argent, mais la voiture va être volé sur le parking du bowling. Consécutivement il va rencontrer la fille de Lebowski, celle-ci lui apprend que son père n’a pas d’argent et que le million qu’il prétend avoir donné est en fait l’argent de la fondation qu’il gère pour une école sensée aider les jeunes défavorisés. Elle se prétend artiste moderne et peint des formes vaginales qui avance-t-elle mettent mal à l’aise les mâles. Le Dude et Walter commencent à penser qu’il s’agit d’un faux enlèvement. Le Dude va ensuite être convoqué et maltraité par Jackie Treehorn qui le drogue et le fait arrêter par la police. Jackie Treehorn est un ancien producteur de films pornos qui dévoile que Bunny, la femme de Lebowski, est une ancienne actrice de porno. Le Dude va ensuite coucher avec Maude qui veut un enfant de lui. Il est également suivi par un détective privé qui est missionné par les parents de Bunny pour la faire revenir dans le Minnesota. Un groupe de punk allemand cherche aussi à mettre la main sur l’argent de la rançon. L’affaire va se dénouer brutalement, Le Dude et Walter vont bousculer Lebowski, Walter allant même jusqu’à prétendre qu’il peut marcher, il le jettera de son fauteuil. Mais entre temps Bunny est revenue. Au bowling les trois amis refusent d’affronter Quintana au prétexte avancé par Walter que c’est Shabat. Puis ils vont s’affronter aux punks allemands qui en fait avaient envoyé une fausse phalange pour faire croire qu’ils détenaient Bunny, ils l’avaient coupée sur le pied de leur copine ! Mais dans la bagarre Donny fait une crise cardiaque et meurt. 

The big Lebowski, Joel & Ethan Coen, 1998

Avec ses équipiers du Bowling

Cette fable tirée d’une histoire d’enlèvement est un éloge de la fatalité. Le Dude est le modèle du cool. Pacifiste, il ne veut jamais d’ennui avec personne, mais c’est égal, les ennuis viennent à lui tout de même. Au fond il affronte un monde malveillant qui n’est pas fait pour lui. L’ensemble des personnages ne brille par l’intelligence. Au contraire, c’est une nouvelle conjuration des imbéciles à laquelle on assiste sous nos yeux. Cela correspond en réalité à la domination d’objectifs scabreux dans la détermination de la conduite. Le Dude est un marginal bien sûr, il vit volontairement dans la pauvreté, et en l’opposant à des malveillants cupides et mauvais, les Coen font l’éloge de la marginalité contre les valeurs dominantes de la société américaine. Le Dude est une sorte de hippie à retardement. Pour survivre, il faut faire un pas de côté et s’impliquer le moins possible. C’est en tous les cas la morale que tirera le narrateur à la fin du film après avoir salué le Dude au bowling. En vérité à par le Dude, tous les personnages sont faux. Au mieux ils jouent un rôle qu’ils ne comprennent pas vraiment. Lebowski est un faux milliardaire qui joue les personnes autoritaires qui se sont réalisées à la force du poignet. Sa fille fait semblant d’être une artiste moderne, mais elle enfile les lieux communs. La bande de punks allemands sont des faux nazis qui tentent de faire peur, mais qui se révèlent incapables de réaliser quoi que ce soit. Treehorn est un faux réalisateur de films pornos. Cette fausseté signifie d’abord qu’ils jouent un rôle pour la galerie et ne croient en rien. Walter, l’ami du Dude, n’est pas en reste, c’est un faux juif ! Il ne s’est converti que pour pouvoir se marier, mais sa femme est partie ! L’enlèvement de Bunny est bien sûr aussi un faux enlèvement. Seule la mort de Donny est bien réelle, et quand le Dude et Walter vont disperser ses cendres, ils seront très émus. Les personnages, sauf le Dude, crient énormément pour masquer le vide de leur existence. 

The big Lebowski, Joel & Ethan Coen, 1998

Jesus Quintala ne supporte pas qu’on ait rapporté la demi-finale 

L’ensemble illustre l’idée d’une foule humaine qui se débat pour exister sans vraiment y arriver. A travers des portraits croisés de ces bras cassés, c’est bien plus qu’une critique de la société américaine, c’est aussi la révélation de l’essence du film noir. Toutes ces conduites scabreuses flirtent de manière plus ou moins innocente avec le crime. Plutôt que de détournement de ces principes, il s’agit d’un retournement, une manière de démonter la mécanique du film noir en introduisant la dérision. Cette dérision s’applique non pas au film noir en lui-même, mais aux situations qui fabriquent l’histoire. Les frères Coen procèdent ainsi par collage, en rajoutant des scènes convenues à des scènes convenues, le passage à tabac avec la tête dans la cuvette, le détective qui suit le Dude, le richissime Lebowski et son fauteuil à roulettes. Quand Jackie Treehorn drogue le Dude, c’est un hommage à Dashiell Hammett, The Dain curse, quand il parcourt les longs couloirs qui le mènent vers Lebowski, c’est un hommage à The big sleep, au roman de Chandler comme au film d’Howard Hawks.   

