1 Décembre 2023
A cause des ennuis que lui vaut l’HUAC, refusant de s’humilier en témoignant contre ses camarades, Joseph Losey va s’exiler en Europe où il recommence une nouvelle carrière. Inutile de dire qu’il est dans la difficulté. Jules Dassin, lui aussi pourchassé aux Etats-Unis – le pays de la liberté comme on sait – pour ses idées communistes, l’avait précédé et s’était retrouvé comme un poisson dans l’eau à Londres où il réalisa Night and the City en 1950, sans grand succès d’ailleurs à sa sortie, puis ensuite à Paris où en 1955 il tournera Du rififi chez les hommes avec le triomphe mondial que l’on sait[1]. Imbarco a mezzanotte n’est pas un sujet vraiment choisi par Losey. Il est arrivé là presque par hasard, parce qu’il était au chômage, il était là en remplacement de Bernard Vorhaus que les « diplomates » américains avaient fait chasser d’Italie à cause de ses idées communistes ! Plus tard Losey soutiendra que les producteurs avaient profité de sa détresse pour le sous-payer. C’était une manière de renier le film, comme il reniera toute son œuvre américaine, sauf le très naïf The Boy with Green Hair. Dans la version américaine stupidement amputée d’une vingtaine de minutes, le réalisateur crédité est Andrea Forzano parce que Losey n’avait même plus le droit d’être cité ! United Artists avait mis de l’argent, cet argent qu’elle ne pouvait pas rapatrier de l’Italie. L’initiateur du projet était en réalité Paul Muni, immense gloire des années 30 et 40, un peu sur le déclin à cette date, mais qui avait toujours beaucoup de succès au théâtre. Il cherchait un metteur en scène pour filmer une histoire imaginée par Noel Calef et scénarisée par Ben Barzam, une autre victime de la chasse aux sorcières. Celui-ci perdit même dans l’affaire sa nationalité américaine. Les diplomates américains basés en Italie – en fait des agents de la CIA – faisaient la chasse aux Américains qui croyaient pouvoir trouver la paix et la tranquillité dans ce pays, et si Losey put terminer le film, Ben Barzam fut obligé de quitter l’Italie. Ironie de la chose, ce dernier pourra travailler plus librement dans l’Espagne de Franco sur le tournage du Cid d’Anthony Mann, que dans l’Italie de la Démocratie Chrétienne qui, acoquinée à la mafia, n’avait rien à refuser au maître américain. Curieusement l’Angleterre résista beaucoup mieux que l’Italie aux pressions des Américains qui voulaient débarrasser le monde occidental de ce qu’ils pensaient être de la propagande communiste. Mais ce sinistre épisode montre à quel point la « démocratie américaine » est quelque chose de très relatif, encore aujourd’hui avec la russophobie obligatoire mise en place comme cordon sanitaire de l’Empire.
L’étranger est parti dans la ville pour chercher de l’argent
Noël Calef qui connaitra le succès avec Ascenseur pour l’échafaud, avait construit une histoire très démarquée, pour ne pas dire plus, d’Au-delà des grilles de René Clément qui, en 1948, avait été un beau succès. Si Joseph Losey ne connaissait peut-être pas ce film, Noël Calef, lui, ne pouvait l’avoir ignoré. Dans ses entretiens avec le regretté Michel Ciment, Losey avait l’air de se dire assez peu concerné par ce travail, toute sa carrière d’avant son exil lui paraissait assez médiocre[2]. Pour ma part, je trouve que c’est là qu’on peut voir le meilleur de Losey, par exemple M[3], le remake heureux du film de Fritz Lang ou encore The Prowler[4] ! C’est beaucoup moins prétentieux que le reste de sa filmographie et ses opéras filmés. Imbarco a mezzanotte était d’ailleurs un film à tout petit budget, c’était l’argent de United Artists qui ne pouvait pas sortir du pays et qui devait être réinvesti en Italue, avec un tournage très compliqué et décousu, avec une équipe largement italienne, obligeant Losey à des prouesses techniques qui lui feront pratiquement renier ce film. Mais en même temps le pauvre budget alloué au film l’avait entraîné à user des décors naturels et quasiment se passer des prises en studio. Et ça c’est ce que Losey – mais bien d’autres, notamment René Clément justement sur Au-delà des grilles – savait très bien faire. Et c’est bien ce qui fait encore le prix de ce film aujourd’hui.
