•  Le visage volé, Stolen Face, Terence Fisher, 1952

    Le thème du changement de visage revient périodiquement dans le film noir. On le trouve dans le célèbre film de Delmer Daves , Dark Passage en 1947[1], puis dans Les yeux sans visage de Georges Franju en 1960[2], ou encore Face/Off de John Woo en 1997. Il y a par exemple celui ou celle qui veut volontairement échapper à son identité pour oublier le passé ou se faire oublier, ou celui ou celle qui veut renaitre à la vie. Dans tous les cas il s’agit de changer d’identité. Le médecin qui réalise l’opération est généralement un médecin marron, ou alors il a la volonté de plier la réalité à ses désirs. Le scénario de Stolen Face est dû à l’obscur Martin Berkeley qui est surtout connu dans l’histoire d’Hollywood pour être celui qui a dénoncé le plus de personnes devant l’HUAC qui l’a désigné comme « témoin amical » numéro 1. Il aurait donné près de deux cents, un stakhanoviste de la délation.  Cet ancien du parti communiste américain a tellement donné de noms, très souvent fantaisistes d’ailleurs comme celui de Lauren Bacall, que les agents du FBI l’ont calmé en lui disant qu’il en faisait trop et donc qu’il allait perdre toute crédibilité. Je ne me souviens plus très bien des détails, mais il se pourrait qu’il ait aussi balancé Paul Henreid, vedette du film, qui a été banni des studios ! On pourrait voir un rapport entre la vie de Martin Berkeley et la double face de l’actrice Elizabeth Scott qui incarne une femme cultivée, élégante, et en même temps une violente criminelle qu’il est impossible d’amender en traitant avec bienveillance. Il serait d’ailleurs intéressant d’enquêter sur la manière dont ce scénario est arrivé en Angleterre pour devenir un film de la Hammer. Ce film s’est monté grâce à Lippert qui amenait les acteurs du côté américain pour utiliser les fonds bloqués en Angleterre qui devaient être réinvestis. Il est donc possible qu’il ait amené aussi le scénario. Quoi qu’il en soit c’est Terence Fisher qui le réalisera. On va voir qu’ici il est intéressé par ce médecin qui se veut une sorte de démiurge, un peu comme le docteur Frankenstein dont il illustrera plus tard le parcours dans une version gothique.   

    Le visage volé, Stolen Face, Terence Fisher, 1952 

    Ritter doit opérer le visage de Lily Conover qui a été défigurée dans un accident 

    Le docteur Ritter est un chirurgien célèbre qui répare les outrages du temps, ou les accidents qui ont défiguré ses patients. Il possède cependant une sorte d’éthique et il refusera d’opérer une femme un peu mure qui cherche à se donner l’allure de la jeunesse. Mais par contre il croit que le physique est déterminant de ce qu’est le caractère. Il va donc décider d’opérer une délinquante emprisonnée, Lily Conover, qui doit sortir bientôt, mais qui a été défigurée dans un accident. Le directeur de la prison le met en garde, pensant qu’un délinquant sera toujours un délinquant. Avant cette opération, il rencontre une grande pianiste classique, Alice Brent, dont il tombe amoureux. Il passe quelques jours avec elle. Mais elle s’enfuit. En vérité elle a promis de se marier avec David qui est aussi son impresario. Elle en prévient Ritter. Pour lui c’est une grave déconvenue. Il va se consacrer à Lily. Il prépare son opération d’une manière minutieuse. Cela réussit, mais Lily a maintenant le visage d’Alice Brent ! Très content de lui, il décide de l’épouser. Mais rapidement le couple ne partage pas les mêmes centres d’intérêt. Lily s’ennuie à l’écoute de la musique classique, elle aime bien faire la fête. Elle va retrouver ses anciens amis, semble renouer avec un ancien amant, Pete. 

    Le visage volé, Stolen Face, Terence Fisher, 1952

    A l’hôtel il fait la connaissance de la pianiste célèbre Alice Brent 

    Mais le plus grave est qu’elle se met à voler dans les magasins de luxe. C’est d’abord une broche coûteuse, comme Ritter est une sorte de notable, la police passe l’éponge. Elle vole ensuite un manteau de fourrure, ce qui conduit Lily à accuser Ritter de l’avoir faite selon une image et de vouloir la contrôler. Cependant, David qui a compris qu’Alice en aimait un autre, grand seigneur, renonce à l’épouser. Elle termine sa tournée et tente de revoir Ritter. Celui-ci lui apprend qu’il est marié maintenant et lui raconte qu’il a reconstitué le visage de Lily à l’image de celui d’Alice. De son côté Lily qui a aperçu Alice, est très en colère quand elle apprend la vérité. Elle fait la vie à Ritter, organise des fêtes ruineuses chez lui, se met à boire. Le chirurgien doit cependant se rendre à Plymouth en chemin de fer, sa femme l’accompagne, mais Alice qui le croit en danger va le rejoindre sur la ligne. Lily qui boit de plus en plus va finalement provoquer un accident, elle tombe du train, et enfin on comprend qu’Alice et Ritter pourront se retrouver. 

    Le visage volé, Stolen Face, Terence Fisher, 1952

    Alice n’ose pas dire à son fiancé qu’elle en aime un autre 

    Ce film est rarement compris, c’est-à-dire qu’on s’attarde plus au déroulement de l’histoire qui est assez invraisemblable, qu’à sa signification. Le centre de cette intrigue est la folie démiurgique de Ritter. En effet, sa passion amoureuse pour Alice Brent se trouvant contrariée, il va la recréer. C’est d’ailleurs le thème qu’on retrouvera dans Vertigo d’Hitchcock en 1958. Sauf qu’ici l’être aimé n’est pas décédé, et que la personne à modeler est différente de son modèle. Mais la folie de Ritter est la même que celle de Ferguson. Le mythe de Pygmalion est revisité comme dans Vertigo par un point de vue criminel. Certes Lily est une délinquante irréformable, mais c’est moins cet aspect qui importe que le fait que Ritter veuille absolument la reconstruire suivant l’image qu’il se fait de ce que doit être une femme. Ayant été éconduit par Alice, il se rabat sur le second choix, faire d’une voleuse et d’une marginale, une petite bourgeoise accomplie. C’est cette prétention que finalement le film met en scène. Comme la plupart des critiques se sont focalisés sur la dualité Alice-Lily, ils ont assez peu compris que ce dont il s’agissait c’est de la liberté de la femme de choisir son destin et de ne pas se conformer à des rôles plus ou moins bien écrits pour elle. Il est possible que ce sujet serait mieux compris aujourd’hui quand on voit par exemple Lily s’ennuyer aux distractions proposées par Ritter.  

    Le visage volé, Stolen Face, Terence Fisher, 1952

    Ritter prend les mesures du visage de Lily 

    Lily est une voleuse, kleptomane. Or bien que Ritter cherche à l’amener à consulter un psychiatre pour se guérir de sa maladie, cet aspect n’est pas analysé. Dans de nombreux films noirs, par exemple Marnie d’Hitchcock[3], ce travers est analysé comme le résultat d’un traumatisme ancien et non comme un vice inhérent à la personne humaine. Or Lily est décrite comme une délinquante de profession, et non comme une traumatisée de la vie. L’erreur scénaristique principale réside dans le fait qu’elle est intrinsèquement mauvaise. C’est à peine si on s’interroge sur l’ambiguïté du projet de Ritter. Ferguson dans Vertigo était tout de même décrit comme un malade mental. Ici le docteur Ritter est seulement un homme qui se meurt de chagrin et qui cherche une solution en se forçant à transformer Lily en ce qu’elle ne sera jamais. Mais au lieu de questionner le personnage du chirurgien, le scénariste verse dans l’idée que Lily est née mauvaise. Cela aurait pu aller un peu plus loin si par exemple le film avait poursuivi cette idée selon laquelle Lily veut se débarrasser de la dette qu’elle a contractée avec Ritter. Elle le dit, mais cela est noyé, or évidemment si on approfondit la question, on comprend que la domination de Ritter sur Lily est construite sur la culpabilité de celle-ci. La paresse du scénariste le fait verser dans un manichéisme de mauvaise facture. 

