18 Août 2023
Oliver Stone est un réalisateur très controversé parce qu’il a des idées très à gauche et qu’il ne s’en cache pas. Il s’est fait connaitre pour ses positions sur Julian Assange, ses interviews de Poutine, et sa dénonciation du rôle des Etats-Unis dans la guerre en Ukraine. Il s’est fait photographier avec Hugo Chavez. Au cinéma il a connu de très gros succès, avec Platoon, un film sur la guerre du Vietnam qui s’inspirait d’ailleurs de sa propre expérience sur le terrain. JFK, en 1991, sur l’assassinat du président et les manœuvres complotistes des différentes agences gouvernementales, a également été un très gros succès mondial. Wall Street fut en 1987 aussi un succès énorme, curieusement pour un film ouvertement anticapitalise. Mais il a commencé comme scénariste pour des films d’horreur, The Hand, The Seizure qui fut aussi son premier film en tant que réalisateur. On lui doit les scénarios des films à succès comme Midnight Express ou Conan the Brabarian. Pour ce qui nous concerne, il a fait quelques incursions dans le film néo-noir. Year of the Dragon, il en fut le scénariste, et Michael Cimino le mit en scène. Eight Million Ways to Die, scénariste également. En tant que réalisateur, il signera Natural Born Killer, Savages et ce U-Turn. S’il balaye les genres, le film de guerre, le film noir, le biopic, il est toujours attiré par la violence des situations qui ne semblent jamais avoir d’issue. Si ses scénarios ne sont pas politiquement corrects, sur le plan de la réalisation, il ne l’est pas plus. Sa manière de filmer ce sont souvent des plans coups de poing, des montages décalés, des angles de prises de vue bizarres. Il recherche aussi l’adhésion d’un public large et populaire et donc au-delà des messages qu’il veut faire passer, il raconte toujours une histoire. U-Turn cependant ne contient guère de message explicite. Le scénario est une adaptation d’un roman de John Ridley. Celui-ci qui écrira le scénario avec Oliver Stone, deviendra célèbre pour son scénario de 12 Years a Slave, mis en scène par Steve McQueen et obtiendra même un Oscar pour icelui en 2013. On le connaît aussi pour avoir commis un scénario qui servira de remake pour le Ben Hur de 2016, un flop de très grande ampleur.
Bobby Cooper doit de l’argent, mais comme il a du retard, les mafieux vont le rosser et ensuite lui couper deux doigts de la main gauche. Mais il arrive à trouver l’argent, 13 000 dollars, et traverse l’Arizona pour régler sa dette. Il roule tranquillement au volant de sa Mustang, mais celle-ci tombe en panne. Il est forcé de s’arrêter à Superior, une petite ville bien crasseuse, comme oubliée par le destin au milieu du désert. Il cherche un mécanicien qui lui répare sa voiture, et il en trouve un, un certain Darrell qui a l’air un peu louche, mais il est le seul garage à plusieurs kilomètres à la ronde. En attendant la réparation, son sac plein de billets sur l’épaule, il va trainer en ville. Il rencontre Grace qui lui plait, une chose l’autre, elle l’emmène chez elle pour baiser, après avoir croisé Virgil, le soupçonneux shérif du patelin. Mais son mari survient qui frappe Bobby. Celui-ci arrive à s’en aller, et il va dans une supérette pour acheter à boire. Là, au moment de payer, le magasin est braqué par deux voyous de dernière catégorie. Ils prennent l’argent qui est dans la caisse et le sac de Bobby. Au moment de s’en aller, la gérante du magasin les flingue tous les deux et elle fait exploser le sac de billets ! Bobby s’en va après avoir donner presque tout ce qu’il lui restait de liquide pour qu’elle ne parle pas. Il retourne chercher sa voiture, mais Darrell exige une somme qu’il n’a plus pour la réparation. Il est donc obligé de rester à Superior en quête d’une solution. Au bar il rencontre la fausse ingénue Jenny qui le drague sous l’œil de son petit ami, TNT. Celui-ci veut se battre avec Bobby, mais le shérif intervient. McKenna a proposé à Bobby qu’il assassine sa femme, chose qu’il ne veut pas accepter.