Le patron du bar veut l’arme pour 2000 lires
Un étranger est découvert dans la cale d’un navire. Manifestement il fuit quelque chose, on ne saura jamais quoi. Il réclame au capitaine de le laisser embarquer, mais celui-ci lui demande 50 000 lires. Il ne les a pas, marchande pour obtenir un prix plus bas, puis il s’en va dans la ville afin de vendre un beau révolver pour obtenir le prix de son passage. Il erre dans la ville mais le seul qui veut bien lui acheter son arme ne lui en donne qu’une somme dérisoire, insuffisante. Il y a un cirque qui vient de s’installer dans la ville, des gosses qui courent dans tous les coins, admirant la ménagerie, puis une course cycliste remportée par le fiancé d’Angela qui est très applaudi. Pendant ce temps une blanchisseuse envoie son fils Giacomo livrer le linge qu’elle a préparé et elle lui donne 62 lires pour acheter au retour une bouteille de lait. Giacomo accompagné de sa sœur, se laisse distraire par la vie de la rue et s’attarde pour jouer aux billes avec d’autres enfants et bien entendu, il perd les 62 lires. Il va cependant porter le linge chez Monsieur Pucci. Chez lui travaille Angela comme domestique, mais celle-ci a le tort de profiter de son patron pour se payer des robes destinées à séduire. Celui-ci la surprend et la fait chanter en lui disant qu’il va la raccompagner chez elle, sinon il risque d’aller à la police. Giacomo doit ramener le lait à la maison. Comme il n’a pas d’argent, et que ni Angela, ni Pucci ne veulent lui donner, il va le voler pendant que la crémière compte sa recette de la journée. À ce moment-là l’étranger affamé pénètre dans la crémerie et mange un fromage. La crémière prétend appeler la police. Mais l’étranger l’en empêche. La femme est morte, accidentellement. L’étranger s’en va en emportant la recette qui lui permettra de régler le prix de son passage.
Le vieux Peroni mène son vieux cheval à l’abattoir
La police accourt. Giacomo croit que c’est après lui qu’elle en a, à cause de la bouteille de lait volée. De fait il va fuir avec l’étranger. Pour échapper à la police, ils se font passer pour père et fils, et vont même au cirque ! Ce dont rêvait Giacomo. Mais bientôt la police diffuse le signalement de l’homme et un témoin raconte qu’il les a vu ensemble. Un policier les repère au cirque et la chasse reprend. Ils tentent de trouver le chemin des docks afin d’embarquer. Mais les issues sont bouclées. Finalement ils se réfugient chez Angela, Giacomo s’en est procuré les clés – on ne sait trop comment. Bientôt la police débarque dans le quartier. L’homme et Giacomo attendent qu’elle s’en aille. Mais c’est Angela, accompagnée de son patron qui arrive. Son patron qui a peur de se faire repérer renonce à monter chez elle. Angela est surprise par l’étranger. Tandis que Giacomo va explorer un passage pour échapper à la police en passant par les toits, l’homme et Angela semblent se rapprocher. Mais la police annonce à l’aide d’un porte-voix qu’il y a une récompense de 50 000 lires pour qui dénoncera le fuyard. L’homme s’assoupit, Angela tente de s’échapper, l’étranger l’attache, puis avec Giacomo il va essayer de fuir par les toits, le port n’est pas loin. Mais Giacomo glisse et manque de tomber. Pour le rattraper l’étranger va s’exposer. Il sera tué après avoir sauvé l’enfant. La famille de Giacomo retourne à ses affaires, et l’enfant semble avoir déjà oublié cet étranger, prévoyant d’aller jouer aux billes dès le lendemain.
La mère de Giacomo envoie ses enfants porter le linge
Losey est sans doute intervenu tardivement dans la conception de ce film. Mais comme il a par la suite beaucoup travaillé avec Ben Barzam, il est clair qu’ils avaient de nombreux points communs. On a dit que Ben Barzam avait aussi critiqué très vivement le film achevé, mais il l’a sans doute vu dans une vision tronquée lors de son passage à Paris. La version qui est disponible actuellement sur le marché est celle d’Olive. Son grand défaut est d’être la version américaine qui est amputée d’une bonne vingtaine de minutes, ce qui nuit évidemment à la fluidité du récit. Par exemple on ne sait pas comment ils atterrissent dans la famille d’Angela ! Ça donne un montage bizarre et abrupt parce que manifestement il manque des plans. Il existe une édition italienne, plus complète, mais je ne l’ai jamais vue. En 1998 ce film a été présenté au Festival de Venise dans une version restaurée, mais je ne sais pas pas si c’est la version italienne initiale. Cependant il faut toujours se méfier des reniements en matière de cinéma. Peckinpah avait bien renié Major Dundee qui pourtant même amputée était déjà une sorte de monument. De même Jean-Pierre Melville a renié Quand tu liras cette lettre, il a eu tort[5]. Et donc même si Imbarco a mezzanotte n’est manifestement pas du meilleur Losey, il reste toutefois meilleur et plus intéressant que par exemple le chichiteux Boom ou que La truite qui est complètement raté et ennuyeux, pourtant adapté d’un excellent roman de Roger Vailland.
