•  56 rue Pigalle, Willy Rozier, 1948

    Lors d’une régate, Jean Vigneron va tomber amoureux d’Inès de Montalban, la femme d’un homme d’affaire riche dont il devient du même coup l’ami. Bientôt Inès deviendra sa maitresse, mais cette passion tumultueuse va être perturbée parce que le valet de chambre de Jean a récupéré des lettres compromettantes et veux faire chanter Jean. C’est le mari d’Inès qui lui prête l’argent pour faire face à cette dépense inattendue. Il récupère ses lettres, mais le maître-chanteur est à son tour assassiné par le photographe qui a pris des clichés des lettres. Celui-ci veut à la fois récupérer les lettres et l’argent. Mais le meurtre du valet ne passe pas inaperçu. La police pense que c’est Jean qui en est l’auteur, notamment parce qu’il s’est fait conduire par un chauffeur de taxi au 56 rue Pigalle, domicile du valet. Dès lors Jean est arrêté. Mais le mari d’Inès  va récupérer les lettres auprès du photographe. Au moment du procès, ces lettres vont tomber sous les yeux d’Inès qui décide de témoigner pour sauver Jean. Comprenant que jean est innocent le juge l’élargit et demande à ce qu’on arrête le photographe. Les deux amants vont partir s‘exiler en Afrique. Mais leur relation va devenir de plus en plus difficile, car face à eux-mêmes ils sont poursuivis par les remords.

     56 rue Pigalle, Willy Rozier, 1948 

    Jean Vigneron, architecte de bateau de plaisance est passionné de navigation 

    L’intrigue, sur un scénario de Willy Rozier lui-même, est apparemment banale. Elle peut même apparaître comme surchargée. Mais c’est justement de cette surcharge que surgit l’aspect tragique et désespéré de la passion qui unit Jean et Inès. Les soucis s’accumulent aussi bien comme une forme de punition de l’adultère commis, que comme une fatalité sans issue. Cela va donner un caractère ambigu aux deux héros. Jean est en effet très ami avec Montalban, mais il ne peut renoncer à sa passion pour Inès, quitte à la payer d’un prix excessivement élevé. Il acceptera de tout perdre et de partir vivre dans un grand dénuement en Afrique. Jean et Inès renonceront alors aux conforts de la vie mondaine à laquelle ils étaient habitués à Paris.

     56 rue Pigalle, Willy Rozier, 1948 

    Jean devenu ami avec Montalban partage aussi ses fêtes 

    Les amours de Jean et d’Inès apparaissent alors comme un long chemin de croix, et non comme la recherche du plaisir. Mais le mari d’Inès est lui aussi dans l’ambigüité parce qu’aussi bien il aide Jean, mais il ne peut surmonter sa jalousie. Il sombrera dans les plaisirs frelatés des boîtes de nuit. Même si le film est centré sur Inès et Jean, c’est d’un triangle infernal dont il s’agit. A la fois misérable et plein de grandeur et de renoncement. Cette ligne vénéneuse fait penser à William Irish bien sûr, surtout dans la fin.

    Mais le cadre de ces amours bourgeoises et adultérines dans son opposition à Pigalle justement ou à la misère de l’Afrique, vont prendre un caractère particulier. En effet, l’insouciance des amants est tout de suite perturbée par la haine du valet qui se venge non seulement pour de l’argent, mais aussi pour effacer les humiliations que son statut de valet engendre forcément. De même le photographe crasseux en veut au valet d’être capable de pressurer les bourgeois. En vérité le titre, 56 rue Pigalle, est un peu racoleur et semble nous orienter vers le milieu et ses frasques. Il n’en est rien, Pigalle est à peine un décor qui sert à des oppositions de classes.

