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Le blog d'Alexandre Clément

Une histoire d’amour, Guy Lefranc, 1951

Une histoire d’amour, Guy Lefranc, 1951    

Guy Lefranc n’a pas fait que des films rigolos avec Fernand Raynaud, il a fait quelques petites incursions dans le drame poignant et le film noir. On l’avait déjà souligné en parlant de l’excellent mais trop peu négligé La moucharde[1]. Une histoire d’amour est un peu plus connu, essentiellement parce que les acteurs qui ont participé à cette aventure étaient déjà célèbres à l’époque. Et puis ce fut le dernier film de Louis Jouvet qui décéda juste après. Guy Lefranc avait travaillé avec Louis Jouvet sur Knock, adaptation de la pièce éponyme dans laquelle le célèbre acteur avait déjà connu le succès. Le film fut également un triomphe et devint au fil de ses reprises en salles et à la télévision, une sorte de classique. Jouvet reprend ici le rôle d’un inspecteur de police qui ressemble un peu à celui de Quai des orfèvres[2], c’est-à-dire un policier humaniste, solitaire et indépendant. Ici il va enquêter sur la mort tragique de deux jeunes gens qui se sont en apparence suicidés. Ceux-ci sont incarnés par Dany Robin et Daniel Gélin qui forme un couple qui aura du succès qui se reformera assez souvent au fil des années cinquante, avec l’ambition de représenter cette jeunesse d’après-guerre, plutôt déboussolée. Le film se veut grave, mais le scénario de Michel Audiard est un peu léger. Je pense également que c’est ce film qui est à l’origine de la chanson qu’interpréta Edith Piaf, Les amants d’un jour. Mais il est vrai aussi qu’à cette époque les suicides étaient asses nombreux, donnant l’image d’une jeunesse maltraitée et désespérée. Dany Robin tournera dans un film Act of love, en français Un acte d’amour, sous la direction d’Anatole Litvak, avec Kirk Douglas en 1953. Le scénario est très différent, mais au fond le personnage incarné par Dany Robin est un peu le même. L’amour se heurtant à l’incompréhension des institutions, ici c’est l’armée américaine qui empêche cette relation, elle se suicidera aussi. 

Une histoire d’amour, Guy Lefranc, 1951

Des policiers faisant leur ronde vont trouver deux jeunes gens morts 

Deux policiers, des hirondelles, en faisant leur ronde trouvent deux jeunes gens décédés. Bien que le suicide soit apparent, l’inspecteur Plonche est chargé d’enquêter. Pour cela il va rencontrer les parents. Le père de Jean, un sculpteur, un peu ivrogne et sans vrai travail, explique que Jean était orphelin de mère, que lui-même vit avec une concubine, et que Jean était aide-comptable dans une grande entreprise. Plonche se rend ensuite chez les Mareuil, les parents de la jeune Catherine. C’est un autre milieu, très riches, ils tentent d’expliquer comment Jean et Catherine s’étaient connus. Jean, en tant qu’employé de Mareuil, avait été invité à une grande réception. Tout de suite les deux jeunes gens s’étaient appréciés, Catherine n’étant pas vraiment en phase avec les jeunes gens de son milieu. Ils vont se revoir et approfondir leur relation. Mais l’enquête de Plonche va révéler que les parents de Catherine font pression pour qu’elle ne fréquente plus Jean. Ils vont dans un premier temps faire intervenir le père de Jean qui en réalité a déjà eu maille à partie avec Mareuil, pour une vague affaire de détournements de fonds. Mais les deux jeunes gens s’enfuient au Touquet. Ils vont descendre à l’hôtel et prendre du bon temps. Très peu d’ailleurs. En effet le père de Jean les dénonce à Mareuil, et tous les deux vont faire le voyage au Touquet pour tenter de les faire revenir, souhaitant d’ailleurs que Catherine parte au Canada en pension. Comme elle n’a que dix-huit ans, à l’époque la majorité était à vingt-et-un ans, Jean peut être accusé de détournement de mineure. Ils vont se réfugier dans un bus désaffecté. Mais voyant que les policiers arrivent, ne supportant pas d’être séparés, ils vont se suicider ensemble. Lors d’une ultime rencontre dans le bureau du commissaire, Plonche traitera les parents de lâches, et de véritables criminels, même si du point de vue du code pénal ils ne peuvent pas être poursuivis. 