Giacomo s’attarde pour jouer aux billes
Avant même l’histoire, ce qui frappe c’est le portrait d’une Italie en pleine reconstruction, avec la volonté de fuir la misère. Ce sera d’ailleurs le pays européen qui, avec la France, aura connu la plus forte croissance économique durant les Trente glorieuses. Ça se passe donc au milieu des ruines, exactement comme dans Au-delà des grilles. Ces ruines sont filmées joliment, comme si leur beauté martyrisée était l’assurance qu’un jour ce pays redeviendrait quelque chose de grand. A cette époque il y avait des enfants dans toutes les rues de l’Italie, par la suite l’Italie qui exportait beaucoup de sa main d’œuvre vers la France ou l’Allemagne, va devenir le pays européen où on fait le moins d’enfants ! C’est dire l’importance de la transformation de l’Italie en profondeur. Les gosses vont pieds nus, tous vivent dans la misère, avec des habits en haillons. Les décors naturels de Livourne et de Pise sont extrêmement bien utilisés. Cela est probablement dû à Andréa Forzano qui est le producteur du film et qui s’est démené comme un beau diable pour le mener au bout. Les rues sont pleines, pleines d’une foule bigarrée et pleine d’une énergie débordante. Le contexte social est soigné et rappelle l’esthétique du néoréalisme italien.
Angela doit subir le chantage de son patron
De cette esthétique particulièrement on sent l’influence de Ladri di biciclette, le chef d’œuvre de De Sica. Dans les deux films on trouve une analyse des rapports entre le monde des adultes et celui de l’enfance. Dans le film de De Sica ce sont les rapports entre un père et son fils, et dans Imbarco a mezzanotte l’étranger devient un père de substitution, du reste à la fin, avant que Giacomo et l’étranger se séparent pour toujours, l’enfant l’appellera « father ». Son vrai père n’est pas là, a-t-il abandonné le foyer ? Est-il mort à la guerre ? On ne le saura pas. Mais comme la petite fille de Marta dans Au-delà des grilles qui finira par dénoncer Pierre à la police, Giacomo a une attitude ambiguë, voire cruelle envers l’étranger. On le sent prêt à le dénoncer, mais à chaque fois il recule devant cette action mauvaise. Comme René Clément donc Losey refuse de peindre l’enfance sous les traits de l’innocence, mais plutôt il la peint sous ceux de l’ambiguïté. Dans le couple adulte-enfant, c’est l’adulte qui est la partie faible. Pierre dans le film de René Clément débarque à Gênes pour cause de rage de dents, il est dépendant de la petite fille qui est jalouse des attentions qu’il porte à sa mère. Dans le film de Losey, l’étranger est affamé, malade de la faim. Et Giacomo sera lui aussi jaloux des attentions qu’il porte à Angela. Comme dans Jeux interdits, on voit que l’attention apportée aux enfants évite en permanence la niaiserie et une pureté illusoire des sentiments.
La crémière est morte, accidentellement
Le thème principal est cependant celui de la délation et de la trahison, ce qui ne pouvait qu’intéresser Losey qui avait subi les avanies de l’HUAC. Ce dilemme est tout de suite représenté par le vieux Peroni qui refuse de vendre l’étranger, mais aussi par des citoyens ordinaires et pauvres qui refusent de vendre un des leurs. Le carabinier qui suit un peu partout l’étranger dans son errance est la manifestation d’un contrôle social déjà trop poussé pour être honnête. On sent qu’il aime à poursuivre les individus défaillants et quand il tue l’étranger à coups de carabine, il ne manifestera aucune douleur sous le regard de Giacomo qui lui reproche d’une manière muette son geste criminel. On pourrait voir aussi dans ce film une dénonciation des rapports de pouvoir, c’est aussi bien Angela qui arrive difficilement à se défendre des assauts de son patron, mais c’est aussi la mère de Giacomo qui subit sa position misérable d’ouvrière lingère. La crémière qui est une femme relativement prospère menace de dénoncer l’étranger à la police, elle en mourra bien accidentellement. Mais comme l’homme n’est pas capable de prouver que c’est seulement un accident, il préfère emporter l’argent et prendre la fuite.