    Le visage volé, Stolen Face, Terence Fisher, 1952 

    Les préparatifs de l’opération sont longs 

    Il y a cependant un autre message sous-jacent qui sera repris par Terence Fisher dans ses films gothiques : c’est celui de l’opposition entre l’artiste et la science. En effet, Ritter se croit le plus fort au point de se croire capable de transformer les âmes. C’est ce qu’il dit au directeur de prison. Or Alice est une artiste, et on ne peut pas la dupliquer dans le corps de Lily ! Cela marque les limites de la science comme projet de domination sur la vie. Ce qui manque à Ritter c’est la conscience de ce qu’il est : science sans conscience n’est que ruine de l’âme. Si à la fin c’est bien Alice qui gagne, c’est parce que les artistes sont supérieurs ou meilleurs que les scientifiques qui manquent de sensibilité, trop froids pour comprendre les âmes.  

    Le visage volé, Stolen Face, Terence Fisher, 1952

    Enfin il peut montrer à Lily le résultat de l’opération 

    L’histoire est aussi évidemment celle d’un trio. Ou plutôt d’un double trio. D’un côté Alice-Ritter-Lily. Et de l’autre Ritter-Alice-David. Lily est la victime des fausses promesses de Ritter, David est celle des fausses promesses d’Alice. La première réagit violemment, elle perd les pédales et s’en prend à Ritter. Le second est un gentleman qui admet sa défaite et qui ne veut pas forcer les choses. Cette asymétrie est une asymétrie de classe. Ritter, Alice ou David sont des représentants des classes supérieures, ils ont les moyens de leur chagrin ! Ritter est protéger par son statut de grand chirurgien, on le voit quand, à cause de Lily, il est confronté à la police. Tout est fait pour qu’il n’ait pas d’ennui. Lily au contraire risque tout dès qu’elle fait un écart. Lily est donc la pièce rapportée, elle est d’un autre monde. On le voit à ses amis, à la musique qu’elle écoute et qui déplait à Ritter. Tout cela n’est ni très charitable, ni très moral du point de vue de la morale ordinaire. Le titre est Stolen Face, soit le visage volé. Un titre qui en dit plus sur le fond de l’histoire, et le voleur c’est bien le docteur Ritter. Il vole aussi bien le visage d’Alice qu’il vole l’âme de Lily. 

    Le visage volé, Stolen Face, Terence Fisher, 1952

    La police vient voir Ritter pour le vol d’une broche 

    Sans être extraordinaire, la réalisation est plutôt bonne. Certes c’est un film sans trop de moyens, et donc il y a une multiplication des gros plans. Mais dès qu’il le peut, Fisher revient vers des plans d’ensemble, aussi bien quand Alice enflamme l’auberge où elle est descendue en jouant du piano, que quand Lily entraine Ritter dans un cabaret où on peut danser sur une musique de jazz. L’arrestation de Lily qui vient de voler un manteau de fourrure est filmée en extérieur avec une belle profondeur de champ. La poursuite du train par Alice est aussi bien rythmée, et la mort de Lily qui tombe du train est parfaitement angoissante. La photographie donne du relief à l’ensemble, les contrastes du noir et blanc sont bien maitrisés. 

    Le visage volé, Stolen Face, Terence Fisher, 1952

    L’inspecteur des magasins arrête Lily qui a volé un manteau de fourrure 

    Paul Henreid est le pivot d’une distribution assez discutable, il est de bout en bout à l’écran. Dans le rôle de Ritter il reste cependant un peu triste, et c’est vrai qu’il a beaucoup vieilli depuis Casablanca. Assez peu séducteur, on se demande comment la belle Alice peut tomber amoureuse de lui ! Il est assez mou, peu réactif face à Lily qui le provoque en permanence. Lizabeth Scott tient les deux rôles, Alice et Lily, mais on ne voit pas trop de différence entre les deux ! Elle a l’air assez indifférente, manifestant très peu d’émotion, même quand elle est danger. Comme Henreid, elle se trouvait en disgrâce à Hollywood. Mais enfin elle a de la présence. Le trio est complété par le toujours très bon André Morell dans le rôle de David, celui qui’ s’efface avec élégance de la vie d’Alice. 

    Le visage volé, Stolen Face, Terence Fisher, 1952

    Alice revient voir Ritter après sa tournée 

    Le reste de la distribution est typiquement britannique. Mary Mackenzie qui interprète Lily avant son opération est tout à fait intéressante, même si par nature son rôle est assez bref. Et puis nous avons dans un rôle assez secondaire John Wood qui incarne l’assistant dévoué du professeur Ritter. Il est assez compassé, mais c’est ce qui convient tout à fait à un personnage qui passe son temps à mettre en garde le professeur contre ses tocades, lui demandant de s’abriter derrière un conformisme de classe. Le film est un peu court, à peine un heure quatorze, on aurait aimé que le milieu d’origine de Lily, notamment le fameux Pete avec qui elle semble avoir une liaison extra-conjugale, soit un peu plus développé. 

    Le visage volé, Stolen Face, Terence Fisher, 1952

    Lily a donné une fête chez Ritter 

    Le film a été un succès commercial, mais très critiqué par la presse spécialisée. Ce film doit être réhabilité. Essentiellement parce qu’à l’époque on s’est attardé seulement au message immédiat et explicite, oubliant trop souvent ce que les images donnaient à voir au-delà de la leçon de morale ordinaire. Il est d’autant plus intéressant qu’il annonce l’orientation future de Terence Fisher vers le film gothique qui remettra en question les apports de la science et de son arrogance. 

    Le visage volé, Stolen Face, Terence Fisher, 1952

    Lily a compris que son mari s’est inspiré d’Alice pour refaire son visage 

    Le visage volé, Stolen Face, Terence Fisher, 1952 

    Lily complètement ivre tombe du train


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/les-passagers-de-la-nuit-dark-passage-delmer-daves-1947-a125685028

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/les-yeux-sans-visage-georges-franju-1960-a128163102

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/pas-de-printemps-pour-marnie-marnie-alfred-hitchcock-1964-a125901776

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  • Libre, Mélanie Laurent, 2024

    Bruno Sulak est une légende du banditisme des années quatre-vingt. Principalement parce que contrairement à beaucoup de grands bandits, il n’opère pas en bande et cambriole ou casse à la manière des gentlemen. Sa légende est aussi renforcée par le fait qu’il s’est évadé plusieurs fois, mais que lors de sa dernière évasion, il a probablement été assassiné par les gardiens de la prison qui l’auraient jeté en bas du mur qu’il tentait de franchir après l’avoir battu à mort. C’est la thèse qui courait lors de son décès alors qu’il n’avait pas encore atteint l’âge de trente ans. Deux livres lui ont été consacrés, le premier est un livre de souvenir de sa sœur Pauline, un livre que j’avais trouvé juste et émouvant[1], et puis un autre de Philippe Jaenada, spécialiste des chroniques judiciaires du temps passé et qui se pose souvent comme voulant corriger les erreurs passées de la justice[2]. Il est a noté que Pauline était d’emblée hostile à cette évocation filmique des actes de son propre frère. 

    Libre, Mélanie Laurent, 2024 

    Avant d’être un bandit de grande classe, Bruno Sulak avait été légionnaire, comme son père, et c’est à cette occasion qu’il devint champion du monde de parachutisme en chute libre. Mais la légion il la quittera volontairement – il sera donc déserteur – en 1978 ne voulant pas partir sur Kolwezi. C’est à ce moment-là, exactement, qu’il commencera une carrière de braqueur.    

    C’est un personnage de légende, bien plus que Jacques Mesrine, même s’il est beaucoup moins connu. Et bien sûr la grande difficulté, comme pour tous les biopics, est de tirer de son parcours une histoire à la fois juste et emballante. Ensuite, il faut trouver un acteur capable de l’incarner avec modestie et dignité. Le titre du film de Mélanie Laurent est Libre. Et au fond c’est assez juste, parce que ce qui est attirant dans le parcours de ces grands voyous, c’est justement de se mettre en dehors des règles édictées par la société et de vivre avec sa propre morale. Le film a été acheté Prime Amazon et donc ne sera pas distribué en salles. Il est à peu près certain que de cette manière il sera beaucoup plus vu sur la plateforme que s’il avait suivi une diffusion normale. Mais d’un point de vue artistique on prend beaucoup moins au sérieux ces films diffusés de cette manière. 

