10 Juin 2019
Trapped est le quatrième film que Richard Fleischer tourne en 1949, il prend place entre Clay pidgeon et Armored car robbery qui sont deux très bons films noirs. C’est encore un film à petit budget. Parmi les films noirs de Fleischer, Trapped est le moins connu et le moins commenté, en France il est assez dénigré. Cela tient sans doute au fait que le sujet est un peu plus plat que les autres, quoiqu’il recèle un nombre de retournement de situation très intéressants, mais encore des subtilités que les commentateurs américains ont mises en valeur. Comme Armored car robbery, il va se donner l’allure d’un film semi-documentaire en montrant le travail de fourmi des enquêteurs qui traquent les faux-monnayeurs. C’était à la mode à ce moment là, dans ce qu’on appelle le deuxième âge du film noir. C’était une manière de renforcer le caractère réaliste de l’histoire. C’est Eagle Lion Films qui produit Trapped, la même entreprise qui travaille à la même époque avec Anthony Mann sur des films comme T-Men – avec un sujet similaire – ou Raw Deal, donc spécialisée dans les films à petit budget, ce qui donne une certaine unité de ton par delà la différence des réalisateurs.
Les agents du Trésor ont découvert des faux billets
Les agents du Tresor découvrent que les faux billets en circulation sont les mêmes que ceux que distribuait un certain Tris Stewart qui purge une peine de prison qui devrait savoir où se trouvent les plaques qui ont servi à l’impression. Ils vont lui proposer une remise de peine, à condition qu’il coopère. Comme il lui reste encore sept ans à tirer, il va accepter le marché. Les agents du Tresor mettent en scène une fausse évasion de Tris de façon à ce qu’il prenne contact avec ses anciens complices. Mais Tris échappe bientôt à leur surveillance, et décide de rouler pour son propre compte. Il retrouve sa fiancée, Meg, qui vend des cigarettes dans une boîte de nuit. Mais ce qu’il ne sait pas, c’est que celle-ci est sous la surveillance d’un agent du Treser, Hackett, infiltré, qui se fait passer pour un voyou. De même il ne sait pas non plus que l’appartement de Meg est sur écoute. Les agents du Tresor laissent filer Tris pour pouvoir mettre la main dessus les plaques. Tris renoue avec un certain Hooker. Celui-ci avait la garde des plaques, mais complètement alcoolisé, il a fini par les vendre à un certain Jack Sylvester. Ce dernier dit à Tris que s’il veut des faux billets, il doit commencer par payer. Il lui propose 250 000 $ de faux contre 25 000 $ de vrais. Tris va chercher cet argent qui lui permettrait de couler ensuite des jours heureux au Mexique. Pour cela il va se tourner vers Hackett. Celui-ci prétend avoir l’argent. Ils finissent par avoir un rendez-vous pour l’échange avec Sylvester. La police qui est au courant organise un traquenard. Mais au dernier moment Sylvester se dérobe et les agents du Tresor laissent tout le monde filer. Tandis que les faux monnayeurs tentent d’organiser un nouvel échange, Meg apprend que Hackette est en réalité un certain Downey, un agent du Tresor. Mais elle n’a pas le temps de prévenir Tris qui est arrêté de nouveau. Hackett va alors organiser tout seul l’échange. Le police est prévenu et prend en chasse la voiture de Sylvester. Mais celui-ci très méfiant arrive à échapper à la filature. Hackett arrive finalement à l’imprimerie qui se trouve à côté du dépôt des tramways. La police a cependant repéré sa voiture, et l’endroit va être cerné. Cependant Meg arrive pour prévenir Sylvester qu’Hackett est un agent du Tresor. Il s’ensuit une fusillade avec la police. Meg est tuée. Sylvester arrive à s’enfuir à travers le dépôt de tramways, mais, traqué par les policiers, il va mourir électrocuté. Les agents du Tresor sont contents, ils ont récupéré les plaques et les billets, les faux monnayeurs sont défaits.