Sur la route Bobby tombe en panne
Bobby ne sait pas quoi faire pour trouver de l’argent et s’en aller. Il téléphone aux gangsters pour leur demander 150 $, somme que Darrell exige. Ceux-ci décident de venir lui régler son compte. Bobby en désespoir de cause va à la gare des bus et achète un billet pour le Mexique. Mais il retombe sur Jenny qui veut partir avec lui. TNT qui la surveille, le frappe et lui vole son billet et le déchire au prétexte qu’il a dragué Jenny. Bobby le frappe, mais le shérif arrive une nouvelle fois. Il ne reste plus à Bobby que d’accepter de tuer Grace pour obtenir l’argent qui lui permettra de quitter cet enfer. Cependant il retombe sur Grace, hésite à la tuer, et finalement combine avec elle pour dévaliser McKenna qui planque du liquide dans la maison, sous le plancher. Le soir, tandis que McKenna baise Grace, Bobby s’introduit dans la maison. Mais McKenna a l’oreille fine et le surprend. Bobby explique à McKenna que c’est Grace qui lui a ouvert la porte. McKenna est décontenancé. Une bagarre va laisser finalement McKenna sur le carreau, tué par Grace à coup de hache ! Grace et Bobby vont partir ensemble avec l’argent de McKenna. D’abord il va récupérer sa voiture chez Darrell. Puis ils embarquent le cadavre de McKenna et s’en vont avec l’argent. Mais sur la route, ils sont coincés par Virgil qui en vérité est aussi l’amant de Grace avec qui il devait partir pour Milwaukee. Comprenant qu’ils s’en vont, il les menace de son revolver, mais Grace le tue. Les deux amants repartent, avec les deux cadavres dans le coffre. Ils vont jeter les cadavres dans un ravin, sous l’œil attentif des vautours. Grace pousse alors Bobby dan le vide, mais elle ne peut pas partir car Bobby en piqué la clé ! Elle redescend vers lui, ils se battent, Bobby l’étrangle. Il a la jambe cassée, mais il arrive à remonter et à rejoindre sa voiture. Il démarre, et la Mustang tombe tout de suite en panne. Seul au milieu du désert, la jambe cassée, il est certain qu’il va mourir.
Grace allume Bobby
C’est donc l’histoire d’un enchaînement fatal dans une atmosphère brulante dans tous les sens du terme. Tous les personnages passent leur temps à se trahir, à se bouffer le nez, il n’y a aucune confiance nulle part. Le « héros » est touché par la paranoïa ambiante et se sent pris au piège par une ville crasseuse et méchante, où tous les habitants semblent hébétés et complètement à la masse. Le sexe, la haine, la volonté de sortir de cet enfer, tout cela aurait pu être un roman de Jim Thompson. La matière était là. On retrouve même l’inceste entre Grace et son père – encore qu’on ne sait pas trop si elle dit la vérité. C’est extrêmement violent aussi. Cette petite ville à l’écart de tout est comme frappée de folie, donnant libre cours à ses instincts primaires. Bien entendu la ville est pauvre. Si les personnages sont tous très typés et tous aussi plus antipathiques les uns que les autres, il y a une forme de condescendance pour cette population qui parait à l’écart de la grande ville et donc de la civilisation. Le sort accable Bobby qui n'est bien entendu pas du tout innocent. Il suit une sorte de chemin de croix, mais au bout, il n’y a pas de rédemption possible. Il y a beaucoup de redondances pour amener Bobby à entreprendre de se transformer en assassin. Les scènes avec le garagiste sont répétitives, et on se demande à quoi sert l’introduction de ce couple stupide fait de TNT et de Jenny.
McKenna propose à Bobby de tuer Grace
Les protagonistes de cette histoire cherchent tous à fuir cet enfer, le mot renvoie non seulement au caractère glauque de la petite ville, mais aussi à la chaleur qui rend fou, sous l’œil des vautours et des serpents qui guettent. La ville est en décomposition et ne mérite pas qu’on s’y attarde. Ces gens-là n’ont plus rien d’humain. Ils sont comme des bêtes féroces. Ils s’épient les uns les autres, mentent autant qu’ils peuvent et tuent ou envisage de le faire Bobby est un petit escroc qui a payé cher ses relations avec des gangsters. Il va devenir un assassin, presque malgré lui. McKenna est aussi un assassin par procuration. Dans cette collection d’imbéciles, il y a un regard condescendant du « civilisé » sur des « sauvages » qu’il faudrait bien éduquer, évangéliser serait plus juste. C’est un vieux thèpe du roman noir américain que d’opposer ceux qui vivent en marge de la civilisation, les bouseux, le sud profond, à un vagabond qui a vu du pays. On trouve déjà ça dans The Postman Always Rings Twice ou dans Butterfly, tous les deux de la plus de James Cain. Cette vision naine d’une humanité embourbée dans un cloaque qui ressemble à l’enfer, engendre le principe de mettre en scène toute une collection de semi-clochards, de stropiats de l’âme. C’est un peu affreux, sales et méchants au pays de l’Oncle Sam. Mais ce principe conduit à s’interroger sur une Amérique qui sombre.