    Libre, Mélanie Laurent, 2024 

    Avec sa femme Anne, et ses amis Drago et Patrick, Bruno Sulak écume les supermarchés du sud de la France. C’est le policier Georges Moréas qui est chargé de le poursuivre. Mais il est difficilement localisable, se cachant dans l’arrière-pays. Bientôt ayant épuisé les braquages de supermarchés, ils vont s’attaquer aux bijouteries de Luxe. Entre temps, Bruno s’est acoquiné avec Steve, un bandit yougoslave. Mais bientôt Bruno va être arrêté par l’équipe de Moréas, et pour éviter qu’Anne soit condamnée, il va avouer ses braquages, sans donner ses amis. Mais Bruno n’aime pas la prison, il va s’évader et retrouver ses vieilles pratiques de grand bandit. Il se débrouille également pour narguer un peu Moréas qui ne peut pourtant pas cacher l’admiration qu’il a pour lui. Après son évasion, et avec son ami Steve, il va retourner en prison, mais cette fois pour faire évader Jean-Louis qu’il avait connu en prison et qui n’était pas arrivé à le suivre. 

    Libre, Mélanie Laurent, 2024 

    Bruno Sulak et ses amis braquent les supermarchés 

    Les braquages de bijouterie reprennent, et Bruno nargue toujours autant Moréas. Alors que celui-ci avait promis de le rencontrer sans dispositif pour le coincer, il trahit sa parole, mais Bruno déjoue le piège. Les casses de bijouteries ont maintenant rapporté suffisamment. Et après un séjour aux Etats-Unis pour se faire oublier, Bruno revient en France pour retrouver Anne qui doit pointer régulièrement au commissariat suite à sa condamnation. Anne en a un peu assez de cette vie. Elle voudrait s’éloigner de tout ça. Bruno tergiverse, mais il pense lui aussi à se ranger. Cependant, il va être repéré et arrêté au passage de la frontière italienne, sans doute à cause de ses faux papiers. Il va retourner en prison, condamné à neuf ans de détention. Moréas vient le voir et lui annonce qu’il a quitté la police, dans la foulée il lui demande de faire son temps et qu’ensuite, étant jeune encore il pourra refaire sa vie. Anne est effondrée. Steve va tenter de faire évader Bruno, mais il va être descendu avant dans un obscur règlement de compte qui implique la police. Bruno va donc soudoyer le sous-directeur de la prison pour tenter de s’évader à nouveau. Il n’y arrivera pas, repéré par des gardiens, il sera battu à mort et défénestré.   

    Libre, Mélanie Laurent, 2024 

    Ils sont maintenant passés à l’attaque des bijouteries 

    Il est assez peu courant de voir que le scénario écrit par Christophe Deslandes et Mélanie Laurent elle-même prenne position en accusant les gardiens de prison d’avoir assassiné Bruno Sulak. Certes la scène du meurtre est édulcorée, faisant passer cela pour un accident, mais il n’en demeure pas moins que les gardiens de prison sont accusés, la justice ne le reconnaitra pas et les blanchira. Georges Moréas lui-même avalera la thèse des matons, sans amener une preuve convaincante de ce qu’il avance, notamment que les gardiens l’auraient retenu par son blouson pour qu’il ne tombe pas, mais que le vêtement aurait craqué, comme il n’y était pas, on peut douter de ce qu’il raconte[3] ! La saga de Bruno Sulak est assez bien représentée, contrairement à ce que dit Moréas sur son blog, mais forcément simplifiée pour des raisons de cinéma. On peut déplorer d’avoir monté en épingle une relation presque d’amitié entre Moréas et Bruno Sulak, bien que le policier se soit toujours gardé de dire du mal de Bruno Sulak dans ses mémoires. Mais c’est une convention, ou encore un clin d’œil à la scène de la rencontre Neil McCauley et Vincent Hanna dans Heat, le film célèbre de Michael Mann. Mais dans l’ensemble le scénario ne pose pas de problème particulier.    

    Libre, Mélanie Laurent, 2024 

    Bruno Sulak s’évade de prison 

    C’est donc le portrait d’un héros romantique épris de liberté et de droiture. Il est fidèle à ses amis et fidèle à sa femme. C’est donc une ode à l’amour et à l’amitié, la profession de ce gang n’était qu’un élément qui renforce ce propos. On remarque que tous ces protagonistes sont fiables. Et on verra Anne participer aux braquages avec courage en conduisant la voiture qui doit enlever le gang une fois ses forfaits commis. Il y a dans cette démarche, plutôt marginale dans le milieu, une forme de retour à l’enfance dans cette volonté de vivre l’instant sans se soucier des lendemains, et de faire un pied de nez aux règles communément admises aussi bien par les institutions que par le milieu lui-même où tout fonctionne dans un rapport de force permanent et une hiérarchie plus ou moins fluctuante. 

    Libre, Mélanie Laurent, 2024 

    Avec son ami Steve il rencontre Moréas 

    Une des idées de ce film, c’est de resituer l’histoire dans les années quatre-vingts. À cette époque il y a encore des liquidités qui circulent, notamment dans les supermarchés, et avec un peu d’astuce et de courage on peut s’en emparer. Bruno Sulak en bon militaire rigoureux minute les coups afin d’éviter de se faire piéger. À cette époque on a beaucoup d’équipes qui fonctionnent comme ça, s’attaquant aux banques, aux supermarchés ou aux bijouteries. L’originalité de Sulak est de réaliser ses coups en plein jours, augmentant le risque de se faire prendre bien entendu. On verra donc des enseignes des supermarchés disparus, Mammouth, Euromarché et évidemment des voitures plus ou moins d’époque.

    Libre, Mélanie Laurent, 2024  

    Ils sont venus faire sortir de prison Jean-Louis 

    Tout cela est intéressant, malheureusement la réalisation n’est pas vraiment à la hauteur. À travers un montage très serré, c’est filmé en très gros plans, comme à la télévision, ça manque de respiration et d’espace. Il n’y a pas beaucoup de mouvements de caméra, et ça nuit au rythme propre de l’histoire. Est-ce un manque de moyens ? Si dans la première partie du film c’est assez mou, la deuxième partie est plus enlevée. Mon sentiment est que le découpage n’a pas été suffisamment travaillé et les enchainements sont assez laborieux. La scène d’évasion de Bruno et Jean-Louis, visiblement inspirée de la scène d’ouverture du Deuxième souffle de Melville, si elle est intéressante, se perd dans des défauts de cadrage trop évidents. Les scènes d’amour entre Anne et Bruno sont sans doute aussi un peu trop appuyées et laborieuses. Mais la façon dont Sulak fait sortir de prison Jean-Louis, c’est bien enlevé.

    Libre, Mélanie Laurent, 2024  

    Au tribunal Annie sera relativement épargnée 

    En ce qui concerne la distribution, ce n’est pas mal. Bruno Sulak est incarné par Lucas Bravo à la carrure athlétique et au sourire plutôt convaincant. C’est un acteur, fils d’un footballeur renommé, Daniel Bravo, qu’on a assez peu vu à l’écran, mais ici il se fait agréablement remarquer. Il forme un joli couple avec Lea Luce Busato dans le rôle d’Annie, avec un beau sourire, mais qui tient son rang. Yvan Attal qui a beaucoup vieilli joue Georges Moréas avec assez peu de conviction tout de même. Dans le rôle de Steve, Radivoje Bukvic est par contre très bon, on aimerait le voir plus souvent. Slimane Dazi dans le rôle du mélancolique Jean-Louis qui se morfond en prison est aussi très bien 

    Libre, Mélanie Laurent, 2024 

    Moréas qui a démissionné de la police vient voir Bruno en prison 

    Au final, et principalement à cause des manques technique de la réalisation, cette formidable histoire m’a laissé sur ma faim. Bruno Sulak méritait beaucoup mieux. Comme je l’ai dit plus haut, Moréas a critiqué ce film, mais selon moi pour de mauvaises raisons, sans apporter grand-chose.   