Meg est vendeuse de cigarette dans une boîte de nuit et se fait draguer par un certain Hackett
Au-delà de la traque des faux monnayeurs qui volent l’Etat et qui doivent être punis, il y a beaucoup d’autres thèmes très attachants. D’abord il y a le portrait d’un gangster, Tris Stewart, qui va rester droit dans ses bottes et refuser de devenir une balance. Alors que tous les policiers mentent et rusent pour obtenir ce qu’ils veulent, c’est bien Tris qui représente la morale. C’est aspect qui va en faire un film noir, et non un simple polar vantant les mérites et l’efficacité de la police. C’est la morale des vaincus, parce que dès le départ les forces sont très inégales. Les agents du Tresor sont nombreux, ils disposent de moyens techniques sophistiqués, ils ont un agent infiltré. Tris est seul, non seulement il a la police à ses trousses, mais son partenaire alcoolique le trahit et il doit affronter la bande dirigée par le cupide Sylvester. Ce n’est donc pas Hackett le héros, mais bien Tris. Bien que celui-ci soit un rien brutal, il apparait honnête finalement et loyal envers sa fiancée. Hackett au contraire est malhonnête et pousse cette malhonnêteté jusqu’à draguer outrageusement Meg qu’il sait pourtant être la femme de Tris, mais en outre promise à la prison. Ce renversement de la morale entre le voyou et le policier qui fait tout le prix de ce film, induit un autre thème : celui de l’affrontement de deux mâles pour une femme. Au fond Hackett est jaloux de Tris qui incarne un iséal de liberté, même s’il est traqué. Cet idéal de liberté fait déraillé l’organisation bien huilée des agents de la répression des fraudes.
Gumby annonce que Tris lui a échappé
Le scénario est incroyablement dense pour un film qui dure à peine plus d’une heure et quart. Sans doute ce qui peut déconcerté est qu’on passe d’un protagoniste à l’autre, de Tris à Meg, de Meg à Hackett et de Hackett à Sylvester sans trop de précaution. Tris disparaîtra ainsi bien avant la fin du film, laissant l apauvre Meg se débrouiller toute seule face à Hackett et à la bande de Sylvester. Ces changements sont rythmés par les trahisons des uns et des autres. Quand Tris croit toucher au but en retrouvant Hooker, il ne trouve qu’une épave. Quand il pense régler son problème de financement avec Hackett il tombe sur un fourbe agent du Tresor, alors même qu’il croyait avoir fait le plus dur en s’échappant de la surveillance de Gumby. Meg est une victime. Une innocente victime. En effet son seul défaut c’est d’aimer Tris et de lui être dévouée. Elle est ballottée par tout le monde et sert seulement d’appât. Certes on comprend bien que si elle vend des cigarettes dans une boite de nuit où on joue du jazz elle n’est forcément pas innocente.
Tris vient de retrouver Meg
Malgré son budget étriqué, la réalisation est excellente, bien soutenue par la bonne photo de Guy Roe qui travaillera encore avec Fleischer sur Armored car robbery, mais qui travaillera aussi avec Anthony Mann sur Railroaded. On reconnait la patte de Fleischer au moins dans les scènes d’action. Celle de la fausse évasion de Tris qui permet de filmer le bus qui le transporte en long, en large et en travers. Il excelle non seulement à utiliser les décors naturels que le bus traverse, mais aussi les espaces étriqués de l’intérieur du véhicule. La scène finale se passe dans un dépôt de tramways. C’est un choix judicieux évidemment, un tel décor de lumière et d’ombres, de machines infernales donne un aspect fantomatique à ces séquences. Fleischer pour s’en saisir utilise aussi bien la profondeur de champ et donc des diagonales originales, mais aussi des contre-plongées justifiées par la forme même des fosses qui permettent les réparations des véhicules. C’est un très beau final. Mais avant il aura tout aussi bien réussi les scènes qui se passent dans l’imprimerie clandestine : il aime manifestement filmer les machines, comme il aime filmer les véhicules, notamment les voitures qui à cette époque ont atteint une sorte d’apogée dans l’esthétique qu’elles pouvaient représenter. Le rythme est très soutenu, et on trouvera de très bonnes scènes comme les deux hommes du Tresor qui parlent côte à côte, mais par téléphones interposés. Les scènes d’amour sauvage entre Tris et Meg valent aussi le détour.
