10 Juillet 2022
On passe cette fois à la trajectoire d’un serial killer. Dès le départ on sait qui est le tueur, et donc il n’y a pas de mystère de ce côté-là. Le projet est porté d’abord par un producteur espagnol. Bava a du succès dans ce pays, et les films d’horreurs sont une manière de s’échapper un peu à l’atmosphère étouffante de la vie sociale sous le franquisme finissant. Dans le cinéma de genre les Italiens travaillent beaucoup avec les espagnols, notamment en ce qui concerne les westerns, les raisons sont que cela permet d’abaisser les coûts de production, d’obtenir des paysages westerniens, et enfin de se rapprocher d’un marché qui permet d’amortir les coûts. Mais dans ce début des années soixante-dix, beaucoup de choses ont changé, on est passé par un déferlement du pop art qui modifie l’approche aussi bien de l’image – dans le cinéma et dans la peinture – que celle de la musique. Cette mode anglaise passera, mais elle influence beaucoup l’époque. Les films gothiques marchent moins bien, il faut se renouveler. Il semblerait que le sujet ait été apporté à Mario Bava, clés en main, par les espagnols, et donc que son apport au scénario n’ait été que marginal. Le titre italien du film qui se traduit par Le signe rouge de la folie, a été trouvé par Mario Bava et provient du Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde. Comme très souvent d’ailleurs les titres des gialli sont excellents, et c’est le cas ici encore. Quelques temps avant était sorti le film de Leonard Kastle, The honeymoon killers qui avait fait du bruit. Le titre américain du film de Bava sera A hatchet for the honeymoon, en italien le titre de travail était Un’accetta per la luna di miele. On voit que la relation entre la lune de miel et le meurtre était bien dans l’air à cette époque-là.
Le soir de sa nuit de noces, un couple est agressé avec un hachoir
Le film s’ouvre sur un double meurtre qui a lieu dans un train, un couple qui vient de se marier, il est assassiné à coups de hachoir de boucher. Le meurtrier est John Harrington, le propriétaire d’une maison de haute couture à Paris, spécialisée dans les robes de mariées. Celui-ci cherche à divorcer de sa femme acariâtre, mais elle refuse. John est impuissant et n’a jamais consommé le mariage. La police en la personne de l’inspecteur Russell, enquête, et pour cela elle interroge John puisque la jeune morte était un mannequin qui venait de quitter son emploi. Pour remplacer celle-ci, John va engager Helen qui semble très attirée par lui. Entre temps John a tout le temps de tuer une autre femme qui travaille dans sa maison de couture, la belle Alice Norton. Après avoir mimer un mariage avec elle en lui faisant passer une robe de cérémonie, il la tue et l’enterre dans sa serre où il fait pousser des fleurs. Russell soupçonne de plus en plus John. Mildred veut surprendre John avec une autre femme, elle fait semblant de partir en avion. John l’accompagne à l’aéroport, puis passe un long moment avec Helen qu’il a croisée à ce même aéroport. Rentrant chez lui il trouve Mildred dans sa chambre, faisant semblant de la séduire, il l’assassine à coup de hachoir. Alors que Mildred agonise dans l’escalier, l’inspecteur Russell arrive. Le sang coule depuis l’étage. Mais il ne s’aperçoit de rien et s’en va. John va incinérer le cadavre de Mildred dans sa serre où il cultive des fleurs et où il dispose d’une chaudière. Puis il cherche à se débarrasser des cendres. Mais il est toujours poursuivi par l’image de Mildred. Helen se rapproche de lui, il veut lui offrir une robe de mariage. Ils dansent ensemble, mais repris par ses pulsions criminelles, John explique les origines de ses meurtres, avoue celui de sa mère. Il va tenter de l’assassiner. Il n’y arrivera pas. La police intervient, et on comprend qu’Helen travaille en réalité pour la police. John est arrêté peut-être pour son soulagement.