     56 rue Pigalle, Willy Rozier, 1948 

    Le valet Bonnet réclame de l’argent 

    L’interprétation est intéressante. Bien sûr Jacques Dumesnil est un peu trop raide et n’a pas beaucoup de charisme, sa patite moustache donne un côté vieillot à l’histoire, mais Marie Déa est très bien avec ses tourments rentrées et ses larmes retenues. Elle a beaucoup de présence. Aimé Clariond dans le rôle de Montalban est excellent. Mais ce sont plutôt les seconds rôles qui surprennent, René Blancard qui joue le valet Bonneet, ou Raymond Cordy dans le rôle du chauffeur de taxi pittoresque. Ou encore Marco Villa dans celui de Baruch le photographe criminel. 

    56 rue Pigalle, Willy Rozier, 1948

    Le photographe se montre menaçant 

    Le film est produit par la société de production de Willy Rozier qui maitrisaient ainsi ses films de a jusqu’à z. Il y a donc toujours un côté un peu minimaliste par manque de financements. Les gros plans sont trop nombreux, les éclairages un peu pauvres, et souvent les scènes dialoguées se bornent à un champ contre-champ sans imagination. De même les scènes violentes sont souvent escamotées. Mais il y a  tout de même quelques idées cinématographiques intéressantes. Par exemple toute cette scène qui met en présence le maître chanteur et le photographe et qui conduira au meurtre. Malgré le côté exotique de cette vision de l’Afrique, la fin est également filmée d’une manière intéressante en jouant sur le peu de lumière qui sourd des persiennes, ou en insistant sur la pluie torrentielle.

    56 rue Pigalle, Willy Rozier, 1948 

    La police va rapidement soupçonner Jean 

    C’est donc un film qui vaut le détour, datant de 1948, il montre que malgré les a priori de Borde et Chaumeton le film noir à la français était en plein développement. En effet, à cette époque le film noir américain n’avait pas encore été mis en pleine lumière, et la Série noire en était à ses balbutiements. C’est sans doute dans cet interstice de temps que Willy Rozier développe une vision originale du « noir ».

     56 rue Pigalle, Willy Rozier, 1948 

    Résigné Jean attend le verdict de son procès

     56 rue Pigalle, Willy Rozier, 1948 

    Inès va venir témoigner en sa faveur

     56 rue Pigalle, Willy Rozier, 1948 

    Les amants s’exilent en Afrique pour refaire leur vie

     56 rue Pigalle, Willy Rozier, 1948 

    La peur envahit la vie d’Inès

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  •  Les amants maudits, Willy Rozier, 1952

    C’est un film intéressant, un des premiers à tenter de traiter de l’histoire de Pierrot le fou et du gang des tractions avant. Certes ce n’est pas l’histoire de Pierrot le fou qui avait des vraies connections dans le milieu, même si une partie de ce milieu le lâchera. Il reprend plutôt quelques aspects de la vie de Pierrot le fou, l’attaque de la poste de Nice, très célèbre en son temps, les planques de la bande dans une sorte de guinguette, et aussi l’attaque de la bijouterie qui lui sera fatale puisque blessé, il s’en ira mourir loin de Paris, et sera enterré à la sauvette au fond d’un jardin par ses complices. Mais le caractère du héros du film est très différent de celui de Pierrot le fou. En effet le légendaire gangster, Pierre Loutrel à la ville, qui fut l’amant de Martine Carol, avait eu une vie des plus tourmentée, passant par les Bat’ d’Af’où il deviendra ami avec le grand Jo Attia.