    Libre, Mélanie Laurent, 2024 

    Les gardiens rattrapent Bruno en train de s’évader  

    Libre, Mélanie Laurent, 2024

    Il sera défenestré


    [1] Pauline Sulak, Bruno Sulak, Carrère, 1985. Sous le nom de Pauline Belmihoub, elle publiera Bruno Sulak - l'ami public n 1 aux éditions Mélanges en 2007. Ce dernier ouvrage je ne suis pas arrivé à me le procurer, il semble que ce soit une version augmentée du premier.

    [2] Philippe Jaenada, Sulak, 2013.

    [3] https://www.lemonde.fr/blog/moreas/tag/lea-luce-busato/

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  • Mathieu Delaporte & Alexandre de La Patellière, Le comte de Monte Cristo, 2024.

    J’ai mis beaucoup de temps pour regarder ce film, j’avais comme un a priori, l’acteur possède un physique qui ne me plait pas, cette version est la vingt-quatrième au cinéma, et on compte aussi une bonne douzaine d’adaptations pour la télévision, la dernière est italienne et date de 2024, comme le film de Delaporte et de La Patellière qui a connu un succès énorme. Même Depardieu, grand amateur de biopics moisies, a interprété le Comte de Monte Cristo pour la télévision.  C’est dire si c’est bien peu original. Je me suis donc obligé à regarder ce film, histoire au moins de comprendre quels ont été les ingrédients de son triomphe, car il ne suffit pas d’adapter un grand roman pour en faire automatiquement un succès, l’échec récent de l’adaptation des Trois mousquetaires, autre roman célèbre d’Alexandre Dumas, par Mathieu Bourboulon est là pour le vérifier. Le roman d’Alexandre Dumas, sans doute l’un de ses meilleurs, est arrivé à toucher le public du monde entier, est presque aussi célèbre que Les Misérables de Victor Hugo qui compte 38 adaptations cinématographiques et une douzaine d’adaptations télévisuelles, plus quelques comédies musicales, sans parler des pièces de théâtres. Que ce soit dans le cas du Comte de Monte Cristo, ou dans celui des Misérables, les adaptations sont internationales, étatsuniennes, italiennes, russes ou encore en langue espagnole. On notera que ce genre d’entreprise ressort aujourd’hui plutôt de l’esprit de système. Ce sont en effet les mêmes Chapter 2 et Pathé, qui ont produit Les trois mousquetaires de Mathieu Bourboulon Le comte de Monte Cristo, et ce sont dans les deux cas Mathieu Delaporte et Alexandre de La Patellière qui en ont conçu le scénario. L’idée est de ne pas prendre de risque en écrivant un scénario original, mais de vampiriser une œuvre très connue qui a fait ses preuves dans le commerce des images animées. L’énorme succès du Comte de Monte Cristo compensera et au-delà le bouillon des Trois mousquetaires. L’histoire du Comte de Monte Cristo est une superbe histoire de vengeance, de souffrance et de mort. Un jeune marin marseillais, promis à un avenir brillant, va devoir faire face à une coalition de jaloux qui pour des raisons diverses veulent sa peau. Ayant échappé à leur vindicte, il mettra en place une vengeance diabolique. 

    Mathieu Delaporte & Alexandre de La Patellière, Le comte de Monte Cristo, 2024. 

    Je ne vais pas résumer l’intrigue du film, tout le monde la connait. Ce qui frappe dans cette énième mouture, c’est que les scénaristes qui sont aussi les réalisateurs, se pensent plus malins qu’Alexandre Dumas et corrige son histoire sans vergogne. Je ne vais pas faire la liste de toutes ces « corrections » toutes plus inutiles les unes que les autres, on y passerait la nuit. Il y en a plusieurs majeures cependant. D’abord le cadre marseillais de l’histoire, ce qui lui donnait son cachet, n’est pas respecté. Et donc alors que Mercédès dans le roman vit sa vie essentiellement à Marseille, on la voit dans un immense château, puis galoper dans une plaine qui ne ressemble en rien à la Provence ou aux abords de Marseille. Ensuite tous le contexte historique et politique de l’histoire est complètement gommé, or c’est bien celui-ci qui explique l’opportunité que les conspirateurs saisissent pour se débarrasser d’Edmond Dantès. Également à la fin quand Edmond Dantès repart sur son bateau, dans le roman c’est un départ sans retour, alors que le film reste ouvert sur la possibilité qu’Edmond Dantès et Mercédès se retrouvent un jour. Or la logique veut qu’Edmond Dantès en vérité ne peut pas admettre la trahison de Mercédès. C’est une faute de sens, parce que si elle n’est pas l’instigatrice de la trahison, elle s’est rabaissée à ses yeux en épousant Morcerf. 

    Mathieu Delaporte & Alexandre de La Patellière, Le comte de Monte Cristo, 2024.

    Edmond Dantès a retrouvé Mercédès et galope avec elle dans la campagne 

    C’est un film cher pour une production française, 39 millions d’euros, et une grande partie du budget est passé dans les reconstitutions luxueuses et le dépaysement du tournage dans des tas de lieux divers et variés, un peu partout en France et aussi à Malte et en Espagne. Malgré ces moyens colossaux, les réalisateurs se découvrent incapables d’utiliser correctement le Château d’If qui est pourtant par son décor unique la clé de toute l’histoire. C’est en effet en s’évadant astucieusement de son cachot que Dantès va changer radicalement de monde et de caractère. Ici c’est à peine si Dantès fait un plongeon un peu hardi dans la Méditerranée. Pour la demeure du Comte de Monte Cristo, on a choisi un château très propret, mais modifié bêtement par des effets numériques superflus, ce qui fait que du coup le château est vidé de son caractère singulier et ressemble presque à un cauchemar d’architecte moderne. 

    Mathieu Delaporte & Alexandre de La Patellière, Le comte de Monte Cristo, 2024.

    Le jour de son mariage, Edmond Dantès est arrêté 

    Le roman est un gros roman, il se passe énormément de choses, mais ici malgré les simplifications, ça traine en longueur, le film dure près de trois heures, et à mon sens il y a une bonne heure de trop. Ce qui nous entraine vers un rythme lent et languissant. Paresseusement, le scénario joue d’ellipses incongrues, marquées par des cartons qui nous disent, dix ans après ou un an plus tard. Le rythme n’est pas bon, les personnages secondaires apparaissent et disparaissent intempestivement, sans qu’on sache d’où ils viennent, ni où ils vont. On ne comprend pas non plus pourquoi le Comte de Monte Cristo a pris Haydée sous son aile.  

    Mathieu Delaporte & Alexandre de La Patellière, Le comte de Monte Cristo, 2024. 

    Edmond Dantès passera des années seul dans sa cellule du Château d’If 

    Le film est saturé d’anachronismes. Déjà voir une partie de poker dans la première partie du XIXème siècle est plutôt curieux, meme si on sait que ce jeu a été introduit vers cette époque. Mais plus encore les dialogues sont bien trop modernes, trop peu policés pour nous faire croire que nous sommes dans les années 1810-1830 dans un milieu d’aristocrates et de riches parvenus. C’est aggravé par le choix des acteurs dont la voix et la diction est assez insupportable, mais surtout dont le physique est complètement anachronique, je pense notamment au malheureux Vassili Schneider qui incarne avec des petites bouclettes un jeune précieux qui ressemble à un étudiant de Sciences Po ! Sur le plan technique, c’est très mauvais, avec des cadres aléatoires qui font entrer et sortir les protagonistes de l’image d’une manière plutôt bizarre. La photo est assez laide, mais cela est aggravé encore par les mouvements de caméra à contretemps ou parfois par l’utilisation de la grue qui permet de saisir l’action depuis le plafond ! 

    Mathieu Delaporte & Alexandre de La Patellière, Le comte de Monte Cristo, 2024. 