Mildred refuse de divorcer
Le scénario est très faible, il tire à la ligne avec des meurtres répétitifs, Mario Bava lui-même s’en était rendu compte. La complicité d’Helen avec la police est très téléphonée, très prévisible. On peut supposer que Bava voulait obtenir des crimes horribles le portrait d’un psychopathe schizophrène. Mais c’est assez raté. John est un criminel hanté par le meurtre de sa mère, et c’est ce qui explique qu’il ne fait confiance à aucune femme et que conséquemment il les tue. Le rapport entre ce film et Psycho de Hitchcock est tout à fait transparent. John est dans le même état d’esprit que Norman Bates dans ses rapports à sa mère. La manière dont il se déguise plus ou moins pour le meurtre de sa femme est très semblable au déguisement féminin de Norman Bates. Les incohérences sont multiples, tous les protagonistes, y compris le policier, ont des noms à consonance anglo-saxonne, mais le film est censé se dérouler à Paris, capitale, à cette époque, de la haute couture. On verra seulement la tour Effel pour bien montrer qu’on est à Paris et quelques uniformes caractéristiques de la police française en ce début des années soixante-dix.
Helen Wood se fait engager comme mannequin par John
Le film va hésiter entre une description méthodique des meurtres, et une analyse des motivations du meurtrier. Cependant en alternant les deux aspects, Bava dresse le portrait d’un enfant criminel qui a assassiné ses parents par jalousie, ce qui le fait retomber sur cette idée qu’on a vu souvent chez lui de l’absence d’innocence des enfants. Le caractère criminel de John n'est pas spécifique à un adulte, mais il est le prolongement de l’enfance. Figé dans ce passé, le serial killer répète le meurtre initial à l’infini. On comprend qu’il a un vieux compte à régler avec les femmes, essentiellement parce qu’elles ne l’ont pas protégé. Mais au lieu de les fuir, il veut les punir jusqu’à la fin des temps. La fin du film est assez lamentable sur le plan du scénario, en effet tout soudain il fait confiance à Helen qui immédiatement le trahi et l’envoie en prison ou chez les fous. Or il n’a aucune raison de lui accorder sa confiance, même si on conçoit qu’il a une attirance pour elle.
John se complait dans la fréquentation de ses mannequins
Les quelques idées sur la maison de couture et les mannequins immobiles qui peuplent l’arrière-boutique de la maison de couture sont seulement démarqués de Sei donne per l’assassino. La seule différence est qu’ils sont dévolus à la présentation de robes de mariés. Il y avait pourtant un point de vue à développer qui paraît intéressant, c’est ce rapprochement qu’on peut faire entre le mariage et la mort. N’est-ce pas ce qu’on trouve chez William Irish dans The Bride Wore Black, publié en 1940 et traduit en France sous le titre de La mariée était en noir – roman qui sera adapté très mollement en 1968 par François Truffaut qui, s’il aimait sincèrement le roman noir, n’arriva jamais à porter cet univers à l’écran de manière convaincante. Il ne reste donc que la mise en évidence des mannequins comme des choses mortes parmi lesquelles John, le serial killer, préfère vivre.
Mildred s’exerce au spiritisme
Je ne sais pas si cela vient du faible budget – entre 100 et 150 000 $ - ou d’autre chose, mais on ne retrouve pas la patte de Mario Bava. Au début, notamment en entendant la médiocre musique grinçante de Sante Maria Romitelli, on se dit que cela vient de l’époque, on donne des gages à la révolution du pop art. Mais ensuite on ne suit plus. J’ai été frappé par la multiplication des gros plans, ce qui n’est pas dans l’habitude de Bava et qui indique ici une certaine forme de paresse. Mais la photo n’est aussi pas très bonne, principalement dans la première partie du film. on a l’impression que le film a été tourné par deux réalisateurs différents selon les parties. Ça fait un peu téléfilm. De temps à autre on retrouve cependant le talent de Bava dans la manière de filmer le jardin de John, ou celle de filmer la riche demeure vide dans laquelle le couple Harrington vit. Même les couleurs ne sont pas travaillées. La structure formelle du récit repose sur un procédé un peu lourd, John adulte vit sous le regard de John enfant, ce qui induit des inserts d’images et de souvenir, mais aussi l’utilisation d’une voix off qui est le commentaire que John fait sur lui-même. Ce procédé devient rapidement redondant et ne fait pas progresser l’intrigue.