Giacomo et l’étranger fuient la police
C’est un film aussi sur le quiproquo. En effet c’est parce que Giacomo croit que la police lui court après qu’il va fuir en compagnie de l’étranger et découvrir ce qu’il est vraiment. Bien entendu, cela l’amènera à vouloir partir avec lui sur le même bateau à la découverte du grand monde. Dans Little Fugitive, réalisé en 1953, donc après le film de Losey, par Morris Engel, Ruth Orkin et Raymond Abrashkin, cette idée sera reprise, puisqu’il s’agit d’un enfant qui fuit n’importe où dans la ville parce qu’il croit avoir tué son frère aîné. On y retrouvera comme dans Imbarco a Mezzanotte le petit garçon qui passe beaucoup de temps, attiré par les plaisirs de la fête foraine. Il y a deux fuyards, l’étranger qui a tué et qui ne veut pas aller en prison, et l’enfant qui le suit. Losey est un habitué de la fuite et de la traque. On trouve cela dans M[6], bien entendu, et la poursuite dans les rues de la ville est très semblable. Mais on trouve aussi ça dans The Lawless[7] et encore Figures in the Landscape[8], et même dans The criminal[9]. Il décrit longuement la traque, dans le labyrinthe des rues de la ville, montrant comment la population se ligue contre lui pour l’empêcher de survivre. Sans doute ce thème lui était cher, lui qui a dû fuir pendant de longues années son propre pays. La solitude caractérise ce qu’est l’étranger, et le désespoir également. Mais Giacomo qui pourtant est encore tout jeune, partage avec lui cette solitude comme cette envie d’ailleurs. Et même Angela qui a volé son patron en espérant quitter Livourne pour s’en aller vivre à Milan avec son fiancé qui est aussi le gagnant de la course en vélos.
Le patron d’Angela renonce à l’accompagner chez elle à cause de la police
C’est très bien filmé, et si le film ne trouve pas toujours son rythme on peut tout à fait supposer que c’est la conséquence des coupures intempestives qu’il a dû subir. Losey s’applique particulièrement dans les séquences de fuite où il est capable de jouer de longs travellings et de la profondeur de champ, avec des effets de tunnels dans les redents de la ville, passage possible entre deux mondes. Curieusement on retrouve des plans qui semblent empruntés à Au-delà des grilles, par exemple quand l’étranger est découvert et qu’il sort par l’écoutille qui signifie le passage dans un autre monde peut-être encore plus effrayant que le trou qu’il vient de quitter. La manière de filmer la fête foraine, avec des mouvements de grue qui permettent de surplomber l’ensemble est dans la lignée de ce que Losey avait fait sur M quand Martin Harrow rencontre le vieil aveugle qui vend des ballons. Si les scènes d’intérieur sont beaucoup moins originales, on se souviendra toutefois de la maison d’Angela cernée par la police, puis des scènes sur le toit.
Angela est surprise de trouver quelqu’un chez elle
Il y a des scènes assez étranges, par exemple quand Perino amène son vieux cheval chez le boucher, mais Giacomo est très choqué parce qu’il aime beaucoup le cheval et il s’enfuit devant le spectacle cruel de l’équarrissage, disant que ce cheval qui a travaillé toute sa vie sans rien dire est bien mal récompensé. Cette scène n’est pas seulement destinée à démontrer la sensibilité de l’enfant et la cruauté des adultes, mais elle est aussi une métaphore de la triste situation de l’étranger qui est promis à une mort affreuse. Il y a donc une description des petits métiers de l’ancien temps, par exemple, en sus des équarisseurs, le lait qui s’achète à la tirette, ou qui se vend dans la rue, ou les petits vendeurs qui se greffent dans l’ombre généreuse du cirque. Et bien entendu la description fascinante de la ménagerie du cirque et des danseuses du ventre. La photographie est bonne, signée Henri Alekan.