Une histoire d’amour, Guy Lefranc, 1951

Ernest PLonche a convoqué Auguste Bompart 

Ce scénario paresseux recèle cependant beaucoup d’intérêt. Moins dans le déroulement de l’intrigue, il n’y a pas vraiment de suspense, que dans la conduite du récit. L’histoire oppose en effet doublement les riches et les pauvres, et les jeunes et les vieux. Les premiers problèmes surgissent parce que les riches parents de Catherine ne veulent pas d’un gendre qui non seulement est d’une condition inférieure – ils le soupçonnent même de fréquenter Catherine pour mettre la main sur une dot importante – mais qui en outre il a le défaut d’être le fils de son père, celui-ci les ayant fait chanter. Mais l’autre opposition est tout aussi radicale entre des parents qui veulent contrôler leurs enfants et ces mêmes enfants qui tentent au contraire d’échapper à leur tutelle. On retrouve un peu le thème de La moucharde, cette jeune fille qui est en révolte contre une société corsetée et répressive. Bien entendu les deux jeunes gens sont ici totalement prisonniers des préjugés et ne savent pas se défendre, ils préfèrent le suicide à l’affrontement. Un peu plus tard dans les années cinquante, les jeunes gens seront bien plus vindicatifs face à la pression des institutions, et au contraire, ils s’y attaqueront, c’est ce qu’on verra par exemple dans Rebel without cause de Nicholas Ray aux Etats-Unis en 1955 ou même Les tricheurs de Marcel Carné  en France en 1958, la musique sera à la fois leur arme de subversion et leur drapeau. 

Une histoire d’amour, Guy Lefranc, 1951

L’inspecteur se rend chez Bompart 

Ernest Plonche est le témoin qui voit d’un très mauvais œil le mauvais sort qui est réservé à la jeunesse. Certes elle n’a pas fait la guerre, Michel Audiard qui a écrit le scénario, non plus d’ailleurs, et le père de Catherine rappellera que lui, oui, mais est-ce une raison pour maltraiter sa progéniture ? Mais quelles que soient les velléités des adultes de contrôler leurs enfants, on voit vien qu’ils ont totalement échouer. La logique veut que ne pouvant les contrôler, ils ne peuvent que les tuer, même si c’est indirectement. Cette manière des enfants à échapper à leurs parents dans la mort appelle à une réflexion sur le temps. En effet au-delà de l’héroïsme apparent qu’il y a à se suicider, les amoureux prendront le temps de vivre intensément leur passion sur un seul week-end, acceptant finalement de mourir plutôt que de se renier. Mais ce week-end vaut toutes les années de misère qu’ils auraient dû affronter en laissant les choses aller, en se soumettant. Cette brève période de temps est en réalité une image de l’éternité, cette période particulière où il semble qu’on n'existe vraiment que lorsqu’on vit une passion amoureuse ou d’amitié. On trouvait déjà cette idée mélancolique dans Mr. Arkadin d’Orson Welles[3]. 

Une histoire d’amour, Guy Lefranc, 1951 

Le père de Jean et sa concubine le surprennent avec Catherine 

Le film est construit en alternant une enquête policière, Plonche cherche la vérité, et une série de flash-backs qui expliquent les raisons profondes de la démission des deux jeunes gens qui au fond ont en commun de déteste le monde que les adultes tentent de leur léguer. Le premier flash-back intervient à la vingt-troisième minute seulement. Cette alternance permet de dresser des portraits un peu comme des vignettes d’une population qui au fond n’a pas d’autre but que de survivre de manière artificielle. Les parents de Catherine ne pensent qu’à leur argent et à leur « honorabilité », tandis que ceux de Jean pensent tirer un petit profit de la situation scabreuse de la mort des deux amants. Le policier Plonche se trouve en dehors de cette multitude, au-dessus, il est là pour juger et dénoncer la turpitude de ses contemporains. Contrairement à son supérieur, le commissaire Constant, il ne craint pas de se frotter aux classes supérieures, promptes à faire la morale à tout un chacun, tout en laissant ses propres cadavres dans le placard. 