Dans la superette deux voyous braquent l’épicière
Le décor de la ville est misérable, et ce ne sont pas les couleurs criardes qui y changent quoi que ce soit. Il souligne la cohabitation d’une civilisation évoluée – la Ford Mustang, le téléphone – avec son contraire, le garagiste aux dents cassées, le vieil indien crasseux. C’est en fait comme si une civilisation trop sophistiquée avait engendré cette misère en rejetant les inadaptés en dehors de son cercle. Le couple Jenny-TNT est complètement déjanté et ne vit que dans l’imaginaire, des rêves moisis, contrepartie probable de ce qu’ils ont vu à la télévision dans des séries criardes et malsaines. La ville exige la violence de ceux qui veulent la fuir. Les personnages sont tous sournois et ridicules, et sont comme des idéaltypes de la vie américaine. C’est qu’ils ont été formés par la ville elle-même. L’étrangeté de cette histoire, est que si l’argent joue un rôle central, ce n’est pas l’argent en lui-même, ou ce qu’il permettrait d’acheter, mais c’est le symbole du mal, une sorte de fléau qui s’abat sur la tête des malheureux qui s’en approchent. Tous ces gens là vivent par procuration, à travers des images, la plupart croie que l’argent les libérera de leur aliénation. Et quand ils ne parlent pas d’argent, ils jouent la comédie de l’amour. Bobby et Grace s’entretuent, se mentent et se trahissent, tout en racontant à leur partenaire qu’il leur est indispensable et que pour lui ils abandonneront tout. TNT joue le rôle du mec jaloux, comme Jenny joue celle qui est tombée amoureuse au premier regard et fait semblant de croire qu’elle partira, qu’elle veut partir, avec Bobby. Comme Bobby et Grace, ils jouent la comédie de la passion.
Bobby tente de trouver de l’argent pour quitter Superior
Le sordide McKenna veut tuer Grace, parce qu’elle le trompe avec la moitié de la ville et pour probablement encaisser une assurance-vie. C’est sa fille, celle qui a remplacé sa femme qui est décédée dans des conditions qu’on devine sordides. Il aime que sa fille l’appelle papa quand il la baise. Virgil le flic est du même bois, il a raconté à Grace qu’il voulait quitter sa famille et partir avec elle. Mais il n’en a jamais eu le courage. Seule l’indien aveugle qui prétend être accompagné d’un chien mort, regarde tout cela de très loin. Il est le destin en voie d’accomplissement. Il prédit l’avenir. Bobby comprend intuitivement qu’il faut qu’il s’éloigne de cette petite ville dangereuse qui le retient prisonnier, mais il n’y arrive pas, quels que soient les efforts qu’il entreprend, il reste toujours au même point, à tourner en rond sous le soleil brulant. Il ne tient le coup qu’en prenant des amphétamines.
Jenny drague Bobby sous le regard jaloux de TNT
Toutes ces intentions sont excellentes. Seulement le premier problème qu’on rencontre est qu’on ne sait pas vraiment s’il s’agit d’un film noir sérieux, avec un peu d’ironie ou d’une parodie. En effet, en voulant filmer cette histoire, presqu’à la manière d’un film d’horreur, Oliver Stone en vide le contenu. Au début de ce billet, je rappelais que le réalisateur avait commencer par le film d’horreur. Il en adopte les codes, jusqu’au style gore des scènes de violence. Le surcroît de violence et de sang apparait alors redondant avec la présentation grotesque des personnages. Bobby se fait tabasser à longueur de temps, il est marqué, amputé de ses deux doigts à gauche. Sa chemise est couverte de sang. Grace plante plusieurs fois sa hache dans le corps de McKenna. Elle tire sur Virgil, elle pousse Bobby dans le ravin. Les femmes d’ailleurs à ce petit jeu sont pire que les hommes. La vieille femme n’hésite pas à tirer dans le dos des deux voleurs qui viennent de la braquer. Cette violence est hystérique, résultat de l’exaspération. La femme qui vend les billets à la gare des autobus, devient rapidement folle et se met à hurler avant de quitter son poste.