Ils semblent sympathiser
L’interprétation c’est d’abord Paul Muni. À cette époque il avait déjà de gros problèmes de santé. Mais il est très étonnant dans ce rôle de semi-clochard bourru, épuisé, au fond très sentimental, qui meurt pour avoir voulu sauver le gosse. C’était un immense acteur, à mon sens bien trop oublié. Il y a beaucoup de finesse dans son jeu, notamment dans les parties sans dialogue. La scène où il prend Angela dans ses bras aurait pu sombrer dans le ridicule, mais elle ne l’est pas. Rien que pour sa prestation, on doit voir ce film. le film est tourné en Anglais, les acteurs italiens seront doublés, mais c’est bien la voix de Paul Muni qu’on entend. Ensuite il y a le petit Vittorio Manunta dans le rôle de Giacomo. Petit enfant prodige, il avait, avant de faire le film de Losey tourné dans une bondieuserie franco-italienne sous la direction de Maurice Cloche, réalisateur très sous-estimé dont la carrière un peu chaotique oscillait entre le film noir et le film de curé. Dans Peppino e Violetta, Vittorio Manunta jouait le rôle de Peppino un petit garçon qui veut que l’église bénisse son ânesse et qui va pour cela rendre visite au Pape, le film eut un succès important ! Ici il est toujours sentimentalement attaché à un équidé, mais c’est un vieux cheval que Perino livre au boucher. Il est très bien, manifestant suffisamment d’ambigüité dans ses rapports avec l’étranger. Il est plutôt curieux que ce petit acteur n’ait pas fait une plus longue carrière.
L’étranger a attaché Angela pour pas qu’elle le vende
Dans une troupe essentiellement italienne, il y a Joan Loring, une actrice américaine, dans le rôle d’Angela. Elle non plus n’a pas fait carrière. Son rôle n’est pas facile car elle doit montrer à la fois sa faiblesse – elle est de petite taille – face aux mâles qui veulent la sauter, et en même temps sa force dans sa manière de se défendre contre son patron qui apparaît comme un ogre. Elle s’en tire plutôt bien. Lucia Rossi, une actrice qui se spécialisera plus tard dans les séries télévisées, et qui tournera pour le cinéma tout au long des années cinquante, tient parfaitement le rôle de la mère de Giacomo, accablée par des soucis matériels sans fin. C’est une actrice qui hélas est décédé assez jeune. Noël Calef et Henri Alekan ont également des petits rôles, le second est un prêtre qui passe, sans vraie nécessité autre que de faire couleur locale, sur un vélo.
L’étranger a sauvé Giacomo
Si ce film a été largement ignoré en France par le public et par la critique qui faisait bêtement confiance au jugement de Losey, il a été curieusement un bon succès commercial en Italie et aux Etats-Unis. Ce film est tellement ignoré que dans leur livre The Films of Joseph Losey, James Palmer et Michael Riley trouvent le moyen de n’en rien dire[10] ! Comme on l’a compris si cette réalisation n’est pas un chef d’œuvre, elle est loin d’être inintéressante, même dans sa version amputée et il ne dépareille pas du tout dans la filmographie de Losey, bien au contraire, il nous permet de mieux connaitre le réalisateur. La seule réserve qu’on peut faire est qu’on aimerait une version qui ne soit pas charcutée. Peut-être un jour la verrons-nous. En tous les cas, il est bon de réhabiliter ce film qui est un vrai film noir.
La foule s’agglutine pour voir le cadavre de l’étranger
Paul Muni, Joseph Losey et Henri Alekan sur le tournage
[1] http://alexandreclement.eklablog.com/du-rififi-chez-les-hommes-jules-dassin-1955-a176847784
[2] Michel Ciment, Kazan, Losey, édition définitive, Stock, 2009. Dans cette dernière édition il n’aura échappé à personne que Michel Ciment rapproche deux cinéastes qui venaient de la mouvance communiste d’Hollywood, mais le premier se comporta traitreusement – il passera le reste de sa vie à se justifier – et le second refusera de jouer les idiots utiles d’une lutte idéologique enclenchée par J. Edgar Hoover et la crapule d’extrême droite.
[3] http://alexandreclement.eklablog.com/m-joseph-losey-1951-a127760466
[4] http://alexandreclement.eklablog.com/le-rodeur-the-prowler-joseph-losey-1951-a127673016
[5] http://alexandreclement.eklablog.com/quand-tu-liras-cette-lettre-jean-pierre-melville-1953-a114844948
[6] http://alexandreclement.eklablog.com/m-joseph-losey-1951-a127760466
[7] http://alexandreclement.eklablog.com/haines-the-lawless-joseph-losey-1950-a114844606
[8] http://alexandreclement.eklablog.com/deux-hommes-en-fuite-figures-in-the-landscape-joseph-losey-1970-a132099148
[9] http://alexandreclement.eklablog.com/les-criminels-the-criminal-joseph-losey-1960-a204146198
[10] Cambridge University Press, 1993.