     Les amants maudits, Willy Rozier, 1952 

    A Aix-en-Provence sur le boulevard du Roy René, Paul attaque un encaisseur 

    Paul Moretti est un garçon de café qui s’ennuie et qui rêve de devenir gangster. Le soir il fréquente les bals de la rue de Lappe. C’est là qu’il va rencontrer Jackie dont il va tomber amoureux. Dans un acte de révolte il va se débarrasser de ses oripeaux de garçon de café et partir sur les routes avec Jackie pour vivre une vie de voyou. Rapidement il va comprendre qu’il lui faut monter une bande pour réaliser des coups ambitieux. Evidemment les polices sont après lui, plusieurs fois il ne devra son salut que dans la fuite, en tirant sur les policiers. Mais il va lui arriver de se cacher derrière Jackie. Celle-ci va être blessée et cela va l’emmener à son tour à trahir Paul et à aider la police à le traquer. Mais dès le moment où elle va retrouver Paul, elle va retomber sous son charme, lui avouer qu’elle travaille pour la police et finalement repartir avec lui et sa bande pour monter des coups. Cela se terminera mal. Paul blessé va décéder pratiquement dans ses bras, mais avant de mourir il tuera Jackie.

    Les amants maudits, Willy Rozier, 1952  

    A Nice la bande braque la poste 

    Film de gangster, Les amants maudits exploite la fascination que la figure de Pierrot le fou exerçait sur les foules. Sa violence, son audace, le fait d’échapper aux traques de la police, en faisait une sorte de héros. A la manière des films noirs américains, Willy Rozier ouvre et ferme son film sur une leçon de morale de la police, leçon sensée légitimer son film et le dédouaner de toute intention amorale. Evidemment personne n’est dupe.

    Willy Rozier est un personnage à part dans le cinéma français. Il est célèbre aussi pour s’être battu en duel avec François Chalais. Ancien champion de natation, comme Henri Decoin, il faisait tout dans la production de ses films. Il écrivait les scénarios sous le nom de Xavier Vallier. Ce relatif isolement lui donnait une surface assez mince pour financer ses films. Bien que sa carrière soit assez hétéroclite, il lancera Brigitte Bardot dans Manina fille sans voile, il avait une prédilection pour le film noir et policier. A l’époque de la gloire d’Eddie Constantine dans le rôle de Lemmy Caution, il lancera un autre héros de Peter Cheney, Callaghan, sur les écrans français dans au moins trois épisodes.

     Les amants maudits, Willy Rozier, 1952 

    Jackie blessée est récupérée par la police et va se mettre à son service 

    Autodidacte consommé, on ne trouvera pas chez lui une réalisation très sophistiquée. En effet, il multiplie les plans fixes et il filme le plus souvent ses acteurs d’une manière rapprochée. Il y a aussi une incapacité à utiliser la spécificité des décors naturels, alors que ceux-ci lui permettent d’éviter des lourds coûts de production en studio. Mais comme souvent dans les films minimalistes et fauchés, c’est des conditions matérielles un peu misérables que surgit l’intérêt du film. Par exemple cette scène où Jackie est allongée dans un lit d’hôpital, la porte s’ouvre et l’inspecteur Marvaux va l’interroger. 

     On retiendra donc d’abord ce parfum d’époque, revoir la Côte d’Azur quand elle était encore belle n’est pas le moindre des intérêts. La partie de pêche de Paul au bord de la Seine témoigne des ambitions finalement assez étroites des gangsters de cette époque.

     

     Les amants maudits, Willy Rozier, 1952 

    Jackie retrouve Paul au bord de la Seine 

    L’interprétation est aussi très atypique. Le rôle de Paul est tenu par un très bon Robert Berri, ce même Robert Berri qui jouait au théâtre dans Les salauds vont en enfer. Je crois que c’est un de ses seuls premiers rôles au cinéma. Il a été par la suite habitué des rôles de brutes, de gangsters. Mais ici il est encore jeune et met bien en valeur l’ambiguïté de son physique sans charisme et de ses tendances criminelles. Jackie est interprétée par une complète inconnue, Danielle Roy. Je crois que c’est le seul film qu’elle a tourné. Peut-être même n’était-elle pas actrice professionnelle. Elle avait une sorte de beauté étrange qui va bien avec le film. La scène où dans la chambre elle prend la tête de Paul dans ses bras est tout à fait émouvante. On retrouvera d’autres acteurs connus, comme Jacques Dynam qui ici joue un gangster, ou Milly Mathis.