Bobby accepte de tuer Grace contre 10 000 $
Toute la ville est sous tension, et cette tension est représentée stylistiquement par une sorte de montage hystérique et violent qui mêlent les gros plans en démultipliant les angles de prises de vue, parfois bizarres, et en ne donnant jamais de repos à sa caméra. Cependant les mouvements d’appareil sont remplacés par un montage serré sur les plans très cours. Cette manière de faire donne souvent le tournis et fragmente le récit outrageusement. On peut contester cette manière de faire qui le plus souvent empêche une pleine utilisation des décors pourtant excellement bien choisis. Le film a été tourné sur place à Superior en Arizona. Cette vivacité dans le montage et le rythme imposé n’empêche pas pourtant que le film semble parfois s’étirer en longueur, à cause de la répétition de certaines séquences, les affrontements de Bobby avec TNT ou symétriquement avec Darrell, le garagiste calamiteux. Si le rythme imposé est discutable, la photo est bonne, elle est due à Robert Richardson, photographe attitré d’Oliver Stone qui travaillera aussi beaucoup avec Martin Scorsese et aussi avec Tarantino qui semble s’être inspiré de la manière hystérisée de Stone pour ses propres productions, pour ce mélange de gore et de rythme flamboyant.
Jenny veut partir avec Bobby, mais TNT veille
Le film a bénéficié d’un gros budget et donc la distribution est exceptionnelle. Le rôle principal c’est Sean Penn qui à cette époque avait le vent en poupe et tournait beaucoup de films noirs, très souvent de qualité. C’est dans la vie réelle un personnage assez extravagant, souvent incohérent sur le plan politique, à l’inverse d’Oliver Stone par exemple il soutient l’OTAN dans sa guerre en Ukraine, alors qu’il fut un conptenteur de la guerre en Irak, mais en tant qu’acteur, il n’y a rien à dire, il est le plus souvent très bon. Il joue le misérable Bobby, sans trop en faire dans l’accablement. C’est d’ailleurs lui le moins cabotin de cette distribution. Il portera tout le long du film un gros pansement à la main gauche, tic visuel qui semble être emprunté au personnage de Chinatown de Polanski. Derrière lui, il y a la chanteuse Jennifer Lopez dans le rôle de Grace. Elle est très bien dans le rôle de cette femme mi-enfant, mi-démon. A partir de là ça se gâte un peu. Nick Note est McKenna. Il s’amuse beaucoup de ses propres grimaces, et il en fait des tonnes dans le pourri de l’histoire. C’est généralement un bon acteur. Billy Bob Thornton est méconnaissable dans le rôle de Darrell, le garagiste fou. Recouvert de cambouis, édenté, portant des lunettes cassées, il est très cabotin lui aussi et son rôle confine à la caricature, alors que le plus souvent il est plutôt sobre dans son jeu. C’est la même chose pour Jon Voigt qui s’est déguisé en vieil indien aveugle, impossible de le reconnaître. À quoi cela sert-il d’emprunter les services d’acteurs prestigieux si c’est pour les rendre invisibles à l’écran ?
McKenna croit que Grace a tué Bobby
Power Boothe dans le rôle du shérif Virgil est plutôt sobre, il est même le seul qui paraisse normal aux milieux de ces caricatures qui semblent peupler la ville. Même Joaquim Phoenix qui est lui aussi un bon acteur, est caricatural dans le rôle du vindicatif TNT, il en fait trop, mais je suppose que ce sont les directives d’Oliver Stone. On verra encore Bo Hopkins dans un tout petit rôle sans relief et aussi l’excellente Liv Tyler dans celui encore plus maigre d’une voyageuse qui vient chercher son ticket à la gare des autobus. Donnons toutefois une mention spéciale à Claire Danes dans le rôle de l’extravagante Jenny qui aiment que les garçons se battent pour elle, elle est excellente et drôle.
Le shérif veut empêcher Grace de partir
Dans l’ensemble c’est un film un peu raté sur un sujet assez traditionnel pour le film noir, sujet que Stone s’est efforcé de moderniser dans le style. Doté d’un budget de près de 20 millions de dollars, il ne ramena que 9 millions de recettes. La critique n’a pas été bonne. Le public n’a donc pas suivi. Sans doute a-t-il été rebuté par l’excès de violence physique et l’étalage d’hémoglobine. Malgré ses défauts, le film n’est pourtant pas sans qualité, ne serait-ce que la description de cet enfermement fatal, de cette manière de mettre en scène ce piège qui se referme sur le misérable Bobby. Mais peut-être aussi qu’il est bien difficile de faire un film avec seulement des personnages antipathiques ou répugnants. Après tout, même si de très nombreux êtres humains ne valent pas un coup de cidre, il y aussi de bonnes gens qui donnent aussi du réconfort à l’idée d’humanité. Par ailleurs la musique d’Ennio Morricone est très bonne, qui est un petit plus.
Grace et Bobby jettent les corps dans le ravin
Sur le tournage