    Avant de mourir l’abbé Faria va lui indiquer comment récupérer son trésor 

    Les réalisateurs ne maitrisent pas la grammaire du cinéma, alors ils tentent des mouvements de caméra, ou des effets de montage sans trop savoir quand on doit faire un plan large ou un plan rapproché. Outre l’effondrement technique de la réalisation, on remarque que les acteurs sont outrancièrement maquillés, je passe sur les fausses barbes et les perruques qui semblent vouloir se décoller à tout moment ! 

    Mathieu Delaporte & Alexandre de La Patellière, Le comte de Monte Cristo, 2024. 

    De retour en France, le comte de Monte Cristo réunit autour de lui ceux qui l’ont fait souffrir 

    Les acteurs sont presque tous mauvais, à commencer par Pierre Niney qui incarne Edmond Dantès et qui semble être atteint d’un zona de la face. Il parait que c’est l’acteur le plus doué de sa génération ! Il est doté d’un physique assez peu avantageux, mais surtout il est assez inexpressif, comme s’il avait des difficultés d’élocution. Anaïs Demoustier est Mercédès. Elle est complètement sinistre, maquillée à la truelle pour masquer ses boutons, elle parait être la mère de ce malheureux Edmond Dantès et non sa promise. Si Laurent Laffitte s’en tire à peu près dans le rôle de Villefort, l’interprétation de Bastien Bouillon dans le rôle de Morcerf est catastrophique et outrancière, avec ou sans perruque. 

    Mathieu Delaporte & Alexandre de La Patellière, Le comte de Monte Cristo, 2024.

    André de Villefort dénonce son père en plein tribunal 

    Je me suis infligé ce pensum pour tenter de comprendre l’engouement du public pour cette fantaisie, j’ai clairement échoué. Je n’ai pas compris comment ce film a pu obtenir autant de bonnes critiques et pourquoi le public l’a applaudi, alors que manifestement Les trois mousquetaires produit par les mêmes personnes et suivant le même schéma a été relativement boudé. Je trouve ce produit plutôt laid, sans grâce. Ma diatribe passera évidemment inaperçue et n’entravera pas la marche en avant de ce succès. Je me souviens que dans ma jeunesse on critiquait vertement les films de cape et d’épée d’André Hunebelle qui faisaient des millions d’entrées. En 1955, ce cinéaste très oublié aujourd’hui avait réalisé lui aussi un Comte de Monte Cristo, avec une grande vedette de l’époque, Jean Marais. La critique n’était pas tendre avec ce film, disant que c’était du simple commerce, au mieux un spectacle pour les enfants. Mais je ne vois vraiment pas ce que le film de Delaporte et de La Patellière possède de plus, à mon sens il est moins bon parce que trop prétentieux. 

    Mathieu Delaporte & Alexandre de La Patellière, Le comte de Monte Cristo, 2024.

    Albert de Morcerf a provoqué le comte en duel 

    Comme je l’ai dit en commençant ce petit billet d’humeur, il y a bien d’autres adaptations de ce magnifique ouvrage d’Alexandre Dumas. Si on peut se passer facilement de la série avec Depardieu qui est franchement laide, on peut toujours voir celle de Claude Autant-Lara tourné en 1961 avec l’excellent Louis Jourdan dans le rôle d’Edmond Dantès et la superbe Yvonne Furneaux dans celui de Mercédès.  

    Mathieu Delaporte & Alexandre de La Patellière, Le comte de Monte Cristo, 2024. 

    Un duel s’engage entre Morcerf et Edmond Dantès

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  •  Pendulum, George Shaefer, 1969

    Pendulum est un film néo-noir qui annonce en quelque sorte la vague des poliziotteschi qui va déferler sur l’Italie bientôt. En effet, on retrouve, dans une Amérique qui doute, la contradiction entre la loi et la justice, l’impuissance des policiers, mais aussi la décomposition des liens familiaux. Le scénariste, Stanley Niss, et le réalisateur, viennent tous les deux de la télévision, ce qui veut dire qu’ils sont habitués à travailler vite, avec peu de moyens. Mais les gens qui ont l’habitude de travailler pour la télévision, à cette époque ont une capacité intéressante à gérer les décors urbains, les équipes mobiles. Cela va donner un style parfaitement reconnaissable à ces films néo-noir qui depuis le milieu des années soixante-dix se frayent un chemin à parlant directement aux spectateurs, à travers une œuvre de fiction, des problèmes de la vie moderne. George Schaefer est connu pour seulement trois films, Pendulum, Doctors’ Wifes avec Dyan Cannon et Gene Hackma, et An Enemy of the People, un des tous derniers films de Steve McQueen, d’après une pièce bien connue d’Henrik Ibsen, un film très engagé qui n’aura pas du tout de succès.

    Pendulum, George Shaefer, 1969 

    Mathews a été décoré pour avoir arrêté l’assassin et violeur Paul Sanderson 

    Frank Mathews est un policier qui est fêté pour avoir arrêté un assassin et un violeur, auteur de plusieurs crimes, Paul Sanderson. Le chef de la police lui remet une décoration. Sa femme est venue en retard pour le féliciter. Frank soupçonne sa femme de le tromper. Lui-même est surchargé de travail parce qu’il s’est engagé auprès d’un politicien, le sénateur Cole, qui se sert de lui pur sa campagne électorale, se présentant comme un tenant de la fermeté. Mais lors du procès, l’avocat Woodrow King ne discute pas de la culpabilité de Paul Sanderson, il avance que l’arrestation et l’inculpation du violeur ne se sont pas réalisées dans les règles, et donc il demande l’annulation de toutes les preuves. Mathews est écœuré, mais le juge décide de remettre l’assassin en liberté.  Le sénateur veut l’envoyer à Baltimore afin qu’il parle à sa place. L’avocat King qui n’est pas dupe conseille alors à Sanderson de se faire soigner. Mais avant de partir pour Baltimore, Mathews aperçoit sa femme avec un autre politicien de Washington, il n’a plus de doute. A Baltimore, Mathews se demande s’il va prendre le train pour retourner chez lui et prendre son épouse en flagrant délit d’adultère. Cependant Adele et son amant son assassinés au domicile des Mathews. 

    Pendulum, George Shaefer, 1969 

    Mathews soupçonne sa femme de le tromper 

    La police enquête, et deux policiers de Baltimore sont chargés d’apprendre ce double meurtre à Frank et de le ramener à Washington. Les recoupements montrent cependant des contradictions dans ce que raconte Mathews. Le chef de la police est maintenant persuadé que Mathews a tué sa femme et son amant. Voyant que cela tourne mal pour lui, Mathews va s’adjoindre les services de l’avocat King ! Parallèlement le sénateur Cole décide de faire démissionner Mathews, ayant peur pour sa réputation. Mais le chef Hildebrand décide finalement de faire arrêter Mathews, et King conseille d’ailleurs à ce dernier de se rendre. Lorsque ses collègues viennent chez lui pour l’arrêter, Mathews va s’enfuir. En fait il a une idée du vrai coupable. Tandis que la police se lance à la recherche de Mathews, celui-ci va s’introduire chez la mère de Sanderson, une pauvre femme qui essaie de protéger son enfant, mais qui avoue finalement que la nuit du double crime, il n’était pas à la maison. Quand Sanderson arrive, une bataille féroce va s’engager entre Mathews et lui. Sanderson va révéler où il a caché l’arme qui a tué sa femme. Alors qu’il menace de tuer Mathews, c’est la propre mère du violeur qui va l’assommer avec une buche.   