     Les amants maudits, Willy Rozier, 1952 

    Paul a reçu une balle dans le ventre  

    Au final c’est un film assez bizarre, en tous les cas un chaînon manquant dans le long développement du film noir français. Rozier est souvent traité par-dessus la jambe, mais ses films valent le détour. Bach films vient de rééditer toute une série de films de Willy Rozier qui permettent de découvrir ou de redécouvrir une personnalité forte du cinéma d’après-guerre.

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  • Denitza Bancheva et Roberto Chiesi, Le film noir Françaix, Gremese, 2015 

    C’est le deuxième ouvrage qui paraît cette année sur le film noir français. Thomas Pillard avait choisi le film noir pour illustrer une thèse particulière. Ici il s’agit d’un panorama qui ne repose pas sur une définition précise de ce qu’est le noir. Les auteurs brassent large, ils essaient de saisir le mouvement dans toute son ampleur, mais aussi de prendre en compte les différents acteurs qui ont construit ce genre. Le sujet est vaste et le premier défaut de l’ouvrage est qu’il est trop étroit dans sa taille pour accueillir une étude détaillée de tous les aspects du film noir français. Le second défaut est que le film noir n’est pas défini clairement. D’après les deux auteurs dans ce genre film noir on pourrait aussi bien faire figurer Les aventures d’Arsène Lupin de Jacques Becker que Le trou du même Becker, ou les pochades de Lautner. On est assez étonné également d’y retrouver les films de Jacques Audiard dont la médiocrité n’a d’égale que l’imprécision du genre auquel ils se rattachent. Certes les définitions de Borde et Chaumeton ne sont pas intangibles, et souvent il faut les transgresser, mais elles ont le mérite  de préciser de quoi est fait le genre.

      Denitza Bancheva et Roberto Chiesi, Le film noir Françaix, Gremese, 2015

    L’ouvrage a été écrit par deux auteurs très différents, Denitza Bantcheva dont les ouvrages sur Melville, Clément ou Joseph Losey sont excellents. Et Roberto Chiesi qui a écrit des monographies sur Delon, Godard ou Depardieu plutôt assez plates. Le problème est que la répartition du travail entre les deux auteurs fait ressortir des disparités d’écriture assez fortes. Les chapitres écrits par Bantcheva sont mieux rédigés et bien plus intéressants que le reste, il y a un effort de théorisation, notamment quand elle essaie de caractériser le film noir des années 80. Les chapitres écrits par Chiesi ressemblent plus à des catalogues et collectionnent un nombre anormal de coquilles et d’erreurs.

    Par exemple, le premier chapitre rappelle les origines du film noir à la française, et met en évidence le rôle décisif des écrivains qui ont fourni de la matière scénaristique, mais Chiesi attribue la création du personnage d’OSS117 à Louis C. Thomas.

    Des auteurs de films noirs sont absents, comme Willy Rozier ou Robert Hossein, alors pourtant que Frédéric Dard avec qui il a débuté et développée une forme originale de films  noirs est mentionné. A quoi bon revenir sempiternellement sur Touchez pas au grisbi ?

     Denitza Bancheva et Roberto Chiesi, Le film noir Françaix, Gremese, 2015 

    Jean Gabin dans le très méconnu Leur dernière nuit de Georges Lacombe  

    Bref à l’arrivée c’est un ouvrage un peu bancal, hésitant, sans doute écrit trop vite, probablement une commande. Seuls y trouveront leur compte les néophytes qui commencent à s’intéresser au film noir à la française.  Mais il y a tout de même des passages intéressants, notamment dans la deuxième partie sur la prise en compte des formes architecturales et de l’espace. Et l’ouvrage met en scène également la place particulière de Jean Gabin qu’on peut considérer comme le vrai parrain du genre, sa carrière étant à cheval aussi bien sur les années d’avant-guerre que sur celles d’après la Libération, mais aussi à cheval sur les deux rives de l’Atlantique.

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