Tandis que la police s’intéresse à Meg, Tris s’enfuit
La distribution est celle des films de série B de l’époque. Tris Stewart est incarné par Lloyd Bridges, abonné aux rôles d’antipathique, sans doute à cause de ses yeux étroits qui lui donne au choix un caractère fourbe ou dément, il aura ensuite plus de succès à la télévision. Mais ici cela lui permet de faire douter le spectateur, est-il bon, est-il méchant ? il est très bien. A l’époque il fallait une blonde dans presque tous les films noirs. Sans doute pour montrer que c’était là l’idéal américain qui soudait autour de lui les fantasmes des mâles. Meg est incarné par Barbara Payton. C’est une actrice excellente. Elle aurait dû avoir une meilleure carrière, elle avait le talent et le charisme. Mais elle se conduisait très mal dans sa vie privée, toujours dans des mauvais coups, notamment sous l’emprise de l’alcool. Elle devait faire partie de la distribution d’Asphalt Jungle, mais finalement Huston lui préféra Marilyn Monroe – une autre martyre d’Hollywood. On la retrouvera l’année suivante dans le film de Gordon Douglas, Kiss me tomorrow goodbye[1]. Ensuite elle tournera encore quelques films, notamment des westerns, mais sans grand succès. Elle mourra très jeune. Je me rend compte que je l’ai moi aussi un peu négligée, elle mérite mieux. Elle racontera dans ses mémoires qu’elle dut se prostituer et qu’elle vécut dans la rue comme une cloche après qu’elle ne trouvait plus de travail au cinéma, alors qu’il fut un temps elle où était courtisée par le tout Hollywood, notamment par Howard Hugues, sa vie fut une tragédie comme l’a été en son temps celle de Frances Farmer qui elle finit au cabanon[2]. Les autres rôles n’ont à vrai dire que peu d’importance. John Hoyt est sensé contrebalancer Lloyd Bridges dans le rôle double de Hackett-Downey. On lui est assez indifférent même s’il a le physique de l’emploi, comme à l’endroit de Russ Conway qui joue le flic en chef qui se fait rouler dans la farine par Tris. Les gangsters sont toujours plus intéressants, c’est sans doute un parti pris plus ou moins conscient de Fleischer. James Todd dans le rôle du roublard Sylvester est très bien, comme Douglas Spencer dans celui du misérable Hooker. Les autres ne sont que des faire-valoir.
Dans le dépôt des tramways la police traque Sylvester
La copie DVD qui circule dans la version Bach films en France, est absolument lamentable, c’est à peine un mauvais repiquage de VHS. Mais le film est très rare, il mérite sûrement une meilleure présentation. Il y a tout un travail sur la photo qu’on a du mal à apprécier dans cette version. Ce film mériterait mieux évidemment. En tous les cas, c’est un bon film noir et un bon Richard Fleischer que les amateurs du genre apprécieront.
[1] http://alexandreclement.eklablog.com/le-fauve-en-liberte-kiss-tomorrow-goodbye-gordon-douglas-1950-a114844682
[2] Barbara Payton, I am not ashamed, Holloway House, 1963. John O’Dowd a aussi consacré un très bel ouvrage à Barbara Payton, Kiss tomorow goodbye: The Barbara Payton Story, Bear Manor Media, 2005. Il cherche à l’heure actuelle à en faire un film.