The big Lebowski, Joel & Ethan Coen, 1998

La voiture du Dude a été volée 

La mise en scène est savante et virevoltante. C’est un des films des frères Coen qui ne prend pas un passé plus ou moins lointain comme sujet, mais paradoxalement, en mettant en scène un présent très dégradé, ils nous parlent indirectement du passé. Le portrait qu’il dresse de l’art moderne à travers celui de Maude est ravageur, tant il montre comment une pseudo-élite dégénérée est coupée de la réalité du monde, bien plus que le Dude qui fume des joints. Je lui reprocherais cependant les rêves du Dude. On dirait du Hitchcock, c’est assez mauvais. On voit le Dude suspendu par des filins au dessus de n’importe quoi pour montrer combien ça plane pour lui. Les couleurs sont les couleurs de l’Amérique, chatoyantes et vulgaires, saturées de rouge et de jaune. Car c’est aussi un film sur la vulgarité. Comme s'il s’agissait en la matière d’une compétition ! Quintana dans son costume violet et ses ongles faits est sans doute le meilleur à ce jeu. Mais Jackie Treehorn n’est pas bien loin derrière. Dans la mise en scène, le bowling a remplacé les routes qui ne mènent nulle part. Le jeu permet de jouer sur les travellings et de faire apparaître le caractère lisse de la piste comme factice. 

The big Lebowski, Joel & Ethan Coen, 1998

Maude Lebowski est une artiste moderne 

Les dialogues étant très écrits, et très longs aussi, ils servent à faire avancer l’intrigue, mais aussi à décrire le caractère. Le Dude a une voix nonchalante et répète en permanence hey man, ou man, comme une forme de ponctuation. Ça lui donne incontestablement un avantage dans l’affrontement verbal. Walter et Lebowski sont deux menteurs pathologiques, alors ils crient pour couvrir leurs mensonges et jouer à ceux qui ont des certitudes. Des dialogues découle la manière de les filmer. Pour le Dude, ce sera en plongée parce qu’il est avachi dans le fauteuil ou le canapé et refuse de s’en faire. Les frères Coen ont filmé une grande partie du film avec un objectif grand angle donnant une plus grande profondeur de champ et rendant les mouvements de caméra plus dynamiques. Un autre tic du film noir est porté ici par le commentaire de Sam Elliott qui joue une sorte de cow-boy et qui explique les raisons du développement de l’intrigue, mais aussi la morale qu’on doit en tirer. Son déguisement permet d’introduire un commentaire de l’Amérique sur l’Amérique décadente des années quatre-vingt-dix. 

The big Lebowski, Joel & Ethan Coen, 1998

Le producteur de films porno veut sa part du gâteau 

L’interprétation c’est d’abord Jeff Bridges. Il se serait inspiré d’un personnage réel, Jeff Dowd, un contestataire des années soixante, producteur de films, mais surtout activiste politique opposé à la Guerre du Vietnam. Ce qui est logique car le film renvoie via la Guerre d’Irak justement à celle du Vietnam, comme la répétition de la même incapacité américaine à faire autre chose que des guerres impérialistes. Jeff Bridges est un acteur excellent, et pas seulement chez les frères Coen pour qui il tournera encore leur triomphe True Grit. Il sait tout faire, travailler en finesse comme dans Fat city de John Huston, ou dans l’outrance comme chez les frères Coen. Non seulement il transforme sa silhouette, mais aussi sa démarche trainante et son accent. Sa prestation aurait mérité l’Oscar ou le prix d’interprétation à Cannes. Il y a ensuite John Goodman, totalement décalé, pas du tout malin comme dans Barton Fink. Il est ici Walter, ancien vétéran selon ses dires de la Guerre du Vietnam qui a des difficultés à penser de façon non binaire. C’est autour de ce duo de choc que gravite les autres personnages. Julianne Moore incarne l’artiste Maude Lebowsky, personnage tout autant inspiré d’un personnage réel, Carolee Schneemann, activiste féministe et adepte du body art. elle est un peu terne par rapport à tous ces personnages flamboyants. On va retrouver aussi d’autres habitués du cinéma des frères Coen, employer toujours un peu les mêmes acteurs est une de leur signature. Steve Buscemi joue le naïf Donny, souffre-douleur de ses deux amis. Autant dans Fargo il était exubérant, autant ici il donne dans la discrétion. On retrouve encore Jon Polito dans le rôle du détective Da Fino qui recherche Bunny égarée dans le monde du porno. C’est une allusion bien sûr à Hardcore le superbe film de Paul Schrader[1]. John Turturro joue Jesus Quintana, un joueur de bowling homosexuel et maniéré.   

The big Lebowski, Joel & Ethan Coen, 1998

Un détective suit le Dude 

La critique a été décontenancée par ce film et elle a été très mitigée. Aux Etats-Unis le succès public a été bien moindre que pour Fargo. Mais dans le reste du monde il a été plus important. Au fil des années c’est un film qui est devenu culte, une sorte de classique, notamment à cause des répliques hilarantes et des situations burlesques. On a beaucoup parlé de parodie à propos de ce film, notamment à cause du personnage de Maude Lebowski. Mais c’est un tort, Chandler décrivait des personnages tout aussi extravagants, et les récents développement du néoféminisme laisse au contraire entendre que les frères Coen ont bien anticipé ce qui allait se passait dans ce mouvement de décomposition qui ravage aujourd’hui l’Amérique. Si ce n’est pas le meilleur des frères Coen, sans doute à cause du mélange des genres, c’est un très bon film qui revisite et commente les classiques du film noir au miroir de l’Amérique contemporaine. Il se revoie toujours avec beaucoup de plaisir 

The big Lebowski, Joel & Ethan Coen, 1998

Walter et le Dude viennent réclamer des comptes à  Lebowski 



[1] http://alexandreclement.eklablog.com/hardcore-paul-schrader-1979-a130148010

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