    Pendulum, George Shaefer, 1969 

    Mathews affronte l’avocat de Sanderson 

    Le scénario est sans surprise l’histoire est linéaire, et à vrai dire, il n’y a pas de vrai suspense, même si le réalisateur essaie de nous faire croire que Mathews pourrait avoir été contaminé par la fréquentation du psychopathe Sanderson. L’intérêt est ailleurs. D’abord il y a le contexte social qui est symbolisé par le pendule – d’où le titre Pendulum. Le fait qu’on puisse dédouaner un assassin avéré à cause de vices de procédure, est un sujet qui a passionné les Etats-Unis, avec des affaires emblématiques comme celle proprement ubuesque d’O.J. Simpson qui fut relaxé au pénal mais condamné au civil pour le meurtre en 1994 de sa femme et de son amant. Ce n’est pas seulement que la justice serait trop laxiste envers les délinquants, mais plutôt qu’elle est tellement contradictoire qu’elle devient un terrain de jeu pour les avocats. L’idée est que si avant la police américaine abusait de ses pouvoirs, ce sont aujourd’hui les avocats qui abusent. La justice est malade, mais au fond elle n’est pas plus malade que cette société qui suinte la corruption, les hommes politiques sont peu attentifs au bien public, ils soignent seulement leur image, et l’idéal de la famille est foulé au pied pour des raisons obscures. La femme de Mathews consomme en effet indifféremment des vêtements, des soins esthétiques et des amants ! Dans cette société sans morale, le portrait de la police est sans concession, le chef Hildebrand après avoir applaudi et décoré Mathews veut le jeter en prison pour ne pas avoir de problème avec l’opinion publique. 

    Pendulum, George Shaefer, 1969

    Woodrow King demande à Sanderson de se faire soigner 

    Sanderson est un psychopathe ordinaire, mais il a des excuses, c’est sa mère qui les donnera : elle culpabilise en effet de ne pas avoir sur le garder dans le droit chemin. Dans cette galerie de portrait Mathews est bien seul. Il est droit, même si en effet, il avait songé à surprendre sa femme en flagrant délit d’adultère. Après tout, il n’est qu’un homme, jaloux, il ne comprend pas très bien cette trop grande liberté de mœurs qui a envahi l’Amérique à la fin des années soixante. Notez qu’on n’oserait plus faire un tel portrait d’un officier de police ordinaire, mais honnête, de crainte de passer pour un fieffé réactionnaire. Mais ce n’était pas le cas, et George Peppard lui-même était classé à gauche de l’échiquier politique, un militant des droits civiques. Mathews lui-même s’est laissé embringué dans des histoires de politicaillerie, il le regrettera. 

    Pendulum, George Shaefer, 1969 

    La femme de Mathews et son amant ont été assassinés 

    Dans l’ensemble de ces portraits, il est fait appel à la conscience. On verra ainsi l’avocat King douter d’avoir si bien défendu Sanderson car il pressent qu’il récidivera. Le chef Hildebrand essaiera de faire taire ses doutes, mais ceux-ci ne disparaitront pas, et il comprendra finalement qu’il a eu tort de s’en prendre à Mathews. Les collèges de celui-ci, le lieutenant Smithson et le sergent Thornton, qui aiment bien Mathews tenteront de l’arrêter pourtant, alors qu’ils pensent qu’il n’est pas coupable. Le juge qui élargira lors du second procès le psychopathe Sanderson est lui aussi chargé d’une mauvaise conscience, il le fait savoir, mais il applique bêtement la loi. On voit dans ces moments-là que la loi peut devenir l’ennemi du citoyen, alors qu’elle est censée le protéger. Trop sophistiquée, elle n’est plus lisible et s’oppose finalement à la morale ordinaire. 

    Pendulum, George Shaefer, 1969 

    Le chef de la police soupçonne Mathews 

    Souvent donné comme un procédural, ce n’en est pas un. Les scènes de tribunal sont très brèves et ne sont là que comme décor. Et c’est tant mieux, on a trop vu de ces séances interminables où les deux parties hurlent leurs objections et avancent leurs bons mots. Les scènes les plus importantes sont d’abord le portrait lissé de Mathews en tant qu’homme jaloux qui semble provoquer ce qui lui arrive. Puis les oppositions entre les deux cotés de la justice, et les doutes qui s’ensuivent. Et bien sur le différent qui oppose l’avocat et son client. Mais la mise en scène de George Schaefer trace également portrait de Mathews, un homme seul, abandonné tous, il espionne sa femme, se bat avec Sanderson, bref, il ne se laisse pas abattre, malgré une situation qui ne lui est pas favorable. La réalisation accorde une grande importance à la ville de Washington, une ville tentaculaire qui écrase ses citoyens. L’ensemble est vif, bien rythmé, sans temps mort. Schaefer n’utilise pas de longs plans-séquence et préfère les montages alternés. La bagarre finale entre Sanderson et Mathews est le temps fort du film. Tourné en format 1,85 : 1, la photo soutient bien l’usage que Schaefer veut faire de ses décors urbains. Ce n’est pas une mise en scène brillante, mais elle est  efficace. 

    Pendulum, George Shaefer, 1969

    Mathews va engager King pour le défendre 

    L’interprétation de George Peppard dans le rôle de Mathews est toujours très juste un mélange de nonchalance et de détermination. Les scènes où il montre à sa femme sa jalousie prouve qu’il est un bon acteur très nuancé. Au générique on retrouve Jean Seberg dans le rôle de son épouse volage. Elle est totalement éteinte, elle ne serait pas là ça serait pareil. Elle sourit à contretemps et ne manifeste rien. Il est probable que ce soit la conséquence du harcèlement constant qu’exerçait sur elle le FBI parce qu’elle était très active dans la défense des afro-américains. Certes elle n’a jamais été une grande actrice, mais là, elle est franchement mauvaise. Elle disparait d’ailleurs assez rapidement de l’écran. L’avocat King c’est Richard Kiley, un acteur de théâtre, il tient son rang avec beaucoup de métier. Le psychopathe est joué par un acteur assez peu connu parce qu’il a surtout fait de la télévision. Il est très bon, et sait jouer parfaitement avec son corps pour montrer le mal qui le ronge. Tour à tour misérable et provocateur, lâche et violent, sa petite taille ne l’empêche pas d’être inquiétant. 

    Pendulum, George Shaefer, 1969 

    Ses collègues sont venus pour l’arrêter 

    Hollywood est un vivier de seconds rôles de qualité. A croire que d’être comédien est une seconde nature pour les Américains ! Madeleine Sherwood a assez peu joué au cinéma, mais dans des  films de qualité, elle incarne la mère de Sanderson, elle est très juste, c’est-à-dire qu’elle évite d’en faire trop dans l’épanchement quand elle est confrontée à Mathews, tout en montrant combien elle est déchirée d’avoir engendré un tel monstre. Son physique sinistre ne risque pas de passer inaperçu. On retrouvera Charles McGraw dans le rôle du chef Hildebrand. Figure du film noir classique, il en fait un peu trop, se parodiant sans vergogne. Les deux flics qui viennent arrêter Mathews, sont les excellents Frank Smarth dans le rôle du lieutenant Smithson, et le non moins excellent Dana Elcar dans celui du sergent Thornton. 

    Pendulum, George Shaefer, 1969 

    Mathews s’est introduit dans la maison des Sanderson 

    C’est un bon film noir, avec une dose d’amertume bienvenue, sans être un chef d’œuvre bien entendu. Ce film malheureusement n’est pas disponible sur le marché dans une bonne version DVD ou Blu ray. Des copies acceptables de ce film trainent cependant sur la toile sur You Tube par exemple. 

    Pendulum, George Shaefer, 1969 

    Une bataille à mort s’engage entre Mathews et Sanderson

     

     

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  •  Un cri dans l’ombre, House of Cards, John Guillermin, 1968

    C’est le deuxième film noir que George Peppard tourne en 1958 sous la direction de John Guillermin, après le très solide P.J. du même réalisateur[1]. Rappelons que la collaboration entre Guillermin et Peppard avait donné aussi Blue Max, un curieux film de guerre qui eut un bon succès et qui reste comme une sorte de film culte. Ce film confirme le retour du film noir auquel on assite dans la deuxième partie des années soixante. Le scénario est tiré du livre de Stanley Ellin, House of Cards qui, à ma connaissance, n’a pas été traduit en français. Stanley Ellin est un écrivain considéré comme un maitre dans le genre suspense. Il a été quelquefois adapté à l’écran, par exemple le très moyen The Big Night de Joseph Losey en 1951[2], ou le calamiteux Ia A double tour de Claude Chabrol en 1959. Il est surtout connu et respecté pour avoir écrit des nouvelles très souvent primées. C’était un auteur qui avait une très bonne réputation dans le milieu du roman noir. Pourtant l’essentiel de sa carrière va être celle d’un scénariste pour la télévision. Le scénario est signé James P Bonner qui était le pseudonyme d’un couple de scénaristes chevronnés, Harriet Frank Jr et Irving Ravetch. Tous les deux ont collaboré sur de nombreux films de Martin Ritt qui visaient à la fois un vaste public et un contenu qui donne à réfléchir sur les tares de la société américaine, entre autres Hud, Hombre, Norma Rae, Stanley & Iris, donc des films de gauche à la conscience sociale très affirmée. Cette volonté va passer tout à fait dans ce film, mais sans pédagogisme, ni endoctrinement. Après tout nous sommes en 1968, une époque où s’amorce un renouveau du cinéma américain, à la fois sur le plan du contenu et de l’esthétique. 