Une histoire d’amour, Guy Lefranc, 1951 

Ernest Plonche rencontre la voyante qui a tiré les cartes aux deux amoureux 

Si les scènes racontant les amours de Jean et de Catherine sont un peu lourdes, elles sont soutenues par un dépaysement en extérieur qui est le bienvenu, notamment toutes les scènes qui se passent au Touquet, soit à la plage, soit au milieu de la fête foraine. Ces dernières scènes renforcent l’opposition entre les joies simples du populaire et les loisirs guindés des classes bourgeoises qui se retrouvent dans le bal donné par Mareuil pendant lequel les deux futurs amants vont se trouver. Cette volonté de dépaysement permet à Guy Lefranc d’opposer la province et ses charmes simples à Paris et sa sophistication frelatée. C’est filmé proprement, la photo est bonne, trouvant des angles intéressant de prises de vue, comme ces scènes avec des miroirs qui montrent que Lefranc connaissait la grammaire du film noir de la période classique. Parfois les dialogues, dus à Audiard, dérapent avec cette manie de faire répéter à Louis Jouvet le mot bizarre comme dans Drôle de drame de Marcel Carné. Mais Audiard n’a jamais été connu pour sa subtilité. Il est vrai aussi que la description des bourgeois frise très souvent la caricature. 

Une histoire d’amour, Guy Lefranc, 1951

Au Touquet Jean et Catherine oublient leurs soucis 

L’interprétation, c’est d’abord Louis Jouvet dans le rôle d’Ernest Plonche, l’inspecteur qui cherche la vérité, sans l’espoir que cela serve à quelque chose. Ici encore on peut se rendre compte de son immense talent. Il a une capacité étonnante à se servir de son grand corps pour exprimer sa détermination ou sa lassitude, simplement en se penchant en avant ou en se redressant pour dominer les autres de sa taille et imposer son autorité. Un haussement de sourcil, ou alors une manière de répéter le dernier mot de son interlocuteur suffit à modifier le sens d’une scène. Les autres sont moins bien, ils opposent les deux jeunes gens, formés après-guerre et plutôt au cinéma qu’au théâtre, aux autres acteurs qui justement viennent de la scène. Daniel Gélin et Dany Robin ont des rôles difficiles dans la mesure où dans la plupart de leurs scènes il ne se passent pas grand-chose, mais ils s’en tirent assez bien malgré des dialogues assez médiocres. Les autres acteurs cabotinent énormément, ce qui donne un côté un peu vieillot. C’est le cas particulièrement de Georges Chamarat qui interprète le père de Jean. On voit trop qu’il cherche l’effet. Mais encore Yoland Laffon dans le rôle de la mère éplorée de Catherine en fait également des tonnes, et pose sa voix comme on la posait dans les théâtres de province. On peut dire la même chose de Marcel Herrand qui incarne le père acariâtre et sournois de Catherine. Paul Barge dans le rôle du commissaire Constant est nettement mieux, beaucoup plus naturel. Renée Passeur dans le rôle de la concubine de Bompart fait un numéro qui est sans doute inspiré par Arletty, peut-être qu’Audiard l’avait-il écrit pour cette actrice qui pratiquant la collaboration horizontale, restait un peu ostracisée. Audiard, pourtant lui aussi antisémite et proche des milieux collaborationnistes, avait échappé à l’épuration. 

Une histoire d’amour, Guy Lefranc, 1951

L’inspecteur règle ses comptes avec les parents 

Malgré ces réserves, c’est un très bon film, attachant, qui confirme le talent de Guy Lefranc qui fut autre chose aussi qu’un auteur de comédies, véhicules pour des comiques comme Fernand Raynaud. Il y a du savoir-faire, le plan d’ouverture qui voit deux hirondelles traverser une sorte de casse pour automobiles, est excellent et donne le ton, en même temps qu’il ouvre la porte sur un passé qui n’est plus. 

Une histoire d’amour, Guy Lefranc, 1951

La voyante leur promet un grand bonheur



[1] http://alexandreclement.eklablog.com/la-moucharde-guy-lefranc-1958-a158447328

[2] http://alexandreclement.eklablog.com/quai-des-orfevres-henri-georges-clouzot-1947-a208506194

[3] http://alexandreclement.eklablog.com/mr-arkadin-confidential-report-orson-welles-1955-a125245928

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