Russell interroge une nouvelle fois John qui cultive des fleurs
La folie de John est représentée à l’écran à la fois par le dédoublement de lui-même avec l’enfant qu’il était, mais aussi par les images déformées de la réalité. Procédé qui était déjà à l’œuvre dans Operazione paura. Et puis bien sûr il y a les apparitions surnaturelles et ponctuelles de Mildred. Les formes reviennent donc, soit avec les images d’apparition, soit avec le retour permanent de l’inspecteur qui traque John sans cesse. Cet aspect aurait pu être intéressant, car au fond, Russell n’a aucune raison véritable de le poursuivre. Bava aurait pu le choisir comme l’image d’un cauchemar récurrent, équivalent aux apparitions, et qui le martyrisent. On aurait pu ainsi trouve le personnage du policier comme mauvais génie intéressant. Incidemment on passe à une autre figure récurrente des films d’horreur, l’objet dont on n’arrive pas à se débarrasser, comme s’il avait une vie propre. Et donc John va trimballer dans la dernière partie du film un sac de cuire rempli par les cendres de son épouse qu’il a incinérée. En approfondissant le thème du feu, on aurait pu faire entrer le film dans une autre dimension. Comme on le voit, beaucoup des errements de la mise en scène proviennent à la fois d’un scénario un peu faible, et de la rapidité avec laquelle ce film a été tourné.
Alice Norton annonce à John qu’elle va elle aussi se marier
Que reste-t-il de ce film ? D’abord le portrait d’un homme habité par le mal et qui se débat dans une situation sans issue. Ensuite quelques scènes réussies, comme par exemple le meurtre du début dans le train, ou la tension qui se dégage de l’assassinat de Mildred. On voit le sang goutter de l’étage, tandis que l’inspecteur Russell vient interroger John. Bava insérera aussi une séquence de I tre volti della paura, du segment I wurdalak, l’astuce est de montrer cette séquence sur un petit écran de télévision en noir et blanc, histoire de montrer à quel point cet instrument de déculturation est incapable de rendre compte du cinéma.
Le corps d’Alice part dans la chaudière
La distribution est dépendante du budget. Stephen Forsyth est franchement calamiteux dans le rôle de John Harrington. Totalement inexpressif, il trimballe seulement une vague ressemblance avec Anthony Perkins. Il n’a pas fait carrière, et c’est heureux. Dans la vie réelle il était un photographe assez reconnu. Il est en outre très mal habillé, arborant une ceinture faite d’anneaux métalliques par-dessus une chemise débraillée. Lui-même s’était plaint de ses costumes. Ensuite, il y a Laura Betti dans le rôle de Mildred. Ce n’est pas tant qu’elle soit mauvaise actrice, mais plutôt qu’ici elle est en roue libre et se laisse aller à un cabotinage excessif. Elle est beaucoup plus âgée que Stephen Forsyth, ce qui au fond n’est pas mauvais puisqu’elle est l’image de la mère castratrice. Bava la retrouvera l’année suivante pour Ecologia del delitto. Puis il y a une actrice allemande d’origine tchèque, sans doute pour des raisons de coproduction. Dagmar Lassander est la fourbe Helen qui piège John pour la police. Elle a beaucoup tourné, surtout en Italie, mais elle n’a pas convaincu de ses qualités d’actrice. Jesus Puente incarne Russell le policier. On lui a mis une perruque pour une fois. Bava aimait bien les perruques, c’est sans doute la seule raison à cela.
John cherche à se débarrasser des cendres de sa femme
L’ensemble n’est donc pas très bon, il faut bien le dire. Mais s’il n’a guère eu de succès à sa sortie, il aura pourtant une influence sur de nombreux autres films. On peut penser qu’il a influencé Frenzy, le mauvais film d’Hitchcock, dans la manière de présenter un sérial killer[1]. On y retrouve les mêmes névroses et le même fétichisme. Au fond c’est un renvoi d’ascenseur car Bava a été lui aussi très influencé par Hitchcock. On dit qu’il existait des séquences nombreuses tournées à Paris qui n’ont pas été utilisées. Est-ce que cela améliorerait les choses ? Ça n’est pas certain du tout.
Helen couvre John devant l’inspecteur Russel
John et Helen valse dans la salle des mannequins