    Un cri dans l’ombre, House of Cards, John Guillermin, 1968 

    Un homme est mort noyé dans la Seine au niveau du Vert Galant, tandis que l’on s’active pour le repécher, un homme regarde ce qui se passe depuis le pont et s’en va. De son côté, Reno Davis perd son combat de boxe. Il décide d’arrêter, et son ami Bernard le ramène en voiture. Sur la route, en dehors de Paris, le parebrise reçoit une balle. C’est un enfant qui leur a tiré dessus. Reno le rattrape et le ramène chez ses parents. Sa mère est Anne de Villemont dont le mari est décédé. Le petit Paul s’excuse et Reno s’en va. Le lendemain alors qu’il fait du stop sur la place de la Concorde, une voiture s’arrête, c’est Anne de Villemont qui lui demande de devenir le précepteur du petit Paul. Reno refuse dans un premier temps, mais il se laisse convaincre parce que c’est bien payé. Il se rend compte que ce milieu de gens très fortunés est en fait un foyer de fascistes, d’anciens soutiens de l’OAS, et qui veulent élever Paul dans cette idéologie. Lors d’une réception il se rend compte que le maitre d’œuvre de ce projet est un certain Charles Leschenhaut. Anne est également suivie par le docteur Morillon qui semble la surveiller et qui est jaloux de Reno qui semble avoir de l’influence sur la mère du petit Paul. Reno et son ami Bruno vont ensuite être victime d’un attentat, alors qu’ils se trouvent avec l’enfant. Bruno, son amie Véronique et Paul s’évacuent, et Reno doit les rejoindre dans leur appartement à Montmartre. Mais quand il arrive, il est assommé, Bruno a été égorgé et Véronique prétend que c’est lui qui a tué son ami ! 

    Un cri dans l’ombre, House of Cards, John Guillermin, 1968 

    Reno Davis vient de perdre son combat de boxe 

    Reno prend la fuite, il retrouve l’hôtel particulier de la famille Villemont vidé. Un seul membre des complotistes est resté, Edmond Rosier. Il lui montre un véritable arsenal caché dans les sous-sols de la bâtisse. Après s’être fait un peu bousculer, il explique que Paul a été emmené en Italie. Soucieux de retrouver Paul, Reno va récupérer Anne. Ensemble ils vont partir en train pour Frascati dans la périphérie de Rome. Comme ils n’ont pas d’argent et que Reno est recherché, elle loue un wagon de nuit qu’ils partageront. Arrivé à destination, ils se rendent chez les Braggi où ils pensent trouver l’enfant. Mais il est déjà parti. Pour savoir où, Reno bouscule la mère de la jeune Daniela qu’il fait mine de violer. La femme parle. En partant, ils tombent sur le docteur Morillon qui en réalité est le général de Villemont soi-disant disparu. Dans la confusion de la bagarre le général est tué par son garde du corps, un faux prêtre. Anne et Reno rejoignent Rome où ils pensent retrouver Paul. N’ayant plus d’argent ils vont récupérer des pièces de monnaie dans la Fontaine de Trevi. Reno se rend alors au quartier général des comploteurs, une sorte de forteresse. Il négocie l’échange de Paul contre une liste des noms de personnes riches qui soutiennent et financent le complot. Le rendez-vous est fixé au Colisée. Reno s’y rend le lendemain matin, Anne attendant dans la voiture. Une voiture survient derrière eux sans qu’ils la voient. Dans le bâtiment, Reno tombe sur le factotum de Leschenhaut qui tente de le tuer. Reno a le dessus et rejoint Leschenhaut qui se trouve avec Paul. Leschenhaut a armé Paul et lui demande de le tuer, mais celui-ci se retourne contre lui, affolé, Leschenhaut tombe à la renverse et se tue. Reno retrouve Anne qui est accompagné par les services secrets français qui suivaient l’affaire. 

    Un cri dans l’ombre, House of Cards, John Guillermin, 1968 

    Reno va faire la connaissance de la famille de Villemont 

    Il y a beaucoup de trous et d’invraisemblances dans ce scénario. La plus grossière sur le plan du contexte historique est l’existence d’un puissant réseau international qui veut renverser l’ordre mondial au nom d’une forme de fascisme. Ça ne tient pas debout parce qu’en même temps ce groupe qui a des ramifications dans le monde entier, est issu de la Guerre d’Algérie, des anciens de l’OAS si on veut. Or si ceux-là on perdu la Guerre d’Algérie contre l’Etat gaulliste, on ne voit pas comment ils pourraient la gagner à l’échelle de la planète. En outre les scénaristes ne tiennent pas compte du fait que les services secrets américains, pour nuire à de Gaulle, ont aidé et financer l’OAS. Passons aussi sur le fait que les tenants de l’Algérie français, les Pieds Noirs étaient loin d’être tous des fascistes. Également on verra que dans les années suivantes, ce seront les services secrets des Etats-Unis qui mettront sur pied une tentative de coup d’Etat fasciste en Italie via le réseau Gladio qui perpétrera les attentats meurtriers pour empêcher le PCI d’arriver au pouvoir. Cela ira jusqu’à l’assassinat d’Aldo Moro. Le film est complotiste si on veut, mais le complot n’est pas celui qu’on croit. A côté de cela il y a des invraisemblances psychologiques, par exemple on ne comprend pas que le factotum de Leschenhaut qui semble être aussi son amant jalouse Reno à tel point qu’il veuille le tuer.  

    Un cri dans l’ombre, House of Cards, John Guillermin, 1968 La chambre du petit Paul est décorée de symboles nationalistes 

    Toute une partie du film est donc consacrée à la description d’un monde parallèle qui mine les codes du monde visible auquel appartiennent les gens du commun. Ce monde parallèle ne peut exister que grâce à la corruption. L’exemple type est celui de Véronique qui vend son amant et qui ment pour nuire à Reno. C’est la rançon de la richesse : l’argent permet d’acheter n’importe qui. Comme des rats, les comploteurs ont stocké des armes dans des sortes de tunnels creusés sous des bâtiments apparemment neutres. Quand Reno est mis aux arrêts dans la maison près de Dijon, il aperçoit depuis sa fenêtre toute une armée qui semble sortir de terre, comme les champignons après la pluie. 

    Un cri dans l’ombre, House of Cards, John Guillermin, 1968 

    Lors d’une réception, Reno fait la connaissance de Charles Leschenhaut 

    Une fois qu’on a passé ces invraisemblances qui servent à donner du crédit à une menace fasciste en Europe, on a un thriller complotiste, donc paranoïaque où tout le monde doit se méfier de tout le monde. C’est pour ne pas avoir compris ça que Bruno l’ami de Reno sera égorgé et vendu par la fille, Véronique, avec laquelle il fricote. Reno est un américain, apprenti écrivain, disciple d’Hemingway, il n’a pas vraiment conscience de la situation politique et des dangers qui l’accompagne. Le message est clair, les Américains doivent se réveiller face au fascisme qui arrive ! On voit que la paranoïa antifasciste ne date pas d’aujourd’hui. Mais l’histoire tient le spectateur en haleine parce qu’elle redescend au niveau des êtres humains, de leurs insuffisances et de leurs ambiguïtés. Reno est clairement un raté et son ami Bruno qui roule en 2 CV aussi. Il va donc être attiré par cette société des gens riches, cette femme Anne qui sent bon et qu’il désire. Mais en même temps cette société est un répulsif, à cause de sa complication. Il trouve étrange qu’on se passionne pour des enjeux politiques si dérisoires. Cependant comme il a besoin d’argent et qu’en plus il est très attiré par Anne, il va se laisser embringuer dans cette affaire. 

    Un cri dans l’ombre, House of Cards, John Guillermin, 1968 

    Reno frappe Véronique qui l’accuse d’avoir tué son ami Bernard 

    Mais cette confrontation entre un homme pauvre et une femme très riche est une histoire d’amour impossible. C’est pourquoi, à la fin, ayant accompli son devoir, il tournera les talons et s’en ira. Tout le long du film il refreinera ses désirs et refusera de coucher avec Anne, tout en lui montrant pourtant l’attrait qu’elle exerce sur lui. Autrement dit il est dans la position d’un allumeur ! Il laisse espérer à Anne ce qu’il ne pourra pas tenir. Mais son ambigüité s’étend aussi au fait, qu’étant un homme seul, au fond il aimerait bien avoir lui aussi une famille, et c’est pourquoi il va être aussi attentif au sort de Paul.     

    Un cri dans l’ombre, House of Cards, John Guillermin, 1968 

    Dans les rues de Belleville, il fuit la police 

    Le film est tourné en Europe, Paris et l’Italie. Bien entendu il y a un coté voyage touristique dans la manière, de filmer, la Seine, la place de la Concorde, puis la Fontaine de Trevi, le Colisée. Cependant là n’est pas l’essentiel. L’idée est de d’opposer l’innocent et moderne Reno, un peu désabusé, à la vieille et sournoise Europe et donc d’en dénoncer la fausseté. Derrière les images touristiques, c’est bien de cela qu’il s’agit. L’Europe refuse de se moderniser et reste ancrée dans les souvenirs lointains et dangereux de ce qu’elle a été. C’est le sens qu’on peut donner à ces images de riches demeures couplées avec celles des drapeaux français. Mais les décors ce sont aussi les images de Montmartre et ses vieilles rues. Le quartier pauvre, le logement étroit de Bruno et puis cette fuite de Reno dans la rue en pente, poursuivi par des pommes qui dévalent la rue comme si elles voulaient le rattraper pour qu’il ne fuit pas ses responsabilités. 

    Un cri dans l’ombre, House of Cards, John Guillermin, 1968 

    Dans la cave de la maison des de Villemont, Reno découvre un arsenal 

    Les décors réels sont utilisés pour produire des images plongeantes où la hauteur est dominante et forme un renversement dans l’ordre des choses et donc remettre à l’endroit ce qui est à l’envers. C’est Reno qui saute par la fenêtre pour échapper aux policiers, ou qui s’évade de sa chambre en escaladant les toits d’une manière acrobatique. Et puis c’est la scène finale du Colisée qui verra Leschenhaut qui était monté si haut dans cette espèce de secte complotiste et qui tombera si bas pour s’écraser sur le sol. La réception que donne la famille Villemont est particulièrement soignée, insistant avec de longs travellings sur l’aspect luxueux de la demeure, travaillant énormément sur les   grands escaliers, dans une tonalité qui rappelle celle de Hitchcock dans Notorious. Guillermin utilise à cet effet la contreplongée, mais aussi la profondeur de champ. 

    Un cri dans l’ombre, House of Cards, John Guillermin, 1968 

    Edmond Rosier montre à Reno la liste des soutiens du complot 

    Dans la manière de filmer l’utilisation de l’écran large et de l’excellente photo de Piero Portalupi qui travaillera beaucoup pour les Américains, Guillermin qui connait son affaire va rendre une série d’hommages au grand cinéma. Les séquences du train sont en rapport avec North by Northwest d’Alfred Hitchcock, y compris les traits d’humour relatifs à l’étroitesse du wagon lit. la recherche de l’argent dans la Fontaine de Trevi est une forme parodique et un peu décalée de La doce vita le film de Fellini. Comme si Guillermin corrigeait les embrassades entre Marcello Mastroianni et Anita Ekberg pour les ramener à une réalité moins fausse et plus prosaïque. 

    Un cri dans l’ombre, House of Cards, John Guillermin, 1968 

    Reno et Anne prennent le train pour l’Italie 

    Si le film est un peu lent à démarrer, et que le combat de boxe n’est pas très attrayant – Melville a fait bien mieux dans L’ainé des Ferchaux dont l’idée a manifestement inspiré les scénaristes les scènes d’actions sont particulièrement réussies. C’est bien rythmé, tonique et assez crédible puisque Reno est un ancien boxeur. Pour cela Guillermin utilise correctement la possibilité de l’écran large pour donner une dimension spatiale à l’action. Il utilise d’ailleurs aussi assez souvent les plans en pied, les plans généraux pour aérer le film. Sans être extraordinaire, c’est du travail propre. 

    Un cri dans l’ombre, House of Cards, John Guillermin, 1968 

    Pour faire parler la mère Braggi, Reno va faire mine de violer Daniela 

    Le film est centré d’abord sur le personnage de Reno, interprété par un George Peppard en forme. Il est très bon, usant de cette nonchalance souriante qui l’empêche de se prendre trop au sérieux. Inger Stevens, une actrice suédoise qui a fait une petite carrière au cinéma essentiellement dans les années soixante et qui se tournera vers la télévision, n’est pas mauvaise, mais elle n’a rien de remarquable, il est vrai qu’elle n’avait pas un physique particulier. Elle décédera à l’âge de trente-cinq ans, probablement d’une surdose médicamenteuse pour se suicider. Elle joue d’ailleurs dans le film cette femme qui a tendance à se laisser aller au désespoir et que le faux docteur Morillon tente de sauver. Le nom d’Orson Welles ne doit pas faire illusion, dans le rôle de Leschenhaut, affublé d’un faux-nez, il est totalement insignifiant. Il n’a pas beaucoup de scènes, et on aurait pu tout à fait prendre n’importe qui pour occuper ce rôle. Keith Michell incarne le docteur Morillon, mais il n’a rien de remarquable, même quand il s’avère qu’en fait il est le général de Villemont. Il tient son rôle, sans plus. 

    Un cri dans l’ombre, House of Cards, John Guillermin, 1968 

    Comme ils n’ont plus d’argent, Reno et Anne récupère les pièces dans la Fontaine de Trevi 

    Le film ayant été tourné à Paris et à Rome, la distribution est internationale et on retrouvera des Français, par exemple Perrette Pradier dans le rôle d’une domestique à la fois chaude et cupide. Ou Geneviève Cluny dans celui de la fourbe Véronique. Et puis des italiens, Renzo Palmer qui incarne un faux moine qui piste Reno, et Ave Ninchi dans le rôle de la mère Braggi. Ils sont tous les deux très bons.  

    Un cri dans l’ombre, House of Cards, John Guillermin, 1968

    Reno va proposer un échange à Charles Leschenhaut 

    C’est dans l’ensemble un très bon thriller, bien enlevé qui en meme temps nous renseigne sur l’image caricaturale que les Américains de gauche se font de la France, comme s’ils voulaient nous donner une leçon de démocratie. A cette époque, rappelons-le, ils étaient englués dans la ruinseuse Guerre du Vietnam . La musique de Francis Lai est assez médiocre et la chanson écrite par Pierre Barouh est sans intérêt. Il existe une bonne version Blu ray de ce film chez Elephant Films avec une bonne présentation de Julien Cornelli. 

    Un cri dans l’ombre, House of Cards, John Guillermin, 1968 

    Le bras droit de Charles Leschenhaut tente de tuer Reno 

    Un cri dans l’ombre, House of Cards, John Guillermin, 1968

    Charles Leschenhaut voudrait que le petit Paul tue Reno 

     

     



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/syndicat-du-meurtre-p-j-john-guillermin-1968-a114844678

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/the-big-night-joseph-losey-la-grande-nuit-1951-a114844882

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